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3.2 Les modèles phonologiques « classiques »

3.2.5 Séquentialité multilinéaire, segments et autosegments

Séquentialité des segments

Un nouveau pas est franchi dans la description des signes par Liddell (1984) en mettant en évidence la séquentialité à l’oeuvre au sein des signes, avec un point de départ et un point d’arrivée (Hold), et un mouvement entre les deux (Movement). Dans le modèle Hold and Movement, les signes sont constitués de deux types de segments : des tenues (H : Hold) qui hébergent les spécifications de configuration, d’orientation et d’emplacement, avec alternance de mouvements (M : Movement)

PERE MERE PARENTS FIGURE3.3– Exemple de réduction temporelle par omission de paramètres : signes PERE, MERE (à considérer dans sa version [index] sélectionné au lieu du [pouce]) et PARENTS en LSF, tirés de Girod (1998)

dont on précise les caractéristiques (forme, direction, mouvement des doigts ou de la main, etc.). C’est sur cette base qu’un grand nombre de travaux ultérieurs (modèles autosegmentaux, syllabiques, prosodiques) seront fondés.

En adoptant une approche plus phonologique, Liddell & Johnson (1989) pro-posent d’autonomiser les paramètres de tenue en leur attribuant des portées dis-tinctes, ce qui permet pour un paramètre qui est constant pendant tout le signe, i.e. qui ne change pas d’une tenue à l’autre après un mouvement intermédiaire, de ne pas être spécifié à nouveau.

Dans les différents modèles qui suivront, les paramètres ne seront pas regrou-pés de la même manière, ni spécifiés pour les mêmes traits. Le mouvement parti-culièrement sera l’objet de multiples controverses, essentiellement au sujet de son statut d’unité phonologique. J’exposerai quelques-uns de ces modèles dans les pa-ragraphes suivants.

Segments, autosegments et unisegment

Le modèle Hand Tier de Sandler (1986, 1987 et 1989) est inspiré de Clements (1985). Il repart de l’organisation séquentielle proposée par Liddell & Johnson (1989) et distingue les segments Location, qui remplacent Hold et qui hébergent les spécifications de Hand Configuration et Place, des segments Movement et pro-pose un modèle autosegmental fondé sur les modèles géométriques des LV (Cle-ments, 1985). Ce modèle regroupe sous le noeud Hand Configuration l’orientation

et la forme de la main (palm orientation et handshape), la forme manuelle étant elle-même spécifiée pour les doigts sélectionnés, spécifiés à leur tour pour leur po-sition (ou aperture). Contrairement au modèle Hold and Movement, la configuration manuelle et l’emplacement ne sont pas regroupés (voir fig. 3.7).

Le noeud Emplacement (Place) héberge la spécification du Major Place (tête, tronc, main dominée ou emplacement neutre), qui peut regrouper différents Settings qui correspondent à des distinctions dites mineures à l’intérieur d’une catégorie ma-jeure d’emplacement.

Dans ce type de modèle, un signe qui possède un mouvement de l’ensemble de la main bougera à l’intérieur d’un même emplacement majeur, entre deux empla-cements mineurs (setting). Autrement dit, l’emplacement majeur ne change pas au sein du même signe. Il en est de même pour les doigts sélectionnés. Un changement dans la forme manuelle sera spécifié par un changement de la position des doigts sélectionnés. Ceci permet de rendre compte de ce que Mandel (1981) avait déjà mis en évidence, à savoir que lorsqu’il y a un changement de configuration dans un signe de l’ASL, ce changement ne concerne pas la nature des doigts sélectionnés, mais la relation entre le pouce et les doigts sélectionnés qui sont en contact ou pas, ce qui produit respectivement des configurations ouvertes ou fermées comme dans le signe PERE en LSF par exemple.

Enfin, on distingue les mouvements primaires et secondaires. Les mouvements primaires sont soit des mouvements de déplacement de la main dans son ensemble entre deux emplacements mineurs de la même catégorie majeure (Path Movement), soit des mouvements locaux (Local Movement) qui produisent un changement d’aper-ture ou d’orientation de la main. Les mouvements secondaires affectent l’arrange-ment des doigts sans changer l’aperture (écartel’arrange-ment pouce-autres doigts) ou l’orien-tation, comme par exemple un mouvement de pianotage des doigts [oscillated]. Le signe PIANO comprend un mouvement primaire de déplacement des deux mains du centre vers l’extérieur, et simultanément un mouvement secondaire d’oscillation des doigts.

Harry van der Hulst (1993) critique à plusieurs égards ce modèle et d’autres (Perlmutter, 1992 par exemple) qui se fondent sur les mêmes principes, particu-lièrement au sujet de l’utilisation de segments dans un modèle autosegmental. Les

PERE PIANO

FIGURE 3.4 – Mouvement local implicant le pouce dans le signe PERE et mouvement primaire PATH + mouvement secondaire [oscillated] dans le signe PIANO, tirés de Girod (1998)

segments seraient ici utilisés pour rendre compte de la séquentialité en comparant les segments des signes avec les consonnes et les voyelles des LV. Dans un modèle autosegmental, il semblerait plus approprié de parler de positions ou d’unités sque-lettales dans une représentation sans segments (Wilbur, 1993). Dans cette optique, le phonème n’existe plus, il n’y a que des occurrences de traits hiérarchisés. D’autre part, ce modèle ne rend pas compte d’un certain nombre de signes qui possèdent par exemple des configurations où il y a bien un mouvement d’ouverture/fermeture entre les doigts5, sans mettre en jeu le pouce, dans les signes CISEAU ou HO-MARD en LSF par exemple. Van der Hulst (1993) propose un modèle de traits binaires dans le cadre d’une phonologie de dépendance (Anderson & Ewen, 1987), où le signe est le segment unique .

Le mouvement n’est pas une unité phonologique

Dans le modèle de Van der Hulst (1993), le mouvement n’est pas considéré comme une unité phonologique, car il est déductible des spécifications de l’aperture et de la paume de la main pour le mouvement local, et des emplacements majeurs

5. Comme on le verra dans la description en traits des configurations manuelles, ici l’« ouver-ture » ne correspond pas au trait [aperouver-ture] qui est propre à l’écartement entre les doigts opposés au pouce, mais au trait [spread] qui correspond à l’écartement entre les doigts eux-mêmes.

et mineurs pour le mouvement de déplacement.

Pour Van der Hulst, le mouvement local est déduit de la double spécification (dé-but et fin) des traits d’aperture et d’orientation de la paume de la main. De même, le mouvement de déplacement est déduit de la spécification de deux emplacements. Bien qu’elle considère le mouvement comme un segment, Sandler (1989) a « pré-paré le terrain » en proposant de spécifier deux emplacements mineurs (settings) dans un emplacement majeur (major place). Van der Hulst reprend ce principe, sans le segment M, en spécifiant sous le noeud Place en plus du trait d’emplacement majeur, un trait Setting lorsqu’il y a un déplacement. Ainsi, c’est la présence seule du trait Setting qui indique qu’un mouvement de déplacement se produit au sein du signe.

Channon (2002) adopte l’approche unisegmentale de Van der Hulst. Comme lui, Channon considère que les signes n’ont pas de structure séquentielle portée par des segments. C’est l’usage de traits dynamiques qui sont alors spécifiés pour deux valeurs différentes dans le même signe, qui permet d’expliquer la séquentialité ap-parente.

Je ne rentrerai pas plus dans le détail de ces modèles, le but étant d’illustrer différentes manières de rendre compte d’un phénomène donné en appliquant des modèles hérités des LV. Je renvoie à l’article de Van der Hulst pour le traitement des propriétés qui semblent inhérentes au mouvement de déplacement telles que la forme décrite par le mouvement et la présence ou non d’un contact avec l’emplace-ment pendant le mouvel’emplace-ment, et à Channon (2002) pour une comparaison du modèle unisegmental aux modèles segmentaux et autosegmentaux.

Dans les années 90, le traitement du mouvement est devenu l’un des enjeux de la formalisation phonologique des LS, sans parvenir à trouver un consensus autour de son statut : phonologique dans les modèles autosegmentaux où le mouvement est représenté par un segment dynamique associé à des traits ; non phonologique dans les modèles a- ou uni-segmentaux, considérant le mouvement comme déduc-tible des spécifications initiales et finales des autres paramètres. On retrouvera la même dichotomie dans les modèles suprasegmentaux qui reposent sur une structure syllabique et/ou morique associée à des traits.