• Aucun résultat trouvé

Emmorey et al. (2003) ont mené une étude comparative à laquelle ont participé 15 sujets sourds signeurs natifs ou quasi-natifs, locuteurs de l’ASL, et 17 sujets entendants non signeurs ignorant tout de l’ASL. Le but de cette étude était de com-parer la performance des signeurs et celle des non signeurs, dans la perception de

continua établis entre des paires phonémiques ou allophoniques de configurations manuelles et d’emplacements de l’ASL. Les auteurs font l’hypothèse que seuls les sourds manifesteront un effet PC et seulement pour les paires phonémiques. Ils pos-tulent donc que les différences entre les deux groupes - signeurs et non signeurs - sont dues à l’expérience linguistique et que l’effet PC est lié . Selon eux, leurs résultats montrent finalement une perception catégorielle pour les configurations manuelles, pour les signeurs seulement, mais pas pour le paramètre emplacement.

6.2.1 L’expérience

Cette étude a été menée en deux étapes, avec des paires phonémiques et al-lophoniques dans la première étape, ce qui a permis dans une deuxième étape de tester des continua de paires phonémiques supplémentaires définis en fonction des résultats de la première série d’expériences.

Stimuli

Au total, pour chaque paramètre, emplacement et configuration, trois continua ont été créés dont deux constitués de paires phonémiques (les deux extrêmes du continuum sont des phonèmes) et un d’une paire allophonique (les deux extrêmes sont des allophones). Les continua ont été générés avec le logiciel d’animation 3D Poser : en spécifiant les extrêmes de chaque continuum, le logiciel génère par in-terpolation linéaire une animation qui permet de passer de l’un à l’autre extrême du continuum. Parmi les images créées sur ce continuum, onze stimuli statiques sont ensuite extraits à intervalles réguliers - les deux extrêmes et neuf stimuli à l’inté-rieur du continuum. Comme dans l’étude de Newport, les stimuli sont présentés en contexte, c’est-à-dire dans le contexte d’un signe ASL.

Configuration

Ainsi, pour le paramètre configuration, le premier continuum phonémique

}

-A

met en oeuvre la configuration ASL [B-bar] du signe PLEASE et la configuration [A-bar] du signe SORRY. Le deuxième continuum phonémique

5

-

3

porte sur les configurations ASL [5] du signe MOTHER et la configuration [3] du signe POSH. La paire allophonique est constituée des configurations [OpenN] et [ClosedN] -ce qui revient à ouvrir et fermer un bec d’oie rond :

ï

- du signe SAY-TO-NO.

Emplacement

Le premier continuum phonémique pour le paramètre emplacement va du signe ONION - emplacement [pommette] - au signe APPLE - emplacement [menton], et le second va du signe YESTERDAY - emplacement initial[menton] - au signe HANG-OVER - emplacement initial [cou]. Dans ce deuxieme continuum, les em-placements sont phonémiques comme dans le premier continuum, mais ils sont en outre placés sous un noeud différent car ils appartiennent à des régions majeures du corps différentes, respectivement la tête et le torse - d’après le modèle de Brentari (1998). Pour la paire allophonique, le continuum va des emplacements [menton] à [joue] dans le signe DEAF.

Procédure

Le logiciel Psyscope a été utilisé pour présenter les stimuli et enregistrer les ré-ponses. Les auteurs ont adopté un design expérimental de type ABX et présenté la tâche de discrimination avant la tâche d’identification. Dans la tâche de discrimina-tion, les stimuli A et B distants de 2 pas étaient présentés séquentiellement pendant 750 ms chacun, avant la cible X présentée pendant 1 sec. Un écran blanc d’1 sec. était intercallé entre les stimuli. Les stimuli ont été présentés aléatoirement dans quatre ordres différents (ABA ABB BAA BAB, 36 combinaisons présentées 2 fois soit 72 présentations par continuum). Les quatre ordres ont été présentés à tous les sujets. Le sujet devait presser une touche du clavier pour indiquer si la troisième image (X) était identique à la première (A) ou à la seconde image (B).

La tâche d’identification consistait en un choix forcé entre les deux bouts A et B du continuum. A et B apparaissaient sur l’écran au début de la tâche, puis le stimulus X (un des 11 stimuli extraits du continuum) était présenté pendant 750 ms suivis d’un écran blanc avant le stimulus suivant. Chaque X a été présenté 8 fois, soit 88 fois par continuum, dans un ordre aléatoire identique pour tous les sujets. Le sujet devait presser la touche 1 si X ressemblait plus à A, et la touche 2 si X ressemblait plus à B.

6.2.2 Les résultats

Configuration manuelle

Pour les paires phonémiques, les courbes d’identification montrent deux catégo-ries avec un passage abrupte de l’une à l’autre pour les signeurs et les non signeurs qui ont des résultats proches. En revanche, pour la tâche de discrimination, les si-gneurs montrent un effet de PC, pas les non-sisi-gneurs. Pour la paire allophonique, les courbes d’identification, similaires pour les signeurs et les non-signeurs, montrent également deux catégories distinctes, avec cependant un passage de l’une à l’autre plus progressif, la frontière s’étendant sur deux positions. Dans la tâche de discri-mination, ni les signeurs ni les non-signeurs ne montrent d’effet de PC pour cette paire. Les courbes sont « plates » et ne présentent pas de pic.

Emplacement

Après n’avoir observé aucun effet de PC pour la première paire phonémique, la seconde paire phonémique, dans la deuxième partie de l’expérience, avait été choi-sie pour éviter toute interférence avec une règle phonologique de déplacement. En effet, bien que dans la première paire les emplacements étaient phonémiques, ils appartenaient cependant au même emplacement majeur, la tête, ce qui a poussé les auteurs à supposer une possible interférence entre des emplacements placés sous le même noeud. Pour la seconde paire au contraire, la précaution a été prise de sélectionner des emplacements complètement dissociés appartenant à deux empla-cements majeurs distincts, la tête et le cou. Pour autant, les paires d’emplacement, phonémiques et allophonique, n’ont montré aucun effet de PC, que ce soit pour les signeurs ou pour les non-signeurs. Emmorey et al. (2003) explique cela en ren-voyant à la littérature de la PC dans les langues vocales : l’effet PC n’y est pas non plus observé pour tous les types de sons. Il se manifeste selon le type d’articulation mise en oeuvre. Les occlusives montrent un effet PC net, les fricatives un peu moins, les voyelles pas du tout2. Il en serait de même pour la différence de comportement observée entre les configurations manuelles qui montrent un effet PC et les

empla-2. On se rappellera tout de même qu’après la formulation de la théorie motrice, d’autres travaux sont venus montrer que les résultats obtenus dépendaient plus des protocoles expérimentaux que de la nature des sons étudiés.

cements qui n’en montrent pas. Par sa nature articulatoire, ce paramètre permet de passer d’une position à une autre de manière continue, alors que la configuration possèderait un mode d’articulation moins continu et moins variable.