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Stratégies d’appropriation : Entre adaptation aux besoins et contournement des normes :

Chapitre V : Présentation du cas d’étude

10.3. L’enquête sociologique : Deux cités, une problématique à plusieurs variables

10.3.6. Stratégies d’appropriation : Entre adaptation aux besoins et contournement des normes :

10.3.6.1. Transformations internes: Une quête de confort légitime

Au cours des visites effectuées lors des phases d’observation et d’enquête, il a été relevé plusieurs types de transformations légitimées par toutes sortes de raisons évoquées lors des entretiens. De fait, cela s’exprime par des stratégies d’appropriation diverses allant de la simple poli fonctionnalité des espaces (changement d’usage des pièces entre la fonction diurne et la fonction nocturne) à des interventions plus lourdes consistant à abattre des cloisons ou à en élever d’autres ou encore l’adjonction des balcons et des loggias…..etc.

Les logements de la cité la cité Rabia Tahar quant à eux font beaucoup plus l’objet de transformations radicales de l’espace interne, le changement de fonction des pièces reste plutôt rare.

Ceci étant, il est possible de classer les modifications observées en trois types :

 Un premier type concerne les réorganisations des espaces internes au logement. Ces modifications ne sont pas sans effet sur l’architecture extérieure mais il s’agit plus d’une conséquence que d’un effet recherché, l’aspect ou le vocabulaire architectural de la façade ne fait pas l’objet d’investissements volontaires. Ces modifications consistent en la démolition de cloisons pour les reconstruire ou leur changer d’épaisseur , à fermer un espace ou l’ouvrir sur un autre espace selon la fonction ou la surface désirée……etc.

 Un deuxième type de transformations à trait aux adjonctions et modifications sur les parties externes du logement : transformations qui cherchent à la fois à renforcer la protection de l’intimité et la sécurité. Il s’agit d’adjonctions de balcons et de loggias, d’agrandissement ou au contraire réduction de la taille ou déplacement d’une ouverture, de la pose de ferronneries aux fenêtres……etc.

 Un troisième type de transformations consiste en adjonctions qui embellissent le logement : remplacements, enrichissements, personnalisations….etc. comme le remplacement des sanitaires, remplacement du plan de travail dans la cuisine, le remplacement des revêtements (notamment dans la cuisine et la salle d’eau), le remplacement de la menuiserie (portes, fenêtres, sens d’ouverture), peinture….etc.

« (….) dans la réalité, des espaces initialement destinés à des fonctions précises, se voient investis par d’autres fonctions, d’autres usages que ceux qui étaient prévus, dans le même mouvement, les formes qui marquaient cette destination se retrouvent subverties, transformées réappropriées. Ces ‘’ investissements‘’, loin d’apparaître comme des bricolages anarchiques et

individuels interviennent souvent de manière massive et régulière, ils offrent des convergences qui empêchent de les réduire à des phénomènes isolés et obligent à reconnaître leur caractère collectif, social197

10.3.6.2. Relations intérieur /extérieur : Des pratiques à la limite de la légalité

A la cité Soummam, il a été observé que des parcelles de terrain, en bordure des immeubles (attenant au logement) sont clôturées et aménagées en dépôt, atelier, petit potager ou simplement en jardin privatif par les locataires du rez-de-chaussée, bien que cela soit illégal et souvent inesthétique. Cette pratique peut aller de la simple délimitation à l’aide d’une clôture légère grillagée (en fil de fer) maintenue par des piquets et agrémenté de plantes (jasmin, laurier…..etc.) à la construction de murs ou murets en dur (le plus souvent des pièces de parpaings empilées et scellées par du mortier).

Ce type d’appropriation a également été observé au niveau de Rabia Tahar mais dans la plupart des cas pour aménager de petits jardins à l’usage de tous les locataires de l’immeuble.

D’autres locataires des logements en rez-de-chaussée vont même jusqu’à percer le balcon de la cuisine, de la loggia du séjour ou la fenêtre de la chambre, pour agrandir leurs appartements ou aménager des garages ou des locaux pour une quelconque activité économique tout aussi illégale.

Photo 33 : Clôture légère autour de l’espace intermédiaire attenant au logement du RDC.

Source : Auteur (2009)

Photo 34 :L’espace intermédiaire servant de dépotoir. Source : Auteur (2009)

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Photo 35: Construction d’un escalier pour l’aménagement d’une entrée privative. Source :

Auteur (2009)

Photo 36: Aménagement d’une entrée publique pour un appartement en RDC servant de fond de commerce (salon de coiffure). Source : Auteur (2009)

Ces deux formes d’appropriation ne s’excluent pas l’une l’autre mais dépendent pour une large par du fait qu’il s’agisse de la façade principale ou de la façade postérieure198.

Dans la première situation, l’espace de ‘’devant ‘’sert de garage affecté au stationnement de véhicules, comme il peut être utilisé comme espace vert (plantes ordinaires), plantations d'arbres fruitiers ou encore de dépôt d'objets domestiques encombrants.

Dans la seconde situation, l’espace ‘’arrière ‘’ est dévolu aux plantations de légumes (potager) et d'arbres fruitiers ainsi qu’à l'élevage d'animaux domestiques (poules, dindons, chèvres, boucs……etc.).

Photos 37 et 38: Pratiques rurales en pied d’immeuble.Source :Auteur (2009)

Ainsi l’on observe donc une forte tendance à l’appropriation exclusive, voire à la privatisation d'une partie de l’espace public attenant à l'immeuble, au bloc, voire au logement du

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chaussée, qui devient de fait, soit un espace collectif de voisinage qu'impose une association de locataires, soit un espace exclusivement privé, inaccessible aux autres voisins, donc individuel. Ces pratiques sont étroitement corrélées à l’origine rurale de certains habitants, de fait, il y a une rupture très nette entre le mode de vie et l’espace, support de ce mode de vie. Ainsi, il est possible d’expliquer ces formes d’appropriation par certaines permanences du modèle d’habitat traditionnel plus adapté au mode de vie et que les habitants essaient de reproduire lorsque les conditions s’y prêtent : « l’appropriation d’espaces produits dans des filières de production

excluant l’habitant et lui offrant des dispositifs spatiaux nouveaux , inconnus de ce dernier (….)donnait à voir des mécanismes d’appropriation et de rejet de populations transplantées d’un tissu urbain traditionnel à un habitat collectif ‘’moderne et fonctionnel‘’. »199

De plus, la conception du modèle d’habitat collectif tel que proposé -imposé- aux habitants des cités Soummam et Rabia Tahar ne présente aucune hiérarchie des espaces notamment le passage progressif du public au privé, aggravée par l’absence d’aménagement et les défaillances de gestion.

Il semble donc que le souci majeur des habitants soit de procéder à la délimitation de l’espace extérieur de proximité, de créer un espace de transition (entre l'appartement et l’espace public). D’autres espaces dits ‘’intermédiaires ‘’ ne sont pas en reste, en effet , certaines catégories sociales développent des comportements d’appropriation excessive, notamment les jeunes – chômeurs surtout-qui monopolisent certains espaces résiduels entre les bâtiments et qui deviennent carrément interdits d’accès aux autres habitants, ou encore-phénomène plus récent et surtout observé à la cité Soummam-les attroupements dans les cages d’escaliers des immeubles lors des soirées d’hiver et jusque très tard dans la nuit, occasionnant une gène évidente pour les locataires.

Ces pratiques sont d’autant plus répandues qu’elles sont facilitées par l’absence du contrôle d’usage au regard de l’immensité des espaces dont il est question.

10.3.6.3. Formes de résidentialisation : Des initiatives balbutiantes

L’observation à la cité Rabia Tahar a révélé un phénomène intéressant. En effet une des formes que peut prendre la résidentialisation (c'est-à-dire la clôture) a fait son apparition pour certains espaces au niveau de la cité Rabia Tahar. Le thème de la sécurité et de la tranquillité motive très certainement ce genre de pratiques.

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Photos 39 et 40 :Pose de clôture autour d’un immeuble ou d’un groupe d’immeubles à la cité Rabia Tahar.Source :Auteur (2009)

En effet, les espaces en pied d’immeubles, de statut public sont du point de vue de ceux qui les habitent, un espace stratégique qui ne devrait pas être accessible à n’importe qui. En réserver l’usage ou en donner l’usage privilégié à ceux qui habitent l’immeuble ou le groupe d’immeubles contribue à rassurer les habitants (protéger les enfants qui jouent de la circulation, avoir sa voiture à l’œil…….etc.) et leur permet de retrouver un peu de maitrise sur leur espace de vie quotidien.

Ces interventions bien que peu nombreuses, contribuent largement à transformer l’aspect voire l’image de la cité (la cité Rabia Tahar est réputée être la plus sûre dans la ZHUN).

Photos 41 et 42 : La cloture délimite et marque la transition vers les espaces intémédiaire et permet l’aménagement d’un parking àl’usage des locataires du groupe d’immeubles.Source :Auteur (2009)

10.3.6.4. Espaces extérieurs : Entre abandon et excès d’appropriation

D’après l’observation, il apparait clairement que les habitants ont des difficultés à s’approprier l’espace de leurs cités, siège d’indifférence, de laisser aller et parfois même de danger , en effet les adultes ne font que traverser ces espaces, deux fois par jour, qu’ils soient actifs ou non, pour

les enfants il s’agit de les traverser pour aller à l’école ou pour jouer ,et là l’absence d’infrastructures pour les prendre en charge en dehors des heures d’école les pousse à s’approprier les terrains vagues pour leurs jeux s’exposant ainsi à toutes sortes de dangers.

A la Soummam comme à Rabia Tahar, l’espace public est envahi par le stationnement et les parkings sauvages, rues, terrains vagues et autres espaces résiduels entre les bâtiments sont investis par la jeunes et les adolescents pour les sports collectifs (principalement le football) et par les enfants pour leurs jeux.

Photos 43 et 44 :Les espaces éxtérieurs ou résiduels sont investis par des baraques pour la vente de cigarettes ou encore l’installation de petits équipements payants de loisirs pour les jeunes (babyfoots). Source :Auteur(2009)