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A l’étranger : d’autres alternatives se profilent

Chapitre IV : Le renouvellement urbain dans les grands ensembles : Un renouveau des politiques de la ville

4.4. A l’étranger : d’autres alternatives se profilent

Le monde entier a connu l’utopie de la ‘’ville moderne‘’, privilégiant la tabula rasa et les procédés de constructions industrielles pour faire face, dans de courts délais, au logement de masse. En Europe, les grands ensembles ainsi produits connaissent des difficultés sociales et urbaines comparables, auxquelles répondent des stratégies de reconquête, d’apaisement ou d’expérimentation.

Confrontés à un parc social vieilli et dégradé, où sont regroupées des populations en crise – quand il n’a pas été déserté – les pays européens développent des politiques urbaines, le

remplaçant ou le remaniant. Aux deux extrêmes de l’échiquier : la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Dans le cas britannique, les projets se fondent principalement sur des principes de démolition totale et de remplacement par des formes urbaines renouant avec la tradition. A l’opposé, les expériences allemandes visent majoritairement à anoblir et à remettre au goût du jour le message de modernité véhiculé par les grands ensembles.

4.4.1. En Grande-Bretagne : des démolitions radicales

Les projets de démolition/reconstruction britanniques sont fortement marqués par les changements radicaux des années quatre vingt : jusqu’alors le logement social dépendait essentiellement des municipalités. Les villes, ayant constitué historiquement des parcs sociaux assez importants, prenaient en charge leur gestion tout en bénéficiant des aides de l’Etat, qui imposait en contrepartie des directives assez précises, telles que l’obligation dans les années d’après-guerre d’employer des procédés de construction industrialisée. Le virage libéral des années quatre vingt voit l’Etat se désengager du financement de la construction et de l’entretien du parc social.

A la même époque, les grands ensembles se détériorent considérablement, du fait de problèmes constructifs ; ils se vident des occupants qui ont les moyens de partir et concentrent des populations à faibles ressources. Privées de financement, les municipalités les cèdent à des

Housing associations156, seules structures pouvant désormais recevoir des aides d’Etat. Ces associations à but non lucratif peuvent engager des démolitions/reconstructions et, pour aider à les financer, peuvent construire et commercialiser des programmes divers, notamment privés. A Londres, ce mode de gestion a fondé la requalification de plusieurs quartiers dont deux des plus importants, Holly Street au Nord et Stonebridge à l’Ouest, avec démolition pratiquement systématique des bâtiments, les systèmes constructifs rendant difficile tout remodelage partiel.

4.4.1.1. Londres, Stonebridge :

Sur le thème des terraced housing157 traditionnels, Stonebridge, au Nord-Ouest de Londres, est transformé radicalement par la démolition/reconstruction. Double objectif : développer le site par de nouvelles maisons pour sa population et intégrer le quartier dans la communauté qui l’entoure. L’organisme chargé du montage de l’opération, a confié à la suite d’un concours, à une équipe d’architectes la préparation du Master Plan et l’organisation de la consultation

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Organismes indépendants fournissant une aide au logement aux personnes en difficulté.

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des habitants. Ils ont également réalisé la première phase des travaux dans la partie Sud du quartier.

Figure 24 : Vue aérienne du quartier avant les démolitions. Source Lachaise.N

Figure 25 :Master plan du projet. Source Lachaise.N

 Master Plan du projet :

Le Master Plan abandonne le système de barres et les rues surélevées, pour les remplacer par de vraies rues où les habitants peuvent contrôler l’espace qui les entoure. La composition, structurée par des îlots, s’inspire de l’architecture domestique britannique.

La décision finale de l’équilibre entre maisons, appartements et espaces verts a été soumise au vote des habitants, informés par courrier, maquettes et vidéos. Le choix adopté a été de construire plus de maisons, en réduisant les espaces ouverts initialement prévus.

Figures 26 et 27 : Londres.Stonebridge, les barres rasées sont remplacées par des maisons en bandes avec quelques petits collectifs aux angles des rues. Source Lachaise.N

Les deux premières phases du nouveau Stonebridge réinterprètent les terraced housing (habitat en bande) traditionnels de Londres : les rues sont constituées de maisons de largeur égale (mais aux plans et aux hauteurs variées), ponctuées aux angles par des plots de petit collectif qui permettent de varier les effets spatiaux. Des jardins plantés confortent l’échelle domestique et intègrent des parkings.

Cette opération a permis de renouer avec une pratique de projet urbain qui avait presque disparu. Et elles ont favorisé la constitution d’agences d’architecture spécialisée dans la conception sociale et spatiale de quartiers, « ces actions traduisent un nouvel élan des pouvoirs publics

pour promouvoir la qualité architecturale non pas par des prescriptions imposées aux autorités locales, comme dans le passé, mais par des actions de sensibilisation et de soutien aux projets novateurs »158.

4.4.2. En Allemagne : Des thérapies douces

Le débat sur l’avenir des grands ensembles et leur rapport avec la ville ont pris une dimension particulière après la chute du mur de Berlin en 1989. La situation de ces quartiers était alors extrêmement différente à l’Est et à l’Ouest. Alors que l’Ouest y connaissait des phénomènes d’exclusion, les nombreuses villes nouvelles de l’ex-RDA hébergeaient une population plutôt favorisée et cultivée. Modèle bien accepté socialement, les grands ensembles répondaient à une idée de modernité, de standing.

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HINSLEY.H, in LACHAIZE.N. Les grands ensembles, une histoire qui doit continuer. Mémoire de fin d’études en architecture et urbanisme. Marseille : ENSA de Marseille-Luminy, Juin 2007, p.80.

Cependant, les problèmes techniques dus à la mauvaise qualité des constructions s’aggravaient et, dans une première phase, de lourds travaux de réparation ont été engagés. La situation financière des organismes gestionnaires a commencé à se dégrader et ce déséquilibre s’est encore accru avec l’exode des habitants vers l’Ouest.

L’Etat a d’abord tenté de remédier au phénomène en réhabilitant les logements pour y apporter plus de confort puis en proposant aux habitants de racheter les appartements – ce qui aurait allégé le déficit des sociétés de logement social. Mais les procédés de préfabrication industrielle généralisés en RDA rendaient les remodelages et les démolitions partielles hasardeux.

Et le manque de savoir-faire des bureaux d’études chargés des réhabilitations a conduit à des résultats très médiocres, les techniciens se contentant d’intervenir sur le chauffage ou les sanitaires, sans ce soucier de la qualité des espaces.

La recherche de nouveaux concepts s’est alors engagée, afin de voir comment la ville des grands ensembles peut fonctionner aujourd’hui.

4.4.2.1. Berlin, Marzahn :

Vitrine de l’Allemagne de l’Est, le quartier de Marzahn à Berlin totalise environ 60 000 logements, construits entre 1977 et 1987 selon des procédés industrialisés159. Après la chute du Mur et l’ouverture du marché du travail, les bailleurs ont eu pour principal souci de stopper le départ des locataires. Entre 1991 et 1994, deux programmes ont bénéficié de subventions publiques, sur l’amélioration des espaces publics, puis sur la mise aux normes de confort des bâtiments.

Parmi les premières réhabilitations, quelques unes densifient ponctuellement les grands ensembles pour y créer des ambiances propres à la ville classique (îlot, rue). Le système constructif des immeubles empêchant les remodelages radicaux, des projets ont ajouté des bâtiments aux barres ; d’autres ont cherché à valoriser le modèle des tours par un travail sur les soubassements qui améliore leur rapport avec l’espace extérieur (accès, commerces). L’objectif de toutes ces actions est de créer un sentiment d’appartenance des habitants à un lieu identifié.

Ces initiatives n’ayant pas suffi à stopper l’exode, les nouveaux projets s’inscrivent dans le cadre du programme publique de démolition/reconstruction. L’idée est de personnaliser les barres, les rendre moins anonymes et adapter leur organisation intérieure aux modes de vie des habitants, qui ont en majorité entre 40 et 50 ans. Des barres sont arasées pour passer de douze à quatre ou

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cinq niveaux, avec un maximum de dix logements par cage d’escalier. Les appartements, plus petits, sont dotés d’une profusion de terrasses, balcons et jardins privatifs.

Figure 28 et 29 : Berlin. Marzahn, amélioration des espaces publics, mise aux normes de confort des logements et des bâtiments, création de rues à l’ambiance plus traditionnelle en ajoutant des immeubles bas

qui améliorent le accès et apportent descommerces. Source : Lachaise.N

Plusieurs programmes de rénovation ont cherché à stabiliser la population du quartier par l’apport d’éléments d’identité : amélioration des espaces publics, mise aux normes de confort des logements et des bâtiments, création de rues à l’ambiance plus traditionnelle en ajoutant des immeubles bas qui améliorent l’accès et apportent des commerces…..etc.

L’expérience est considérée comme un succès, dans la mesure où elle a revalorisé le centre, permis aux plus démunis de déménager dans de meilleurs appartements et aux classes moyennes d’accéder à des logements plus grands et confortables, plutôt que de quitter la ville pour s’installer en périphérie.

En définitive, toutes ces expériences aussi disparates soient-elles, semblent confirmer que les transformations radicales sont peu réalistes et difficiles à réussir. En revanche, les stratégies fondées sur la flexibilité et la transformation des comportements des habitants ont davantage de succès. S’intéresser aux comportements des habitants, explorer ce qu’ils imaginent, peut nourrir le travail des urbanistes, aider de façon décisive à changer la perception de ces espaces et leur fonctionnement.