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5.2.1 Adaptation par modulation d’impédance

Principe

La coactivation des muscles agonistes et antagonistes a pour effet d’accroître l’impédance mécanique au niveau des articulations (Hogan, 1984). Cela permet d’améliorer la stabilité des membres et de les rendre plus robustes aux pertur-bations tant internes qu’externes (Bizzi et al., 1982, Cheze, 2005, McIntyre et al., 1996).

Observations expérimentales

Il ressort des travaux de Gribble et al (Gribble et al., 2003) que la mo-dulation d’impédance peut être une stratégie pour améliorer la précision des mouvements du bras. Ils proposent alors à leurs sujets une tâche de pointage vers des cibles de tailles différentes requérant donc plus ou moins de précision du geste. Afin de réduire au maximum l’influence de la vitesse des mouvements des sujets sur la précision de pointage, la cinématique des gestes de chaque essai est enregistrée et contrôlée. Il est en effet indispensable de s’assurer que chaque essai est réalisé à vitesse constante, en raison de l’existence du compromis vi-tesse précision (loi de Fitt (Fitts, 1954)). L’activité musculaire de sept muscles de l’épaule et du coude a été enregistrée par électromyographie (EMG). Gribble et al notent alors que la cocontraction musculaire décroît avec l’augmentation de la taille de la cible à atteindre et avec la diminution du niveau d’erreur.

5.2. LES STRATÉGIES D’ADAPTATION 69 Par ailleurs, la modulation d’impédance s’avère être une stratégie efficace selon Hogan (Hogan, 1984) et Flash et al (Flash et Gurevich, 1991) pour contrer des perturbations extérieures lors de la manipulation d’outils.

Limitations

Nous avons vu que la cocontraction des muscles agonistes et antagonistes a un effet stabilisateur sur les articulations et permet de moduler l’impédance glo-bale des membres. Avec une impédance suffisamment élevée, il est envisageable de rejeter tout type de perturbations par le biais de cette stratégie. Toutefois de part le nombre fini de fibres musculaires et de leurs caractéristiques, la force produite par chaque muscle est limitée. De plus cela présenterait un coût éner-gétique élevé. Notons enfin comme le rappellent Liu et al (Liu et al., 2002), qu’une fibre musculaire ne peut être sollicitée trop longtemps. Ainsi lors d’une contraction volontaire et soutenue, les unités motrices sont victimes de fatigue de part le manque d’oxygène, de glycose, l’augmentation d’acide lactique dans le sang et les muscles. Ces facteurs de fatigue ont pour conséquence d’élever le seuil de décharge des unités motrices et le nombre d’entre elles activées diminue. L’effort maximal que peux générer un muscle décline donc sous une activation longue.

5.2.2 Adaptation par les modèles internes

Principe

Cette stratégie repose sur la théorie des modèles internes. En effet, si nous disposons de représentations internes du monde, il suffit de les mettre à jour lorsque les propriétés de celui-ci changent. Contrairement à la stratégie de mo-dulation d’impédance où la cinématique des mouvements reste inchangée, les commandes motrices deviennent spécifiques au contexte courant.

Observations expérimentales

Les travaux de Held (Held, 1965) représentent une étape importante dans la mise en évidence expérimentale de l’adaptation sensorimotrice par apprentis-sage. Il proposa à ses sujets une tâche de pointage où ces derniers portaient ou non une paire de lunettes munies de prismes déformant la vision qu’ils avaient de l’espace et donc de la cible. Dans une telle condition, la cible à pointer du doigt se trouvait visuellement décalée de 20 degrés sur la gauche. Les sujets réalisaient tout d’abord la tâche dans des conditions dites nominales, sans al-tération visuelle puis ils devaient revêtir les lunettes à prismes. Lors de leur première tentative avec ces dernières, les sujets manquaient la cible avec un écart identique à celui induit par les lunettes. Après plusieurs dizaines d’essais,

les sujets étaient capables d’accomplir la tâche et de retrouver le même niveau de performance qu’ils avaient obtenu lors des essais en conditions nominales. Une fois les lunettes retirées, les sujets manquaient la cible de nouveau avec cette fois-ci un écart de valeur identique mais dans le sens contraire à celui observé lors du port des lunettes. Ce phénomène appelé after-effect est carac-téristique du processus de désadaptation à la suite d’un apprentissage.

Figure 5.1 – Expérimentation de Ferandez-Ruiz et Diaz (Fernandez-Ruiz et Diaz, 1999). Evolution de la performance des sujets avant de porter des lunettes à prismes déformants (PRE), pendant (PRI) et après les avoir retirées (POS) et pour différents niveaux de déformation (A, B et C). En condition PRI, les sujets démontrent une capacité à retrouver un niveau de performance proche de celui obtenu en condition PRE. La condition POS révèle le phénomène d’after-effect avec déviation opposée des lancers par rapport au début de la condition PRI.

Ces expérimentations ont permis de démontrer la capacité des sujets à ré-affecter à la position de la cible une configuration articulaire de leur bras. Fernandez-Ruiz et Diaz (Fernandez-Ruiz et Diaz, 1999) retrouvent en particu-lier ces résultats lors d’une tâche de lancer d’une balle sur une cible (voir figure 5.1). Par la suite, le phénomène d’after-effect sera considéré comme

caracté-5.2. LES STRATÉGIES D’ADAPTATION 71 ristique de la construction ou modification d’un modèle interne et permettra entre autre de discriminer les stratégies d’adaptation mises en oeuvre dans les expérimentations.

Dans leurs travaux, Lackner et Dizio (Lackner et Dizio, 1994) étudient l’adaptation à une perturbation non plus visuelle mais motrice. Placés dans un environnement rotatif, les sujets subissent alors un champ de forces de Co-riolis artificiel. Ce champ de forces applique alors une contrainte sans contact physique sur les mouvements des bras des sujets dès lors que ceux-ci sont en mouvement, entravant de ce fait leur tâche de pointage. A l’instar de Held, Lackner et Dizio observent une réussite de la tâche par les sujets au bout de quelques dizaines d’essais (voir figure 5.2) ainsi que le phénomène d’after-effect. Des études similaires réalisées par Shadmher et Mussa-Ivaldi (Shadmehr et Mussa-Ivaldi, 1994) permettent de confirmer les résultats de Lackner et Di-zio (Lackner et DiDi-zio, 1994) présentés ci dessus, en particulier la présence d’un after-effectaprès la suppression du champ de force perturbateur. Leur dispositif expérimental présente toutefois une différence majeure : le champ de forces per-turbateur est réalisé par un bras robotique dont les sujets manipulent l’organe terminal. La force perturbatrice s’applique donc de manière locale, au niveau de la main du sujet, lequel se voit proposé également une tâche de pointage. Les résultats de Shadmehr et al (Shadmehr et Mussa-Ivaldi, 1994) suggèrent la formation par le système nerveux central d’un modèle interne du champ de forces perturbateur produit par le bras robot. Un autre résultat important de leurs études concerne l’isotropie de l’apprentissage : ils observent un after-effect dans des zones de l’espace jusque-là inexplorées lors des sessions d’essais précé-dentes. Ainsi l’utilisation du modèle interne du champ de forces perturbateur formé par les sujets est étendue aux zones non visitées. Par ailleurs, des études suggèrent que le processus d’adaptation concerne à la fois les modèles internes directs et inverses. Ainsi à l’instar de Bhushan et Shadmehr (Bhushan et Shad-mehr, 1999), Wang et al (Wang et al., 2001) concluent que la seule mise à jour du modèle interne de dynamique inverse est incompatible avec leurs observa-tions et que nécessairement le modèle interne de dynamique direct est lui aussi sujet à modification.

Limitations

Toutefois la stratégie d’internaliser les propriétés du phénomène perturba-teur pour contrer les aléas de l’environnement peut être mise en défaut. Si le système nerveux central présente une plasticité lui permettant la construction d’une représentation interne d’une perturbation, d’un comportement inattendu, il s’avère alors que tout type de phénomène ne peut être reproduit. En

particu-Figure 5.2 – D’après Lackner et DiZio, 2005. La figure (a) représente l’évo-lution du niveau d’erreur de pointage en conditions exempts de perturbation (zones blanches) et avec champ de forces perturbateur (de type Coriolis, zone grisée). La performance des sujets en présence de la perturbation retrouve son niveau nominal après une quarantaine d’essais. La suppression de la perturba-tion provoque un after-effect qui disparait rapidement. La figure (b) représente une expérimentation similaire si ce n’est que le champ de forces perturbateur est produit par un bras robot. Dans ce second cas on note également une dis-parition rapide de l’after-effect.

lier, Takahashi et al (Takahashi et al., 2001) mettent en évidence l’importance du caractère prédictible du comportement de la perturbation. Ils soumettent leurs sujets à une tâche de pointage similaire à celles présentées auparavant. A un champ de forces perturbateur ils ajoutent un bruit aléatoire. Ils concluent à la capacité du système nerveux central à compenser le comportement moyen de la perturbation par la formation d’un modèle interne mais aussi par une augmentation de l’impédance des bras des sujets pour réduire les erreurs de prédiction issues des inexactitudes de leur modèle interne.