• Aucun résultat trouvé

L’étude du comportement du conducteur suite à une modification de la dy-namique de son véhicule nécessite dans un premier temps d’analyser la manière dont l’événement à l’origine de ce changement va impacter le comportement du véhicule ainsi que celui du conducteur. Si le changement est détecté par ce der-nier, la manière dont il sera interprété peut influer sur le choix des différentes réactions possibles du conducteur et donc sur la performance de la tâche de conduite. Ces différentes étapes sont regroupées dans l’organigramme présenté à la figure 7.1 et sont détaillées ci-après.

7.2.1 Impact

Comme nous l’avons déjà évoqué, nous nous plaçons dans le contexte où suite à un certain évènement, le comportement du véhicule que pilote le conduc-teur est modifié. Cet évènement peut avoir diverses origines. Il peut s’agir d’une défaillance matérielle ou logicielle, par exemple la rupture d’un organe méca-nique ou encore le basculement d’un système embarqué dans un mode de refuge ou encore dégradé. Mais cela peut aussi provenir de la mise en place d’une stra-tégie d’assistance par un dispositif d’aide, n’ayant jamais été rencontrée aupa-ravant par le conducteur et ne résultant donc pas d’une quelconque défaillance. Quoiqu’il en soit, la première piste de réflexion que nous proposons porte sur la définition de l’impact de l’évènement :

– sur le véhicule, – sur le conducteur.

Concernant l’impact sur le véhicule, il convient de définir en quoi l’évènement en question va modifier le comportement du véhicule. Cette implication n’est

7.2. MÉTHODOLOGIE 99

Figure 7.1 – Proposition d’aide à la modélisation pour l’étude de la réaction du conducteur à une modification du comportement de son véhicule.

pas systématiquement directe. Le dysfonctionnement d’un capteur de couple d’une direction assistée peut amener celui-ci à délivrer des informations incohé-rentes. Or, la logique intégrée à l’assistance de direction peut dans certains cas, détecter cette incohérence et basculer le système dans un mode refuge comme l’arrêt de toute assistance à la direction. Cette étape nécessite donc de dispo-ser d’un maximum d’informations techniques sur les systèmes considérés et sur leurs interactions.

Les conséquences de l’évènement peuvent se révéler totalement transpa-rentes pour le conducteur dans le sens où ce dernier peut ne pas les détecter. De ce fait, il convient dans un premier temps d’identifier quelles sont les modalités sensorielles susceptibles d’être stimulées par la modification de la dynamique du véhicule. Comme nous avons pu le découvrir au chapitre 3, les performances de celles-ci en termes par exemple de vitesse de transmission de l’information, de seuil de détection peuvent présenter des différences significatives. Cette dé-marche déductive est une étape rencontrée fréquemment dans de nombreuses

méthodes d’analyse de sûreté de fonctionnement (Zwingelstein, 1999, Aubry et Chatelet, 2008, Giraud, 2006).

7.2.2 Détection

La détection d’un changement du comportement dynamique du véhicule par le conducteur dépend en particulier de sa capacité à mesurer l’intensité d’un stimulus sensoriel. Cette aptitude varie selon chacun mais peut être me-surée et représentée par l’intermédiaire d’un seuil. Deux types de seuils peuvent être définis (Strandemar et Thorvald, 2004). Le seuil absolu représente l’inten-sité minimale d’un stimulus qui peut être détectée. Le seuil différentiel renvoie quant à lui à l’intensité nécessaire pour autoriser la discrimination de deux sti-muli. Les seuils sensoriels dépendent comme nous avons pu le voir au chapitre 3, des limitations propres des récepteurs sensoriels et des voies de transmission de l’information, en particulier des bruits neuronaux. La mesure de ces seuils sous-entend une détection consciente d’un changement dans le sens où le sujet est dans la possibilité de la verbaliser. Lorsque l’on présente à un sujet une stimulation dont le niveau appartient au voisinage de ses seuils sensoriels, ce dernier peut aussi bien détecter un signal en réalité absent et inversement. Nous avons par exemple, au cours d’une expérimentation, soumis des conducteurs à des variations de retour de couple au volant. Ces variations d’efforts apparais-saient alors que les conducteurs se trouvaient en virage établi. La figure 7.2 illustre cette zone d’incertitude dans la détection du stimulus.

7.2.3 Interprétation

La détection d’une modification du comportement du véhicule n’implique pas systématiquement l’identification par le conducteur de ou des causes qui en sont à l’origine. Lorsque le changement de comportement est permanent et franc, le conducteur peut dans le meilleur des cas identifier le composant sujet à un dysfonctionnement ou du moins à un fonctionnement inattendu. Mais le conducteur peut, de par son niveau de connaissance et de sa propre expérience de conduite, se retrouver dans une situation de confusion, où la rai-son identifiée du changement de comportement est différente de celle qui en est effectivement responsable. Dans une telle situation, les implications sur la réaction du conducteur peuvent se révéler désastreuses. Ceci fût par exemple observé dans Deborne et al., 2008. Dans cette expérimentation sur le simulateur dynamique de conduite ULTIMATE, la perte de direction assistée fût simulée lors d’une conduite en virage. Après interrogation, seulement un sujet sur douze fût capable de relier l’évènement qu’il a rencontré avec une perte d’assistance de direction tandis que certains l’assimilèrent à d’autres évènements préalable-ment rencontrés dans leur propre expérience de conduite.

7.2. MÉTHODOLOGIE 101

Figure7.2 – Détection de variations de couple volant. Résultat pour un sujet, pour une conduite en virage à 70km/h avec un rayon de courbure de 250m et un effort moyen au volant de 3N.m. Le sujet a été soumis à des réductions d’amplitude différentes (avec répétition des valeurs) de couple dont la transition était de type créneau d’une durée de 250ms.

Cette question d’interprétation, d’identification de l’évènement ou de son origine est particulièrement importante quant au type de stratégies d’adapta-tion, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, que le conducteur pourra mettre en place. En effet, nous avons vu au chapitre 5 qu’une solution à la disposition du système nerveux central pour faire face à un changement de son environne-ment réside en l’internalisation de ces modifications. Ainsi, il est possible que cette mise à jour ne s’applique pas aux paramètres réellement modifiés mais à d’autres ayant des effets confondants. Enfin, notons qu’en présence d’une modification sporadique, de courte durée et peu fréquente, il est envisageable que le conducteur ne tente pas d’en identifier les causes. L’évènement est alors assimilé à du bruit ou à une perturbation locale.

7.2.4 Réaction

Comme nous le proposons à la figure 7.1, il n’est pas nécessaire que le conducteur détecte de manière consciente un changement dans son environne-ment pour y répondre. En effet, nous avons pu voir au chapitre 5 que le système nerveux central est capable de s’adapter à de nouveaux environnements sans pour autant que le sujet en ait conscience : la modulation de l’impédance

ap-parente des membres ainsi que la mise à jour de la représentation interne du système manipulé peut s’avérer en partie ou totalement transparente aux yeux de l’opérateur qui l’utilise. Cette situation est potentiellement pernicieuse car l’opérateur se retrouve en décalage par rapport au système qu’il croit manipu-ler. Il convient donc dans une optique de modélisation mais aussi de sécurité de ne pas écarter les capacités plastiques des stratégies de contrôle des conduc-teurs dès lors qu’ils ne détectent aucun changement au niveau de leur véhicule.

La prise de conscience par le conducteur de l’occurrence d’un évènement ayant entraîné la modification du comportement de son véhicule peut l’ame-ner à différentes manières d’y répondre. La première d’entre elles est la non réaction. Les niveaux de contrôle (ou de pilotage) et de manœuvre (Neboît, 1974) ne subissent aucune modification, le conducteur poursuit sa tâche de conduite, la robustesse de sa stratégie de contrôle se révélant suffisante pour ne pas mettre en place une action particulière. Cela peut se retrouver dans le cas de modifications transitoires où le comportement du véhicule recouvre rapidement son état antérieur à l’occurrence de l’évènement. L’éventuelle mo-dification de trajectoire résultante est corrigée grâce aux boucles de rétroaction dans la stratégie de contrôle.

Une alternative à la non réaction consiste à stopper la tâche en cours d’exé-cution par le conducteur, voir la commutation de celui-ci dans un autre mode de conduite, mode de refuge lui permettant de répondre rapidement au chan-gement de contexte. Par exemple, un éclatement de pneumatique survenant au début d’une phase de doublage peut contraindre le conducteur à se rabattre et rester sur sa voie. De même, il peut dans certains cas choisir de désacti-ver, lorsque cela est possible, un dispositif d’aide qui lui paraît inadapté au contexte courant. Par exemple, les systèmes de correction de trajectoire ESP (Electronic Stability P rogram) améliorent la capacité de contrôle du véhi-cule sur route enneigée en effectuant dans certains cas des micro-freinages au niveau des roues où le taux de glissement devient trop important. Mais cette logique peut s’avèrer problématique dans certaines situations comme lors de phases de démarrage du véhicule où le patinage des roues est inévitable. Le conducteur peut aussi prendre la décision de poursuivre la tâche en cours ainsi que la stratégie de contrôle utilisée mais en actualisant et redéfinissant les pa-ramètres dont elle dépend. Cette solution se au centre de notre réflexion et sera en particulier développée plus loin.