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Les stratégies d’adaptation (coping)

2.1. L E STRESS

2.1.3. L’approche cognitive et transactionnelle

2.1.3.1. Les stratégies d’adaptation (coping)

La plupart des recherches qui se sont intéressées aux stratégies d’ajustement dans le domaine du travail se sont appuyées sur le modèle transactionnel du stress (Lazarus &

Folkman, 1984). Elles ont ainsi majoritairement exploré les deux formes de stratégies de coping distinguées par ces auteurs, à savoir le coping centré sur le problème et le coping centré sur l’émotion pour évaluer les réponses des individus face au stress induit par la perception de l’environnement professionnel.

Le coping se réfère aux efforts cognitifs et comportementaux d’un individu, en vue de gérer (réduire, minimiser, maîtriser ou tolérer) les demandes internes et externes liées aux transactions entre la personne et son environnement évaluées comme exigeantes ou excédant les ressources de cette dernière (Folkman et al., 1986). Selon ces auteurs, le coping aurait deux fonctions majeures : d’une part, traiter et résoudre le problème à l’origine du stress (coping centré sur le problème) et d’autre part réguler la détresse émotionnelle provoquée par l’agent stresseur (coping centré sur l’émotion). Ces deux fonctions se déclinent en diverses stratégies et ont donné lieu au développement de nombreux instruments visant à les évaluer, dont le Ways of Coping Questionnaire (WCQ ; (Folkman & Lazarus, 1988) qui a identifié 8 différents types de stratégies de coping, à savoir : (1) la confrontation ; (2) la mise à distance ; (3) l’autocontrôle ; (4) la recherche de support social ; (5) l’acceptation de la responsabilité ; (6) la

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positive. Le coping centré sur le problème fait référence, entre autres, aux efforts mis en œuvre, à l’énergie déployée, à l’acquisition de nouvelles compétences en vue de modifier la situation ou à l’adoption de nouveaux comportements, et est généralement utilisé lorsque la personne juge la situation maîtrisable. Le coping centré sur les émotions englobe des stratégies telles que la mise à distance, l’évitement ou toutes autres tentatives visant à réguler ses émotions et est davantage mis en œuvre lorsque la situation est hors de contrôle. Les caractéristiques individuelles (qui seront abordées plus en détail dans la section 2.2 de ce manuscrit) sont par ailleurs déterminantes dans le choix des stratégies de coping. Ainsi, les extravertis auraient tendance à faire face aux tensions en recherchant la compagnie des autres, ou en utilisant l’humour, alors que les individus dont le score est élevé sur la dimension du neuroticisme auraient davantage tendance à utiliser des stratégies telles que le blâme de soi, la passivité ou les pensées magiques (p. ex. la foi) (Costa et al., 1996).

Dans le domaine du travail, de nombreuses recherches ont cherché à tester l’influence des stratégies de coping sur l’épuisement professionnel. Par exemple, Leiter (1991) a évalué deux types de stratégies au moyen d’items développés par Latack (1986) : (1) le contrôle, défini comme des actions et des réévaluations cognitives proactives (p. ex. se réunir avec son supérieur pour parler du problème, essayer d’être très organisé de manière à garder le contrôle, essayer de voir la situation comme une opportunité d’apprendre et de développer de nouvelles compétences, etc.) et l’évitement, représenté par des actions et des réévaluations cognitives suggérant la fuite ou l’évitement (p. ex. éviter de me trouver dans une telle situation si je le peux, me dire que le temps prend soin de ce type de situation, essayer de me tenir loin de ce type de situation, etc.). Il a ainsi pu montrer que les individus qui utilisaient des stratégies de contrôle pour aborder les difficultés au travail avaient tendance à être moins émotionnellement épuisés. À l’inverse, le coping d’évitement était lié à un plus haut niveau d’épuisement émotionnel, ce lien étant toutefois moins fort. Une autre recherche (Chwalisz et al., 1992) visait à évaluer l’impact de l’autoefficacité sur le choix des stratégies de coping d’un groupe d’enseignants, puis d’évaluer l’effet médiateur de ces dernières sur le burnout. Pour mesurer le coping, ces auteurs ont utilisé une échelle développée par Weisman, Worden, et Sobel (1980). Composée de 15 items, cette échelle reflète la distinction théorique proposée par Lazarus et Folkman (1984) entre stratégies orientées vers le problème (3 items, par exemple, j’essaie de trouver plus d’information) et stratégies orientées vers l’émotion (12 items), ces

dernières étant décomposées en 6 stratégies différentes : (1) se focaliser sur les aspects positifs ; (2) réduire la tension en buvant, mangeant ou en utilisant des substances ; (3) le blâme de soi ; (4) prendre de la distance ; (5) s’isoler ; (6) et le support social. Ces travaux ont ainsi montré, d’une part que les personnes ayant une faible autoefficacité avaient tendance à utiliser des stratégies de coping orientées vers l’émotion, ces dernières étant positivement reliées à un plus haut niveau d’épuisement professionnel, et d’autre part que ceux dont l’autoefficacité était élevée s’orientaient davantage vers des stratégies visant à la résolution du problème. En revanche, les stratégies orientées vers le problème n’étaient pas significativement reliées à l’épuisement professionnel, malgré une tendance à être négativement associées à ce dernier.

Ainsi, selon ces auteurs, les individus dont les croyances d’efficacité sont faibles sont convaincus qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose et font appel à des stratégies dysfonctionnelles visant à fuir la réalité pour soulager leur stress, alors que ceux dont les croyances d’efficacité sont élevées auraient recours à des stratégies de résolution de problèmes visant à améliorer leur situation de travail (Chwalisz et al., 1992). Une autre recherche effectuée auprès d’enquêteurs du service de protection de l’enfance (Anderson, 2000) a testé, au moyen de l’inventaire des stratégies de coping (Tobin et al., 1984), deux types de stratégies différentes.

D’une part les stratégies d’engagement, c’est-à-dire qui visent à traiter activement la source de stress (p. ex. la résolution de problème, la restructuration cognitive, le support social et l’expression des émotions), et les stratégies de désengagement, définies comme une tendance à éviter de parler ou de penser à la situation (p. ex. l’évitement du problème, les pensées magiques, le retrait social et l’autocritique). Leurs résultats montrent que l’utilisation de stratégies de désengagement à un effet délétère sur l’épuisement émotionnel, alors que le fait de s’appuyer sur des stratégies d’engagement, contrairement à ce qui pourrait-être attendu, ne semble pas avoir d’effet bénéfique sur l’épuisement émotionnel. L’auteure explique ce résultat par le fait que l’activité même dans laquelle sont engagés les sujets est fortement chargée en émotions et que ces derniers, bien qu’utilisant majoritairement des stratégies d’engagement, font essentiellement appel à la résolution de problème et à la restructuration cognitive et très peu au support social et à l’expression des émotions. Elle en conclut qu’il serait nécessaire, pour ce type d’activités (c.-à-d. les enquêtes liées à la protection de l’enfance), d’encourager les stratégies orientées vers l’émotion en prévoyant pour les employés la

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personnalité, Deary et al. (1996) ont évalué, auprès d’une population de médecin, les stratégies de coping au moyen de l’inventaire de coping pour les situations stressantes (Coping Inventory for Stressful Situations ; CISS ; (N. S. Endler & Parker, 1990). Ce questionnaire, composé de 48 items, évalue 3 types de stratégies de coping : (1) les stratégies orientées vers l’émotion (p. ex.

me blâmer pour avoir procrastiné) ; (2) les stratégies orientées vers la tâche (p. ex. analyser le problème avant de réagir) ; (3) les stratégies orientées vers l’évitement, cette dernière échelle pouvant être décomposée en 2 sous échelles évaluant respectivement la distraction (p. ex., voir un film) et la diversion sociale (p. ex. visiter un ami). Ces auteurs ont ainsi montré que les stratégies orientées vers l’émotion servaient de variables médiatrices entre le neuroticisme et la perception du stress, ce dernier étant relié à l’épuisement émotionnel, alors que des stratégies de coping orientées vers la tâche n’étaient pas reliées à l’épuisement émotionnel (Deary et al., 1996). Plus récemment, une étude de Watson, Deary, Thompson, et Li (2008) a cherché à confirmer les liens entre personnalité, coping et épuisement professionnel au moyen d’une étude longitudinale. Ces auteurs ont utilisé une version plus récente du CISS (Cosway et al., 2000), évaluant les 3 mêmes types de stratégies, à savoir les stratégies centrées sur l’émotion (cf. le fait de devenir émotionnellement perturbé face au stress) ; les stratégies orientées vers la tâche (entreprendre, aborder la cause du stress) ; et les stratégies centrées sur l’évitement (faire quelque chose pour éviter d’avoir à faire face au stress, elles-mêmes divisées en distraction ou en diversion sociale). Ils ont ainsi pu montrer qu’un niveau plus élevé de neuroticisme ainsi que l’utilisation de stratégies orientées vers l’émotion au temps 1 corrélaient positivement avec l’épuisement émotionnel au temps 2. Des régressions multiples effectuées sur l’épuisement émotionnel au temps 2, incluant l’ensemble des dimensions de la personnalité et des stratégies de coping au temps 1, montrent que l’épuisement émotionnel est le mieux prédit respectivement, par le neuroticisme et par des stratégies orientées vers l’émotion.

Ainsi, les études ayant exploré les liens entre épuisement professionnel et coping ont tendance à considérer les stratégies orientées vers l’émotion comme positivement associées à l’épuisement émotionnel. Toutefois, l’analyse des différents travaux présentés nous montre que la situation est un peu plus complexe. La variété des échelles utilisées rend en effet la comparaison difficile, ces dernières, bien que se réclamant du modèle transactionnel du stress (Lazarus & Folkman, 1984), proposent différentes manières de regrouper les stratégies. Ainsi

certains instruments mesurent le contrôle et l’évitement (Latack, 1986), d’autres les stratégies orientées vers l’émotion et vers le problème (Weisman et al., 1980), les stratégies d’engagement et de désengagement (Tobin et al., 1984), et les stratégies orientées vers l’émotion, la tâche et l’évitement (Cosway et al., 2000; Norman S. Endler & Parker, 1990). À titre d’exemple, sous l’appellation « stratégies orientées vers l’émotion » est parfois regroupé l’ensemble de celles qui visent à réguler la détresse émotionnelle. Il est ainsi difficile, par exemple, de faire la distinction entre la réévaluation cognitive et le blâme de soi, alors que généralement la première est considérée comme adaptative et la seconde dysfonctionnelle. L’intérêt croissant pour le rôle des émotions dans le domaine du travail (Ashforth & Humphrey, 1995; Rafaeli &

Sutton, 1987; Weiss & Cropanzano, 1996) a permis d’étendre les recherches sur les stratégies d’ajustement et notamment de se tourner vers la régulation émotionnelle, que nous aborderons plus en détail dans le chapitre 3 de ce travail.

Pour conclure cette section consacrée au stress, au-delà des clivages et des oppositions entre les approches considérées comme trop « collectives » par les uns ou trop « individuelles » par les autres, une autre manière de considérer les « risques psychosociaux » consiste à les définir comme des « risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental » (Gollac & Bodier, 2011, p. 31). Cette définition considère à la fois les aspects organisationnels et relationnels du travail (p. ex. la charge de travail et l’équité) et l’impact de ces derniers sur la santé mentale ou physique des travailleurs (p. ex.

l’épuisement professionnel), tout en reconnaissant le rôle du « fonctionnement mental » dans cette relation, sans toutefois s’y intéresser. Ce dernier relève en effet davantage de l’approche cognitive et transactionnelle du stress. En réalité, les approches « collectives » et

« individuelles » se complètent plutôt que ne s’opposent, chacune s’intéressant à un aspect particulier du stress. Dans sa conception actuelle, le stress constitue un aspect particulier du concept plus large d’émotion (Lazarus, 1993, 1999; C. A. Smith & Kirby, 2011) qui intègre de multiples dimensions (physiologiques, psychologiques, émotionnelles, comportementales).

Les approches biologiques, cognitives et ergonomiques sont ainsi considérées comme complémentaires, toute une série de manifestations physiologiques (accélération du rythme cardiaque et respiratoire, augmentation de la tension artérielle, du tonus musculaire,

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agressivité), psychologiques (p. ex. manque de recul, dramatisation, interprétation, etc.), émotionnelles (anxiété, colère, etc.) est présente et reflète la mise à disposition de tout l’organisme pour faire face aux stresseurs rencontrés, qui peuvent par ailleurs être, comme nous l’avons vu, de nature très diverse (Légeron, 2014).

Dans les sections précédentes, nous avons pu voir que le déclenchement d’une réponse de stress, des émotions qui en découlent, et des éventuelles conséquences pour la santé mentale des travailleurs dépendent également en partie des caractéristiques de la personnalité.

Ces dernières ont en effet une influence majeure à la fois sur l’exposition, l’évaluation, les stratégies d’adaptation et les réponses des individus face au stress (Code & Langan-Fox, 2001;

Deary et al., 1996; D. Watson & Clark, 1984). La relation entre le stress (ou les stresseurs), les émotions qui en découlent, la régulation émotionnelle et l’épuisement professionnel est donc infiniment plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord et nécessite de s’interroger également sur la place des caractéristiques de la personnalité. La section qui suit s’intéresse donc aux travaux ayant plus spécifiquement examiné la contribution de ces caractéristiques à l’épuisement professionnel.