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L ES CARACTÉRISTIQUES DE LA PERSONNALITÉ

La contribution des facteurs psychologiques individuels au développement et/ou au maintien de l’épuisement professionnel a été largement moins explorée et fait l’objet de controverses depuis de nombreuses années. Certains auteurs craignent en effet que cela n’aboutisse à rejeter la faute sur l’individu seul et à ignorer les dimensions interindividuelles et organisationnelles (Truchot, 2004). Cela peut en partie s’expliquer par le fait que les chercheurs qui s’y sont intéressés sont majoritairement issus des domaines de la psychologie sociale et/ou organisationnelle. Il est toutefois peu probable que seuls des facteurs liés à l’environnement professionnel soient en cause. Une telle vision ne permet en effet pas de comprendre pourquoi, dans un environnement donné, seule une partie des individus se retrouve en difficulté (Bühler & Land, 2003; Ghorpade et al., 2011; Gustafsson et al., 2009). Un certain nombre de travaux se sont donc attachés à explorer la contribution des caractéristiques de la personnalité à l’épuisement professionnel. La plupart de ces travaux se sont appuyés sur une approche différentielle de la personnalité, ne considérant ainsi que des caractéristiques générales et des résultats contradictoires ont parfois été soulignés.

C’est par exemple le cas des liens observés entre les dimensions de la personnalité définies par Costa et McCrae (1992 ; la Théorie des Cinq Facteurs) — neuroticisme, extraversion, ouverture, caractère agréable, caractère consciencieux — et l’épuisement professionnel. Bien que la grande majorité des travaux ait mis en évidence une relation positive entre l’épuisement professionnel et le neuroticisme (Deary et al., 1996; Goddard et al., 2004; Hills & Norvell, 1991; Langelaan et al., 2006), une étude transversale de Bakker, Van Der Zee, Lewig et Dollard (2006) réalisée auprès de conseillers volontaires s’occupant de malades en phase terminale a également cherché à évaluer le stress associé aux circonstances (évalué au moyen de deux questions ouvertes leur demandant de décrire le plus possible d’expérience positives et négatives avec les patients). Leurs résultats indiquent que le lien entre neuroticisme et épuisement professionnel n’apparaît que pour les participants rapportant le plus d’expériences négatives avec leurs patients, ce qui semble suggérer que certains environnements peuvent être plus ou moins nocifs en fonction du niveau de neuroticisme. Du reste, les auteurs relèvent dans leur article que les travaux de Watson et Pennebaker (1989) ont montré que les mesures du stress étaient fortement corrélées au neuroticisme et/ou à l’affectivité négative (une mesure très proche du neuroticisme), indiquant que les personnes ayant des scores élevés sur ces dimensions sont davantage susceptibles de rapporter de hauts niveaux de stress. Plus récemment, une étude d’Azeem (2013), comprenant 120 participants appartenant au personnel médical de huit hôpitaux privés du nord de l’Inde, a également mis en évidence, en plus de l’association positive entre le neuroticisme et l’épuisement émotionnel, un lien négatif entre ce dernier et le caractère consciencieux, suggérant que cette dimension de la personnalité pourrait avoir un rôle protecteur. Une autre étude, réalisée auprès de 447 enseignants primaires en Grèce, a quant à elle mis en évidence une corrélation positive entre le neuroticisme et l’épuisement émotionnel (mesuré au moyen de la traduction grecque du MBI-ES ; Kokkinos, 2006) et négative entre ce dernier et l’extraversion (Kokkinos, 2007). Dans cette étude, alors que la plupart des travaux relèvent le rôle protecteur du caractère consciencieux, ce dernier prédisait positivement et significativement l’épuisement émotionnel, mais seulement lorsque les relations étaient examinées au moyen d’une régression hiérarchique multiple incluant des stresseurs professionnels (notamment l’ambiguïté de rôle et la contrainte de temps). Ainsi, selon cette étude, l’effet protecteur ou délétère du caractère

Introduction

les résultats d’une étude de Vaulerin, Colson, Emile, Scoffier-Mériaux et d’Arripe-Longueville (2016) mettent en évidence une association positive aussi bien directe qu’indirecte par l’intermédiaire d’une motivation d’évitement envers les buts liés aux compétences (mastery avoidance goals), entre le neuroticisme et les trois dimensions de l’épuisement professionnel mesuré au moyen du SMBM (fatigue physique, lassitude cognitive et épuisement émotionnel).

Dans cette étude, deux autres dimensions de la personnalité, l’ouverture et le caractère consciencieux, sont négativement et indirectement reliées à l’une des dimensions de l’épuisement professionnel (la fatigue physique), par l’intermédiaire d’une motivation d’approche envers les buts liés aux compétences (mastery approach goals). Ainsi, le fait d’être ouvert et/ou consciencieux favoriserait une motivation d’approche, laquelle protègerait de la fatigue physique.

D’autres caractéristiques telles, que la personnalité de type A (qui fait référence à un ensemble cognitif et comportemental composé d’une dimension de recherche de réussite et d’une dimension d’irritabilité/impatience) ont été positivement associées à l’épuisement émotionnel (Burke & Greenglass, 1995; Jamal & Baba, 2001). Cependant, une recherche de Hallberg, Johansson, et Schaufeli (2007), conduite auprès de 329 consultants en management et en technologie de l’information et de la communication (36 % de femmes), a révélé que ce lien était uniquement expliqué par la dimension irritabilité/impatience. Le perfectionnisme a également été relié à l’épuisement émotionnel. Plus spécifiquement, une recherche de Stoeber et Rennert (2008) auprès de 118 enseignants (78 femmes) de 8 écoles secondaires en Allemagne indique que les réactions négatives à l’imperfection (une des sous-dimensions du perfectionnisme) prédisent positivement l’épuisement émotionnel, alors que la recherche de perfection (une autre sous-dimension du perfectionnisme) le prédit négativement. Notons encore qu’un lieu de contrôle externe, qui renvoie à la croyance de ne pas avoir de contrôle direct sur son propre destin, a généralement été positivement relié à l’épuisement professionnel (Alarcon et al., 2009; Ng et al., 2006; Schmitz et al., 2000), de même qu’une faible estime de soi (Hallsten et al., 2005), un faible sentiment d’autoefficacité (You et al., 2015) et une motivation excessive au travail (Burke, 2000).

En conclusion, les différents travaux évoqués dans cette section suggèrent qu’on ne peut expliquer les perceptions ou les comportements d’un individu à partir d’un score global sur une dimension (G. T. Smith et al., 2009). Plusieurs individus dont le score est identique

peuvent en effet présenter des résultats très différents sur les facettes ou sous-dimensions qui la composent et il n’est donc pas possible de tirer des conclusions sur son rôle et sur les processus psychologiques impliqués. Une meilleure compréhension de l’épuisement professionnel suppose donc l’identification de processus psychologiques plus spécifiques.

C’est précisément ce que nous chercherons à faire dans ce travail de thèse en nous intéressant à deux processus cognitifs spécifiques régulièrement associés à des difficultés psychologiques (l’impulsivité et le niveau d’abstraction des pensées répétitives), ainsi qu’à un processus affectif (la régulation émotionnelle) lesquels seront décrits plus en détail dans le chapitre 3 de ce manuscrit.

La contribution à l’épuisement émotionnel d’autres caractéristiques individuelles a été investiguée, c’est le cas par exemple des caractéristiques démographiques. Dans la section suivante, nous présenterons brièvement quelques études qui s’y sont intéressées.