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2.2 Stratégie de modélisation

Néanmoins, pour ce qui nous concerne, nous n’avons pas besoin de pousser aussi loin l’exploration de l’intentionnalité. Notre point de vue est instrumentaliste. Notre tâche consiste « seulement » à déterminer la théorie qu’il est opportun d’utiliser en tant qu’observateur pour comprendre une action en vue de modifier le comportement peu efficace d’une personne. Nous devons donc nous demander dans quelles limites et pour quels objectifs la démarche consistant à déterminer les croyances d’un sujet agissant, a un intérêt pour trouver des situations permettant de transformer le sujet.

Réexaminons le point de vue de D. C. Dennett pour tenter de construire une version faible de l’intentionnalité qui nous conduirait à des objectifs moins ambitieux. La version forte consiste à admettre que la position de D. C. Dennett implique un rapport de cause à effet entre les croyances et les actes : physiquement, comme une pierre déclenche un éboulis, les croyances produiraient les actes. Dès lors, si on admet que la sélection naturelle « produit » des groupes d’individus aux comportements optimisant leurs chances de survie alors les croyances à l’origine de ces comportements doivent nous indiquer aussi en quoi ces comportements sont nécessaires. Ces croyances nous permettent de comprendre le problème auquel le comportement répond en tant que solution motrice. Mais avec cette version forte, on superpose deux « niveaux de réflexion ». D’une part, on souhaite établir la vérité des croyances en en faisant les causes de comportements optimaux et d’autre part, on étudie la possibilité de l’existence de ce comportement optimal.

Pourquoi y voyons-nous deux niveaux de réflexion ?

Il nous semble que l’étude des croyances doit faire appel à une théorie qui donne au sens d’une phrase une existence et un statut qui ne peuvent pas être expliqués par la sélection naturelle de comportements optimaux. Cette volonté de coupler les croyances à des comportements optimaux est une tentative pour « naturaliser » les croyances. Cette tentative est importante d’un point de vue instrumentaliste. Mais elle n’est une étude que de la forme

de la croyance, de ce qu’on peut en exprimer. Elle réduit la croyance à un acte de langage qui nous présente la croyance. Mais il s’agit là d’une représentation de la croyance et non la croyance elle-même. Ma croyance n’est une croyance que parce qu’elle a du sens et que parce qu’en tant que sujet métaphysiquement libre, j’ai conscience de ce sens. Ou alors, la croyance n’est rien. Ou du moins, rien d’autre de plus que la forme « désincarnée » d’un acte linguistique, le résultat d’un pur état cérébral.

On peut sans doute s’intéresser aux causes naturelles (mécanismes neuronaux) qui déterminent l’expression de la croyance mais on n’aura pas accès à la croyance elle-même. En réalité, dans le cadre de la version faible que nous souhaitons présenter, ce débat n’est plus le nôtre. Nous ne voyons pas d’intérêt à montrer, par exemple, que les croyances produisent nos actes. Il nous suffit qu’elles en soient dans une certaine mesure le reflet. Nous pensons même qu’il y a probablement, de façon générale, disjonction entre le fait qu’une croyance soit vraie et le fait que le comportement qu’elle devrait produire optimise les chances de survie. On peut d’ailleurs se demander si, dans certains cas, il n’est pas dans notre intérêt d’agir selon des croyances fausses. Si dans la jungle, vous fuyez rapidement dés que vous entendez un bruit sans attendre de savoir si vous avez raison de fuir, cela vous sauvera peut-être la vie. Tout être humain a dû un jour ressentir, ne serait-ce qu’un sentiment désagréable de stress et de peur, lorsque marchant seul, dans la pénombre et dans le silence, retentit soudain un bruit. Parfois même, la seule lecture d’un texte suffit à produire cet effet. De plus, la notion d’optimisation ne peut être introduite sur le plan de la survie que pour l’espèce. Ceci implique de se servir d’un caractère statistique dans l’étude des comportements devant optimiser la survie de l’espèce qui ne fait pas bon ménage avec le fait qu’une croyance doit être vraie ou fausse.

Il nous semble alors qu’il faut établir une version faible de cette conception de l’intentionnalité en ne postulant pas à priori qu’il y a un rapport de cause à effet entre la croyance et l’action. Dans cette nouvelle version, un système intentionnel est un système où un observateur peut comprendre le comportement du système en retrouvant les croyances qu’il aurait été nécessaire d’avoir pour que ce comportement soit volontairement rationnel.

Prenons un exemple : un enfant projette ses mains violemment dans un ballon de volley. Ce qui nous importe, c’est de trouver la croyance qu’il lui aurait été nécessaire d’avoir consciemment pour que son acte, réalisé volontairement, soit la conséquence rationnelle (on a envie de dire logique) de cette croyance. En l’occurrence, la croyance pour l’élève, dans ce cas précis, serait celle-ci : « en lançant mes mains violemment dans le ballon, il va repartir ». Peu importe que la croyance produise ou non l’action. Ce qui nous importe, c’est qu’elle dit en quoi la motricité apporte une solution à un problème qui se pose parfois inconsciemment à l’enfant.

En revanche, il est encore nécessaire de faire appel à la sélection naturelle pour expliquer pourquoi on peut se satisfaire de ce type d’explications, car il faut encore comprendre pourquoi l’observateur a lui même la capacité d’exprimer un ensemble de croyances reflétant en un certain sens la rationalité du comportement observé. Ceci peut peut-être s’expliquer ainsi : la complexité et l’efficacité des rapports de coopération existant dans l’espèce humaine n’auraient sans doute jamais pu apparaître sans que la nature n’ait sélectionné un groupe d’individus capables de partager des croyances non pas forcément vraies mais similaires, c’est à dire présentant des formes proches. Nous pensons donc que la rationalité du comportement n’est pas intrinsèque mais qu’elle constitue la caractéristique d’une classe de descriptions possibles de ce comportement, caractéristique pouvant être perçue comme un avantage non négligeable pour la survie d’un groupe d’homme cherchant à coopérer. Or il apparaît presque évident, dans un contexte de survie difficile, que la compréhension commune de gestes vitaux est vitale pour une communication efficace. Si

vous faîtes partie d’un groupe d’hommes vivant à l’age de pierre et que vous êtes le seul à ne pas fuir lorsque vous voyez un homme s’enfuir en poussant des hurlements, vous risquez fort de ne plus faire partie longtemps du groupe.

Etudions cet exemple : lorsque vous observez un enfant se jeter de l’autre côté d’une barre pour réaliser un saut en hauteur, vous pensez sans doute comme tout observateur que si l’enfant avait choisi volontairement la forme de son saut, il aurait eu besoin de croire qu’il lui était nécessaire de se jeter de l’autre côté de la barre. Cette croyance de l’enfant n’est pas vraie car la conservation de la quantité de mouvement permet de se passer de ce geste en bénéficiant de la course d’élan. Mais cette croyance révèle sans doute la sélection de comportements qui sont compatibles avec ce que permet la physique : si vous voulez franchir une barre il est préférable de jeter votre corps de l’autre côté. Ce n’est sans doute pas un comportement optimal pour une compétition de saut en hauteur, mais c’est en revanche un comportement qui peut vous sauver la vie si vous n’avez pas compris qu’une course d’élan aide à franchir un obstacle.

Le fait que vous attribuez une croyance identique à celle que l’enfant s’attribuerait s’il agissait volontairement ne suffit pas à faire de cette croyance une cause de l’acte. En revanche, pour que la capacité de s’attribuer des croyances (à soi-même et aux autres) ait une valeur dans la lutte pour la survie, il semble nécessaire que ces croyances reflètent dans une certaine mesure l’acte.

Réciproquement, il semble qu’il soit nécessaire qu’un processus physiologique organise l’acte de telle manière qu’on puisse caractériser cet acte par la croyance qui aurait pu en être à l’origine s’il y avait un rapport de cause à effet entre les deux.

Car ce qui importe pour la survie d’hommes voulant coopérer, ce n’est pas que les croyances causent les actes, c’est que les hommes le pensent et que le système de croyances « modélise » suffisamment bien le comportement humain pour que les individus instaurent une coopération complexe et efficace. Ainsi lorsque j’attribue une croyance à un sujet, je peux non pas espérer que cette croyance est la cause de son acte mais seulement qu’il y a quelque chose dans ce qui produit l’acte qui est décrit par la croyance.

Il est évident que la théorie computationnelle et la conception dite de la « Stratégie de l’interprète » n’envisagent pas de la même manière les processus d’apprentissage. Il est donc utile de détailler ce qui les distingue de façon à comprendre l’influence que l’une ou l’autre peut avoir sur les enseignants.