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Le problème de l’interdisciplinarité

linguistiques en EPS

2. LE PROBLÈME MÉTHODOLOGIQUE POSÉ PAR LA LE PROBLÈME MÉTHODOLOGIQUE POSÉ PAR LA LE PROBLÈME MÉTHODOLOGIQUE POSÉ PAR LA LE PROBLÈME MÉTHODOLOGIQUE POSÉ PAR LA

2.2 La relation de l’EPS avec la philosophie

2.2.2 Le problème de l’interdisciplinarité

Le problème de l’interdisciplinarité consiste à passer d’un champ à un autre sans que cela soit vécu par les différents protagonistes des deux champs, soit comme une intrusion soit comme une forme d’exil. Un des moyens de se représenter le problème de l’interdisciplinarité de manière presque inextricable est d’imaginer que les deux disciplines ont des frontières bien délimitées. En Mathématiques, on décrirait ces deux ensembles comme des ensembles fermés. Dans ce cas, non seulement vous êtes soit dans l’un ou l’autre des deux ensembles, mais en plus vous devez franchir « une barrière » pour passer de l’un à l’autre. Ce que nous imaginons ici pour atténuer ce problème consiste à postuler que les deux disciplines sont non pas des ensembles fermés mais des ensembles ouverts. Pour dire les choses de manière simple, nous allons considérer que les frontières des deux disciplines sont poreuses : un raisonnement en philosophie peut nous conduire à des conclusions qui ont des conséquences pratiques en EPS.

2.2.2.1Introduction au problème de la modélisation et au problème des deux champs

L’aspect théorique de ma réflexion a souvent été perçu par mes collègues d’EPS comme issu d’un champ d’investigations philosophiques qui était selon eux de nature à les éloigner de leur propre champ d’investigations, champ devant concerner exclusivement l’EPS pour répondre à leurs préoccupations. Ainsi, puisqu’il apparaissait que ma réflexion s’étendait sur deux champs d’investigations très éloignés, il me fallait, pour être entendu de mes collègues, résoudre ce que je pourrais formuler ainsi : « le problème du marcheur et de la

Supposons qu’un promeneur parte de son propre champ. Au bout d’une heure de marche, il se retrouve les bras en l’air avec un fusil dans le dos et à l’autre bout du fusil (c’est-à-dire du bon côté), un individu qu’il le menace parce qu’il serait en train de fouler un champ ne lui appartenant pas. Pour que le promeneur fasse preuve de sa bonne foi, il suffit que la ballade soit faite en sens inverse par l’individu armé de manière à lui montrer qu’aucune barrière n’est franchie au cours de la promenade.

Cette métaphore champêtre me permet de reformuler ainsi le problème : « Comment organiser une réflexion menée sur deux champs d’investigations éloignés sans qu’il apparaisse de manière trop flagrante de saut conceptuel qui pourrait inciter les spécialistes de chacun des deux champs à refuser de faire la ballade ? » L’idée est de chercher à construire des intersections ou des affinités entre deux jeux de langage même lorsqu’ils sont en apparence aussi éloignés l’un de l’autre que le sont la philosophie et l’EPS. Comment faire ?

En général, lorsqu’on tente de traduire un problème d’un langage dans un autre langage, on est conduit à réduire l’un à l’autre ou bien à éliminer l’un au profit de l’autre. Dans les deux cas, le langage qui apparaît comme plus fondamental semble donner l’idée qu’il rend compte de la réalité avec un grain plus fin comme on pourrait le dire si on faisait de la photographie. Dans le domaine des idées, il nous semble plus judicieux de parler « d’échelle de modélisation ».63

Le début de la solution à ce problème d’ordre méthodologique qui consiste à passer de l’EPS à la philosophie sans perdre en route ce qui fait la spécificité de l’EPS nous amène à étendre la notion d’échelle de modélisation de manière à ce que le passage de l’une des discipline à l’autre se produise sans qu’on ait l’impression qu’il s’agit d’un changement d’échelle de modélisation. En général on perçoit cette échelle de modélisation comme une échelle de grandeur qui permet de passer par exemple de la mécanique classique à la mécanique quantique. Mais cette conception est trop restrictive et engendre plusieurs difficultés pour les problèmes auxquels nous sommes confrontés. En effet, dans le cas d’un changement d’échelle de grandeur, on tente de décomposer un système en sous-système et d’expliquer le comportement global du système par les propriétés des sous-systèmes. Dans ce cas, on peut dire qu’on a une sorte d’analyse verticale des problèmes rencontrés. Mais comme le montre l’exemple de la mécanique quantique, les sauts conceptuels peuvent être importants. D’autre part, il semble bien que l’analyse verticale laisse de côté quelque chose d’essentiel.

Ainsi L. Wittgenstein, lorsqu’il compare un langage (a) et un langage (b) qui est censé préciser les termes du langage (a), écrit64 :

« Toutefois l’expression : « une phase en (b) est une forme ‘‘analysée’’ d’une phrase en (a) » nous entraîne facilement à croire que la première forme est la fondamentale ; Qu’elle seule montre ce que veut vraiment dire la seconde, etc. Nous pensons par exemple : que l’analyse fait défaut à celui qui ne possède que la forme non analysée, tandis que rien ne fait défaut à celui qui connaît la forme analysée. - Mais ne puis-je pas dire qu’il y a un aspect de la chose qui échappe aussi bien au second qu’au premier ? »

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Cette notion nous sera très utile dans la seconde partie de la thèse pour comprendre comment nous pouvons associer en EPS des conceptions apparemment concurrentes.

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Plus loin, en développant l’idée centrale de la « Grammaire du mot « langage » »65, le philosophe précise sa pensée66 :

« Mais si l’on montrait de quelle manière les mots « viens ici ! » agissent sur celui à qui ils s’adressent, et cela de telle façon que, dans certaines conditions, les muscles de ses jambes se trouvent en définitive innervés etc., - cette phrase perdrait-elle alors pour nous son caractère de proposition ?

Je dirais que ce que nous appelons ‘‘langage’’, est en premier lieu l’appareil de notre langage ordinaire, de notre langage fait de mots, et en second lieu, d’autres choses, par analogie ou en comparaison avec ce langage. »

Le philosophe compare ici une forme (a) de langage (notre langage ordinaire) avec la forme (b) que constitue le discours du biologiste pour affirmer sans équivoque que la possibilité de comparer ou (pourquoi pas) traduire une proposition du langage (a) dans le langage (b) ne nous dit rien sur le sens du mot ‘‘réduction’’ lorsqu’on dit qu’on a ‘‘réduit’’ le langage (a) en un langage (b). (ou pire qu’on a ‘‘éliminé’’ (a) pour (b)). Non seulement il faut dire en quoi la proposition dite dans le langage (a) a été analysée mais en plus il faut éviter de croire qu’on aurait trouvé la bonne expression en changeant de langage. Car les propositions de notre langage ordinaire remplissent une fonction que les propositions d’autres langages ne remplissent pas.

Et c’est là précisément ce qui nous importe en EPS : nos actions en tant qu’enseignant se font à l’aide des seules phrases du langage ordinaire. Lorsque nous savons agir en tant qu’enseignant, c’est que nous savons quelles phrases peuvent avoir un impact sur les élèves. Ici réside probablement la difficulté de relier l’enseignement de l’EPS avec toutes les théories physiologiques du comportement qui ne peuvent tenir compte simultanément de l’être humain en tant que système biologique et comme sujet capable de tenir un discours ordinaire sensé. Or, les problèmes que nous rencontrons en EPS proviennent de ce que nous ne savons plus comment agir devant l’échec de certains élèves. Voici donc ce qu’il y a d’essentiel et que nous ne devons pas perdre de vue en passant du champ de l’EPS à la philosophie : notre réflexion doit nous mener à une nouvelle possibilité d’action. Et cette possibilité perdurera tant que nous ne perdrons pas de vue dans notre réflexion l’idée que le langage ordinaire est ‘‘le fond de commerce’’ de l’enseignant en EPS.

Pour cela, il semble fécond non pas de mettre au centre de l’étude la notion de système comme en sciences expérimentales mais plutôt celle de problème. Car au fond la notion de problème en philosophie semble pouvoir s’apparenter parfois à celle qui est la nôtre en EPS. En effet, Quand L. Wittgenstein affirme67 « Un problème philosophique est de la forme : « Je ne m’y retrouve pas » », décrivant ainsi le sentiment qu’on peut avoir lorsqu’on recherche désespérément ce qu’on doit faire, J. Bouveresse remarque lui qu’il y a « une analogie évidente entre une perplexité philosophique et une perplexité éthique. Dans les deux cas, le problème disparaît lorsqu’on peut à nouveau se dire68 :

« A présent, je sais ce que je dois faire. »

65 L. Wittgenstein, (2004(b)), § 492 66 L. Wittgenstein, (2004(b)), § 493 et § 494 67 L. Wittgenstein, (2004(b)), § 123 68 J. Bouveresse, (2003), p. 7

L’idée est donc de saisir d’abord quel problème on rencontre en EPS puis, par une série de question, de faire émerger des concepts qui permettent de traduire le problème posé dans le champ d’investigation de la philosophie. La difficulté réside dans le fait que les concepts émergeant doivent s’apparenter aux deux champs d’investigations : ce sont ces concepts et les questions qui les ont amenés qui constituent le niveau de modélisation. En changeant de niveau de modélisation, on fait apparaître de nouveaux concepts et on en fait disparaître d’autres. La série de questions qu’on se pose pour reformuler le problème initial est donc primordiale pour établir un niveau de modélisation intermédiaire entre le problème tel qu’il est posé en EPS et tel qu’on peut le traduire en philosophie.

Par exemple, dans le cas de l’enseignement en EPS, nous devons nous demander ce qui constitue l’information « apportée » l’enseignant au travers des situations qu’il met en place et comment on peut concevoir une relation entre cette information et les mécanismes physiologiques qui interviennent dans la motricité d’une personne. Ceci semble d’autant plus important qu’il est commun de penser que certains mécanismes physiologiques favorisent l’apprentissage. Mais quelles caractéristiques doivent posséder ces mécanismes physiologiques pour qu’on considère qu’ils sont liés à l’information qui est « transmise » pendant l’apprentissage ? Lorsqu’on tente de rendre compte du sens des actes ou de l’information qui est contenue dans le message délivré par un enseignant, on se situe à une échelle de modélisation qui n’est pas celle des mécanismes physiologiques.

La philosophie, en se chargeant également de la compréhension de la nature des liens qui pourraient exister entre les mécanismes physiologiques et le sens du comportement d’un sujet fait intervenir une notion d’échelle de modélisation totalement différente de celle dont on se sert habituellement en sciences expérimentales. Pour rendre compte de la manière dont on peut essayer de traduire un problème posé en EPS en un problème qui se pose en philosophie sans trop faire varier le niveau de modélisation, il est nécessaire de se pencher sur la façon dont on peut préciser un problème en le remplaçant par une série de questions. Il semble que cela soit un des enseignements de L.Wittgenstein69 que nous devons approfondir.

« En philosophie, il est toujours bon de poser une question en lieu et place d’une réponse à une question. Car une réponse à la question philosophique peut aisément être inappropriée : régler la question au moyen d’une autre question ne l’est pas. »

C’est ce que nous nous proposons de faire maintenant.

2.2.2.2 La méthode de l’arborescence

Observons que la perplexité dont parle J. Bouveresse prend souvent forme dans des questions qui apparaissent sans réponse et notons ce principe que nous ne respectons pas régulièrement : tenter de répondre à une question sans déterminer auparavant son sens

est prématuré. Or, nous dit L. Wittgenstein70 :

« Le sens d’une question, c’est la méthode pour y répondre. »

On doit cependant se garder de chercher à préciser immédiatement la méthode qui permettrait de fournir des réponses si nous n’avons pas au préalable bien circonscrit le contexte dans lequel le problème se pose. Car comme je l’ai déjà dit : un problème se pose parce que nous ne savons pas comment agir dans des circonstances précises. Remarquons

69

L. Wittgenstein, (2009)

70

donc que le sens de la question, la méthode permettant d’y répondre et les circonstances dans lesquelles cette question est apparue sont liés, si fortement liés que plane un doute sur la notion par laquelle notre étude des questions doit commencer : le sens, la méthode ou les circonstances ?

La proposition que je fais est de retarder le début de l’étude en laissant notre perplexité donner forme à des questions secondaires qui sont générées par la question initiale. Cependant, de ces questions on pourra dire ce que nous avons dit pour la question initiale : le sens, la méthode et les circonstances sont inextricablement liés. Une fois encore, nous serons indécis sur la façon dont pourrait commencer l’étude de ces questions secondaires. Mais à nouveau, si notre perplexité persiste, elle nous conduit à extraire de ces questions secondaires d’autres questions. L’expérience montre que le processus ne se répète pas éternellement. Il existe souvent un moment dans notre questionnement où nous prenons conscience qu’au moins une question nous apparaît suffisamment simple pour que son sens, la méthode pour y répondre et les circonstances dans lesquelles des solutions peuvent être trouvées pour savoir comment agir, surgissent en même temps que la question. Nous pouvons alors commencer

l’étude en remontant l’arborescence des questions que nous avons mises au jour pour traiter

la question initiale. Cette méthode de l’arborescence a comme intérêt d’étendre progressivement le champ de l’investigation en même temps qu’elle accroît ou réduit le nombre de situations où les questions qu’on se pose peuvent prendre un sens. Il y a donc une relation forte entre le choix des questions, le contexte où les réponses à ces questions peuvent fournir des moyens d’agir et le passage d’une discipline à une autre.

Ce cheminement constitue un engagement que nous analyserons avec des exemples dans le chapitre suivant.

3)3)3) L’ENGAGEMENT MÉTHODOLOGIQUE RÉSULTANT DU 3) L’ENGAGEMENT MÉTHODOLOGIQUE RÉSULTANT DU L’ENGAGEMENT MÉTHODOLOGIQUE RÉSULTANT DU L’ENGAGEMENT MÉTHODOLOGIQUE RÉSULTANT DU

CHOIX DES QUESTIONSCHOIX DES QUESTIONSCHOIX DES QUESTIONS CHOIX DES QUESTIONS

Nous allons ici tenter de montrer avec quatre exemples de questions la manière dont quelques cadres de pensée s’imposent à la réflexion lorsqu’on tente de répondre à ces questions.

3.1 De la question de l’information contenue dans un

message au problème du sens

Tout apprentissage suppose une transformation du sujet qui apprend et résulte d’une interaction du sujet avec son environnement. On peut penser que cette interaction est dépendante d’informations puisées par le sujet dans son environnement. Mais si on pense qu’il en va ainsi, qu’entendons-nous exactement par « information » ? Cette question est d’autant plus importante qu’un support majeur de l’intervention d’un enseignant auprès de ses élèves est constitué par un ensemble de messages donnés oralement. Nous voyons donc que, en ce qui nous concerne, notre réflexion sur le concept d’information doit sans doute être prolongée plus largement par une étude des liens pouvant exister entre le langage et l’action. Et il est probable que la voie par laquelle nous nous engagerons pour réaliser cette étude orientera aussi notre réflexion sur l’apprentissage.

Selon Raymond Ruyer71 :

« L’information au sens ordinaire du mot, est la transmission à un être conscient d’une signification, d’une notion, par le moyen d’un message plus ou moins conventionnel et par un pattern spatio-temporel : imprimé, message téléphonique, onde sonore…L’appréhension du sens est le but, la communication du pattern, le moyen. Eventuellement, nous avons besoin d’une information en vue d’un but utilitaire ; l’information redevient alors moyen, l’action qu’elle déclenche au contrôle devient le but. La cybernétique adopte rigoureusement ce point de vue : le sens, la conscience dans l’information n’a rien d’essentiel, ou plus exactement, le sens d’une information n’est rien d’autre que l’ensemble des actions qu’elle déclenche et contrôle. »

Nous voyons ici que R. Ruyer oppose deux conceptions de l’information. La première doit préciser le concept de signification parce qu’il est au cœur du problème de l’information alors que l’autre, issu de la cybernétique, identifie le sens d’une information à ses aspects les plus visibles : les effets qui en seraient les conséquences. Nous étudierons dans la seconde partie de cette thèse des conceptions qui s’opposent sur cet aspect. Pour l’instant, nous voulons simplement noter que dans la thèse défendue par R. Ruyer pour traiter de la notion d’information, certaines questions ont plus d’importance que d’autres. Par exemple : Pourquoi les choses ont-elles un sens ? Comment prennent-elles un sens ?

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