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Le rapport de l’EPS avec la psychanalyse

linguistiques en EPS

2. LE PROBLÈME MÉTHODOLOGIQUE POSÉ PAR LA LE PROBLÈME MÉTHODOLOGIQUE POSÉ PAR LA LE PROBLÈME MÉTHODOLOGIQUE POSÉ PAR LA LE PROBLÈME MÉTHODOLOGIQUE POSÉ PAR LA

2.1 Le problème méthodologique de l’identité de l’EPS

2.1.3 Le rapport de l’EPS avec la psychanalyse

Un passage des Remarques sur les fondements des mathématiques 51 peut nous éclairer sur la manière dont certaines transformations dans le comportement des élèves peuvent se produire :

« La maladie d’une époque se guérit par un changement dans le mode de vie des hommes, et la maladie des problèmes ne pourrait être guérie que par un mode de pensée et un mode de vie transformés, et non par une médecine qu’un individu a inventée. »

C’est à ce type de transformation, donc à une forme d’intervention pédagogique qui doit produire de telles modifications comportementales que nous pensons lorsque nous envisageons d’étendre la méthode philosophique de L. Wittgenstein. Il n’est pas dans notre pouvoir de « guérir » le sujet d’un usage déficient mais d’intervenir en amont sur le contexte dans lequel le sujet agit de manière à ce qu’il change de mode d’action. Cependant, pour faire évoluer de manière pertinente le contexte, il nous est nécessaire de comprendre les raisons que le sujet pourrait donner afin de fournir une explication de son action. La question du sens de l’action est donc posée avant même de chercher à connaître les déterminismes de l’action. Et ce que nous supposerons, c’est que dans la description de l’action et de son contexte, nous aurons la matière pour reconstituer le sens de l’action. Nous nous demanderons donc d’abord : « Pourquoi ce sujet agit-il ainsi ? » et non « Quels sont les déterminismes intervenant sur le sujet ? ».

Il nous faudra donc montrer ce que cette démarche implique et en quoi elle peut-être pertinente, c’est-à-dire déterminer ce qui légitime le fait de s’intéresser aux raisons d’agir lorsqu’on veut transformer la motricité d’un sujet.52

La première des implications est de décrire les usages de la motricité pour en comprendre la signification. Avoir une démarche descriptive est le premier pas vers une grammaire de l’action en EPS que nous détaillerons dans la quatrième partie de cette thèse. Quelle sera alors ensuite notre démarche pédagogique ? Avant de la décrire sommairement, précisons qu’elle ne s’appliquera pas à toute forme d’insuffisance rencontrée dans les performances des sujets pratiquant des activités sportives. Il nous sera donc nécessaire de cerner le type de comportement moteur qui se prêtera à notre démarche. Cette dernière peut-être caractérisée comme une tentative pour transformer le sujet sans agir sur ce qui est censé représenter les processus internes déterminant son comportement. Ce que nous voulons dire, c’est que nous n’allons pas donner plus de pouvoirs au sujet en transformant ses possibilités physiques ou ses capacités intellectuelles. Le sujet changera, c’est-à-dire qu’il changera de comportement parce que son environnement prendra une autre signification pour lui. Son comportement moteur changera parce que la grammaire inconsciente ou consciente qui lui permet d’agencer sa motricité aura évolué.

Quel rôle aura à tenir l’enseignant qui voudra suivre cette démarche ? En premier lieu, l’action pédagogique est une action d’interprétation. L’enseignant devra se demander en quoi le sujet qui agit est bien l’auteur de son action et, de façon symétrique, l’enseignant devra se demander comment interpréter l’événement mettant en jeu le sujet agissant de manière à ce que cet événement puisse être compris comme étant l’action d’un agent. D’une certaine

51

L. Wittgenstein, (2009), p.127

52

La réponse suivante : « les raisons sont des causes comme les autres. » peut être apportée mais elle est loin d’être convaincante. Nous ne nous reposerons donc pas sur elle. Pour une discussion approfondie de cette question, le lecteur pourra se reporter à l’analyse faite en annexe 2 des articles extraits de Actions et évènements (D. Davidson., (1993)), (l’article Les évènements mentaux a été plus particulièrement étudié pp. 277-304)

manière, cette action de l’enseignant apparaît assez proche de l’acte psychanalytique. En effet, selon V. Descombes53, analysant ici la conception de Cornélius Castoriadis :

« Lorsque le psychanalyste s’intéresse à son patient comme à un sujet, il pose bien à son égard une question d’identité (« Qui ? »), mais il ne la pose pas parce qu’il se demanderait

Qui est maintenant la personne sur le divan, au sens où il peut lui arriver de se demander Qui sonne à la porte ? Autrement dit, il s’agit pour lui d’identifier quelqu’un (ce qui veut dire

qu’une alternative est ouverte : il peut s’agir de lui ou bien d’un autre que lui), mais pas de l’identifier au sens de l’état civil. »

Dans le cas d’un patient décrivant un de ses rêves dans lequel il agit d’une manière qui lui répugne dans la vie courante, le patient physiquement présent sur le divan ne se reconnaît pas dans le sujet agissant dans le rêve. L’acte d’interprétation du psychanalyste concerne un sujet qui n’est pas présent chez lui puisque l’action qu’il interprète fait partie du rêve et ne peut en aucun cas être attribué à son patient puisque celui-ci déclare répugner agir ainsi. Plutôt que de parler d’inconscient, « il vaudrait mieux dire qu’il y a sur le divan, outre une personne visible, de l’espace libre pour quelqu’un qui est invisible parce qu’il n’existe pas encore, parce qu’il revient à l’individu de créer ce sujet par sa façon de réagir aux actes interprétatifs. »54

En quoi ce problème d’une théorie psychanalytique concerne-t-elle l’EPS ? C’est que dans bien des cas, lorsqu’une action est inefficace, le sujet agissant ne se sent pas maître de ses actions. Il ne se voit pas agir et il ne se reconnaît pas dans son action. Cette situation atteint son paroxysme lorsque, conscient de ce qu’il doit faire et attentif à la manière dont il doit agir pour atteindre son but, l’élève reproduit à l’identique ce qui l’empêche de réaliser son objectif. Il est remarquable, qu’à l’inverse, lorsqu’un sujet agit efficacement, il s’approprie toujours l’action qu’il a réalisée à la fois dans sa manière de faire et dans le résultat qu’il a obtenu. L’échec du sujet agissant de manière inefficace s’exprime donc pour lui de manière double : d’une part, il n’atteint pas le but qu’il recherche et, d’autre part, il n’a pas l’impression d’être le sujet de ses propres actions. L’enseignant paraît donc avoir un double objectif pour réduire l’échec du sujet. Cependant, nous voulons montrer, qu’en interprétant l’événement du sujet agissant de manière inefficace de façon à trouver les raisons pour lesquelles le sujet agit ainsi, nous nous plaçons du même coup sur la voie de la « guérison complète du sujet ».

Selon V. Descombes 55:

« Castoriadis invite donc les psychanalystes à reconnaître la portée du fait que leur activité est de type interprétatif, qu’elle consiste à essayer d’obtenir qu’une situation fasse sens pour le patient et que cela n’est possible que si ce dernier fournit lui-même et de lui-même le sens en question, s’il se comporte comme une « source indéterminable de sens. (C. Castoriadis (in

Le Monde morcelé), p. 192) L’idée est donc que le psychanalyste, tout comme l’éducateur ou

le gouvernant, a affaire dans son partenaire à une capacité à vivre librement. »

Sur le plan de la motricité, il apparaît que les choses sont sensiblement différentes. Lorsqu’un sujet agit, la situation dans laquelle il agit a toujours un sens pour lui. Mais cela n’empêche pas au sujet de ressentir parfois la frustration de quelqu’un qui se serait pas libre dans ses actes. L’acte d’interprétation de l’enseignant doit lui permettre de comprendre en quoi le sens 53 V. Descombes, (2004), p. 206 54 V. Descombes, (Ibid), p. 208 55 V. Descombes, (Ibid), p. 209

de la situation aliène la liberté du sujet agissant. En fournissant au sujet agissant le résultat de son interprétation, il fournit également au sujet les raisons d’agir tel que le sujet l’a fait. Or, dans bien des cas, lorsque le sujet a clairement en tête les raisons de son action, il accepte plus facilement de se constituer comme le sujet de son action. Et c’est là un point important pour que les élèves se sentent réellement responsables de leurs actions, c’est-à-dire se posent en tant que sujet chaque fois qu’ils agissent. La relation entre l’enseignant et l’élève n’en est alors que plus forte. D’autre part, en comprenant ce qui fait sens dans la situation dans laquelle se trouve le sujet qui agit, l’enseignant se donne les moyens de mettre en place d’autres situations qui prendront un autre sens pour le sujet et l’amèneront à changer de comportement moteur. Nous voulons dire ici que l’action de l’enseignant est, contrairement à celle du psychanalyste, à la fois un acte d’interprétation et un acte de manipulation. En effet, en agissant sur les situations que l’enseignant propose à l’élève, il tente de créer des conditions qui prendront un sens tel que pour l’élève un certain type de comportements moteurs disparaîtra au profit d’autres. De ce fait, le sujet ne peut pas plus ne pas agir dans une telle situation qu’il ne peut s’empêcher de reconnaître un visage familier. Il s’agit donc de créer un contexte dans lequel le sujet se reconnaît comme l’auteur pleinement responsable de la manière dont il agit.

La manipulation apparaît donc indirecte puisqu’elle concerne que les situations dans lesquelles nous plaçons le sujet. Mais croire que ce n’est qu’indirectement qu’il y a manipulation fait tomber sous le coup d’un obstacle qui s’oppose à notre volonté de faire évoluer nos pratiques d’enseignement. Cet obstacle est sans doute à l’origine d’une maxime de Freud « disant qu’il y a trois professions impossibles : celle du politique qui prétend gouverner les hommes, celle de l’éducateur qui prétend les former et celle du psychanalyste qui prétend les libérer de leurs fixations infantiles. »56

Toujours selon V. Descombes57 :

« Si ces trois métiers sont impossibles, c’est qu’il vise à changer les hommes par une action sur eux alors même qu’il ne peut être question de produire ce changement sans eux.»

L’obstacle est affaibli si on considère que le sujet est transformé dés que le contexte dans lequel il évolue change. Lorsque nous disons que le sujet ne peut pas faire autrement que d’agir d’une certaine manière dans un certain type de situations nous voulons dire que ce qui a un sens pour lui le constitue en tant que sujet. Il le constitue mais pas par une action physique. Nous ne devons pas considérer que l’environnement est un facteur déterminant ce qu’il serait, indépendamment de ce qui fait sens pour lui. Modifier l’environnement du sujet, c’est transformer le sujet instantanément et non progressivement parce que l’environnement agirait sur lui par des déterminismes physiques.

Partons du postulat suivant: « Je suis ce qui a un sens pour moi. ». Si je suis dans une situation qui a un sens nouveau pour moi, je suis différent une fois que j’ai vécu la situation. Je n’ai pas besoin d’agir sur moi-même pour vivre la situation donc je n’ai pas besoin d’agir sur moi-même pour me transformer. Comment alors « guérir» le sujet dont l’action est inefficace ? Si nous voulons filer la métaphore de la maladie, il nous faut évoquer la distinction faite par Lacan entre une théorie invoquant une genèse physiologique pour expliquer un trouble mental en celle qui voit dans le trouble mental une folie.

Selon V. Descombes58 qui analyse cette distinction faite par Lacan lors d’une conférence de 1946 (publiée dans Ecrits) :

56

V. Descombes, (Ibid), p. 208

57

« Il faut donc choisir entre tenir le trouble constaté chez quelqu’un pour un désordre du corps (comparable à une aphasie) et le tenir pour un égarement de l’esprit. Dans ce dernier cas, le trouble ne doit pas être comparé à un mauvais fonctionnement mais plutôt à une illusion. »

C’est bien ainsi que nous qualifierions de nombreux comportements moteurs inefficaces si le mot illusion ne faisait pas référence à l’idée que celui qui agit est dans l’erreur. En effet, on ne peut pas dire de lui qu’il refait la même erreur parce qu’il reproduit certains gestes inefficaces, pas plus qu’il n’y a réellement illusion lorsque je reconnais à tort un visage familier. « Reconnaître à tort » : l’expression devrait toujours être considérée comme paradoxale car j’ai bien reconnu quelqu’un de familier (cela je ne peux en douter ou me mentir à moi-même) mais je dois aussi admettre que j’ai reconnu quelqu’un alors que ce n’était pas lui. Ma reconnaissance passée n’a rien d’une illusion et ce n’est pas parce que j’admets qu’il n’y a pas devant moi la personne à laquelle je pensais lorsque je l’ai reconnue qu’il me faut admettre en plus que cette reconnaissance était une illusion. De fait, la situation dans laquelle je me trouve maintenant n’est plus la même que lorsque j’ai cru reconnaître la personne. La situation ayant évolué, j’ai changé aussi et je ne reconnais plus ce que j’avais reconnu auparavant, parce que je ne suis plus tout à fait ce que j’étais auparavant. Ce qui avait un sens pour moi auparavant n’a plus tout à fait le même sens pour moi maintenant.

2.1.4 L’EPS et la Rhétorique : l’enseignement des activités