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4.3 De l’échec et de la réussite : application de l’explication

sélectionnelle à l’EPS

Dans le cadre d’une action, réussir un pari, c’est avant tout réussir une réalisation

motrice qui, a posteriori et seulement a posteriori, doit être efficace aux regards des buts fixés.

Plus la pression est forte et plus la certitude de pouvoir réaliser la motricité doit être grande : on adopte alors souvent un type d’action qui nous est familier. Vous avez à envoyer un ballon de volley qui vient vers vous très vite et c’est la balle de match. Vous projetez alors très fort vos mains dans le ballon pour que votre frappe assure le renvoi du ballon dans l’autre camp.

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Un article récent de Sciences et Vie fait ressortir d’ailleurs que les remarques négatives sur le comportement ne semblent pas produire d’effets visibles sur le cerveau chez les enfants de 10 ans. Il faut attendre l’âge adulte pour obtenir des effets significatifs.

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Vous procédez ainsi par une sorte d’analogie28 et si la pression psychologique est élevée, l’analogie risque d’être grossière. On sélectionne souvent la mise en œuvre d’un geste infiniment répété et dont on sait avec certitude qu’on le réussira. Dans le domaine de la motricité comme dans le domaine de la prise de décision, l’homme semble posséder les compétences d’un apprenti mathématicien ayant des intuitions portant sur les lois des probabilités.

Par exemple, il paraît se fier au principe suivant que décrit L. Wittgenstein29 :

« La description la plus générale - c’est à dire la plus incomplète – a plus de probabilité d’être pertinente que la plus complète ; à cela se rattache la théorie de la probabilité. »

En revanche, dans un climat psychologique favorable, l’individu peut se permettre un pari moteur plus risqué en se fondant sur une analogie plus fine mais aussi extrêmement plus « rémunératrice » en cas de réussite.

Par exemple, en début d’apprentissage du service au tennis de table, l’élève qui veut absolument réussir va restreindre son champ d’action à ce qu’il maîtrise, quitte à utiliser une

analogie qui ne va pas « produire » une motricité spécifique au tennis de table. On peut alors

observer des balles frappées à la manière dont on fait progresser un ballon de basket en dribble : balle en dessous, raquette juste au dessus. Réussir, c’est dans ce cas, « faire rebondir la balle sur ma table en la projetant vers celle de l’adversaire ». Mais on peut trouver encore plus approximatif : l’élève qui place sa raquette juste en dessous de la balle veut réussir d’abord à faire parvenir sa balle à son adversaire. Or, quand on veut faire parvenir un objet en le lançant au dessus d’un obstacle, il est habituel d’orienter vers le haut sa trajectoire.

Cette connaissance de l’existence d’une pression du résultat doit avoir deux répercussions sur le plan pédagogique.

1) L’une d’elles est bien connue : l’élève doit accepter de rater certains essais pour se transformer. Mais lorsqu’on reprend le paradigme pédagogique attribué à G. Bachelard « l’erreur est le moteur de la connaissance », on ne veut pas dire que la sanction du geste inefficace élimine le processus qui en a été à l’origine.

2) Ce qui est fructueux, c’est la capacité à accepter de rater plus d’essais qu’en début d’apprentissage tout en essayant de rater différemment : l’élève doit comprendre qu’une tentative non ratée sur un service qui nécessite une motricité spécifique pour être efficace, c’est l’assurance d’un point marqué. En revanche, plusieurs tentatives réussies avec une motricité issue d’une analogie grossière n’engagent pas un rapport de force favorable au serveur. (La probabilité de gagner le point n’est pas forcément en sa faveur.)

Il est aussi important que l’élève affine son jugement pour distinguer dans ses échecs ceux qui sont proches du succès des autres. Celui qui apprend doit se placer dans des dispositions qui, habituellement, ne sont pas celles permettant de prendre une décision lorsque se présentent des alternatives affectées de probabilités différentes de se réaliser et rapportant des gains inégaux en cas de succès.

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Vous agissez ainsi parce que le sens de la situation que vous vivez est analogue celui d’une situation ordinaire où vous devez (re)poussez fort un objet (pour vous protéger par exemple). Nous décrirons en détail dans la partie III de cette thèse cette notion d’analogie.

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La nature a sans doute sélectionné des individus résistant difficilement à la frustration de l’échec. On imagine assez mal, durant la préhistoire, le chasseur ayant raté sa proie et du même coup le repas de la famille, pensant, content de lui, « Mon lancer s’améliore, la semaine prochaine, on pourra sans doute manger. ». Dans de nombreux cas de la vie ordinaire, un individu suit le dicton : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Il préfère un gain sûr à une possibilité de gain deux fois plus fort (deux barils de poudre de lessive connue contre un seul dont on lui vante les mérites dans une publicité). En revanche, il choisit plutôt un jeu avec une faible probabilité de gagner un gain élevé à un jeu avec un gain moitié moins élevé et une probabilité de gagner deux fois plus forte. Nous pensons que si une rationalité influence cette prise de décision, le même type de rationalité organise le processus inconscient qui oriente la motricité en mettant en avant une analogie plutôt qu’une autre.

Une des tâches de l’enseignant est donc de modifier le mode d’appréciation qu’un élève a de ses réalisations. Par exemple, à la roulette, lorsque la boule tombe sur le 1 alors qu’on a parié sur le 2, on a perdu, alors que la boule était proche du bon numéro. Et cela ne sert à rien de s’entêter sur le 2. En revanche, dans le domaine de l’apprentissage moteur, rater de peu de nombreuses fois un geste nouveau, c’est l’assurance de le réussir régulièrement bientôt. Au tennis de table, un élève qui attaque pour la première fois la balle en coup droit en éloignant sa raquette de l’axe du corps doit être encore plus encouragé s’il rate la table d’un mètre que celui qui ne rate pas la cible. Il faut, de plus, lui donner aussitôt un moyen, aussi grossier soit-il, de corriger la trajectoire.

Une autre tâche de l’enseignant est d’évaluer différemment l’élève. On ne peut demander à ce dernier de faire évoluer de façon importante sa motricité et l’évaluer dans une situation de référence trop complexe car la complexité de la tâche et la pression des résultats feront régresser l’élève. L’évaluateur doit distinguer lui aussi, à travers le manque de performances, ce qui est du domaine du manque d’entraînements de la motricité non spécifique toujours présente chez la personne n’ayant pas appris. De plus, chez les élèves faibles et même moyens, le nombre de gestes réussis ne doit pas prendre autant d’importance que la qualité de la transformation.

La notion de performance doit donc être affinée : elle doit en particulier ne plus être systématiquement couplée au résultat d’un match ou à la régularité de l’élève. Etre performant dans le cadre d’un apprentissage devrait être compris comme être capable de se transformer. Pendant la majorité du court temps d’apprentissage, seuls les coups témoignant d’une évolution de la motricité doivent être valorisés, même s’ils ne débouchent pas, par exemple dans un match de tennis de table, sur l’obtention du point. Il est donc nécessaire de réformer les procédures quotidiennes d’évaluation et d’auto-évaluation.

Ainsi, créer des conditions favorisant l’apprentissage, c’est d’abord insérer l’individu dans un lieu où les règles d’évolution et les repères sont bouleversés. Apprendre doit se réaliser dans un monde inhabituel : réussir est possible car l’à-peu-près est accepté et l’échec ne compte pas si l’on tente de réaliser ce que l’on n’a jamais fait. La clé de voûte de ce cheminement est à découvrir dans ce qui est le propre des animaux supérieurs : pour ces derniers, le moyen d’atteindre un objectif peut devenir en une fin en soi. Pour reprendre la terminologie que R. Thom30 utilise, seule la prégnance de la fin en soi doit subsister et doit se transmettre au moyen pour lui conférer au moins le temps de l’apprentissage le statut d’objectif final. Pour qu’un singe comprenne qu’il a besoin d’un bâton afin d’attraper une banane, selon R. Thom31, il lui « faut oublier la fin proprement dite (capturer la banane) pour se consacrer au moyen d’y parvenir. ». Pour apprendre, il faut créer un nouveau chemin et

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R. Thom, (1991), p. 73

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pour ce faire, il est nécessaire de résister à la tentation de vouloir atteindre son but immédiatement. De ce fait, la décontextualisation d’une situation d’apprentissage (cas où l’apprentissage ne s’inscrit pas dans une situation de jeu réel) a cette vertu d’ôter l’idée du but à atteindre immédiatement. Du même coup, la force de la croyance qui installe l’élève dans une motricité « sûre » est affaiblie car cette croyance relie la motricité à un but qui n’est plus celui visé par l’élève.

Si l’élève qui débute veut améliorer la maîtrise de sa passe au volley, il doit « oublier » de renvoyer le ballon et focaliser son attention sur ce qui lui permet d’amortir le choc (main-ballon), souvent perturbateur à ce niveau de pratique et sur l’orientation de ses appuis. S’il n’est pas capable d’oublier, s’il est accaparé par cet objectif final, il utilisera implicitement la proposition pratique la plus validée par l’expérience pour renvoyer l’objet : lancer ses mains dans le ballon. De même, si le singe meurt de faim, on peut penser qu’il ne quittera plus la banane des yeux et sera incapable d’utiliser le bâton s’il ne l’a jamais fait jusqu’ici.

Une des grandes difficultés de l’enseignement en EPS est de faire comprendre l’importance de la situation décontextualisée à l’élève sans que l’objectif final n’apparaisse avec trop d’évidence. Pour qu’un enfant saute loin, il faut d’abord qu’il cherche à aller haut et non pas loin, sinon souvent, son saut se résumera à un grand pas en avant après sa course d’élan. Une autre difficulté est de recontextualiser l’apprentissage sans que l’enfant ne s’en aperçoive. Il est souvent nécessaire, au début, qu’il réussisse à mettre en œuvre sa motricité sans s’apercevoir de l’enjeu. Ceci garantit en partie de ne pas perturber l’enfant par le sens que représente l’objectif final.

En revenant, dans le chapitre qui suit, à une étude neurologique, la Théorie de la Sélection des Groupes de Neurones (TSGN), nous allons étudier une conception internaliste pour découvrir un point commun inattendu entre cette théorie et les conceptions externalistes : la possibilité de construire une argumentation pour réfuter la théorie computationnelle. Il nous est apparu aussi intéressant de montrer qu’un des fondateurs de la TSGN, G. M. Edelman, tire des enseignements de la théorie qui sont proches de ceux que nous exposerons par la suite dans la partie IV de la thèse en adoptant les concepts de proto-induction et proto-analogie.

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5) LA THÉORIE DE LA SÉLECTION DES GROUPES DELA THÉORIE DE LA SÉLECTION DES GROUPES DELA THÉORIE DE LA SÉLECTION DES GROUPES DE LA THÉORIE DE LA SÉLECTION DES GROUPES DE

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5.1 « Agraindissement » de la TSGN et « agraindissement »