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SECTION I. Le modèle

SECTION 2. La stabilité de la collusion dans un jeu statique

Lorsqu’un régulateur est confronté à un problème d’asymétries informationnelles, il ne peut avoir recours au contrat de first best car les firmes ont intérêt à se déclarer inefficaces quand bien même qu’elles sont efficaces. Baron et Myerson [1982] et Laffont et Tirole [1993]caractérisent le contrat individuel incitatif optimal pour réguler les firmes dans cette situation. Dans ce travail, nous nous focalisons plutôt sur les mécanismes qui permettent au régulateur de stimuler artificiellement la concurrence entre les firmes afin de surmonter le problème d’asymétrie d’information. Deux dispositifs sont considérés ici : le

franchise bidding et la concurrence par comparaison.

2.1. La concurrence par comparaison dans un cadre statique

Si le régulateur fait appel à la concurrence par comparaison, il compare les performances relatives de chaque firme et fait dépendre leur rémunération de cette comparaison. Dans notre modèle, nous considérons que le régulateur confronte les annonces des deux firmes et établit les transferts par rapport à ces annonces. Par conséquent, la concurrence par comparaison ne peut être employée que si chaque firme opère chacune sur un marché. Le contrat se caractérise alors par un remboursement de coûts et un transfert net calculés à partir du paramètre de productivité annoncé par chaque firme :

{

t(β~i,β~j),C(β~i,β~j)

}

, avec β~i l’annonce de la firme i pour le paramètre de productivité et j

β~ l’annonce de la firme j, j ≠ i.

Puisque les deux firmes sont incitées à annoncer β quand β est réalisé (auquel cas, elles reçoivent une rente informationnelle positive mesurée en terme d’économies de la désutilité de l’effort sur les efforts de réduction de coûts) et qu’elles sont parfaitement

corrélées, des annonces incompatibles (β~i≠β~j) permettent au régulateur de déduire que le paramètre de productivité réel de l’industrie est β et que la firme annonçant β ment. Nous adoptons alors le mécanisme suivant adapté de Auriol ([1993], [2000]) et Auriol et Laffont ([1992])88 :

i. Si β~i=β~j, alors Cc (βi ~

,β~j) = β~i - ec et t(βi ~

,β~j) = tc : lorsque les annonces

sont compatibles, alors le contrat rembourse totalement les coûts des firmes selon le paramètre de productivité annoncé et établit un transfert tc.

ii. Siβ~i≠β~j, alors Cc (βi ~

,β~j) = β - ec et t(β, β ) = tc – P et/ou t(β , β ) = tc + A : si les annonces sont incompatibles, le régulateur ne rembourse que le niveau

de coûts correspondant à une productivité de type β. Il établit de plus un transfert qui inclut une compensation A pour la firme annonçant β et/ou une amende (ou punition) P pour la firme annonçant β.

Les paramètres tc, Cc et ec représentent respectivement les transferts, les coûts qui

sont remboursés et le niveau d’effort de réduction de coûts spécifiés dans le contrat. Les tableaux 1 et 2 donnent le niveau d’utilité des firmes selon la réalisation du paramètre de productivité et selon leur annonce.

La proposition 1 résume le résultat d’équilibre du jeu statique :

Proposition 1. A l’équilibre, le régulateur peut proposer le contrat de first-best et les deux

firmes n’ont pas intérêt à mentir. Lorsque le régulateur n’utilise que la punition, c’est-à-dire si P > 0 et A = 0, les annonces véridiques constituent un équilibre de Nash bayesien. A l’inverse, si le régulateur a recours à la compensation, les annonces véridiques constituent un équilibre en stratégie dominante si ϕ(ec)- ϕ(ec −Δβ)≤ A ≤ ϕ(ec +Δβ)- ϕ(ec).

Preuve : voir annexe 1.

Nous notons U ≡ϕ(eFI)- ϕ(eFI +Δβ) (resp. U ≡ϕ(eFI)- ϕ(eFI −Δβ)) les rentes informationnelles de la firme lorsque le contrat de first-best est appliqué, que le paramètre de

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Ces auteurs ne considèrent que l’utilisation d’amendes élevées pour dissuader la dissimulation d’informations. Dans ce travail, nous analysons également le rôle de la compensation.

productivité de l’industrie est β(resp. β) et que la firme annonce β (resp.β). On a par ailleurs U < 0 et U > 0.

Tableau 1 : matrice des paiements lorsque le paramètre de productivité estβ

Tableau 2 : matrice des paiements lorsque le paramètre de productivité est β

Notons que les annonces véridiques ne constituent pas l’unique équilibre de Nash dans ce jeu89. En effet, dans le cas où β est réalisé et que le régulateur n’a recours qu’à la punition, les deux firmes annoncent β90. Par conséquent, les firmes régulées sont incitées à entrer en collusion, même dans le cadre d’un jeu statique reposant sur la punition. Par conséquent, afin d’être certain que les révélations véridiques constituent l’unique équilibre, le régulateur devrait préférer mettre en place une stratégie dominante qui lui permet de récompenser les révélations véridiques dans le cas d’annonces incompatibles. Dans ce dernier cas, le montant de la compensation admet une borne supérieure si le régulateur ne

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Ce point a déjà été démontré dans la littérature. Voir par exemple Demski et Sappington [1984] ou Mookherjee [1984].

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Néanmoins, Auriol [2000] montre que contrairement à ce jeu de révélation simultané, une concurrence par comparaison basée sur la punition et sur un menu de contrats linéaires aboutit à un équilibre de first-best unique.

veut pas inciter les firmes à annoncer β lorsque leur vrai paramètre de productivité est β. La borne inférieure, quant à elle, garantit que les firmes préfèrent fournir des annonces honnêtes lorsqu’elles sont efficaces (β est réalisé). Dans le reste de ce chapitre, nous supposerons que le régulateur fixe toujours A dans cet intervalle.

Le jeu statique montre que la valeur de la concurrence par comparaison vient du fait que le régulateur peut exploiter la corrélation entre l’information privée des deux firmes. Ce mécanisme est un outil supplémentaire que peut utiliser le régulateur pour solliciter l’information privée des firmes, et qui lui permet d’économiser de coûteuses rentes informationnelles91.

2.2. Le franchise bidding dans un cadre statique

Quand un mécanisme de franchise bidding est utilisé, la compétition par le marché, qui est impossible dans les industries en monopole naturel, est remplacée par la compétition

pour le marché (Demsetz [1968]). Dans notre cadre d’analyse, le régulateur définit les droits

de marché pour chaque monopole local et attribue ces droits à la firme dont les coûts sont les plus faibles. Afin d’étudier l’effet de ce type d’arrangement sur les incitations à la collusion, nous continuons à nous focaliser sur les mécanismes de révélation directs : au lieu d’enchérir sur leur niveau de coûts, les firmes soumettent des annonces sur leur paramètre de productivité. Le régulateur a recours à un contrat mentionnant le niveau de coûts remboursé C(ec)92 et le tranfert net tc. Ce contrat est attribué à la firme annonçant le β le plus faible.

Dans le cas où les annonces des deux firmes coïncident, chacune se voit attribuer un marché. Le choix de cette règle de partage en cas d’ex aequo s’explique par le fait que les résultats des firmes peuvent alors être comparées dans certaines configurations qui seront étudiées plus tard dans ce chapitre. En particulier, lorsque le franchise bidding est utilisé conjointement avec la concurrence pour le marché, le régulateur préfère la présence des deux firmes sur le marché afin de pouvoir comparer de manière crédible leurs performances.

La différence majeure entre ce jeu et la concurrence par comparaison réside en ce que le régulateur n’a plus accès à la compensation ou à la punition si les annonces diffèrent : simplement, il encourage les annonces crédibles par la promesse d’attribuer les deux

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A cet égard, Crémer et McLean ([1985], [1988]) montrent que toute corrélation, même faible, entre l’information privée des agents permet au principal d’extraire toute leur rente informationnelle.

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marchés à la firme annonçant le paramètre de productivité le plus faible lorsque les annonces ne coïncident pas. Les tableaux 3 et 4 retracent le niveau d’utilité des firmes selon la réalisation du paramètre de productivité et selon leur annonce pour un niveau de transfert tc

donné.

Tableau 3 : matrice des paiements lorsque le paramètre de productivité estβ

Tableau 4 : matrice des paiements lorsque le paramètre de productivité est β

La proposition suivante résume le résultat de ce jeu.

Proposition 2. En cas d’attribution des marchés par franchise bidding, le régulateur propose le contrat de first best. Les annonces honnêtes de la part des deux firmes constituent un équilibre de Nash bayesien.

Preuve : voir annexe 2.

Cependant, comme pour la proposition 1, les annonces honnêtes ne constituent pas le seul équilibre de Nash. Plus précisément, lorsque β est réalisé, les firmes peuvent être incitées à annoncer βet conserver une rente informationnelle. A l’instar de la concurrence par comparaison assortie de punitions, la collusion est possible, même dans ce jeu statique.