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SECTION 2. Les performances des PPP dans le secteur français de l’eau : une analyse

2.2. Les clauses d’adaptation et de gestion de l’opportunisme

2.2.2. L’opportunisme de l’opérateur

L’insuffisante connaissance de l’autorité publique des besoins du service (rationalité limitée et incertitude environnementale) rendent les contrats de DSP incomplets et encouragent par conséquent les comportements opportunistes du délégataire (Guérin- Schneider [2001], pages 48-49). Il existe différentes possibilités, pour un délégataire, de se comporter de manière opportuniste aux différentes phases du contrat. Les comportements stratégiques peuvent se manifester aussi bien au moment de la négociation du contrat que pendant l’exécution et lors du renouvellement du contrat.

L’industrie de l’eau en France se trouve concentrée dans les mains de trois grandes entreprises. Ces groupes, d’envergure nationale, voire même mondiale, négocient chaque année des centaines de contrats avec des collectivités souvent de taille modeste, qui elles, délèguent leur service une fois tous les 10 à 20 ans. Ce constat suffit à convaincre de la plus grande expertise des délégataires dans les négociations initiales. Ces dernières peuvent évidemment profiter de cet avantage pour négocier certaines clauses au détriment de la collectivité. Une action opportuniste du délégataire peut par exemple consister à attribuer un poids excessivement important à l’indice relatif aux charges salariales dans la formule d’indexation du prix de base. La Cour des Comptes [2003] relève à ce sujet que « les

contrôles ont permis de constater des formules de révision de la rémunération fermière comprenant une part représentative des frais de personnel de 50% alors qu’ils ne constituaient que le quart du total des charges constatées, sachant qu’en outre, les index relatifs à la main d’œuvre évoluent, en général, plus rapidement, que ceux concernant les autres facteurs de production » (page 35-36). Un tel comportement du délégataire est

susceptible d’entraîner une très forte dérive du prix qui, au bout d’un laps de temps parfois relativement court (2 à 3 ans) peut substantiellement se déconnecter des coûts réels du

service. Une autre action opportuniste au moment de la négociation du contrat, consiste à profiter du flou du contrat pour proposer un prix délibérément faible et mieux renégocier ensuite.

Pendant l’exécution du contrat, l’opportunisme du délégataire se caractérise principalement par la dissimulation ou la manipulation de certaines informations au détriment, une nouvelle fois, de la collectivité. Les délégataires disposent de nombreux moyens pour manipuler leurs coûts afin de capter une partie plus importante de la rente générée par le contrat. De nombreux exemples de manipulation de coûts pourraient être cités. Nous nous limiterons à deux illustrations. La première concerne les garanties de renouvellement. Il s’agit d’un dispositif mis en place par les délégataires afin de se prémunir contre le risque lié à la survenance d’un aléa. Autrement dit, le renouvellement n’intervient pas forcément à la fin de vie théorique de l’infrastructure, mais seulement si incident majeur le rend techniquement ou économiquement irréparable. Chaque année, le délégataire calcule un certain montant de garanties de renouvellement à partir de la valeur à neuf de tous les équipements pondérée par le risque de renouvellement. Ce montant est reporté en charge dans le compte d’exploitation. La difficulté de ce système vient de ce que le délégataire est incité à surestimer le risque de renouvellement. Bien souvent, les sommes reportées en charge n’ont rien à voir avec le risque réel de renouvellement. Ces sommes ne sont en outre pas rendues à la collectivité en fin de contrat lorsqu’elles ne sont pas utilisées (sauf stipulation contractuelle contraire). Les délégataires en place peuvent alors être encouragés à prolonger au maximum la durée de vie des infrastructures afin d’augmenter leurs gains nets sur les garanties de renouvellement et de reporter le poids du renouvellement vers le futur exploitant.

Une deuxième illustration, toujours liée aux investissements, concerne les dotations aux amortissements. Les contrats ne précisent généralement pas les durées d’amortissement pour tous les équipements du service. Dans le cas où le contrat prévoit l’indemnisation des délégataires à la valeur nette comptable pour tous les investissements qui ne sont pas amortis à l’échéance, cette marge de manœuvre laissée aux délégataires peut les conduire à amortir des équipements à faible durée de vie sur une durée longue. Une telle pratique leur permet d’augmenter leurs bénéfices ainsi que leur indemnité de fin de contrat.

L’opportunisme du délégataire lors du renouvellement consiste à profiter de son avantage sur ses concurrents pour négocier des clauses qui lui sont plus favorables dans le nouveau contrat. L’avantage du délégataire sortant est un fait incontestable dans l’industrie de l’eau en France. Les études annuelles de l’ENGREF (Ecole Nationale du Génie Rural des Eaux et des Forêts) sur la remise en concurrence des contrats de DSP dans le domaine de l’eau montrent qu’en moyenne, entre 8% et 15% des procédures de DSP aboutissent à un changement de délégataire. Cependant, avantage du délégataire ne signifie pas forcément opportunisme de ce dernier. Les études de l’ENGREF montrent également (selon les années) qu’entre 20 et 30% des procédures n’aboutissent qu’à une seule offre, ce qui peut traduire un manque de concurrence dans certaines collectivités, et donc, un rapport de force en faveur du délégataire sortant potentiellement source d’inefficacités. Mais ces chiffres peuvent aussi refléter la satisfaction de certaines collectivités à l’égard de leur délégataire actuel et le favoriser lors du renouvellement peut se traduire comme la récompense liée à ses bonnes actions passées (Zupan [1989b], Doni [2004]). Un taux de non renouvellement faible ne serait donc pas condamnable dans ce contexte. Il n’existe pas, à ce jour, d’études cherchant à évaluer l’importance de l’opportunisme des délégataires lors de la remise en concurrence du service dans l’industrie française de l’eau, sans doute en raison du manque de données pour mener à bien une telle entreprise.