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SECTION 2. Les performances des PPP dans le secteur français de l’eau : une analyse

2.3. Le renouvellement des contrats de DSP

Dans le chapitre 1, nous avons mis en évidence deux raisons théoriques pouvant être à l’origine d'un avantage inefficace de l’opérateur sortant au moment du renouvellement : les asymétries d’informations entre l’opérateur et la collectivité et la transformation fondamentale. Nous analysons à présent l'importance de ces deux éléments pour expliquer l’avantage de l’opérateur sortant dans le secteur de l’eau en France.

2.3.1. Renouvellement du contrat et asymétries d’informations

La première source d’inégalités entre le délégataire sortant et ses concurrents dans l’industrie française de l’eau concerne l’avantage informationnel de l’opérateur en place, notamment sur l’état du réseau. Certaines collectivités exercent un contrôle actif sur l’évolution de l’état de leur réseau de distribution d’eau potable (inspections vidéos permettant la mise en place de politiques de recherche de fuites, mise en place et tenue à jour d’un plan du réseau). Malheureusement, en raison de contrôles insuffisants, la plupart des collectivités perd progressivement la connaissance de leurs installations une fois qu’elles ont délégué leur service. Ce manque de suivi du patrimoine les empêche de mener à bien une politique pertinente de renouvellement des équipements pendant l’exécution du contrat, mais surtout, nuit à une remise en concurrence efficace du service. Pour la collectivité, une bonne connaissance de son patrimoine est fondamental afin d’envoyer à tous les candidats un

cahier des charges qui soit le plus précis possible lors de la procédure de DSP. Un cahier des charges trop vague crée un risque de « malédiction du vainqueur » pour les candidats autres que le délégataire en place. Ces derniers, ne connaissant pas l’état exact des infrastructures et des frais de maintenance engagés, peuvent être découragés de proposer une offre.

2.3.2. Renouvellement du contrat et transformation fondamentale

Dès lors que des investissements spécifiques sont réalisés par l’une ou l’autre des parties, la transformation fondamentale (Williamson [1985]) induit une dépendance bilatérale entre l’acheteur et le vendeur qui rend très coûteuse la rupture de la relation. La dépendance bilatérale s’explique par le fait que la valeur générée par ces investissements serait perdue, à la fois pour la collectivité et l’exploitant si la relation contractuelle venait à s’interrompre. En France, ce problème est atténué par le fait que les actifs spécifiques de site, indispensables au fonctionnement du service (canalisations, branchements, vannes, réservoirs etc.) sont propriété publique dès leur édification et doivent être remis gratuitement à la collectivité en fin de contrat. Ce sont les biens dits « de retour ». Si certains équipements ne sont pas totalement amortis par le délégataire à la fin du contrat, la collectivité peut lui verser une indemnité correspondant à la valeur résiduelle des infrastructures. Cette valeur résiduelle est parfois difficile à déterminer, notamment lorsque les frais de maintenance engagés par le délégataire ne sont pas observables ou lorsque l’incertitude sur les évolutions technologiques est importante (Baldwin et Cave [1999]). Cela dit, en cas de désaccord sur le montant final de la compensation, la collectivité dispose du dernier mot dans la mesure où, de toute façon, elle reste propriétaire des actifs. Tout recours du délégataire devant le tribunal administratif ne remet pas en cause le retour des biens à la collectivité en fin de contrat.

Dans l’industrie française de l’eau, la propriété publique des biens de retour atténue donc l’avantage du délégataire sortant lors du renouvellement. Cependant, certains équipements appartiennent au délégataire. Ce sont les biens dits « de reprise » que la collectivité peut, si elle le désire, racheter à la fin de contrat. Certaines de ces installations peuvent être spécifiques, auquel cas la collectivité peut difficilement passer outre leur rachat. C’est par exemple le cas des compteurs installés chez les particuliers, qui, dans certaines collectivités, sont la propriété du délégataire. En cas de changement d’exploitant ou de retour en régie, la collectivité doit négocier le prix de reprise des compteurs avec le délégataire

sortant, ce qui peut la dissuader d’ouvrir son service à un nouvel exploitant. D’autres actifs spécifiques, nécessaires à la gestion du service, peuvent être difficilement transférables si le délégataire en place est évincé. Certains opérateurs développent des logiciels qui leur sont propre, par exemple pour ce qui concerne le suivi des relations avec les clients. Ce fichier retrace l’ensemble des informations dont dispose le délégataire sur chacun de ses usagers clients. Il contient notamment l’adresse des usagers, leur numéro de téléphone, leur consommation en eau, l’état des impayés etc. Ce document sert de base au calcul de la facture d’eau de chaque usager. Sauf stipulation contractuelle contraire, en cas de changement d’opérateur, le délégataire sortant garde la propriété de son logiciel (il s’agit d’un bien dit «propre » qui n’est ni racheté, ni remis gratuitement à la collectivité). Le fichier-client risque alors d’être transmis au nouvel exploitant dans un format qui rend son utilisation impossible. C’est pourquoi, dans certains contrats récents, des clauses apparaissent pour exiger du délégataire sortant un transfert de toutes les données informatiques nécessaires à la bonne exploitation du service dans un format qui puisse être utilisable par le nouveau délégataire.

La collectivité prend nécessairement en compte les difficultés éventuelles de transfert de certains actifs spécifiques dans la décision de reconduire ou non son délégataire. Plus les actifs spécifiques difficilement transférables sont importants, plus la dépendance bilatérale entre la collectivité et son exploitant augmente et donc, plus forte est la probabilité que le délégataire sortant soit avantagé lors du renouvellement.

Au delà des problèmes que pose le transfert de certains actifs spécifiques physiques, Williamson a souligné la difficulté pour l’opérateur entrant, de récupérer les salariés de l’entreprise sortante. Ces derniers peuvent être réticents à changer d’employeur en raison des incertitudes futures concernant leurs conditions d’emploi. Cette difficulté avantage inévitablement l’opérateur sortant lors du renouvellement du fait de la meilleure productivité de ses salariés acquise grâce à leur formation initiale et à l’apprentissage quotidien sur le terrain. L’absence de possibilité de transfert du personnel oblige un opérateur souhaitant entrer sur le marché à engager des dépenses dans la formation de nouveaux employés. De plus, ces employés, même formés sont nécessairement moins compétitifs que les salariés travaillant déjà sur le service depuis plusieurs années. Toutes ces considérations sont bien sûr répercutées dans son offre.

L’avantage du délégataire en place sur la base de ses actifs spécifiques humains est une thèse qui tient difficilement dans le contexte de l’industrie française de l’eau. Compte tenu de la concentration du secteur et du caractère local du service, chaque entreprise du secteur emploie des salariés qui effectuent des tâches similaires d’une collectivité à l’autre. Autrement dit, dans le cas où un nouvel exploitant se présente lors du renouvellement, le départ éventuel des salariés en fonction depuis plusieurs années ne le place pas en situation désavantageuse au moment de la formulation de son offre. Contrairement à ce que prédit la théorie, un contrat prévoyant la reprise des salariés du service d’eau par un nouvel exploitant peut même constituer un frein à la concurrence lors du renouvellement. En effet, le fait de ne pouvoir proposer un personnel plus performant, de profil différent, ou encore moins payé, restreint les possibilités d’innovation pour l’opérateur concurrent souhaitant entrer sur le marché. Ce dernier devra inclure à son offre, soit le coût de la masse salariale de l’ancien délégataire, soit celui de licenciements (Guérin-Schneider [2001]). Une telle obligation favorise le délégataire en place, notamment au détriment des candidats de petite taille.

A titre d’illustration, l’entreprise RUAS, société indépendante, a plusieurs fois saisi le tribunal administratif pour contester l’obligation de reprise du personnel que lui imposait le délégataire sortant. D’un point de vue juridique, afin de protéger les intérêts des salariés en place, la loi oblige le transfert du personnel vers le nouveau délégataire si certaines conditions sont réunies. Il est notamment nécessaire, pour que ce transfert puisse avoir lieu, que les salariés soient exclusivement affectés au service concerné par le changement de délégataire, ce qui n’est pas toujours le cas. En effet, la mutualisation du personnel par un délégataire titulaire de plusieurs délégations crée un obstacle évident à l’obligation de reprise des salariés.

CONCLUSION

Dans ce chapitre, nous nous sommes consacrés à la description du cadre institutionnel français régissant le secteur de l’eau. En France, les collectivités peuvent déléguer leur service d’eau à une entreprise privée via une procédure de mise en concurrence relativement flexible. Elles peuvent aussi assurer seules cette tâche. Si la délégation du service vers une entreprise privée est susceptible de comporter des avantages certains en termes de coûts de production (Charreaux [1997], Williamson [1985]), à la lumière des

arguments théoriques présentés en première partie et dans ce chapitre, le modèle français d’organisation des services est également critiquable par bien des aspects.

Le débat théorique sur l’efficacité du franchise bidding mis en évidence dans la partie 1 de ce travail s’applique donc plus que jamais au cas de l’approvisionnement d’eau en France. A ce titre, une étude empirique des performances relatives de la délégation des services d’eau nous semble être un travail intéressant à effectuer. La diversité des arrangements organisationnels existants par ailleurs dans ce secteur rend cet examen possible en permettant la comparaison des performances obtenues par les services en délégation avec celles obtenues par les exploitations en régie. Cette étude sera menée dans la troisième partie de ce travail et à cet égard, les éléments décrits dans ce chapitre pourront être mobilisés. Cependant, dans la mesure où la majeure partie de notre travail est empirique, il nous semble opportun de nous arrêter auparavant sur la description des données qui serviront de support aux différents tests économétriques.