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Les spécificités de mon ethnographie

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 181-185)

L A COLLECTE ET L ’ ANALYSE D ’ UN MATÉRIAU EMPIRIQUE QUALITATIF

5.1. Les méthodes de collecte des données du cas unique

5.1.3. Les spécificités de mon ethnographie

Mon ethnographie possède deux spécificités : d’une part, elle a pris lieu dans mon envi-ronnement « habituel » et, d’autre part, elle s’appuyait sur trois « moments intenses ».

Nous verrons ensuite la forme d’ethnographie par observation retenue, selon les phases.

5.1.3.1. L’ethnographie de et dans mon propre environnement

Une première spécificité de mon ethnographie concerne le terrain : il s’agit de mon envi-ronnement socio-professionnel habituel, un lieu connu et largement fréquenté en dehors de la collecte de données. Les apports et limites d’une démarche d’analyse dans son propre environnement, en particulier académique (voir, notamment, Bourdieu, 1984), sont connus, notamment la difficulté à gérer l’attachement et le détachement au terrain, la ca-pacité à comprendre l’illusio ou les pratiques mais la complexité d’analyse face aux pra-tiques originales ou face à des prapra-tiques que l’ethnographe, lui-même, aurait.

Dans la logique de l’ethnographie générale, afin de « comprendre la langue et les pratiques » (e.g. Bourdieu & Mammeri, 2003), j’ai volontairement observé avec attention (ethnographique) l’environnement dans lequel se situait la pratique étudiée, au sens large – du séminaire doctoral aux conférences internationales, des cours en tant qu’étudiant-doctorant aux pratiques pédagogiques des formateurs et collègues, etc. –, depuis le dé-marrage de ma réflexion sur le sujet, i.e. début janvier 2013. Il s’agit d’obtenir la fameuse connaissance tacite et subjective, mais réelle, du milieu étudié évoquée par Becker (2002) et qui permet d’espérer comprendre (puis offrir une interprétation raisonnable pour) les actions des acteurs. Je disposais déjà d’une connaissance solide du milieu en tant qu’étudiant de la Management Education82, mais je devais développer la capacité à com-prendre les jeux et enjeux de l’enseignement-recherche dans cet environnement, en parti-culier dans le contexte d’autres organisations de cet agrégat. Toutefois, en dehors de rares prises de notes « pour ne pas oublier » et de la collecte-consultation « par hasard » de documents qui me semblaient intéressants (e.g. brochures, flyers, courriels etc.), aucune collecte de données ethnographiques n’a été réalisée de façon structurée et systématique.

Un journal de recherche général qui aurait dépassé les phases intensives de la recherche n’a pas été tenu, en dehors de quelques pages rapidement mises de côté, car l’ampleur de la tâche était trop importante pour un intérêt a priori limité. Par contre, j’ai collecté plus

82 J’avais étudié les Sciences de Gestion pendant 5 ans dans une autre organisation de la Manage-ment Education que Dauphine, avant mon entrée en Doctorat.

méthodiquement des données lorsque les évènements et l’expérience étudiés dans la thèse étaient discutés en ma présence.

5.1.3.2. Un cas longitudinal avec trois moments intensifs

Une seconde spécificité de mon terrain concerne le cas : s’il est suivi de façon longitudi-nale (i.e. ici « sur une longue période »), il comporte trois phases brèves essentielles (i.e.

les séminaires de quatre jours étudiés) où j’ai réalisé une collecte intensive centrale pour la recherche. La méthode mobilisée combine alors deux techniques : la posture ethnogra-phique générale dans les phases « inter-évènements » (i.e. entre les séminaires étudiés) et l’observation (participante et non participante) pendant les phases d’évènements. Garsten et Nyqvist, (2013b: 14) indiquent :

« L’étude anthropologique de sociétés complexes, de processus transnationaux, et de mouvements globaux a amené une adaptation des pratiques ethnographiques.

Les modes établis de pratiques ethnographiques ont été adaptés à l’étude de formes dispersées et changeantes de l’organisation et à l’étude de communautés profes-sionnalisées et fondées autour de l’expertise [en: expertise-based]. L’ethnographie a évolué de son approche mono-site conventionnelle […] à des observations multi-site et à la participation qui suive la trace des relations entre multi-sites, personnes, idées, argent et produits. En « traquant » les stratégies, les ethnographes peuvent désormais suivre la trace de processus tels que la production capitaliste, la prise de décision et la mobilisation sociale entre une multitude de sites et sphères. Les ni-veaux macro et micro d’observation ne sont pas seulement liés [en: twinned] par des préoccupations théoriques, mais aussi par des pratiques ethnographiques. »

La posture ethnographique globale a donc permis de documenter le cas au-delà des frontières de ses « évènements » (les trois fois quatre jours) : l’approche de

« l’ethnographie sociologique » (en: sociological ethnographhy) de celui qui étudie son propre environnement (« l’altérité » plus que « l’étranger »), donc ce qu’il « connaît » implicitement, et par opposition à « l’ethnographie anthropologique » (en: anthropologi-cal ethnography) de celui qui étudie une culture indigène jusqu’alors inconnue au-delà du texte produit par un précédent chercheur, permet alors d’éviter un indispensable temps d’adaptation, d’acculturation, dont le chercheur ne dispose pas, puisque l’observation ne peut être qu’intensive (e.g. Knoblauch, 2005).

5.1.3.3. L’observation comme technique principale

Dans la thèse, mon observation a pris deux grandes formes, situées dans un continuum : de l’observation participante à l’observation.

En dehors des « évènements », la posture d’observation dans la Management Edu-cation était soit celle de l’observation participante, soit celle de l’observation, selon les activités et les contextes. C’est lors des séminaires qu’elle est la plus simple à qualifier.

Lors des deux premières éditions du séminaire étudié, parmi les trois observés, cette observation fut largement « participante ». Cette posture, basée sur la participation active et affirmée à l’activité des individus « étudiés », s’applique à l’évolution dans l’environnement en ce que « j’y participais », puisqu’il est aussi mon cadre d’évolution professionnelle, mais surtout à la posture adoptée lors des évènements considérés. Cette technique peut être définie ainsi (De Walt, 2015: 251) :

« L’observation participante est une méthode dans laquelle un chercheur prend part aux activités, rituels, interactions et évènements quotidiens d’un groupe de personnes, comme l’un des moyens d’apprendre à la fois les aspects explicites et tacites de leurs routines et cultures de vie. L’observation participante est considé-rée presque de façon universelle comme la méthode centrale et qui la définit de la recherche ethnographique, et comme la méthode de base [en: foundational] dans l’anthropologie culturelle, mais elle a aussi des racines originelles en sociologie et a été incorporée dans la recherche qualitative dans de nombreuses disciplines de-puis au moins la seconde moitié du vingtième siècle. »

La posture d’observation participante qui se définit par la particularité de pratiquer les activités des individus du groupe suivi pour la recherche, entraîne la création de liens avec le groupe suivi, par l’implication dans le groupe, afin de le comprendre en profon-deur. Cette forme particulière d’ethnographie facilite l’accès à des éléments peut-être plus difficiles à obtenir par d’autres formes.

Dans ma recherche, ce sont des questions traditionnelles de la « critique » – sou-vent hautement sociales, culturelles (e.g. Adler et al., 2007) – qui sont investiguées. Or, il existe un autre intérêt de l’observation participante (de l’ethnographie en général), puisqu’elle contribue à créer des liens. Selon Neyland (2008: 2) :

« Les forces affirmées pour les données ethnographiques sont que : une image dé-taillée et en profondeur d’un groupe, d’une organisation et de ses membres peut être développée ; les questions sociales, culturelles et politiques que les autres mé-thodes voient comme intangibles peuvent former le point de focalisation de l’analyse ; et l’ethnographie peut être très fortement participative, ce qui permet aux membres du groupe de commenter les données et la collecte de données pen-dant qu’elles se produisent. […] »

La démarche pouvait donc aussi être « participative » pour les acteurs du terrain, en particulier lors des deux premiers séminaires ou entre les évènements. L’effet des indi-vidus du groupe étudié (parfois, des participants au sens large), et de la proximité avec ses

membres, sur les données, leur collecte etc. fut effectivement réel. Les étudiants (sen-sibles à la recherche dans ce Master 2 très ancré dans cette activité) qui participaient au séminaire acceptèrent largement de réfléchir et réagir in situ à leurs actions, à leurs décla-rations, de s’interroger sur leurs pratiques etc. Les formateurs du terrain pouvaient m’apporter des conseils pratiques ou proposer des éléments scientifiquement éclairés.

Lors des séminaires, les phases d’observation participante furent intensives et es-sentielles, mais j’ai aussi mobilisé une observation non participante. Elle fut convoquée à la fois pendant certaines phases des deux premiers et en continu lors du dernier. Dans l’observation non participante, il s’agit par corollaire d’observer mais sans participer aux activités observées (ici, l’animation ou le suivi d’un séminaire de formation par l’art).

Notons, enfin, que mon approche s’intitule alors, dans les termes de certains (Manheim et al., 2006: 319), « observation remarquée » (en: obtrusive observation), car j’étais claire-ment identifié en tant que chercheur-observateur et autorisé par le groupe social à con-duire cette démarche – mon activité lors des séminaires fut présentée aux participants lors de l’introduction.

L’observation (participante en particulier), technique qui consiste à collecter des données dans le terrain « socialement naturel » des individus, est rarement mobilisée seule : elle est généralement accompagnée d’entretiens et autres démarches empiriques (De Walt, 2015: 258), car elle est souvent considérée comme le « premier pas » dans l’analyse (De Walt, 2015: 251–252). Elle tend à brouiller les pistes entre collecte et inter-prétation (De Walt, 2015: 258). Mon approche empirique suit cette logique : les phases ethnographiques du « cas principal » ont été enrichies par plusieurs démarches empiriques complémentaires, différentes selon les moments (entretiens, données textuelles etc.), en parallèle des éditions ; in situ, le choix de plusieurs types de captation des données intègre cette logique. L’intérêt était également de mobiliser les avantages de l’observation : l’amélioration des données obtenues sur le terrain et l’amélioration de leur interprétation, mais aussi de permettre l’émergence de nouvelles questions de recherche et propositions issues de l’observation in situ (De Walt, 2015: 258). Ce qui rejoint aussi la logique des démarches inductives en général (e.g. Corley, 2015; Gioia et al., 2013).

Pour conclure, notons que certains spécialistes du champ ont recommandé l’étude des situations artistiques dans les organisations par une démarche d’inspiration enracinée, avec une proximité réelle au terrain et aux acteurs, notamment par l’observation partici-pante (Berthoin Antal, 2009: 72–73). D’autres ont incité à mobiliser des données elles-mêmes artistiques, esthétiques, et les significations des acteurs plutôt que les « mots » des

acteurs (Taylor & Hansen, 2005: 1225–1226). Si j’ai largement utilisé la photographie et la vidéo pour dépasser le langage purement « verbal », eu recours à la « sensorielle » eth-nographie dans la situation de création des œuvres, deux fois dans une posture interac-tionniste, j’ai toutefois choisi de conserver des approches plus classiques de la recherche, dont l’usage du langage « verbal », et au moins de ne pas les exclure (e.g. Corley, 2015;

Gioia et al., 2013). Je combine donc à la fois les données assez classiques de la recherche en Sciences de Gestion et des données plus originales, plus artistiques, pour tenter de bé-néficier de l’ensemble des préconisations des différents champs. Notons, enfin, que je présente autant de données que possible, notamment « autres que verbales », en accord avec les attentes de Taylor et Hansen (2005: 1226). D’autres, enfin, ont réclamé des « en-tretiens ethnographiques sur ces expériences génératives » ou « la participation directe dans les expériences esthétiques et le sensemaking émergent qui en découle [en: flows from them]. » (Hansen et al., 2007: 555), ce qu’essaie de réaliser ma méthodologie.

Plusieurs recherches récentes qui s’intéressent à un objet similaire ont proposé une approche empirique proche. Ainsi, l’approche qualitative d’étude de cas qui combine ob-servation in situ et entretiens assez peu directifs pour une démarche inductive d’inspiration enracinée a été mobilisée (Sutherland & Jelinek, 2015: 293–295 pour la méthodologie) pour traiter de démarches artistiques (qui intègre des artistes dans la péda-gogie) dans la Management Education (dans le papier en question, la formation au lea-dership). Antérieurement, Parush et Koivunen (2014) avaient déjà adopté une approche similaire. Récemment, Bureau et Komporozos-Athanasiou (2017) ont offert l’analyse d’une expérience artistique proche (i.e. la création d’œuvres d’art par des étudiants lors d’un séminaire artistique), et ont notamment convoqué l’ethnographie. Dans ces trois cas, les auteurs travaillaient sur une expérience artistique en formation qui consistait à faire l’expérience in situ, active, pratique, de l’art, comme dans mon terrain.

Voyons maintenant les données que j’ai pu collecter, et de quelle façon.

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