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Critiques du fonctionnement académique de la Management Education Les critiques du fonctionnement proviennent davantage des acteurs eux-mêmes. Deux

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 67-73)

2.1. Les critiques de la Management Education

2.1.2. Critiques du fonctionnement académique de la Management Education Les critiques du fonctionnement proviennent davantage des acteurs eux-mêmes. Deux

grands types de critiques peuvent être considérés séparément, car ils sont différemment connotés : d’une part, les critiques de la tendance académiste du champ académique

« Management Education » [c], et, d’autre part, celles des méthodes et techniques d’enseignement des Sciences de Gestion.

2.1.2.1. La critique de l’académisation du champ par le champ

Les chercheurs en Sciences de Gestion n’ont pas tant tardé à proposer une réflexion sur la Management Education. L’analyse historique l’indiquait : les débats sur la place légitime,

32 http://www.institutmontaigne.org/fr/institut

33 Source : site de l’Institut Montaigne ; consulté le 27 juillet 2015 ; voir notamment la rubrique

« Résumé » (http://www.institutmontaigne.org/fr/publications/business-schools-rester-des-champions-dans-la-competition-internationale)

en tant que profession ou non, du « business » dans les universités anglo-saxonnes, datent finalement presque de la fondation de la Management Education (e.g. Colby et al., 2011).

Un champ académique – relativement peu académiste, d’ailleurs – intitulé « Management Education » [c], propose une analyse de celle-ci.

Les ouvrages tels que celui de Khurana (2007) ou Colby et al. (2011) ne sont que deux exemples sélectionnés dans la (très) riche littérature qui se développe sur les ques-tions liées à l’enseignement-recherche des Sciences de Gestion et du Business. Les ou-vrages qui invitent à « repenser la Management Education » sont légions et pas particu-lièrement récents (e.g. French & Grey, 1996). En parallèle, plusieurs revues, plus ou moins académiques, offrent des contributions, plus ou moins pratiques, dont l’objectif est largement exemplifié par la description de l’une d’entre elles.

« [La revue] The Academy of Management Learning and Education (AMLE) est classée dans le top cinq des revues de management et [sciences de l’éducation] les plus influentes et fréquemment citées.

AMLE s’intéresse à des questions d’actualité dans les champs de l’apprentissage du management [en: management learning and education] par la présentation de théories, modèles, recherche, cri-tiques, dialogues et rétrospectives qui abordent le processus d’apprentissage et la pratique de la formation au management [en:

management education]. Le lectorat inclut des académiques, des formateurs, des directeurs de programmes et des doyens d’institutions académiques, mais aussi des praticiens de la forma-tion et du développement et de la formaforma-tion en entreprise [en: cor-porate education]. » (source : site de la revue AMLE, page d’accueil ; consulté le 28 juillet 2015 ; mon emphase)

De nombreuses revues généralistes accueillent également, avec une fréquence no-table, des réflexions sur la Management Education. David Courpasson, alors proche du terme de son mandat d’Éditeur en chef d’Organization Studies, une prestigieuse revue européenne en théorie des organisations, s’interrogeait réflexivement sur son action ré-cente à ce poste. Il déplorait la disparition de « l’enseignement-recherche passionné » (en: passionate scholarship) dans le champ et notait la tendance à ce que j’ai qualifié d’académisation du champ des Sciences de Gestion : selon lui (2013), abandonner cette recherche passionnée fait sens pour tous les chercheurs du champ car la performance en termes de nombre de papiers produits semble avoir pris le dessus sur l’importance de l’impact social de la recherche. Ce débat est essentiel car il revient à s’interroger sur la pertinence du savoir qui a vocation à être diffusé aux étudiants par l’enseignement.

Or la tendance à l’académisation est ainsi réellement connue du champ. La ten-dance au « gap-filling », i.e. à la focalisation sur des micro-contributions basées sur un

« vide » (en: gap) identifié dans la littérature, souvent induite par la « pression à la publi-cation », est très largement questionnée, notamment par d’autres acteurs très influents du champ des Sciences de Gestion (Alvesson & Sandberg, 2013, 2014), à tel point que cer-tains articles en viennent à se focaliser sur les techniques de « problématisation » et d’interrogation des postulats d’un champ (Alvesson & Sandberg, 2011). Nombreux sont ceux qui s’inquiètent de l’absence de « home-runs académiques », c’est-à-dire de contri-butions d’envergure, et non « publiées dès que possible » (Ashford, 2013). Il existe, dans le champ, des travaux académiques qui indiquent « ce qui rend les articles beaucoup ci-tés» (e.g. Antonakis, Bastardoz, Liu, & Schriesheim, 2014). À l’image d’autres champs, il devient difficile de publier « seul » (Wuchty, Jones, & Uzzi, 2007), i.e. sans association entre des co-auteurs tous spécialistes d’une partie du désormais fameux « processus de publication ». Les ressources entre les « publiants » et les « non-publiants », comme dans tout environnement « créatif », sont très inégalement partagées en faveur des premiers (e.g. Menger, 2014), ce qui incite les acteurs à se focaliser sur la publication et sur leurs indices de publication (e.g. le h-index) ; finalement, la Management Education, supportée par les phénomènes liés à l’accréditation (e.g. Lussier, 2014) et la recherche de légitimité scientifique décrite précédemment, produit des théories, pourtant performatives, mais souvent, selon certains, pour la théorie (e.g. Cabantous & Gond, 2011; Ferraro et al., 2005; Ghoshal, 2005).

De nombreuses recherches pointent alors la déconnexion de ces théories avec la pratique pourtant fondatrice de la Management Education. Pour certains, « de mauvaises théories managériales détruisent de bonnes pratiques managériales » (e.g. Ghoshal, 2005). C’est la « nature de la connaissance dans les Business Schools », presque trop proche de celle des « sciences dures » qui est pointée par d’autres (e.g. Chia & Holt, 2008). D’autres, encore, considèrent que les organisations de la Management Education sont « trop focalisées sur la recherche « scientifique » » et questionnent leur tendance à

« engager des professeurs avec une expérience limitée du monde réel » (Bennis &

O’Toole, 2005: 96). D’autres, enfin, demandent une recherche plus « pertinente » (en:

relevant) et inspirée de la préparation aux professions médicales ou cliniques (e.g.

Eckhardt & Wetherbe, 2014). La boucle est bouclée avec les préoccupations qui taraudent la Management Education depuis sa fondation.

En somme, le champ désormais académiquement scientifique de la Management Education est concerné par les problématiques des champs de ce type déjà pointées dans différents ouvrages (e.g. Bourdieu, 1984, 2001b). L’académisation conduirait à produire une connaissance non seulement d’un type assez exclusif, mais aussi de moins en moins tournée vers la pratique. L’autre thème de prédilection, par nature lié, de la critique in-terne du fonctionnement du champ porte sur les méthodes d’enseignement.

2.1.2.2. La critique de l’enseignement du champ par le champ

En complément de leurs interrogations sur la pertinence du savoir enseigné, les acteurs s’inquiètent du « vecteur » (en: medium) de transmission et des méthodes utilisés pour enseigner le déjà débattu savoir managérial.

Il n’a, malheureusement, jamais été réellement prouvé que la participation à une formation au management améliore les performances managériales (e.g. Grey, 2002;

Pfeffer & Fong, 2002) ; ce qui postule qu’il serait possible de « mesurer » ladite perfor-mance, un autre problème récurrent de la pratique et de la théorie du management. À l’origine formation d’excellence dont l’objectif était de permettre le développement d’individus générateurs d’avantages concurrentiels majeurs, le MBA est peu à peu devenu hors de propos et de nombreux acteurs peinent à le lier à l’évolution de carrière (Grey, 2004). « Peut-on former les dirigeants ? », va jusqu’à se demander Moingeon (2003), acteur d’HEC Paris, dans le titre d’un ouvrage. Les compétences enseignées seraient gé-néralement celles qui sont les moins indispensables aux managers, selon leur propre expé-rience (e.g. Rubin & Dierdorff, 2009). La littérature mainstream n’est pas la dernière à

« s’auto-interroger » sur la pertinence des formations, et des méthodes de formation, qu’elle propose. Mintzberg (2004), dans un ouvrage devenu célèbre, réfléchit sur la for-mation des managers ; il indique que les MBAs forment les « mauvais profils », par les

« mauvais moyens », pour les « mauvaises conséquences » ; il écrit34 (2004: 1) :

« Le problème avec une formation au « management » [en: « management » educa-tion] est qu’il s’agit d’une formation aux affaires [en: business educaeduca-tion], et qu’elle laisse une impression déformée [en: distorted] sur le management. Le ma-nagement est une pratique qui doit mélanger beaucoup [en: a good deal of]

34 Malgré le caractère influent de cet auteur, je mentionnerais que ces constats sont à mon sens as-sez sévères, et qu’ils tendent sans doute à occulter les réels apports qui existent aussi dans de telles forma-tions, même si ces contributions sont probablement d’autres types (e.g. renforcement du profil général des individus). Que les formations ne forment pas à ce qui est le plus attendu ou utile dans les organisations (e.g. Mintzberg, 2004; Rubin & Dierdorff, 2009) ne doit pas conduire à conclure qu’elles n’ont pas d’effet ; l’effet est sans doute perfectible, ou pas des plus pertinents pour viser uniquement l’efficacité et l’efficience organisationnelle, mais il n’est sans doute pas non plus totalement nul et inadéquat.

d’habileté [en: craft] (expérience) avec une certaine quantité d’art (vision [en: in-sight]) et un peu de science (analyse). Une formation qui insiste trop sur la science encourage un style de pratique du management que j’appelle « calculateur » ou, si les diplômés se croient eux-mêmes être des artistes, comme un nombre croissant d’entre eux le pensent, un style lié que j’appelle « héroïque ». Assez de ceux-là, as-sez de cela. Nous n’avons pas plus besoin de héros à des postes d’influence que de technocrates. Nous avons besoin de personnes équilibrées, dévouées, qui pratiquent un style de management qui peut être appelé « engageant ». De telles personnes croient que leur raison d’être est de laisser derrière [elles] des organisations plus fortes, pas seulement une valeur d’actions plus élevée. Ils ne montrent pas un or-gueil démesuré [en: hubris] au nom du leadership. Le développement de tels mana-gers demandera une autre approche de la formation au management, tout aussi en-gageante, qui encourage les praticiens managers à apprendre de leurs propres ex-périences. En d’autres termes, nous avons besoin d’encastrer l’artisanat et l’art de manager dans la formation au management [en: management education] et ainsi les ramener dans la pratique du management. »

Dans ces débats, la branche « critique » du champ « Management Education » [c]

– souvent intitulée Critical Management Education (CME) – questionne, au-delà de l’efficacité des vecteurs, la pertinence des méthodes dominantes et du savoir managérial dominant. Inspirée des Critical Management Studies (CMS) qui intègrent au management les questions de pouvoir et cherchent à dénaturaliser les tenus pour acquis tels que la fo-calisation exclusive sur la performance (e.g. Adler et al., 2007; Alvesson et al., 2011;

Fournier & Grey, 2000), la CME interroge des thématiques telles que les relations de pouvoir dans la formation au management (e.g. Sliwa et al., 2013) ou son potentiel éman-cipateur (Huault & Perret, 2011). Tout comme pour les CMS, il s’agit moins de politiser l’enseignement-recherche en management que de reconnaître la présence de valeurs do-minantes dans celui-ci et dans la formation à celui-ci, et donc la possibilité de les ques-tionner (Grey, 2004). Alors que, contrairement, par exemple, à la médecine, « puisque le management n’est jamais libre de ses buts [dans le sens d’une « fin », en: purpose], il n’est jamais libre de débats », il semble – d’autant plus suite à la crise de 2008 (e.g.

Colby et al., 2011) – irraisonnable d’avancer que le management approche d’un ensemble généralement applicable d’éléments à enseigner (Grey, 2004: 181). Le rapport entre CMS et CME est potentiellement complexe mais source de débats riches qui conduisent à s’interroger sur la forme de management qui devrait ou ne devrait pas être enseigné (e.g.

Grey, 2007; Zald, 2002). La CME est particulièrement intéressée par les questions de pédagogie, et notamment de ce qui rend une pédagogie « critique », i.e. non alignée sur les techniques dominantes d’enseignement d’un contenu dominant du management que représente la « lecture » (en) réalisée par un expert sachant-savant, ainsi que par la

ré-flexion sur les dilemmes d’imposition d’un point de vue simplement alternatif qui sont associés (e.g. Fenwick, 2005; Huault & Perret, 2011; Reynolds, 1999; Sliwa et al., 2013).

La difficulté principale est que les méthodes alternatives, critiques ou non, tendent à rendre illégitimes, aux yeux des participants à la formation, l’usage de contenus ou mé-thodes alternatives, car ces apprenants sont habitués à la « management science » et aux méthodes légitimes d’enseignement légitime, (e.g. Sinclair, 2007). Le sens ferait alors défaut dans la formation (Weick, 2007).

Par ailleurs, dans la lignée de la réflexion offerte dans le premier Carnegie Report, l’ouvrage et son histoire utilisés au précédent chapitre (i.e. Colby et al., 2011) représen-tent ce que certains ont qualifié de nouveau « Carnegie Report » (Statler & Guillet de Monthoux, 2015) – donc une volonté de réformer l’enseignement-recherche en gestion.

Après les premiers rapports de ce type qui demandaient une approche la plus « scienti-fique », « rationnelle », « quantitative » possible pour le développement du savoir et de l’apprentissage managériaux, ce nouveau rapport prend le contre-pied pour demander de nuancer le paradigme dominant – intitulé « LERCAT » et qui repose sur l’empirisme lo-gique, le choix rationnel et la théorie de l’agence, avec une épistémologie spécifique (Colby et al., 2011; Statler & Guillet de Monthoux, 2015) – suggéré par le premier rap-port mais dont nous avons aussi vu l’origine socio-historique.

Enfin, et il s’agit là d’un élément particulièrement important dans la thèse, le ma-nagement est une activité humaine où tout n’est pas quantifiable. Les intuitions et les émotions y ont leur place (Haag, 2011, 2013), de même que le charisme et des éléments aussi intangibles, flous mais valorisés, que le leadership (e.g. Alvesson & Spicer, 2011;

Meindl, Ehrlich, & Dukerich, 1985). Or, étant donné le caractère « mou » (en: soft) de ces éléments, la « raison pure académique managériale » simplement transmise de façon des-cendante par un enseignant-chercheur est-elle adéquate pour les développer ? Certains se demandent même s’il est possible de développer le leadership (e.g. Doh, 2003), d’autres s’il est possible de développer le charisme (e.g. Antonakis et al., 2011).

Et qu’en est-il de la réflexion en France, en particulier au niveau initial ? Certains notent que « [l]es tensions entre recherche et pratique discutées dans la littérature aca-démique paraissent parfaitement pertinentes dans la situation actuelle en France. […]

L’unicité et la richesse du système du Programme Grande École est [sic] en train d’être lentement perdu alors que le marché impose une conformité aux normes internationales.

Ceci est quelque peu ironique étant donné le besoin des institutions accréditées d’amener

la pratique dans la salle de formation à l’aide d’intervenants invités et de l’utilisation extensive d’études de cas. » (Harker et al., 2016: 565).

En somme, le champ « Management Education » [c] se demande ce qu’il faut en-seigner, comment et avec quelles postures. Alors, l’alternative que peut représenter l’art s’est progressivement imposée dans la Management Education, notamment comme mé-thode d’enseignement (e.g. Taylor & Ladkin, 2009). Les espoirs placés dans l’art sont énormes, peut-être excessifs (Meisiek & Barry, 2014). D’où proviennent ces espoirs ? Quelle logique fonde cette démarche a priori inadéquate dans un environnement dont la fonction de préparation de managers alignés sur l’orientation historique n’est pas démen-tie ? L’une des pistes réside dans l’antinomie théorique qui paraît exister, entre « art » et

« management », donc a fortiori, entre « art » et « Management Education ». Il convient de la développer, avant d’illustrer par l’empirie, soutenue par la littérature du champ Art

& Management, les nombreuses réalités qui traduisent cet espoir dans la pratique.

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