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Spécification de la lignée germinale

TABLE DES ILLUSTRATIONS

2.   Origine et mise en place de la lignée germinale

2.2   Spécification de la lignée germinale

 

Chez la plupart des organismes, invertébrés ou vertébrés non mammaliens, la différenciation germinale se fait dans la cellule œuf au niveau du plasme germinatif qui contient des ARNm, des protéines de liaison à l’ARN et des organites hérités de la mère. Les cellules qui héritent du plasme germinatif au cours des divisions cellulaires prennent un destin germinal. Les autres cellules prennent un destin somatique. C’est le cas chez le nématode où dès les premières divisions de l’œuf, les cellules « pré-germinales » sont déterminées (pour revue Ikenishi, 1998). Chez les mammifères, l’émergence des CGP est induite par un signal diffusible au sein d’un tissu et les cellules sensibles à ce signal prendront un destin germinal. C’est l’environnement somatique qui dicte l’émergence des CGP, comme l’ont montré Tam et Zhou par leurs expériences de transplantations d’épiblaste distal en position proximale (Tam and Zhou, 1996). Chez la souris, il a été montré que les CGP étaient induites dans l’épiblaste proximal postérieur embryonnaire sous l’action d’un signal spécifique de type Bone morphogenetic protein (BMP) sécrété par l’ectoderme extra-embryonnaire (pour revue De Felici, 2009; Saitou, 2009). Les mécanismes d’induction des premières CGP, leur

spécification et les marqueurs cellulaires associés à ce destin germinal au cours de l’induction et la migration des CGP vont être détaillés.

2.2.1  Induction  des  CGP  

 

Le rôle critique des BMP dans le signal d’induction des CGP depuis l’épiblaste a été mis en évidence par des études d’invalidation génique chez la souris. BMP4 et 8b sont secrétées par l’ectoderme extra-embryonnaire et les souris invalidées pour ces gènes présentent une absence totale de CGP (Lawson et al., 1999; Ying et al., 2000). BMP2 est secrétée par l’endoderme viscéral dès 5,5 jpc. Cette cytokine présente une structure similaire à celle de BMP4 avec qui elle agirait en synergie (Ying and Zhao, 2001) (Figure 3). De plus, les souris hétérozygotes pour chaque membre de la famille des BMP, présentent un nombre réduit de CGP (Ying and Zhao, 2001) ainsi que celles hétérozygotes pour le récepteur de type 1 aux BMP, l’Activin A receptor, type I (ACVR1 ou ALK2) (de Sousa Lopes et al., 2004). Ce même phénotype est retrouvé chez les souris hétérozygotes pour les transducteurs intracellulaires du signal BMP, SMAD1 (Mothers against decapentaplegic homolog family member 1) (Tremblay et al., 2001) et SMAD5 (Chang and Matzuk, 2001) (figure 3).

Des cultures in vitro d’épiblaste ont permis d’établir un scénario de signalisation de spécification des CGP. Ainsi BMP4 est suffisant pour induire des CGP-like qui pourront ensuite être différenciées en gamètes compétents pour l’obtention de portées en bonne santé (Ohinata et al., 2009). Plus récemment, cette stratégie a été utilisée pour induire des CGP à partir de cellules souches embryonnaires (ESC) (Hayashi et al., 2011). Les cellules sensibles au signal BMP expriment le gène B-lymphocyte-induced maturation protein 1 (Blimp1), un régulateur de la transcription contenant un domaine PR (PDRI-BF1 and RIZ) également appelé Prdm1. L’expression des gènes Prdm14, Fragilis, Stella, Transcription factor AP-2 gamma (Tfap2c/AP2γ) et Lin-28 Homolog (Lin-28) a été décrite dans les CGP. Tous ces gènes ont une fonction au cours de la spécification des CGP et peuvent être utilisés pour marquer et tracer ces cellules. Cependant, une récente étude a montré que les gènes Blimp1 (répression du programme somatique), Prdm14 (ré-acquisition du potentiel de pluripotence) et Tfap2c (suppression de la différenciation du mésoderme) sont suffisants seuls pour activer le programme clef nécessaire à la formation de CGP (Nakaki et al., 2013). L’expression de ces trois facteurs de transcription peut suffire pour activer in vitro des CGP à partir de cellules

induites artificiellement en cellules de type épiblastique (« epiblast-like ») capables de donner ensuite des gamètes compétents et une nouvelle génération de souris.

Chez l’Homme, on note un manque de données retraçant les premiers stades de l’origine de la lignée germinale. Aucune information n’est disponible concernant le processus d’induction des CGP, le contrôle de leur spécification et leur détermination. Le signal diffusible BMP provenant de l’ectoderme extra-embryonnaire et agissant sur l’épiblaste proximal postérieur est cependant largement conservé. Il est notamment décrit chez d’autres mammifères comme le lapin (Hopf et al., 2011). On peut penser qu’il est également conservé chez l’Homme malgré un mode de formation des tissus extra-embryonnaires lègerement différent de celui observé chez la souris (Figure 3). L’expression de LIN-28 (Gillis et al., 2011; Childs et al., 2012), BLIMP1 (Eckert et al., 2008) et TFAP2C (Pauls et al., 2005) a été rapportée dans des embryons humains de 6 à 10 sg. L’équipe d’Anderson retrouve l’expression de BMP2, BMP4, SMAD1 et SMAD5 à tous les stades analysés dans des ovaires fœtaux de 8 à 20 sg (Childs et al., 2010). Même si ces études analysent des embryons après la période de spécification des CGP, elles apportent la preuve de l’expression de ces gènes dans la gonade fœtale humaine. Pour mieux comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans la formation des CGP humaines, les systèmes de culture in vitro de cellules souches embryonnaires humaines (hESC) ou de cellules souches pluripotentes induites (iPS) ont été développés. Ainsi il a été mis en évidence que les BMP étaient capables d’induire la formation de CGP in vitro et que l’ajout de facteurs comme le Fibroblast growth factor 2 (FGF2) permettaient d’améliorer considérablement le nombre de CGP produites in vitro (Kee et al., 2006; West et al., 2008; Hiller et al., 2011). En revanche, aucune de ces études ne rapporte l’obtention de gamètes humains compétents.

FIGURE 3 :Principaux tissus et BMP impliqués dans l’induction des CGP chez la souris en comparaison avec le schéma hypothétique d’induction des CGP chez l’Homme.

Chez la souris, à 6.25 jpc, moins de 10 précurseurs des CGP (pCGP), émergent au niveau de l’épiblaste postérieur proximal (ppE) près de la région de formation de la ligne primitive. BMP4 et BMP8b sécrétés par l’ectoderme extra-embryonnaire (ExE) et BMP2 produit par l’endoderme viscéral (VE) induisent la formation des CGP. Le signal BMP étant diffusible et l’induction des précurseurs des CGP localisé au ppE, on suppose que l’endoderme viscéral antérieur (AVE) sécrète un signal diffusible répresseur. dE pour ectoderme distal et pE pour ectoderme proximal.

L’expression de Blimp1 suivie de Prdm14 et de la sur-régulation de Fragilis marque l’émergence des précurseurs des CGP. Les cellules expriment ensuite Stella et Tfap2c et à 7.25 jpc, les précurseurs des CGP sont spécifiés en CGP dans le mésoderme extra-embryonnaire, à la base de l’allantoïde. Un cluster d’environ 40 CGP exprimant fortement Tnap et Stella se forme.

Chez l’Homme les premières CGP ont été décrites à partir de 21 jpc au niveau de l’allantoïde. A 14 jpc, l’embryon humain est discoïde et bilaminaire : l’épiblaste et l’hypoblaste ou endoderme primitif. La cavité amniotique se forme, bordée par les cellules de l’amnios qui dérivent de l’épiblaste. A l’autre pôle, les cellules de l’hypoblaste migrent le long de la membrane de Heuser pour former la vésicule vitelline. Au début de la troisième semaine de gestation, la ligne primitive apparaît et la gastrulation débute. Chez l’Homme, on ne retrouve pas de structure correspondant à l’ExE murin et le l’apparition du mésoderme extra-embryonnaire semble plus précoce (De Felici, 2013).  

 

2.2.2  Profil  d’expression  génique  associé  aux  CGP  

2.2.2.1  Gènes  de  pluripotence    

Chez la souris, on observe un maintien de l’expression de l’ensemble du réseau de gènes de pluripotence dans les CGP tels que Specific embryonic antigen 1 (Ssea1) et 4 (Ssea4), le proto-oncogène Stem cell factor receptor (Scfr/Kit) et plus particulièrement Octamer-binding transcription factor 4 (Oct4), Sex-determining région Y-box 2 (Sox2) et Nanog homeobox (Nanog) (Scholer et al., 1990; Pesce et al., 1998; Kehler et al., 2004; Yamaguchi et al., 2005; Chambers et al., 2007). A partir de 6,75 jpc, les CGP perdent l’expression du facteur

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somatique Homeobox B1 (HoxB1) au profit de l’expression de Blimp1. Au cours de cette transition, les gènes de différenciation somatique sont réprimés sous l’action de Blimp1 (Ohinata et al., 2005; Kurimoto et al., 2008b; Kurimoto et al., 2008a). Rapidement après l’expression de Blimp1, l’expression de Prdm14 est nécessaire à l’acquisition d’un potentiel de pluripotence en potentialisant l’expression de gènes tels que Sox2, Dppa3/Stella, Dppa4 et Tdgf1 (Yamaji et al., 2008). Enfin, Tfap2c, cible potentielle de Blimp1, est exprimé à partir de 7,25 jpc. Tfap2c agirait en aval de Blimp1 pour réprimer le programme somatique (Weber et al., 2010). L’expression de ces gènes est progressivement restreinte aux CGP et devient spécifique de la lignée germinale à partir de 8,0 jpc (Yabuta et al., 2006).

Chez l’Homme, les CGP expriment les facteurs de pluripotence clés tels que OCT4 et NANOG (Rajpert-De Meyts et al., 2004). Il est décrit également l’expression du récepteur à tyrosine-kinase KIT (Hoyer et al., 2005), ainsi que l’expression de SSEA1 et SSEA4 (Gaskell et al., 2004; Kerr et al., 2008b; Mollgard et al., 2010). En revanche, le marqueur SOX2, largement décrit chez la souris comme acteur de la triade de pluripotence avec Oct4 et Nanog, n’a pas été retrouvé chez l’Homme (Perrett et al., 2008). Dans cette étude, les prélèvements les plus jeunes ont été estimés à 48 jpc. Si l’on estime que les CGP avant ce stade n’expriment pas SOX2, cela montre une importante différence dans le profil d’expression des gènes de spécification entre l’Homme et la souris.

 

2.2.2.2  Gènes  associés  à  la  survie  des  CGP    

Les protéines NANOS (Nanos homolog) sont des protéines de liaison aux ARN dont le rôle de régulation du développement de la lignée germinale est conservé au cours de l’évolution (Tsuda et al., 2003). Chez la souris, les CGP expriment Nanos3 à partir de 7,5 jpc. Nanos3 semble requis à partir de 9,5 jpc pour la survie des CGP au cours de la migration. On retrouve peu de CGP à 12,5 jpc chez les souris invalidées pour Nanos3 et la double invalidation Nanos3-/- ; Bax-/- permet de restaurer en partie la fertilité des souris. L’invalidation de Nanos3 entraîne la mort des CGP au cours de la migration par des voies d’apoptose dépendantes et indépendantes de la voie BAX. En revanche, l’absence d’un signal Nanos 3 n’empêche pas les CGP de migrer jusqu’aux gonades (Suzuki et al., 2008).

Une mutation spontanée appelée «Ter» dans la séquence du gène Dead end homolog 1 (Dnd1) a été identifiée et induit la formation de tératomes testiculaires (Cook et al., 2009). DND1 est

une protéine de liaison aux ARN jouant un rôle dans la survie des CGP (Weidinger et al., 2003; Horvay et al., 2006). Dans les souris Dnd1ter/ter une diminution du nombre de CGP est observable dès 8,0 jpc et un très faible nombre de CGP arrivent jusqu'aux gonades à 13,5 jpc (Youngren et al., 2005; Cook et al., 2009). Des études sur la fonction moléculaire de DND1 mettent en évidence que DND1 empêche la fixation de micro-ARN (miARN) et donc, par conséquent, autorise la traduction de certains ARNm (Kedde et al., 2007). De plus, il a été montré que DND1 est capable de se fixer sur les ARNm de gènes de pluripotence (Oct4, Sox2, Nanog, Lin-28), de cycle cellulaire (Tp53, Lats2) et d’apoptose (Bclx, Bax) (Zhu et al., 2011). En absence de Dnd1 ces gènes pourraient être la cible de mi-ARN, induisant alors leur dégradation, ce qui modifierait le destin des CGP, pouvant alors expliquer le phénotype des souris Ter.