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Les perturbations non génétiques du développement ovarien

TABLE DES ILLUSTRATIONS

4.   Les perturbations non génétiques du développement ovarien

 

La mise en place de la lignée germinale au cours du développement embryonnaire est une des étapes cruciales conditionnant la fertilité à l’âge adulte. Cette période clé nécessite la mise en œuvre de nombreuses voies de signalisation dont celles connues ou suspectées ont été exposées précédemment. Elle est donc la cible possible de nombreuses perturbations par des xénobiotiques.

Ce chapitre a pour but de dresser l’état des lieux des perturbateurs connus du développement gonadique chez l’Homme et antérieurs à nos travaux. Nous aborderons plus précisément le cas particulier des glucocorticoïdes, sujet d’une partie de ces travaux de thèse, dans l’introduction de la partie « Résultats 3 ».

Le concept de toxicologie environnementale a émergé au cours des 20 dernières années. L’Homme est continuellement exposé à des milliers de substances chimiques d’usage industriel (détergents, éthers de glycol, plastifiants,…), agricole (insecticides, herbicides, fongicides), ou se retrouvant dans des produits de consommation (colorants, cosmétiques, emballages, contenants alimentaires, médicaments…). Les données toxicologiques ne sont connues que pour moins de 5% d’entre-elles et sont réalisées sur des modèles animaux pouvant présenter de nombreuses différences développementales par rapport à l’Homme. Parmi les xénobiotiques, certains sont capables d’interférer avec nos systèmes de régulations endocrines et ont été désignés sous le terme de « perturbateurs endocriniens » (PE)  (Kavlock et al., 1996). Plus de 1000 molécules dans notre environnement sont susceptibles d’être des PE, et les recherches toxicologiques se sont particulièrement intéressées à cette catégorie de xénobiotiques. On y trouve des produits chimiques synthétiques : produits industriels (polychlorobiphényles (PCB), alkylphenols), plastifiants (phtalates, bisphénol A (BPA)), produits agricoles (insecticides, fongicides, herbicides). Mais aussi des produits de combustion (dioxine, furane, cadmium) et des substances issues de l’industrie pharmaceutique (hormones de synthèse, médicaments). Enfin, certains PE d’origine naturelle comme les phyto-œstrogènes (soja), les isoflavonoïdes (luzerne) et les lignanes (lin) sont trouvés dans certains végétaux. De nombreux polluants environnementaux incriminés ont une activité œstrogénique (xéno-estrogènes) ou antiandrogénique et peuvent interférer avec notre système hormonal.

Dès les années 60, quelques scientifiques comme Rachel Carson accusent les polluants environnementaux d’être responsables de troubles de la Reproduction observés chez des animaux   (Carson, 1962) comme par exemple la féminisation de poissons des grands lacs américains contaminés par des PCB. Ces donnés issues de l’étude de la faune sauvage, parallèlement à quelques données épidémiologiques chez l’Homme rapportant par exemple une diminution significative du sexe ratio (avantage féminin) dans les population des grands lacs américains pollués ont permis d’alerter les scientifiques. Chez l’homme, plusieurs études épidémiologiques relatent une baisse de la fonction de reproduction masculine au cours des dernières décennies (pour revue Damstra et al., 2002). L’analyse des critères spermatiques d’une population d’hommes ayant fait don de leur sperme (hommes que l’on peut déclarer fertiles de par l’obligation d’être père pour être donneur de sperme en France jusque 2013) a montré qu’en moyenne, les critères spermatiques avaient chuté en métropole de 1,9% par an au cours des deux dernières décennies  (Rolland et al., 2013). Parallèlement, l’incidence des cancers testiculaires a augmenté de façon régulière au cours des dernières années dans tous les pays industrialisés (2,5 % d’augmentation par an, données InVS). Sa prévalence est en moyenne de 10/10000 chez les hommes entre 20 et 30 ans, et varie en fonction des régions, avec une augmentation en Bretagne et en Alsace-Lorraine (données InvS). Enfin, l’incidence des cas d’hypospadias et de cryptorchidie a également fortement augmenté, passant respectivement de 0,2 à 0,35% et de 2 à 3,5% en Europe entre 1970 et 1991 (Pierik et al., 2002; Aho et al., 2003). Le postulat d’une origine commune à ces quatre affections (diminution du nombre de spermatozoïdes produits, cancer testiculaire, hypospadias et cryptorchidie) a été avancé. Il a été remarqué que ces évènements étaient souvent liés. Un antécédent de cryptorchidie dans l’enfance prédisposait plus à la survenue d’un cancer testiculaire à l’âge adulte ou l’hypospadias à une oligospermie par exemple. Ces affections ont été regroupées dans un même syndrome appelé Syndrome de Dysgénésie Testiculaire (TDS) dont l’origine serait une perturbation du développement des organes reproducteurs pendant la vie fœtale (Skakkebaek et al., 2001). L’hypothèse d’une causalité environnementale au TDS a été avancée.

Chez la femme, il n’a pas été décrit de syndrome regroupant plusieurs affections induites par une perturbation de l’appareil reproducteur au cours de la période fœtale. Cependant, le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme avec 48800 nouveaux cas par an en France (soit environ 100/100 000, données InVS) et reste la première cause de décès par cancer chez la femme (11886 décès par an, données InVS). Des pathologies comme

l’insuffisance ovarienne prématurée (IOP) ou le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) n’ont, la plupart du temps, aucune étiologie retrouvée. Pourtant ces pathologies sont souvent responsables d’infertilité. Les récentes données épidémiologiques chez l’homme et le nombre croissant de couples consultant pour une prise en charge en AMP, laissent suspecter un potentiel effet délétère des PE chez la femme également. Dans le cas du SOPK, par exemple, le BPA a été suspecté comme agent perturbateur du système hormonal engendrant une hypersécrétion de LH, une oligo- ou aménorrhée, un excès folliculaire et éventuellement un hirsutisme et/ou une surcharge pondérale dans sa forme classique. Les taux sériques de BPA chez des patientes présentant un SOPK (critères du NIH consensus) ont été retrouvés significativement plus élevés que ceux de patientes contrôles (Kandaraki et al., 2011). Il a été montré chez le rat qu’une exposition pendant la vie fœtale au BPA induisait un phémotype de type SOPK à l’âge adulte (Jimenez-Diaz et al., 2010). Ces résultats suggèrent que chez la femme, l’exposition fœtale aux PE pourrait entraîner ce type de syndrome et une infertilité à l’âge adulte.

Les études expérimentales chez le rongeur et les observations cliniques suggèrent q’une exposition fœtale à un xénobiotique pourrait perturber les grandes étapes du développement. Les mécanismes d’action, les doses en jeu et la potentialisation des effets en présence de plusieurs substances doivent être étudiés. L’étude de la toxicologie sur le développement gonadique humain est assez récente et peu de données sont disponibles. Les données épidémiologiques pâtissent souvent des facteurs confondants liés à l’hygiène de vie des patients exposés (tabagisme, nutrition,…), à l’imprécision concernant les doses et les durées d’exposition, aux variabilités génétiques et aux imprécisions des dossiers médicaux. Elles sont essentielles pour alerter et renforcer la nécessité d’études toxicologiques mais n’apportent pas la preuve d’une causalité. Nous exposerons uniquement, dans ce chapitre d’introduction, les rares études apportant la preuve d’importantes perturbations du développement gonadique chez l’Homme lors d’une exposition fœtale à un xénobiotique. Le premier, le 4-octylphénol, sert d’intermédiare dans la fabrication de résines phénoliques ou d’agent émulsifiant dans la fabrication de polymères, textiles, peintures et pesticides. L’Union Européenne en produit 23000 t/an. Ce xénobiotique présente une capacité de liaison aux ERs (White et al., 1994), et diminue la prolifération mitotique et donc le nombre de cellules germinales dans un modèle de culture organotypique de testicules fœtaux humains âgés de 6 à 9 sg (Bendsen et al., 2001). Malgré les enjeux financiers représentés par la substitution de ce produit dans les procédés industriels, le 4-octylphénol a été inscrit sur la liste OSPAR des

produits chimiques devant faire l’objet de mesures prioritaires et les rejets ou pertes d’octylphénol doivent cesser d’ici l’année 2020.

Le diéthylstilbestrol (DES), ou distilbène ®, est un œstrogène de synthèse qui a été administré des années 40 aux années 80 (de 1948 à 1977 exactement en France) à environ 10 millions de femmes enceintes pour prévenir les avortements spontanés, les hémorragies gravidiques, la toxémie gravidique ou même le diabète gestationnel (Giusti et al., 1995). Ce n’est qu’en 1971 que des cas répétés de cancer du vagin chez de jeunes filles exposées in utero alertent mais il faudra attendre encore plusieurs années avant que sa prescription ne soit interdite chez la femme enceinte. D’autres complications uro-génitales (malformations utérines, anomalies urétrales, hypospadias, cryptorchidie, cancers génitaux) ont été décrites chez les femmes et hommes exposés au DES pendant la vie fœtale (Gill et al., 1979; Klip et al., 2002; Palmer et al., 2005; Palmer et al., 2009). Il a été rapporté un effet possible transgénérationnel du DES engendrant une augmentation des risques carcinogènes (Walker and Kurth, 1995) et des cas d’hypospadias chez les fils des mères exposées in utero (Klip et al., 2002; Brouwers et al., 2006) et jusque dans la 3ème génération de familles exposées (Kalfa et al., 2011).

Enfin, l’analyse de testicules et ovaires fœtaux humains de mères fumeuses ou non ou exposés in vitro à des composants de fumée de cigarette a montré une diminution significative du nombre de CG dans les gonades exposés à la fumée de cigarette maternelle (Mamsen et al., 2010 ; Anderson et al., 2014). Les effets du tabac sur l’appareil respiratoire sont largement débattus et à l’origine d’évolutions sociétales ces dernières années. Ces deux études renforcent l’intérêt des débats publics autour du tabagisme actif et passif en apportant de nouveaux arguments sur de possibles atteintes extra-pulmonaires.

Les études de reprotoxicité des substances chimiques sont réalisées chez le rongeur. Pourtant, comme nous l’avons montré dans les chapitres précédents, les mécanismes de mise en place de la lignée germinale semblent différer entre l’Homme et les modèles rongeurs. L’utilisation de plus en plus courante de produits chimiques variés, ayant un caractère de perturbateurs endocriniens ou non et qui se retrouvent en concentration croissante dans l’environnement, semble être une cause importante de l’apparition de troubles de la fonction de reproduction. Compte tenu de la multiplicité des composés chimiques pouvant ainsi se retrouver répandus dans l’environnement, ce phénomène représente désormais un réel enjeu de santé publique et

grossesse sont mals connus et le « résumé des caractéristiques du produit » des médicaments commercialisés en France précaunise pour la majorité de ne pas l’utiliser au cours de la grossesse, par mesure de précautions et manque de données. Malgré l’expérience dramatique du DES chez l’Homme, certains médicaments sont administrés au cours de la grossesse dans le cadre de risques pathologiques graves pour la mère ou le fœtus sans autre alternative possible mais parfois à titre préventif. C’est le cas de la dexaméthasone, glucocorticoïde administré à la femme enceinte dans le cadre d’un bloc enzymatique pour prévenir d’un risque de virilisation du fœtus feminin. Nous avons testé les effets de ce médicament et les résultats obtenus sont présentés dans la partie « Résultats 3 ».

                 

Principales  méthodologies  

Ce chapitre présente les principales méthodes utilisées dans les travaux de cette thèse. Il ne fait pas l’objet d’un chapitre « Materiel et méthodes » exhaustif, mais a pour but de faciliter la compréhension du lecteur sur le choix des techniques moins usuelles adaptées à l’étude des gonades humaines. Les études menées en parallèle sur les gonades fœtales murines, nous ont permis de confirmer nos choix expérimentaux menés chez l’Homme. La méthodologie concernant les techniques classiques de prélèvement des gonades murines (Guerquin et al., 2010) et isolement des CG chez la souris (Yoshimizu et al., 1999) est disponible dans les différents articles de ce manuscrit.

 

1  Prélèvements  de  gonades  fœtales  humaines