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1. Le fond pédogéochimique

a) Le but des mesures

L’étude des sols permet d’éviter à la fois un contresens et une impasse.

Le contresens consiste à confondre concentration et contamination (apport par une activité humaine), voire même pollution (apport constituant un danger). La détermination d’un fonds pédogéochimique -équivalent à celle d’un bruit de fond dans une analyse de bruit- permet d’évaluer les concentrations naturelles en éléments traces en l’absence de toute contamination d’origine anthropique, liée à l’épandage de boue ou à une activité industrielle.

L’impasse aurait consisté à fixer une valeur unique de « normalité ».

Au-delà d’un certain seuil de contaminant, un sol aurait été considéré comme pollué. Certains pays d’Europe (Pays-Bas par exemple) ont choisi ce type de classification, qu’il est évidemment tentant d’appliquer et de transposer en

France pour la raison simple qu’il n’y a, a priori, aucune raison pour considérer qu’un sol serait pollué ici et serait considéré comme non pollué là.

Cette idée séduisante doit être discutée. Le fond pédogéochimique naturel est lié à la concentration en métaux originels du sous-sol sur lequel se développe le sol. Les processus de formation du sol (pédogénèse) tendent à accumuler ou à appauvrir dans le sol les concentrations initiales de la roche en fonction des propriétés physico-chimiques des métaux. Ainsi, le fond pédo-géochimique d’un sol naturel non contaminé peut varier d’environ un à trois pour un même métal à l’échelle du territoire français compte tenu de la grande diversité géologique de notre pays.

Comme l’explique l’une des personnes auditionnées : « On n’aurait pas idée de fixer la même valeur de sang pour les porcs, les poules et les chevaux. Vouloir fixer une seule valeur seuil « normale », pour tous les types de sols, aux propriétés physiques et chimiques différentes est à la fois impossible et déraisonnable ». D’une part, les experts mettent en avant les difficultés de mesure liées au respect d’un protocole rigoureux précisant les conditions de prélèvement (les analyses sont trop souvent limitées aux 10 ou 20 premiers centimètres négligeant les horizons profonds...). Ils évoquent les résultats contestables de mesures approximatives conduites par des personnes qui n’ont pas de connaissance particulière de ce qu’est véritablement un sol.

D’autre part, cette notion de valeur seuil peut servir de signal d’alerte, mais en aucun cas de valeur sanction, pouvant pénaliser des régions entières du fait de leurs concentrations naturelles. On peut cependant imaginer des normes sectorielles qui tiennent compte de la nature des sols ET de leur usage. Mais cela peut varier aussi selon les productions.

b) Les résultats des mesures

Ces travaux d’analyse des sols ont été conduits il y a quelques années.

Que nous apprennent-ils ? Le constat général est que les teneurs en métaux lourds dépendent bien davantage de la nature de la roche, l’acidité du sol, la dynamique hydraulique, l’abondance de matières organiques que de l’activité humaine. Sur large échelle, les sols sont insensibles à l’activité humaine. Il n’y a guère de différences entre sols agricoles cultivés et sols forestiers non cultivés, à l’exception du cadmium, plus présent dans les sols cultivés. Les sols sont cependant très hétérogènes. Certaines régions présentent des anomalies naturelles marquées. C’est le cas de la bordure nord-nord est du Morvan (Yonne, Côte-d’Or), de la Bourgogne, incontestablement chargées en cadmium. Le plomb est aussi présent dans le Poitou. Le sol de la Guyane est très chargé en mercure.

Les teneurs des sols agricoles français en éléments traces métalliques se présentent comme ci-après :

Teneurs des sols en ETM en mg/kg de terre sèche

Cd Pb Cr Cu Ni Zu

Mediane* 0,16 34,1 66,3 12,8 31 80

Moyenne* 0,42 64,8 75 14,9 41,3 149

Maximum (hors anomalies)

6,29 3.000 691 107 478 3.820

Anomalies naturelles

16 3.000 3.180 100 2.000 3.800

Seuil d’épandage des boues

2 100 150 100 50 300

Source : Courrier de l’environnement de l’INRA - février 2000

* La médiane est souvent considérée comme plus représentative que la moyenne, influencée par quelques valeurs extrêmes

Le plomb et le cadmium dans les sols présentent deux particularités.

D’une part, contrairement aux autres métaux, leur présence n’est pas liée à la teneur du sol en fer. D’autre part, ils sont surtout abondants dans les horizons de surface (0 à 20 cm de profondeur) en raison de leur affinité avec les matières organiques.

2. Les sources anthropiques

Dans certaines zones ou dans certaines parcelles, la présence marquée de métaux lourds est directement liée à l’activité humaine. Il existe toute une gamme d’apports en métaux lourds.

a) Les apports semi intentionnels

On parle d’apports semi intentionnels lorsque les propriétés toxiques des métaux lourds ont été utilisées pour agir sur la végétation, pour la protéger des insectes, pour désherber... C’est le cas des vignobles contaminés par le cuivre. Ces traitements dits «à la bouillie bordelaise » ont été réalisés pour lutter contre le mildiou depuis parfois un siècle. La dose d’apport annuel

variait entre 3 et 20 kg de cuivre par hectare, les sols de vigne peuvent atteindre aujourd’hui 600 mg/kg (alors que le seuil d’épandage des boues impose une limite de 100 mg) ce qui limite l’activité microbienne et peut même rendre impossible la plantation de jeunes vignes ou une culture céréalière après arrachage. Les vignobles plus ou moins touchés représentent un million d’hectares.

Autre exemple, de nombreux pesticides ont contribué à la contamination des sols par des éléments de traces métalliques. Les traitements concernent principalement les vergers et les vignobles, par des composés à base de plomb et d’arsenic (l’arséniate de plomb), de 1 à 5 kg par hectare.

Les métaux lourds les plus toxiques comme des dérivés mercuriels ont également été utilisés comme fongicides. Des sels de mercure ont été utilisés comme fongicides sur les terrains de golf ou dans les rizières. Dans le Nord-Pas-de-Calais, on utilisait très souvent les ferrocyanures issus des installations de cokeries pour désherber les sites. Les sels de mercure ne sont plus autorisés en France.

b) Les apports directs non intentionnels

L’élément trace métallique n’est pas recherché pour ses propriétés, mais est une impureté d’un amendement organique. L’apport direct est volontaire mais comporte des éléments contaminants. Cette situation correspond aux sols ayant reçu de grandes quantités de boues* avant qu’elles ne soient réglementées (le sol est alors chargé en plomb, cadmium et mercure), ou de grandes quantités de lisiers (le sol est alors chargé de cuivre et de zinc, ajoutés aux rations des animaux). Les apports en compost d’ordures ménagères peuvent avoir les mêmes effets, en diminuant l’activité microbienne. Certains engrais phosphatés contiennent également des teneurs notables en cadmium qui peut s’accumuler dans les sols au fur et à mesure des amendements.

c) Les apports de proximité

Dans ce cas, il n’y a pas d’apport direct sur le sol, volontaire ou involontaire, mais le sol contaminé est voisin d’une source de contamination, et reçoit des particules de métaux lourds. Les zones les plus connues sont les parcelles situées à proximité d’usines métallurgiques ou d’exploitations industrielles polluantes. Les contaminants habituels sont le plomb, le cadmium et le zinc...

* Les boues font l’objet d’une partie du rapport -voir supra.

Par extension, ce phénomène concerne aussi les zones urbanisées, ainsi que les grands axes routiers. la contamination des sols venant alors soit des gaz d’échappement, soit de l’usure des pneus. Jusqu’à l’interdiction du plomb dans l’essence, les gaz d’échappement contenaient du plomb dont 40 % étaient dispersés dans l’atmosphère et 60 % se déposaient sur la chaussée ou sur les bordures, sur des distances plus ou moins longues (voir supra). Les sols en bordure des axes routiers sont également chargés en cadmium et en zinc, liés à l’usure des pneus, (le zinc entre dans la composition des pneus où le cadmium l’accompagne comme impureté).

d) Les retombées atmosphériques diffuses

Les métaux lourds se dispersent également dans les hautes couches de l’atmosphère et retombent ailleurs, après un transport sur de très longues distances. On estime qu’une particule de mercure dans l’atmosphère reste un an dans celui-ci, avant de retomber. L’activité métallurgique de la Rome antique peut être suivie par les mesures de plomb dans la glace des pôles.

La contribution de l’homme à la mise en circulation des éléments traces métalliques et leur dissémination dans l’environnement sont très variables et dépend des métaux et des voies de rejets. La répartition entre les différentes sources s’établit comme suit :

Contribution de différentes sources à l’enrichissement moyen annuel de terres émergées en éléments traces métalliques

Eléments Cuivre Zinc Cadmium Plomb

Total (milliers de tonnes) 216 760 20 382

Déchets agricoles 55 % 61 % 20 % 12 %

Déchets urbains 28 % 20 % 38 % 19 %

Engrais 1 % 1 % 2 % 1 %

Retombées atmosphériques 16 % 18 % 40 % 68 %

Source : Etude de transfert des ETM vers le sol et les plantes - Virginie Maisonneuve / Mireille Vignoles - INRA - mai 2000