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C. ANALYSE DES TRANSFERTS

1. Les métaux lourds, le sol et l’eau

a) Présentation générale

L’attention portée aux pollutions des sols est récente. Pendant longtemps, les sols ont été appréciés pour leurs qualités « auto épuratrices » : ils jouent un rôle de filtre et d « épurateur » pour les substances polluantes en transit. Il n’y avait, en vérité, pas d’analyse sérieuse de ce phénomène, mais on considérait que la terre absorbait et « digérait » tout.

Cette croyance naïve est aujourd’hui révolue :

- « soit la charge critique est dépassée et le sol ne joue plus son rôle tampon, de sorte que les polluants pénètrent jusqu’à la nappe phréatique et les fleuves,

- soit les polluants s’accumulent dans le sol jusqu’au point où un changement dans les conditions physiques et/ou chimiques, et/ou biologiques, entraînera un transfert des polluants... » (1)

- soit enfin, parce que l’analyse a bien montré des cas de pollution avérée. Certes, les contaminations des nappes souterraines par les trois métaux lourds évoqués sont dans l’ensemble rares. Le mercure, volatile, se disperse pour l’essentiel dans l’atmosphère ; le plomb reste en surface ou dans les horizons supérieurs. Seul le cadmium peut faire exception, mais les quantités sont réduites. La contamination du Lot vient d’ailleurs plus du lessivage des sols pollués des anciens sites industriels, que de la lixiviation et de la contamination des nappes. A certains endroits, la nappe phréatique a cependant été touchée entraînant une contamination de l’eau potable.

Il existe cependant des cas de pollution manifeste : les pollutions aux nitrates, et, pour rester dans le domaine des métaux, ou plutôt, en l’espèce des métalloïdes, les pollutions au sélénium et à l’arsenic (voir ci-après).

Le processus de transfert (2)

(1) Jacques VARET, BRGM - Communication au colloque « Santé-Environnement, les risques cachés - 29 septembre 1999.

(2) Voir notamment « contamination des sols par les éléments en traces » - Académie des Sciences n° 42 - août 1998.

Les précipitations (pluie, neige) et l’irrigation sont les principales sources d’eau des sols. Une partie est évacuée par évaporation ou ruissellement de surface. Une partie pénètre dans le sol et se dirige alors soit vers les racines des plantes, soit, par gravité, vers les horizons profonds et les nappes phréatiques. Au cours de ces transports, l’eau se charge en éléments en traces dissous. Ce transfert d’éléments en traces d’un point à un autre du sol (en l’espèce des horizons de surface aux horizons profonds) a lieu soit par advection lorsque les éléments se déplacent à la même vitesse et selon les mêmes trajectoires que la masse d’eau, soit par diffusion lorsque le déplacement est retardé, le circuit est complexe.

L’importance de ces transferts est très variable selon la nature des sols et les métaux (perméabilité, acidité...)

• • Le dilemme entre contamination de court terme et de long terme La question de la contamination dans les sols de cultures se heurte à un dilemme. Ou bien les métaux lourds sont mobiles, ne s’accumulent pas dans les sols, et vont être transférés vers les nappes phréatiques et les plantes, contaminant ainsi la population.

Ou bien les métaux ne sont pas mobiles, n’entraînent aucun risque immédiat pour la population, mais conduisent à une contamination durable, voire irréversible des sols. Il s’agit donc d’un choix entre le court et le long terme : ou bien les métaux lourds sont des sources de contamination immédiate, ou bien le problème est rejeté sur les générations futures.

Face à ce dilemme, le mieux est de ne pas en mettre du tout ou d’en mettre le moins possible.

L’archivage des échantillons de l’environnement : le projet ORQUE Par M. Michel Astruc

Professeur de chimie analytique à l’Université de Pau, expert, membre du comité de pilotage

Pour pouvoir évaluer avec certitude l’impact des activités humaines – quelles qu’elles soient- sur l’environnement il est indispensable de pouvoir effectuer des mesures non seulement sur l’état du moment de l’environnement mais aussi sur son état originel avant l’intervention humaine , ce n’est que par cette comparaison que l’on peut tirer des conclusions claires et incontestables.

La procédure la plus couramment employée consiste à rechercher des « archives » naturelles, c’est à dire des lieux privilégiés ou se sont entassés successivement les témoignages instantanés sur l’état de l’environnement. Les meilleurs exemples sont

l’empilement des couches de sédiment dans un lac suffisamment profond pour que l’on puisse penser que ce matériau n’a pas été remanié au fil des années ou des millénaires ou encore l’empilement des couches de glace en Antarctique.

Le prélèvement en profondeur d’une « carotte » et son analyse par couches successives permet de retracer un historique, parfois sur des temps très longs (c’est par exemple ainsi que l’on met en évidence l’augmentation de la teneur en dioxyde de carbone de l’atmosphère ou les manifestations de la pollution globale par le plomb des essences de voitures).

Il est malheureusement rare de trouver de telles archives naturelles dans des sites soumis aux intenses phénomènes de pollution du monde moderne et il devient alors difficile de situer l’importance réelle de l’impact d’une activité humaine sur un environnement local déterminé.

La seule solution est donc de constituer des « Banques d’échantillons de l’environnement

», prélevés de façon très soignée en des sites soigneusement sélectionnés pour leur représentativité, d’en analyser une partie au mieux des techniques analytiques actuelles et de stocker le reste dans des conditions de conservation extrêmement rigoureuses (actuellement :congelés dans l’azote liquide).

Par la suite il sera possible d’utiliser ces échantillons « historiques » :

- comme base de référence pour des comparaisons d’évolution temporelle de la teneur en certains polluants dans cet environnement ( impact d’une nouvelle implantation industrielle par exemple : avant de s’installer une nouvelle entreprise pourra faire un

« état des lieux »qui pourra lui servir de base de défense contre des accusations injustifiées dans un futur proche ou lointain)

- lors de la mise en évidence future du risque associé à un nouveau polluant, dont le rôle n’est pas encore imaginé ou que l’on ne sait pas encore doser, il sera possible de comparer avec certitude et fiabilité – ce qui n’est pas le cas actuellement- les données de l’environnement futur à celui de notre époque ( ceci aurait été par exemple été très utile pour trancher le débat instauré autour de la pollution à la dioxine : les concentrations mesurées de nos jours sont-elles en augmentation ou non par rapport à ce quelles étaient il y a 30 ans quand la production d’électricité au charbon était majoritaire ?)

De telles « Banques » existent déjà dans quelques pays comme l’Allemagne. Il serait fort utile à notre pays d’en disposer également.

Un tel projet, baptisé ORQUE (Centre d’Observation et de Recherche sur la qualité de l’Environnement ) tente actuellement de se mettre en place en Aquitaine (PAU-BORDEAUX), avec un soutien financier de la Région Aquitaine, de l’Université de Pau et du CNRS, en attendant d’autres partenaires.

b) La contamination des eaux à l’arsenic

Le réseau national de santé publique a réalisé en 1997-1998 une importante enquête -dite « Sise-Eaux », particulièrement intéressante, sur la contamination des sols à l’arsenic (1).

Premier constat : le recensement des sites pollués

L’enquête a été menée à partir de questionnaires adressés aux DASS des 100 départements de métropole et d’outremer. 44 % (44 % seulement) ont communiqué les résultats d’analyses d’arsenic de 1 906 points de captage, soit 20 % seulement des points de captage totaux des départements ayant répondu au questionnaire. En effet, aux termes de la réglementation, l’analyse de l’arsenic dans l’eau n’est pas systématique. Les captages inférieurs à 100 m3 par jour ne sont pas soumis aux contrôles obligatoires. Les captages compris entre 100 m3 et 2.000 m3 par jour sont contrôlés une fois tous les cinq ans ; les captages compris entre 2.000 et 20.000 m3 sont contrôlés une fois tous les deux ans. Seuls les captages supérieurs à 20.000 m3 sont contrôlés chaque année. On observera que les eaux minérales naturelles ne sont pas non plus soumises aux contrôles d’arsenic.

Il existe donc bien des secteurs géographiques hors normes, qui dépassent les seuils de contamination acceptables, dites « valeurs guides » de l’OMS, ou « concentration maximale admissible » - CMA - dans la réglementation française. Ces sites sont situés dans treize départements : Allier, Creuse, Dordogne, Eure-et-Loire, Landes, Loir-et-Cher, Moselle*, Puy-de-Dôme*, Hautes-Pyrénées*, Bas-Rhin, Saône-et-Loire, Yvelines, Vosges*.

Les départements avec astérisque sont ceux concernés par les dépassements du seuil de 50 µg/l.

Les résultats sont donnés dans le tableau ci-après.

(1) M. LEDRANS, P. GROSSIER, « Contamination des eaux de consommation par l’arsenic. Approche du risque sanitaire en France. Réseau National de Santé Publique - mai 1998

Contamination des eaux de consommation par l’arsenic Teneur en

arsenic*

Nombre de sites

(départe-ments)

% par rapport au

total des sites contrôlés

Population concernée

Nombre eaux minérales

% par rapport au

total des eaux contrôlées

> 10 µg/litre seuil de

contami-nation

54 (13 dép.) 2,8 % 200.000 20 27 %

> 50 µg/litre seuil de

contami-nation importante

13 (4 dép.) 0,7 % 17.000 4 5,4 %

Source :Réseau national de santé publique - Synthèse OPECST

* valeurs OMS

• Deuxième constat : les contaminations sont de sources diverses, naturelles et/ou anthropiques.

- Les contaminations naturelles. L’arsenic est concentré dans certaines roches. Ainsi, même si la libération d’arsenic dépend surtout de l’acidité des sols, il existe des contextes géologiques à risques, notamment les zones de dépôt volcanique et les zones minières. On trouve ainsi des contaminations naturelles d’arsenic dans le Massif Central, les Vosges, le Haut-Rhin...

Le BRGM a mis en évidence des associations entre l’arsenic dans le sol et le sous-sol, et l’arsenic dans l’eau de captage (à l’exception des captages profonds).

Arsenic dans le sol < 60 ppm à Arsenic dans l’eau < 10 µg/l Arsenic dans le sol < 300 ppm à Arsenic dans l’eau < 50 µg/l

- Les pollutions sont aussi d’origine anthropique, avec deux origines possibles. D’une part, l’activité industrielle et minière. L’arsenic est un sous-produit de l’industrie du plomb, du cuivre, du zinc ; l’arsenic est utilisé dans l’industrie du cuir, du bois, dans l’industrie chimique ; l’arsenic se trouve dans les retombées des produits de fonderie, dans les rejets d’eau et

dans les lixiviats. La pollution dans la région de Salsigne, dans l’Aude, illustre ce type de pollution.

D’autre part, l’arsenic est utilisé en agriculture, dans les vignobles, les vergers, les cultures maraîchères intensives, comme fongicide, insecticide, pesticide. Si l’arseniate de plomb, longtemps utilisé dans les vergers est aujourd’hui interdit, il existe toujours des pesticides avec de l’arsenic de sodium.

7 % des sites pollués (inventaire BASOL) sont pollués à l’arsenic.

Les origines de ces pollutions s’établissent comme suit :

Origine anthropique des pollutions à l’arsenic

Activités industrielles 70 %

Chrome (20 %)

Métallurgie (15 %)

Bois (15 %)

Peinture (11 %)

Mines (9 %)

Décharges 21 %

Engrais/pesticides 9 % Total 100 %

c) Discussion critique

Il existe bien quelques cas rares de situations critiques. Sur les seuls résultats communiqués, 54 sites de captage dépassaient le seuil admissible de 10 µg/l, et 13 d’entre eux présentaient des concentrations importantes, qui appelaient des mesures d’urgence, soit en fermant les captages, soit en menant une vigoureuse action d’information sur la population concernée suggérant des restrictions de consommation.

Une situation d’autant plus préoccupante que ces résultats doivent être interprétés comme des minima. On rappellera, d’une part, que seuls 44 % des départements ont répondu lors de la rédaction du rapport de synthèse ; d’autre part, que les petits points de captage n’ont pas été contrôlés.

Cette situation, qui impose des mesures sérieuses, doit cependant être perçue avec lucidité et gérée avec prudence. Quelques observations méritent d’être rappelées :

- en premier lieu, il serait imprudent d’inciter les consommateurs à se reporter vers les eaux minérales naturelles qui n’offrent pas plus de garantie que les eaux de captage. Rapportées au nombre de cas étudiés, la proportion d’eaux surdosées en arsenic est même beaucoup plus importante. Les eaux de boissons non minérales (eaux de source) peuvent, le cas échéant, être des substituts dans le cas de dépassements importants. Les eaux minérales naturelles sont censées avoir des vertus thérapeutiques vis-à-vis de certaines pathologies. C’est pourquoi on admet dans ces eaux des concentrations supérieures aux concentrations maximales admissibles retenues dans les eaux potables courantes. Sur ce seul critère d’arsenic, la plupart de ces eaux minérales naturelles seraient donc non potables.

- En second lieu, il y a un évident déficit d’information. Par crainte de dérapage médiatique, les autorités ont tendance à cacher les mesures de contamination et les risques (1).

Le défi, pourtant, ne paraît pas inaccessible. Quelques informations simples peuvent être utiles à rappeler. Le risque principal lié à l’arsenic est le risque cancérigène. Il pourrait être utile de superposer la carte des risques -liés à l’arsenic- et la carte de la situation sanitaire des populations. Selon les informations partielles en notre possession, il n’y a pas de superposition.

Le « risque arsenic » est infiniment moindre que le risque tabac. La mortalité par cancer est de deux à quatre fois plus élevé chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs.

Cette courte analyse a aussi mis en évidence quelques carences de la réglementation. Les petits lieux de captage, comme les eaux minérales, sont exclus des mesures de contrôle d’arsenic. Une mesure une fois tous les cinq ans représente-t-elle une contrainte financière insupportable ? Des améliorations sont nécessaires sur ce point.

- On s’étonnera aussi du fait que moins de la moitié des départements avaient répondu à l’enquête sur l’arsenic. Absence d’instrument de mesure ? Ignorance des enjeux ? Indifférence à l’égard des résultats ? Voire fuite pour ne pas savoir ? Aucune de ces raisons ne saurait justifier cette négligence.

Comme le rappelle parfaitement l’Académie des Sciences : « On est frappé par une certaine inconséquence à l’égard des transferts éventuels d’éléments

(1) Voir IIIème partie : Les risques sur la santé.

en traces : les nappes sont considérées universellement comme un patrimoine naturel d’importance moyenne. Cependant peu est fait pour apprécier la réalité des menaces ».

Il reste à définir et respecter une véritable politique de vigilance.

- Enfin, sur un plan général, on peut s’interroger sur la hiérarchisation des risques... L’arsenic étant un cancérogène avéré par voie orale, il est tout à fait nécessaire d’éviter la consommation régulière d’eaux très contaminées. Il s’agit là d’un risque bien plus significatif et dangereux que celui d’une faible contamination de l’eau potable par le plomb pour laquelle 70 milliards de francs vont être engagés...