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Geralt de Riv est sorceleur : son métier est de tuer des monstres contre paiement. La présence des créatures de l’imaginaire s’inscrit donc directement dans le schéma narratif et est inséparable du fond de l’histoire. Trois catégories principales de créatures peuvent être distinguées : les monstres d’inspiration slave, ceux qui s’inspirent des légendes européennes ainsi que les créations néologiques de l’auteur.

195 KOPALIŃSKI, Władysław, Słownik mitów i tradycji kultury [Dictionnaire des mythes et des traditions de la culture], Varsovie : Oficyna Wydawnicza RYTM, 2015.

196 SAPKOWSKI, Andrzej, Rękopis znaleziony w smoczej jaskini. Kompendium wiedzy o literaturze fantasy [Manuscrit trouvé dans la grotte du dragon. Compilation de connaissances sur la littérature fantasy], op. cit.

151 i. Créatures d’inspiration slave  Strzyga : « strige »

Dans les recueils de nouvelles, Geralt rencontre, la plupart du temps, un ou deux monstres principaux par aventure. Son ennemi principal dans la première nouvelle est une strige : Królewna wygląda jak strzyga ! – wrzasnął. –

Jak najbardziej strzygowata strzyga, o jakiej słyszałem ! Jej wysokość królewska córka, przeklęty nadbękart, ma cztery łokcie wzrostu, przypomina baryłę piwa, ma mordę od ucha do ucha, pełną zębów jak sztylety, czerwone ślepia i rude kudły ! Łapska, opazurzone jak u żbika, wiszą jej do samej ziemi !

(Ostatnie życzenie, p. 22)

La princesse a l’allure d’une strige ! hurla-t-il. De la strige la plus strige dont j’aie jamais entendu parler. Sa Grandeur la fille du roi, ce maudit superbâtard, a quatre coudées de haut ; elle fait penser à une barrique de bière ; elle a une gueule qui va d’une oreille à l’autre, pleine de dents aiguisées comme des poignards, des yeux rouges et des boucles rousses, des grosses paluches griffues de chat sauvage qui descendent jusqu’à terre !

(Le Dernier Vœu, p. 25)

Du point de vue de la traduction, le cas de la strige est simple : c’est un monstre qui existe déjà dans les mythologies. Selon Kopaliński, les striges sont :

dans les croyances populaires slaves, des vampires, des sorcières faisant du mal aux hommes, prenant la forme d’oiseaux qui se nourrissent de sang humain ; des âmes d’enfants nés avec des dents ou d’adultes possédant deux rangées de dents qui hantent les humains après leur mort ; du latin strix, pl. strigis ‘hibou, monstre, sorcière’.197

Il est cependant intéressant de noter que la première définition donnée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) ne concerne pas le monstre slave, mais une version issue de la mythologie gréco-romaine :

A. − MYTH. GR. ET ROMAINE. Monstre fabuleux représenté avec une tête de femme, un corps d'oiseau et des serres de rapace, qui passait pour sucer le sang des nouveau-nés et des jeunes enfants (d'apr. J. Schmidt, Dict. de la myth. gr. et romaine, 1965).

197 KOPALIŃSKI, Władysław, op. cit., p. 1239 : « STRZYGI : w ludowych wierzeniach słowniańskich, wapiry, wiedźmy, czarownice szkodzące ludziom, pod postacią ptaków karmiące się krwią ludzką ; dusze dzieci urodzonych z zębami albo ludzi dorosłych z podwójnymi rzędami zębów, po śmierci straszące ludzi ; z łać. strix dpn. strigis ‘sowa, poczwara, czarownica’ » [AS].

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B. − FOLKL. [Au Moy. Âge notamment, en Europe et plus partic. en Europe centrale] Mort sortant la nuit de son tombeau pour aller sucer le sang des vivants ou se nourrir de leur chair; p. anal., sorcier ou sorcière s'adonnant aux mêmes pratiques.198

Cette dichotomie apparaît sur d’autres sites internet tels que Wikipedia. Il s’agit d’un outil dont il convient de vérifier la fiabilité, mais qui peut cependant être considéré comme une référence pour l’acception de certains termes. Ce site est organisé de façon à ce que chaque notion qui existe en plusieurs langues soit consultable depuis la même page en cliquant sur le bouton dédié. Il est intéressant de noter que sur Wikipedia, « strige » et strzyga ne correspondent pas à la même notion et, ainsi, ne sont pas référencées ensemble. La « strige » y est uniquement définie sous son aspect gréco-romain, tandis que strzyga est représentée à la manière de Kopaliński. Cela ne signifie pas qu’il s’agit indéniablement de créatures différentes, cependant leur acception dans l’imaginaire ne semble pas correspondre au même type de monstre, si l’on se réfère à ce site.

Strzyga et « strige » pourraient donc renvoyer à des notions différentes – la première relative à un imaginaire slave, la seconde puisant dans des racines gréco-romaines. Cependant, la créativité mise en œuvre par l’auteur vient au secours du traducteur qui ne se voit pas dans l’obligation de s’interroger sur l’exactitude mythologique de la notion introduite : en effet, Sapkowski exécute une représentation personnelle du monstre.

Figure 5 : Modélisation 3D de la strige, interprétée par les équipes du studio de jeux vidéo CD Projekt Red pour le premier volet du jeu The Witcher (2007).

153  Kikimora : « kikimorrhe »

Une autre créature typiquement slave apparait pour la première fois dans la nouvelle « Le moindre mal » du Dernier Vœu : la « kikimorrhe ». La kikimora ou sziszimora est un esprit domestique féminin qui va tantôt aider à la réalisation de certaines tâches ménagères, tantôt les perturber. Son attribut est le métier à tisser, et l’apercevoir à l’œuvre est signe d’un malheur prochain. Elle est recensée dans l’encyclopédie de Władysław Kopaliński :

Dans le folklore russe, genre d’esprit domestique qui se cache derrière le poêle pendant la journée et fait du grabuge la nuit, en s’amusant principalement avec des instruments pour tisser, des fuseaux, des quenouilles, et parfois en tissant rapidement et attentivement (en Sibérie, on connaissait également la kikimora sylvestre).199

Dans le « Le moindre mal », cette créature est dénaturée et diabolisée, réinterprétée selon l’imagination de l’auteur comme « un croisement d’araignée et de crocodile »200. Les concepteurs du jeu sont restés fidèles à cette vision :

Figure 6 : Concept art de kikhimorre réalisé les équipes du studio de jeux vidéo CD Projekt Red pour le premier volet du jeu The Witcher (2007)

Bien que la kikimorrhe soit une invention de l’auteur basée sur une créature du folklore et qu’elle n’occupe qu’un rôle très mineur dans la nouvelle, il s’agit d’un élément significatif. En effet, la nouvelle s’appuie principalement sur Blanche-Neige, mais contient des références

199 KOPALIŃSKI, Władysław, op. cit., p. 537 : « KIKIMORA : w folklorze ros. rodzaj duszka domowego, który we dnie kryje się za piecem, a nocami wyrabia różne brewerie, bawiąc się gł. przyborami do przędzenia, wrzecionem, prząślicą, kądzielą, a niekiedy pilnie i szybko przędąc (na Syberii znano także leśną Kikimorę) » [AS].

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à de nombreux autres contes tels que Raiponce : « Fialka, la fille d’Evermir, s’est évadée en jetant du haut du beffroi une corde qu’elle avait fabriquée avec ses nattes »201 ou La princesse au petit pois : « Je suis une princesse, j’ai un corps délicat, je sens même un petit pois sous ma paillasse »202. L’auteur instaure un jeu d’intertextualité en transformant la princesse habituelle, délicate et réservée, en femme fatale guerrière incarnée par le personnage de Renfri. En utilisant la kikimorrhe plutôt qu’une autre créature, l’auteur ajoute un niveau d’intertextualité supplémentaire en introduisant une référence à La Belle au bois dormant, dont la protagoniste principale a sombré dans un sommeil de cent ans après s’être piqué le doigt sur le fuseau d’une quenouille – or, le métier à tisser est l’attribut de la kikimorrhe selon Kopaliński.

Ainsi, le bestiaire d’Andrzej Sapkowski contient des éléments imprégnés de sens d’une part et appartenant à un univers slave d’autre part. Le cas de la kikimorrhe montre qu’ils peuvent être impossibles à détecter dans la traduction : cette créature n’est pas représentée dans les mythologies de France et n’y possède pas d’équivalent. La traductrice a donc choisi de conserver un nom phonétiquement proche, « kikimorrhe » pour kikimora. Pour un lecteur français ou qui ne reconnaît pas la référence au bestiaire slave, la créature paraît assimilée à l’univers d’Andrzej Sapkowski : la référence aux mythes slaves et la dimension intertextuelle disparaissent à la traduction sans qu’il soit vraiment possible de les transmettre. La seule possibilité qui semble se présenter est l’introduction de notes du traducteur. Cependant, cette solution ne semble pas satisfaisante dans la mesure où la signification de la kikimorrhe peut également échapper à un lecteur polonais qui ne possède pas le bagage cognitif nécessaire au déchiffrage de ce culturème. Or l’auteur n’a pas fait d’efforts d’explication particuliers à l’attention de son lecteur. Son explicitation en français, que ce soit par l’incise ou par la note, aurait pu mener à une surtraduction, ce qui n’a cependant pas été le cas : le culturème a été préservé dans tout son caractère étranger, menant à son assimilation à l’univers du Sorceleur pour le lecteur non-averti.

201 Ibidem, p. 119.

155  Rusałka : « ondine »

La rusałka, présente dès les premières pages de l’ouvrage, introduit un problème traductionnel différent des deux précédents. En effet, contrairement à la kikimora, une créature qui ressemble à la rusałka existe dans la langue française, à savoir l’ondine.

Mais qu’est-ce donc qu’une rusałka ? Dans la mythologie slave, il s’agit d’une créature dangereuse qui leurre les hommes sous les traits d’une jeune fille aux cheveux verts ou noirs. Elle est la réincarnation de jeunes femmes qui se sont noyées avant de se marier ou qui sont mortes avant que leurs enfants aient été baptisés. L’ondine, au contraire, est un esprit issu des mythes nordiques, germaniques ou encore lithuaniens qui pourra parfois mener celui qui l’aperçoit à un grand trésor. Les légendes françaises possèdent quant à elles le personnage de la vouivre203, représenté par Marcel Aymé comme une jeune fille sauvage qui vit dans les marais. La vouivre fait écho au personnage de la rusałka, mais, à l’instar de son pendant germanique, elle a pour fonction de veiller sur un trésor. Dans les trois cas, il s’agit d’esprits féminins des eaux, même si la représentation de la vouivre en tant que femme ne date que de 1948. La différence entre la rusałka et l’ondine s’exprime dans les deux toiles que nous présentons à la page suivante.

203 À l’origine, il s’agit d’une légende qui vient de Franche-Comté. La vouivre est un serpent ailé qui transporte un joyau qu’elle dépose sur les berges quand elle va se baigner. Voir MONNIER Désiré, Essai sur l’origine de la Séquanie, 1818, disponible en ligne : <http://canope.ac-besancon.fr/vouivre//intro.htm>.

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Figure 7 : Undine, John William Waterhouse, 1872

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Les deux toiles ont été réalisées à la fin du XIXème siècle, à cinq ans d’intervalle, à une période où les éléments de culture traditionnelle occupaient une place importante dans l’art. On peut considérer qu’elles dénotent de la perception habituelle de l’ondine d’une part et de la rusałka d’autre part : la première comme femme solaire et positive, la seconde comme créature secrète, nocturne et inquiétante. Ces perceptions transparaissent non seulement dans l’ambiance de chaque tableau, mais aussi dans l’activité des protagonistes centraux. Sur le premier tableau, une jeune femme à la longue chevelure blonde se baigne dans une fontaine, ce qui rejoint la vision germanique de l’ondine. Sur le second, des femmes aux cheveux noirs dissimulent ce qui semble être un corps sans tête tandis qu’un jeune homme s’approche, en arrière-plan. Cette vision correspond à la rusałka des mythes polonais.

Il existerait donc une différence fondamentale entre la créature de l’original et celle de la traduction : l’une est toujours perçue comme un démon ou un être malfaisant, l’autre est un esprit qui peut être bienveillant, selon les versions. Aujourd’hui cependant, il semblerait que les Polonais aient tendance à oublier le caractère maléfique de la rusałka pour ne se souvenir que de sa beauté, tout en continuant à la rattacher au monde aquatique. D’ailleurs, dans son Rękopis znaleziony w smoczej jaskini [Manuscrit trouvé dans la grotte du dragon], Sapkowski lui-même semble considérer que les deux créatures n’en forment qu’une seule. Il les réunit dans une même entrée de son bestiaire de la fantasy, leur assimilation semble donc quasi-totale du point de vue de l’ouvrage considéré. Il écrit : « Les rusałki sont également appelées undines ou ondines (de unda, vague) »204.

Se pose ici le problème de ce qu’Anna Kaczmarek décrit, à la suite d’Antoine Berman, comme « la naturalisation et l’exotisation des éléments culturels slaves, étrangers pour le lecteur français »205 : le récit est imaginaire, mais il contient des éléments culturels slaves ; est-ce essentiel de transmettre ces éléments slaves, ou peut-on les assimiler aux éléments imaginaires ? La créativité du traducteur intervient, mais également la « jurisprudence traductionnelle » : la Roussalka de Pouchkine a été conservée dans sa consonance slave. Exotiser ou naturaliser ? Il ne semble pas y avoir de réponse univoque à cette question, car les avis diffèrent : d’un côté, Sapkowski considère la rusałka et l’ondine comme une seule et

204 SAPKOWSKI, Andrzej, Rękopis znaleziony w smoczej jaskini [Manuscrit trouvé dans la grotte du dragon], op. cit., p. 216 : « Zwane są też rusałki undynami albo ondynami (od unda, fala) » [AS].

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même créature, et de l’autre, Henri Thomas, traducteur de Pouchkine, a choisi de préserver la consonance slave et étrangère de la créature.

 Utopiec : « noyeur »

Bien que le noyeur soit une créature qui peuple communément les contrées élaborées par les équipes de CD Projekt Red dans le jeu vidéo The Witcher, c’est un monstre mineur du bestiaire d’Andrzej Sapkowski qui n’apparait que de façon sporadique. Il en est fait mention dans Le Dernier Vœu :

Wędrowni zabójcy bazyliszków ! Domokrążni pogromcy smoków i utopców !

(Ostatnie życzenie, p. 12)

Ces tueurs ambulants de basilics ! Ces vainqueurs ambulants de dragons et de noyeurs !

(Le Dernier Vœu, p. 13)

Pour ce qui est de la traduction des noms des monstres, les dragons et les basilics sont présents dans l’imaginaire collectif européen, voire mondial, et ne présentent pas de problèmes particuliers à la traduction.

Utopiec, quant à lui, est le pendant masculin de rusałka. Selon Kopaliński, il s’agit de créatures des marais parfois considérées comme les âmes des hommes qui se sont suicidés en se noyant et qui ont été punies pour ce péché206.

Il n’existe que peu de traces du « noyeur » français en-dehors de l’univers du Sorceleur, tant du livre que du jeu vidéo. Bien qu’Anna Kaczmarek établisse qu’il s’agit du masculin de la rusałka, son utilisation française semble surtout liée aux jeux et à la fantasy. Selon Wikipedia et d’autres dictionnaires en ligne, un noyeur est simplement une personne qui en noie une autre. La créativité de la traductrice semble donc être intervenue pour l’élaboration de ce terme. Cependant, un changement de l’attention portée à l’état en polonais vers l’attention portée à l’acte en français peut être observé : ainsi, utopiec, celui qui est noyé, devient « noyeur », celui qui noie.

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Une double problématique traductionnelle se pose donc dans ce passage : celle de la créativité du traducteur si récurrente dans la traduction de la fantasy, mise en miroir avec celle de l’utilisation de synonymes présente pour tous les types de traduction. Ce dernier problème – la double utilisation du mot « ambulant » là où l’auteur utilise des synonymes, wędrowni et domokrążni – est uniquement d’ordre stylistique et ne semble pas entrer dans le champ du culturel, bien qu’il soit notoire que le français est une langue où les répétitions ne sont pas appréciées. Pour l’éviter, un simple jeu de synonymie aurait été possible, par exemple : « Ces tueurs nomades de basilics ! Ces vainqueurs ambulants de dragons et de noyeurs ! » [AS].

Figure 9 : Modélisation 3D du noyeur, interprété par les équipes du studio de jeux vidéo CD Projekt Red pour le troisième volet du jeu The Witcher (2015).

ii. Créatures d’inspiration européenne  Bruxa : « brouxe »

Dans la création de son bestiaire, Andrzej Sapkowski est allé puiser non seulement dans l’imaginaire slave, mais aussi dans l’imaginaire européen. Ainsi, dans la deuxième nouvelle du Dernier Vœu intitulée « Un grain de vérité », Geralt affronte un monstre vampirique dont le nom s’inspire de la tradition hispanique :

160 - Bruxa ! – krzyknął wiedźmin […].

Zza bladych warg błysnęły białe kończyste kły. Wampirzyca poderwała się, wygięła grzbiet jak lampart i wrzasnęła […].

Na grzbiecie delfina, w kamiennym kręgu wyschniętej fontanny, w miejscu, gdzie jeszcze przed chwilą siedziała filigranowa dziewczyna w białej sukni, rozpłaszczał połyskliwe cielsko ogromny czarny nietoperz, rozwierając długą, wąską paszczękę, przepełnioną rzędami igłokształtnej bieli. (Ostatnie życzenie, p. 78)

- … une brouxe ! s’écria le sorceleur […]. Derrière les lèvres pâles, brillèrent des crocs blancs acérés. La vampire se releva brusquement, ploya l’échine comme un léopard et poussa un hurlement […].

Au milieu du bassin, à l’endroit même où se trouvait encore quelques instants auparavant la jeune fille filiforme vêtue de sa robe blanche, sur la croupe du dauphin, une énorme chauve-souris noire aplatissait son gros corps luisant et ouvrait son étroite petite gueule allongée qui débordait de rangées d’aiguilles blanches.

(Le Dernier Vœu, p. 89-90)

L’inspiration de Sapkowski pour ce monstre est directement puisée dans le portugais bruxa qui désigne une sorcière. D’autres langues hispaniques possèdent également leur équivalent, notamment l’espagnol bruja. L’auteur a récupéré le mot portugais sans en adapter la graphie, inhabituelle pour le polonais dont l’alphabet classique ne comporte pas la lettre « x ». La représentation que l’on fait de la bruxa portugaise est traditionnelle et correspond à celle de la sorcière française, à savoir une femme dotée de pouvoirs occultes. C’est un personnage présent dans les contes et légendes du monde entier. Il est connu en tant que wiedźma ou czarownica en Pologne, et Kopaliński ne consacre pas d’entrée spécifique à bruxa ou à bruja dans son dictionnaire. Cependant, selon Andrzej Sapkowski, elle se différencie de la sorcière traditionnelle ; la bruxa serait un « vampire portugais, uniquement de sexe féminin car il s’agit du spectre d’une femme qui pratiquait la magie de son vivant et qui, à cause de sa magie, s’est transformée en être démoniaque »207.

Ainsi, en faisant de la bruxa un type de vampire, Sapkowski s’éloigne considérablement du canon habituel de la sorcière. Le choix opéré par la traductrice pour la version française du nom de la créature est intéressant. En effet, comme nous l’avons mentionné, Sapkowski introduit dans son ouvrage un mot étranger à la culture polonaise, tant par la signification que par la consonance et la graphie. Dans la traduction s’observe une assimilation de cette forme originellement étrangère et sa francisation en « brouxe » : la graphie est transformée pour

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respecter les sonorités de l’original et la terminaison prend la forme la plus fréquente du féminin français. Un phénomène qui peut être considéré comme un exotisme dans l’original subit donc un processus de naturalisation dans la traduction française.

 Diabeł, diaboł : « diable, diabolo »

Dans l’avant-dernière nouvelle du Dernier Vœu intitulée « Le bout du monde », Geralt fait la connaissance d’un diable prénommé Torque. La nouvelle se déroule à la campagne, ce qui est souligné par l’utilisation du patois par les habitants. Ce patois se retrouve, entre autres, dans l’appellation de la créature principale présente dans la nouvelle :

- Ano, grasuje tam diaboł.

- Co? – parsknął Jaskier. – Co takiego? - Przecie mówię. Diaboł.

- Jaki diaboł?

- A jaki ma być? Diaboł i tyle. - Diabłów nie ma!

(Ostatnie życzenie, p. 206)

- Eh ben, y a un diabolo qui rôde. - Un quoi ? lâcha Jaskier. Quoi donc ?

- Ben, c’est comme j’vous l’disions ! Un