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La solution à la troisième antinomie

Chapitre 2 : La solution au problème cosmologique de la liberté

2.1 La solution à la troisième antinomie

a) Les intérêts du rationalisme et de l’empirisme dogmatiques

L’antinomie entre causalité naturelle et causalité libre nous paraît insoluble au terme de leur affrontement détaillé. Et il en va de même pour les trois autres antinomies. Thèses et

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antithèses se combattent à armes égales, aussi n’arrive-t-on toujours pas à donner raison à une position plutôt qu’à une autre, les deux étant parfaitement cohérentes en elles-mêmes et s’opposant fermement. Malheureusement, la raison n’arrive pas à mettre de côté son désir d’absolu. Il serait bien plus simple de laisser tomber les deux parties, mais la raison cherche toujours cet inconditionné, et elle continuera à osciller entre les positions tant qu’elle n’aura pas trouvé de meilleure solution. Quoi faire alors pour départager les deux positions?

Pour répondre à cette question, Kant tente d’abord une approche qui s’éloigne de la pure spéculation. En effet, Kant entreprend de recenser les différents intérêts selon la position adoptée, à savoir pourquoi certains choisissent un côté plutôt que l’autre. Les intérêts se comptent au nombre de deux : l’intérêt pratique et l’intérêt spéculatif. Sous les thèses se cachent la position du « dogmatisme de la raison pure50 », que l’on peut appeler

rationalisme dogmatique. Les antithèses, quant à elles, reposent sur le « pur empirisme51 »

ou l’empirisme dogmatique. Au terme du débat, les thèses, qui ont pour fondement le rationalisme dogmatique, semblent l’emporter sur le pur empirisme des antithèses52.

D’abord, si l’on considère l’intérêt pratique, le rationalisme dogmatique l’emporte sur l’empirisme pur. En effet, rappelons-nous notre troisième antinomie : la liberté doit être possible, sinon la morale serait elle-même impossible. La thèse n’entre donc pas en contradiction avec la raison pratique, contrairement à l’antithèse. Il en va de même pour les autres antinomies. L’intérêt pratique nous enjoint donc de nous tourner vers le rationalisme dogmatique. En revanche, l’empirisme l’emporte contre le rationalisme quant à l’intérêt spéculatif. Le dogmatisme a un certain intérêt spéculatif, puisqu’il permet d’achever la connaissance. Toutefois, l’intérêt spéculatif de l’empirisme est bien plus grand. Dans le contexte de l’empirisme, l’entendement ne dépasse pas ses propres capacités. L’empirisme est supérieur au rationalisme dogmatique puisqu’il reconnaît l’incapacité de l’entendement à dépasser les phénomènes53. Toutefois, Kant fait une mise en garde : il arrive que le tenant

de l’empirisme ne respecte pas lui-même ses propres limites et fasse les mêmes erreurs que

50 CRP, p. 456, A 466/B 494. 51 CRP, p. 456, A 466/B 494. 52 CRP, p. 461, A 475/B 503. 53 CRP, p. 457, A 468/B 496.

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le rationaliste dogmatique, c’est-à-dire croire à un dépassement de ces propres capacités. Donc même sur le plan de l’intérêt spéculatif, le pur empirisme ne gagne pas si facilement. Par ailleurs, c’est le rationalisme qui détrône l’empirisme pour ce qui est de la popularité. Kant affirme que les thèses sont tout simplement plus populaires que les antithèses. Le sens commun adopterait plus facilement la position rationaliste dogmatique.

Ainsi, on constate qu’il y aurait peut-être plus d’intérêts à choisir les thèses plutôt que les antithèses. Néanmoins, Kant n’affirme pas une telle chose. Au contraire, l’objectif derrière cette évaluation des intérêts n’est pas de choisir un côté ou l’autre, mais plutôt de faire l’état des enjeux qui se trouvent au cœur de l’Antinomie de la raison pure. Ces intérêts n’apportent aucune solution aux conflits de la raison, mais ils montrent pourquoi certaines personnes pourraient arbitrairement opter pour une position ou pour l’autre54. Bref, après

l’évaluation de ces intérêts, on constate à nouveau que les thèses et les antithèses s’affrontent à armes égales dans la raison pure : « Cela dit, si un homme pouvait s’arracher à tout intérêt et ne prendre en considération les affirmations de la raison, en se montrant indifférent à toutes les conséquences, que d’après la consistance de leurs fondements, un tel homme, à supposer qu’il ne connût pas d’autre issue, pour sortir de son embarras, que de se rallier à l’une ou à l’autre des doctrines qui s’affrontent, se trouverait dans un état d’oscillation perpétuelle55 ».

b) L’erreur dialectique

Maintenant assurés que les antinomies ne trouveront pas leur solution par la seule prise en compte des intérêts en jeu, nous pouvons essayer de comprendre plus précisément ce qui cause les antinomies. L’idée de Kant est que, comme les antinomies persistent mais qu’elles doivent être solutionnées, il doit y avoir une erreur dans la raison elle-même. Il faut donc essayer de comprendre pourquoi la raison fait ce genre d’erreur. Pour y arriver, Kant

54 CRP, p. 456, A 465/B 493.

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propose d’évaluer chacune des antinomies suivant une méthode sceptique56. Jusqu’à

maintenant, les thèses et les antithèses se sont affrontées, mais nous n’avons toujours pas confronté la raison et son aspiration dialectique. Bref, il faut se poser la question de savoir si l’inébranlabilité des antinomies est issue d’une erreur généralisée de la raison. C’est sans doute en cherchant les failles de la raison que l’on arrivera à comprendre les conflits antinomiques et que l’on arrivera à les solutionner.

Quelle est donc cette erreur de la raison? Ce que Kant remarque en premier lieu est que chacune des idées cosmologiques proposées par les thèses et les antithèses sont soit trop grandes soit trop petites pour rendre compte du concept inconditionné découlant de la synthèse des phénomènes :

« Si je pouvais donc, vis-à-vis d’une Idée cosmologique, apercevoir d’avance que, de quelque côté qu’elle pût s’orienter par rapport à l’inconditionné de la synthèse régressive des phénomènes, elle serait en tout cas trop grande ou trop petite pour un quelconque concept de l’entendement, je comprendrais dès lors que cette idée, n’ayant pourtant affaire qu’à un objet de l’expérience qui doit pouvoir s’accorder avec un concept de l’entendement, ne peut qu’être entièrement vide et dépourvue de signification, puisque l’objet ne concorde pas avec elle, et de quelque façon que je tente de mettre en oeuvre cette conformité57 ».

L’Idée d’un monde limité ayant un commencement dans le temps est trop petite pour le concept empirique de monde, mais l’Idée d’un monde infini spatialement et temporellement est trop grande58. Si l’on conçoit le monde comme étant composé de plusieurs éléments

simples, ce monde nous paraît trop petit, mais si on le conçoit comme infiniment divisible, il nous paraît alors trop grand59. L’Idée d’une nature qui admet une causalité libre est trop

petite puisque l’on cherche toujours à rendre compte de la causalité au-delà d’une cause première. À l’opposé, l’Idée de nature qui accepte une chaîne causale infinie est trop grande

56 « [La méthode sceptique] est tout à fait distincte du scepticisme, principe d’une ignorance délibérée et

scientifique qui sape les fondements de toute connaissance pour ne lui laisser disposer nulle part, autant qu’il est possible, d’aucune sécurité ni d’aucune assurance. En fait, la méthode sceptique tend à la certitude, en ceci qu’elle tente de découvrir, […], le point de désaccord […] »; CRP, p. 428, A 424/B 451.

57 CRP, p. 467-468, A 486/B 514.

58 CRP, p. 468, A 486/B 514. 59 CRP, p. 468, A 487/B 515.

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pour le concept empirique de nature60. Finalement, s’il y a un être nécessaire, on ne peut

penser cet être que hors du monde, donc l’Idée d’absolue nécessité est trop grande pour le monde, mais si tout n’est que contingence, l’Idée de monde est trop petite pour le concept puisque l’on cherche toujours une existence dont dépend les êtres contingents61. Il en

résulte que l’on arrive déjà à saisir qu’il y a un problème entre les idées proposées par les antinomies et le concept empirique de monde.

Et puis, ceci est clair pour Kant, c’est le concept empirique qui doit primer sur l’Idée. C’est définitivement l’Idée qui cause problème et qui doit être réévaluée. On ne peut pas travestir le concept empirique de monde pour qu’il puisse concorder avec l’Idée qui nous convient plus. Mais Kant a déjà trouvé une piste de réflexion : comment expliquer ce décalage entre l’Idée et le monde empirique? C’est en donnant une réponse à cette question que l’on trouvera la source de l’erreur des antinomies, et que l’on parviendra à trouver une solution.

Qu’est-ce qui fait que le concept empirique de monde est légitime? Pour Kant, la question de la connaissance empirique a déjà été traitée. Tout objet de notre expérience possible doit être considéré à travers notre intuition sensible de l’espace et du temps. Ainsi, il faut rappeler que cet objet connaissable ne peut être considéré qu’en tant que phénomène, c’est-à-dire qu’en tant qu’objet qui nous apparaît selon notre filtre sensible spatio- temporel :

« Nous avons suffisamment démontré dans l’Esthétique transcendantale que tout ce qui est intuitionné dans l’espace et dans le temps, par conséquent tous les objets d’une expérience pour nous possible, ne sont rien que des phénomènes, c’est-à-dire de simples représentations qui, dans la mesure où nous nous les représentons comme des êtres étendus ou comme des séries de changements, ne possèdent en dehors de nos pensées nulle existence qui trouve

60 CRP, p. 469, A 488/B 516. 61 CRP, p. 469, A 488/B 516.

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en elle-même son propre fondement. C’est cette conception que j’appelle idéalisme transcendantal62 ».

L’idéalisme transcendantal soutient donc la conception selon laquelle l’espace et le temps sont des formes de notre propre intuition sensible. La conception opposée serait d’affirmer que l’espace et le temps sont des objets réels, indépendants de la raison. Cette dernière conception, Kant l’appelle idéalisme empirique63, ou réalisme transcendantal64. Se pourrait-

il que les conflits antinomiques trouveraient leur source dans cette différence de conceptions? C’est exactement l’argument de Kant. Selon lui, l’erreur des antinomies est de prendre les objets donnés, les conditions, comme des choses en soi et non comme des phénomènes. Il faut donc se pencher sur la distinction entre idéalisme transcendantal et réalisme transcendantal et voir en quoi cette distinction est primordiale dans le raisonnement dialectique si l’on veut se sortir de l’impasse antinomique.

c) L’idéalisme transcendantal contre le réalisme transcendantal

Kant voit l’idéalisme transcendantal comme la « clef pour résoudre la dialectique cosmologique65 », rien de moins. Il est donc absolument primordial de bien comprendre ce

qu’est la conception de l’idéalisme transcendantal, comment Kant définit la conception qui lui est opposée, c’est-à-dire le réalisme transcendantal, et comment ce mélange de conception mène au problème antinomique des Idées cosmologiques.

Voyons d’abord plus précisément la théorie kantienne de l’idéalisme transcendantal. L’une des grandes thèses de la Critique de la raison pure est la thèse phénoménaliste. Comme il a déjà été dit, la thèse de Kant est que ce que nous arrivons à connaître, ce qui peut être pour nous des objets de notre expérience, ce sont uniquement les phénomènes. Les objets de notre expérience possible sont réels en tant que phénomènes apparaissant dans le cadre de notre intuition sensible, mais ils ne sont pas réels en soi. Les objets qui font partie

62 CRP, p. 470, A 490/B 518. 63 CRP, p. 471, A 491/B 519. 64 CRP, p. 470, A 491/B 519. 65 CRP, p. 470, A 490/B 518.

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de notre expérience n’ont pas d’existence réelle à l’extérieur de notre expérience. On peut penser qu’il existe des choses indépendamment de ce cadre spatio-temporel qu’est notre intuition sensible, des choses en soi, mais ces choses ne peuvent pas faire partie de notre expérience, on ne peut rien en dire.

L’idéalisme transcendantal de Kant se comprend encore mieux si on le met en lien avec sa théorie épistémique de la discursivité. Pour Kant, pour arriver à connaître, il faut à la fois le pouvoir spontané de l’entendement et le pouvoir réceptif de l’intuition sensible, d’où la célèbre phrase : « Des pensées sans contenu sont vides, des intuitions sans concepts sont aveugles66 ». Il ne peut y avoir d’objet de connaissance que si ces deux pouvoirs de la

raison sont en jeu. Cela signifie donc que l’objet de connaissance doit être appréhendé d’une certaine façon : « Or, cette dernière [l’intuition] n’intervient que dans la mesure où l’objet nous est donné; mais cela n’est à son tour, du moins pour nous hommes, possible que parce que l’objet affecte l’esprit sur un certain mode67 ». L’intuition de la raison

humaine est sensible, les objets ne peuvent que s’y rencontrer selon le mode de l’espace et du temps. On comprend donc très bien que les objets de connaissance nous apparaissent selon le mode de notre intuition sensible, on ne pourrait pas les appréhender autrement. Bref, les objets se présentent à nous uniquement en tant que phénomènes, et non en tant que choses en soi, indépendantes des formes pures de la sensibilité.

Cette conception de l’idéalisme transcendantal de Kant a créé beaucoup de remous au sein de la communauté philosophique contemporaine de Kant, mais également encore aujourd’hui. Le dualisme « phénomène » et « chose en soi » soulève plusieurs questions métaphysiques et épistémologiques, mais nous ne traiterons pas de ces problèmes pour le moment. En fait, ce qu’il est important de comprendre, c’est que Kant, en développant son idéalisme transcendantal, s’oppose à une autre conception de la connaissance : le réalisme transcendantal. Selon Kant, ces deux conceptions s’excluent mutuellement68. C’est donc en

66 CRP, p. 144, A 51/B 75. 67 CRP, p. 117, A 19/B 33.

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expliquant cette vision du réalisme transcendantal que l’on arrivera encore mieux à saisir l’idéalisme transcendantal de Kant.

Le réalisme transcendantal s’oppose directement à l’idéalisme transcendantal puisqu’il prend tous phénomènes comme des choses en soi. Le réalisme transcendantal peut se trouver dans différentes conceptions ontologiques et épistémologiques. D’un côté, il y a l’idéalisme empirique69 qui défend que ce qui existe, ce sont les objets de notre pensée.

Cette conception mène rapidement à un scepticisme, puisqu’il n’y a aucun moyen de savoir comment les objets de la pensée nous sont parvenus, s’ils sont en lien avec le monde extérieur70. L’idéalisme transcendantal n’a pas ce problème puisqu’il distingue les objets de

notre pensée qui sont uniquement des phénomènes, et les choses en soi qui sont extérieurs à nous. D’un autre côté, il y a l’idéalisme dogmatique qui défend que le temps et l’espace ont une réalité ontologique, qui ne sont pas uniquement des conditions épistémiques71. Cette

conception soutient que les objets ont une réalité objective indépendamment de notre pouvoir de connaître, et que c’est cette réalité que l’on arrive à percevoir. Encore une fois, ce qui nous apparaît comme phénomènes est pris pour des choses en soi pour les tenants de cette conception. Bref, le réalisme transcendantal s’oppose à l’idéalisme transcendantal puisqu’il soutient que les phénomènes sont des choses en soi, et ce, peu importe que l’on considère les choses en soi à l’extérieur ou à l’intérieur de notre pensée. L’objectif de Kant est de montrer que jusqu’à maintenant, les philosophes ont toujours adopté ce point de vue, autant les rationalistes dogmatiques que les empiristes purs. Que ce soit Descartes ou Leibniz, Berkeley ou Hume, bien que leurs théories ontologiques et épistémologiques soient en opposition, ils se trouvent tous sous le même couvert du réalisme transcendantal.

Quelle est l’importance de cette distinction entre idéalisme transcendantal et réalisme transcendantal? Pour Kant, la distinction est cruciale puisque la raison s’empêtre dans les antinomies à cause d’une mauvaise conception épistémologique. L’antinomie est

69 CRP, p. 471, A 491/B 519.

70 Allison, Kant’s Transcendantal Idealism, p. 23-24. 71 Ibid., p. 25.

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créée parce que la raison commune conçoit le réalisme transcendantal, et non l’idéalisme transcendantal.

Essayons de voir plus précisément comment la raison procède pour mieux comprendre l’erreur. Kant nous dit que les antinomies surviennent selon cet argument dialectique : « Quand le conditionné est donné, la série entière de toutes ses conditions est elle aussi donnée; or les objets des sens nous sont donnés comme conditionnés; donc, etc.72 ». En développement ce syllogisme selon les différentes synthèses des phénomènes,

on arrive à des totalités absolues qui s’opposent nécessairement. Pour chaque Idée cosmologique, on aboutit à une contradiction. Cette contradiction apparaît puisqu’on ne fait pas la distinction entre un phénomène et une chose en soi, c’est-à-dire entre un objet de notre expérience possible et un objet pur et insaisissable par notre raison limitée à notre intuition sensible. L’erreur de la raison qui n’est pas encore passée par le crible de son autocritique, selon Kant, est qu’elle considère le conditionné comme une chose en soi dans la majeure du raisonnement, et comme un phénomène dans la mineure : « Il en résulte clairement que la majeure du raisonnement cosmologique prend le conditionné dans le sens transcendantal d’une catégorie pure, alors que la mineure le prend dans le sens empirique d’un concept de l’entendement appliqué à de simples phénomènes, et par conséquent qu’on rencontre ici cette tromperie dialectique que l’on appelle sophisma figurae dictionis73 ».

Il n’y aurait pas de contradictions si on reprenait l’argument soit uniquement du point de vue de la chose en soi, soit uniquement du point de vue du phénomène. D’un côté, si on reprend l’argument complet en adoptant uniquement le point de vue purement intelligible : la majeure ne change pas, et la mineure affirme simplement que tous les objets tels qu’ils sont en eux-mêmes sont donnés, mais pas à nous. Ce point de vue ne nous apporte aucune connaissance, puisqu’il est impossible pour nous d’avoir accès à la connaissance de ces objets en eux-mêmes. D’un autre côté, si on conserve la mineure telle qu’elle est, considérant les objets comme des phénomènes, la majeure doit plutôt être :

72 CRP, p. 474, A 497/B 525. 73 CRP, p. 476, A 499/B 527.

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« Quand le conditionné est donné, une régression dans la série de toutes les conditions de celui-ci nous est par là même prescrite comme une tâche74 ». Comme les phénomènes

s’inscrivent dans notre intuition sensible spatiotemporelle, on peut trouver une série de conditions à travers cette faculté uniquement. Donc, on comprend que la série n’est pas automatiquement entièrement donnée une fois que le conditionné est donné : on doit faire un travail intellectuel pour retracer la régression des conditions.

Maintenant, qu’est-ce que cela signifie pour les antinomies? Les contradictions entre les thèses et les antithèses ne sont plus absolues. Les antinomies sont créées parce que l’on prend l’Idée de la totalité absolue du monde comme faisant partie des phénomènes, alors qu’on ne peut considérer cette Idée que comme une chose en soi :

« Ainsi l’antinomie de la raison pure à propos de ses Idées cosmologiques se trouve-t-elle supprimée, du fait que l’on montre qu’elle est simplement dialectique et qu’elle correspond au conflit lié à une apparence provenant de ce que l’on a appliqué à l’Idée de la totalité absolue, qui n’a de valeur que comme condition des choses en soi, à des phénomènes qui n’existent que dans la représentation et, quand ils constituent une série, dans la régression successive, mais qui, sinon, sont dépourvus de toute existence75 ».

Les antinomies vont donc tomber puisque le choix ultime entre thèse et antithèse n’est plus le seul choix possible. Par exemple, si on reprend la première antinomie qui oppose monde fini et monde infini, ces deux options nous paraissaient être les seules possibles. Mais maintenant que le voile du réalisme transcendantal est levé, il nous reste la possibilité que le monde soit ni fini, ni infini puisqu’il ne nous est jamais donné dans sa totalité. Il n’existe pas de monde en soi, on ne peut que suivre la régression des phénomènes qui composent le monde, mais le monde en soi nous est inconnaissable et ne peut donc pas être qualifié ni de