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Une solution reposant sur une lecture inédite des conditions d’applicabilité du droit au procès équitable

L’applicabilité exceptionnelle de l’article 6 C.E.D.H à certaines catégories d’autorités administratives décidant en matière pénale et

A. Une solution reposant sur une lecture inédite des conditions d’applicabilité du droit au procès équitable

En matière fiscale, le Conseil d’État a clairement abandonné sa lecture organique de l’article 6 C.E.D.H. (2), qui l’avait conduit pendant longtemps à déclarer inopérant le moyen tiré de la violation de l’article 6 C.E.D.H. par l’administration fiscale dans le prononcé de sanctions (1).

1. Une solution singulière

L’année 2006 marque un tournant majeur dans la jurisprudence administrative sur l’applicabilité organique de l’article 6 C.E.D.H. Mettant fin à une jurisprudence traditionnelle, le Conseil d’État reconnaît l’applicabilité de cette stipulation à une autorité administrative classique : l’administration fiscale.

Jusqu’alors, et sous réserve de la jurisprudence issue de l’arrêt « Didier » précité, il était jugé de manière constante que le moyen tiré de la violation du droit au procès équitable ne pouvait être utilement invoqué que pour la phase contentieuse de mise en cause de la sanction administrative601, et non pour la procédure conduisant à

son prononcé.

Ainsi, régulièrement, le juge administratif rappelait que « les dispositions de

l’article 6 § 1 C.E.D.H. n’ont pas pour objet d’imposer le déroulement d’une procédure de caractère juridictionnel avant que la sanction (administrative) soit prononcée par l’autorité habilitée à le faire… la circonstance que la requérante n’ait pas, avant le prononcé de la sanction administrative, bénéficié de l’ensemble des garanties du recours juridictionnel prévues par l’article 6 de la C.E.D.H., n’est pas en tout état de cause de nature à rétroagir sur la légalité de l’acte administratif ayant décidé la sanction »602.

601 On vise ici les seules pénalités et majorations fiscales présentant un caractère punitif et visant à

empêcher la réitération des agissements qu’elles visent, par opposition aux intérêts de retard ou aux majorations ayant le caractère d'une simple réparation pécuniaire.

Le prononcé de sanctions fiscales par l’administration603 n’échappait pas à la

règle.

Le commissaire du gouvernement ARRIGHI DE CASANOVA, l’avait d’ailleurs clairement rappelé dans ses conclusions rendues sur le célèbre avis de Section du 31 mars 1995 aux termes desquelles l’article 6 C.E.D.H. « ne contient

aucune disposition qui régisse, au niveau de l’administration et hors phase contentieuse, l’élaboration et le prononcé des pénalités pour manœuvres frauduleuses ».

Ce principe avait encore été explicitement affirmé dans un arrêt « S.A.R.L. Maurel et fils » du 27 mars 2000604, relatif à des pénalités fiscales infligées en application de l'article 1763 A du code général des impôts. La question de la transposition de l'arrêt « Didier » à la procédure d’établissement des sanctions fiscales avait alors été posée, par le commissaire du gouvernement, en ces termes : « le moyen tiré de l'article 6 est inopérant car il vise la procédure d'établissement de

la pénalité. Or l'article 6 ne concerne que la procédure suivie devant les juridictions. Cette solution n'est pas remise en cause par la jurisprudence d'Assemblée Didier, du 3 décembre dernier, qui se borne à assimiler certains organes administratifs collégiaux à un « tribunal » au sens de l'article 6 ».

2. Une solution inattendue

Face à la constance de la position de la jurisprudence administrative, il était difficile de présager du revirement introduit par l’arrêt « Krempff » du 27 février 2006605. La doctrine ne l’avait d’ailleurs jamais envisagé606.

603 On vise ici les seules pénalités et majorations fiscales présentant un caractère punitif et visant à

empêcher la réitération des agissements qu’elles visent, par opposition aux intérêts de retard ou aux majorations ayant le caractère d'une simple réparation pécuniaire.

604 Voir également : CE, 27 mars 2000, no 187703, S.A.R.L. Maurel et fils, R.J.F., 5/00, no 985,

concl. ARRIGHI DE CASANOVA Jacques : « les stipulations de l'article 6-1 précitées ne sont,

en particulier, pas invocables à l’encontre de la procédure par laquelle l'administration fiscale établit des pénalités ».

605 CE, 27 février 2006, no 257964, Krempff, JurisData no 2006-080865 ; Droit fiscal, 2006, no 29,

C’est, donc, contre toute-attente que le Conseil d’État affirme que « les

principes qu’elles [les stipulations de l’article 6 § 1] énoncent sont applicables à la contestation de ces pénalités devant les juridictions compétentes, y compris en tant qu’elle concerne la procédure d’établissement des pénalités ».

Quelques mois plus tard, cette solution est confirmée dans un arrêt « Pessey » du 11 décembre 2006607, selon lequel les principes posés par l’article 6 § 1 « sont

applicables à la contestation des pénalités fiscales, qui constituent des accusations en matière pénale au sens de ce texte, devant les juridictions compétentes, y compris en tant qu’elle concerne la procédure d’établissement des pénalités ».

Par une décision « S.A. Martell » du 24 mars 2006608, le Conseil d’État a implicitement jugé que le deuxième paragraphe de l’article 6 C.E.D.H., relatif à la protection de la présomption d’innocence jusqu’à la condamnation, est applicable non seulement à la procédure suivie devant le juge, mais également à la procédure administrative d’imposition.

L’arrêt du 26 mai 2008, « Société Norelec »609 a donné le dernier coup de

grâce à l’avis de Section du 31 mars 1995 et à ses implications en matière fiscale. Il y est jugé qu’« en excluant par principe qu’un contribuable puisse invoquer la

méconnaissance des stipulations de cet article [6] pour contester la procédure d’établissement d’une pénalité fiscale alors que la mise en œuvre de cette procédure pourrait, dans certains cas, emporter des conséquences de nature à porter atteinte de manière irréversible au caractère équitable d’une procédure ultérieurement engagée

606 SERMET Laurent, « Bilan de la jurisprudence du Conseil d’État sur l’application de l’article 6

de la Convention européenne des droits de l’homme », R.F.D.A., 1997, p. 1010 ; ANDRIANTSIMBAZOVINA Joël et SERMET Laurent, « Droit administratif et Convention européenne des droits de l'homme. Jurisprudence administrative et Convention européenne des droits de l'homme », R.F.D.A., 2000, p. 1059.

607 CE, 11 décembre 2006, no 278806, Pessey, JurisData n° 2006-081071 ; Droit fiscal, 2007, no 8,

comm. 212 ; R.J.F., 3/2007, no 380.

608 CE, 24 mars 2006, no 257330, S.A. Martell and co, Droit fiscal, no 39, 28 septembre 2006,

p. 1673.

609 CE, 26 mai 2008, précité, JurisData no 2008-081339 ; Droit fiscal, 2008, no 28, comm. 411,

devant le juge de l’impôt, la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ».

Aujourd’hui, force est de constater que la formule traditionnelle consacrée dans l'avis « SARL Auto-Industrie Méric », selon laquelle l’article 6 C.E.D.H. « n'est

applicable qu'aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions », est

désormais « obsolète en ce qui concerne le cadre qui lui avait donné lieu, celui des

sanctions fiscales prononcées par des autorités administratives « classiques »610.

Comme l’a souligné François SÉNERS, commissaire du gouvernement sur cette affaire, il s’agit là d’une solution particulièrement originale dans la mesure où l’article 6 C.E.D.H. est appliqué à des sanctions qui n’ont nullement été prononcées par des juridictions ou par des organismes collégiaux s’apparentant à des « tribunaux au sens de ». Pourtant, la doctrine ne s’en est pas particulièrement émue. La plupart des auteurs se sont, en effet, bornés à constater la nouvelle possibilité d’invoquer l’article 6 § 1 C.E.D.H. pour contester la procédure d’établissement d’une pénalité fiscale611, sans rechercher les raisons ayant conduit à un revirement d’une telle ampleur. Nous en venons au second point.

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