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Une inapplicabilité bénéficiant à un nombre restreint de décisions administratives

L’inapplicabilité exceptionnelle de l’article 6 C.E.D.H aux autorités administratives

A. Une inapplicabilité particulièrement cantonnée

1. Une inapplicabilité bénéficiant à un nombre restreint de décisions administratives

Au risque de nous voir reprocher la banalité de nos propos, tant ce qui suit a déjà été mis en exergue par une importante partie de la doctrine353, il nous faut

rappeler que seules quatre catégories de décisions administratives ne sont pas soumises au jeu de l’article 6 § 1 C.E.D.H. invoqué au titre de la matière civile.

Sommairement, il s’agit des décisions étroitement liées au système électoral354,

de celles portant sur l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers355, de celles intervenant en matière fiscale356, et enfin de celles concernant certains fonctionnaires357. La Cour considère, en effet, que ces dernières se meuvent dans la sphère exclusive du droit public.

Concernant les premières, la Cour de Strasbourg a jugé, dans son arrêt « Pierre-Bloch c/ France » du 21 octobre 1997, que la décision prononçant l’inéligibilité d’un candidat à la députation pendant un an et le déclarant

353 VELU Jacques et ERGERC Rusen, La convention européenne des droits de l’homme, Bruylant,

Bruxelles, 1990, p. 380, no 425 ; SUDRE Frédéric, Droit européen et international des droits de l’homme, P.U.F., 9ème éd., 2009, p. 362 à p. 364, no 207 ; MILANO Laure, Le droit à un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme, Thèse Montpellier, SUDRE

Frédéric (dir.), L.G.D.J., 2006, p. 144, no 197 ; GONZALES Gérard, « Le sens européen de la

notion de « contestations sur des droits et obligations de caractère civil », in L’extension des

garanties du procès équitable hors les juridictions ordinaires : les contraintes européennes,

Institut de droit européen des droits de l’homme, avril 2002, SUDRE Frédéric (dir.), p. 25 à p. 27 ; GUINCHARD Serge, DELICOSTOPOULOS Constantin-S, DOUCHY-OUDOT Mélina, FERRAND Frédérique, Droit processuel : Droit commun et droit comparé du procès équitable, Dalloz, 2007, p. 152 et p. 157, no 100, à p. 158, no 98 ; SOYER Jean-Claude et DE SALVIA

Michel, « Article 6 », La Convention européenne des droits de l'homme, Commentaire article par

article, PETTITI Louis-Edmond, DECAUX Emmanuel et IMBERT Pierre-Henri (dir.),

Economica, 2ème éd., 1999, p. 253 ; GROTRIAN Andrew, L'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'homme, Conseil de l'Europe, Direction des droits de l'homme, 1994,

p. 18 et p. 19.

354 CEDH, 21 octobre 1997, no 24194/94, Pierre-Bloch c/ France, Cahiers du Conseil constitutionnel, 1998, no 4, p. 123, note FLAUSS Jean-François ; R.T.D.H., 1998, p. 339 et

suivantes, obs. FLAUSS Jean-François ; A.J.D.A., 20 décembre 1997, p. 982, obs. FLAUSS Jean- François ; A.J.D.A., 1998, p. 65, note BURGORGUE-LARSEN Laurence ; R.F.D.A., 1998, p. 999, note JEAN Pascal.

355 CEDH, 5 octobre 2000, no 39652/98, Maaouia c/ France, § 40, précité. 356 CEDH, 12 juillet 2001, no 44759/98, Ferrazzini c/ Italie, précité.

357 CEDH, 19 avril 2007, no 63235/00, Vilho Eskelinen et autres c/ Finlande, § 55, R.F.D.A., 2007,

p. 1031, note GONZALEZ Gérard ; A.J.D.A., 2007, p. 1921, obs. FLAUSS Jean-François ;

A.J.D.A., 2007, p. 887, obs. BRONDEL Séverine ; R.T.D.H., 2008, p. 1125, obs. VAN

démissionnaire d'office, et ce, suite au dépassement du plafond des dépenses électorales autorisées par la loi, est étrangère aux droits et obligations de caractère civil.

Trois ans plus tard, la décision « Maaouia c/ France » énonce qu’une mesure d'interdiction du territoire français ne porte pas sur des droits et obligations de caractère civil.

Tel est également le cas des décisions prises en matière fiscale358. Si certains

auteurs ont cru « qu’un premier pas avait été franchi, en ce qui concerne la

reconnaissance du caractère civil, au sens de la convention, de certains contentieux fiscaux, avec la décision Périscope c/ France » dans la mesure où « la Cour assimile à un droit de « caractère civil » au sens de l'article 6, le droit à indemnité pour faute de l'administration en matière d'allégements fiscaux et de dégrèvements postaux vis-

à-vis d'éditeurs concurrents »359, c’est, nous semble-t-il, au détriment de la

distinction entre, d’une part, le contentieux fiscal, entendu comme le contentieux de l’assiette et du recouvrement des impositions, qui échappe à l’empire de l’article 6 C.E.D.H., volet civil, et, d’autre part, le contentieux de la responsabilité administrative, pour lequel l’applicabilité de cette stipulation est clairement reconnue dans la jurisprudence européenne.

Enfin, par un arrêt « Vilho Eskelinen et autres c/ Finlande » 360 du 19 avril

2007, il a été jugé que le statut de fonctionnaire d’un requérant peut suffire à le soustraire à la protection offerte par le volet civil de l’article 6 C.E.D.H. si, d’une part, le droit interne de l’État concerné a expressément exclu l’accès à un tribunal s’agissant du poste ou de la catégorie de salariés en question et si, d’autre part, cette dérogation repose sur des motifs liés à l’intérêt de l’État.

358 CEDH, 12 juillet 2001, no 44759/98, Ferrazzini c/ Italie, précité.

359 BATJOM Bruno, « Le contentieux administratif face à l’article 6 § 1 de la convention

européenne des droits de l’homme », L.P.A., 24 mars 1995, no 36, p. 11.

360 CEDH, 19 avril 2007, no 6323500, Vilho Eskelinen et autres c/ Finlande ; R.F.D.A., 2007,

p. 1031, note GONZALES Gérard ; J.C.P., 2007, I, 182, SUDRE Frédéric ; A.J.D.A., 2007, p. 60, p. 1360, note ROLLIN François et p. 1921, note, FLAUSS Jean-François ; A.J.F.P., 2007, p. 246, note FITTE-DUVAL Alice ; R.D.P., 2008, no 3, p. 951, note GONZALES Gérard.

L’« immunité » accordée à ces diverses décisions administratives n’a pas été sans soulever une certaine incompréhension doctrinale361, notamment au regard de la

définition européenne de la matière civile.

En ce sens, les professeurs Jacques VELU et Rusen ERGEC se sont étonnés de ce que les impositions fiscales et parafiscales, qui présentent des aspects de droit privé en tant qu’elles affectent les droits patrimoniaux des contribuables, ne déclenchent pas l’applicabilité du volet civil de l’article 6 § 1 C.E.D.H.362.

Messieurs Jacques SOYER et Michel DE SALVIA ont également mis en exergue un paradoxe entre, d’une part, une protection du procès équitable accordée à une action reposant sur un refus de faveurs fiscales363 et, d’autre part, une exclusion du procès équitable s’agissant d’une contestation sur un relèvement fiscal prétendu injustifié364. Cependant, là encore, cette objection nous paraît contestable dès lors

qu’elle procède d’une confusion entre le contentieux fiscal et le contentieux de la responsabilité administrative.

De la même manière, madame SAROLÉA a souligné, à propos de la police des étrangers, que « l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 C.E.D.H. sous l’angle civil ne

tenait pas compte de l’emprise croissante du droit au respect de la vie privée ou familiale »365.

361 GUINCHARD Serge, DELICOSTOPOULOS Constantin-S, DOUCHY-OUDOT Mélina,

FERRAND Frédérique, Droit processuel : Droit commun et droit comparé du procès équitable, Dalloz, 2007, p. 220, n° 128 ; SUDRE Frédéric, Droit européen et international des droits de

l’homme, P.U.F., 9ème éd., 2009, p. 153 et p. 154, no 98.

362 Voir également en ce sens : FLAUSS Jean-François, A.J.D.A., 20 juillet/20 août 1994, p. 513. Le

professeur Jean-François FLAUSS a avoué « ne pas très bien comprendre que la matière fiscale

entre dans le champ d’application de l’article 1 du protocole additionnel, en ce qu’elle intéresse le droit de chacun au respect de ses biens (13 mai 1976, X. c/ Autriche, req. no 6087/73, DR 5,

p. 10 ; 3 mars 1983, X. c/ Belgique, req. no 9553/81, non publié) et que corrélativement une

contestation d’ordre fiscal puisse être considérée comme ne portant pas sur un objet patrimonial au sens de l’article 6-1 ».

363 CEDH, 26 mars 1992, no 11760/85, Éditions Périscopes c/ France.

364 SOYER Jean-Claude et DE SALVIA Michel, « Article 6 », La Convention européenne des droits de l'homme, Commentaire article par article, PETTITI Louis-Edmond, DECAUX Emmanuel et

IMBERT Pierre-Henri (dir.), Economica, 2ème éd., 1999, p. 253.

365 SAROLÉA Sylvie, « Les droits procéduraux du demandeur d'asile au sens des articles 6 et 13 de

Nous admettons sans conteste que ces diverses procédures affectent soit le patrimoine du justiciable, soit un droit dont la nature privée ne saurait prêter à discussion366. D’ailleurs, la Cour de Strasbourg le reconnaît expressément, soulignant

à propos de la matière fiscale ou encore de la procédure électorale qu’elle « avait

aussi un enjeu patrimonial ». Quant aux mesures de police portant sur l’entrée, le

séjour ou l’éloignement des étrangers, les juges européens relèvent également leurs « conséquences importantes sur la vie privée et familiale » et sur d’éventuelles

« expectatives en matière d'emploi »367.

Mais il faut également rappeler368 que pour les juges européens, les éventuelles répercussions de ces procédures sur des droits patrimoniaux ou sur le droit au respect de la vie privée ou familiale ne constituent pas, en tant que telles, une circonstance suffisante pour conclure au caractère civil des procédures litigieuses.

Quant aux incidences patrimoniales, soulignons que la Cour juge de manière péremptoire et prétorienne qu’« il peut exister des obligations « patrimoniales » à

l’égard de l’État ou de ses autorités subordonnées qui, aux fins de l’article 6 § 1, doivent passer pour relever exclusivement du domaine du droit public et ne sont, en conséquence, pas couvertes par la notion de « droits et obligations de caractère civil » 369. Tel est le cas, d’une part, de la matière fiscale, en tant qu’elle ressort

« encore au noyau dur des prérogatives de puissance publique »370 et, d’autre part, du

contentieux électoral, dans la mesure où « les litiges relatifs à l’organisation du droit

de se porter candidat à une élection et de conserver son mandat est de caractère politique »371. C’est également lorsque « l’exercice de l’autorité étatique » est en

cause que les litiges relatifs à certains fonctionnaires ne peuvent relever de la matière civile au sens de la Convention.

366 Le droit de propriété, le droit au respect de la vie privée ou familiale. 367 CEDH, 5 octobre 2000, no 39652/98, Maaouia c/ France, § 38, précité. 368 Voir Partie 1, Chapitre 1, Section 1, II, A, 1.

369 CEDH, 9 décembre 1994, Schouten et Meldrum c/ Pays-Bas, § 50, précité ; CEDH, 12 juillet

2001, no 44759/98, Ferrazzini c/ Italie, § 25, précité.

370 CEDH, 12 juillet 2001, no 44759/98, Ferrazzini c/ Italie, § 29, précité. 371 CEDH, 21 octobre 1997, no 24194/94, Pierre-Bloch c/ France, § 50.

S’agissant de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale par les procédures d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, la Cour écarte cet aspect au profit d’une certaine interprétation du Protocole n° 7 de la Convention. Selon elle, ce texte manifesterait, la volonté des États « de ne pas inclure » les procédures d’expulsion des étrangers « dans le champ d'application de l'article 6 § 1

de la Convention ».

À ce stade, plusieurs remarques s’imposent.

Concernant le motif retenu par la Cour pour écarter l’applicabilité de l’article 6 § 1 C.E.D.H., volet civil, aux procédures d’expulsion des étrangers, il n’emporte guère notre conviction, et ce à plusieurs égards.

D’une part, les juges strasbourgeois n’ont, par le passé, prêté que très peu d’attention à la volonté des États d’exclure certains litiges, et notamment ceux opposant les particuliers à l’administration372, du champ d’application du droit au

procès équitable.

D’autre part, la Cour interprète le Protocole no 7 de manière fort discutable373. En ce sens, le juge LOUCAIDES soulignait, dans ses opinions dissidentes sur l’arrêt « Maaouia c/ France », qu’il « n'est (…) pas raisonnable de supposer qu'un rapport

explicatif sur le Protocole no 7, qui comprend une déclaration d'après laquelle

l'article 1 du Protocole no 7 « ne porte pas atteinte » à l'interprétation de l'article 6

que l'on trouve dans la décision de la Commission sur la requête no 7729/76,

372 Voir GÉRARD Laurence, « Sur l’applicabilité de l’article 6, volet civil, de la CEDH aux

contentieux fiscaux. (À propos de l’arrêt CEDH, 12 juillet 2001, Ferrazzini c/ Italie) », Revue de

droit fiscal, année 2002, no 10, p. 438, et plus précisément p. 444 à 446.

373 FLAUSS Jean-François, A.J.D.A., 20 décembre 2000, p. 1011. Pour l’auteur, « il est peut-être quelque peu hasardeux de vouloir transformer le Protocole no 7 en moyen d'interprétation

authentique d'une disposition de la Convention, alors même que quatorze États parties ne l'ont pas encore ratifié. En outre, les champs d'application des garanties prévues par l'article 6(1) et l'article 1 du Protocole no 7 ne sont pas identiques : ces deux dispositions poursuivent des

objectifs différents. C'est dire que la Cour a versé dans une démarche éminemment syncrétique. Enfin, l'appel au Protocole no 7 est opéré dans une perspective fondamentalement conservatrice

(au sens premier du terme), qualifiée par certains de régressive (v. dans ce sens l'opinion dissidente commune à MM. Loucaides et Traja). À titre de comparaison, on rappellera que l'ancienne Cour se refusait à admettre qu'un protocole (en l'occurrence l'article 5 du Protocole no 7) puisse être invoqué comme une lex specialis opposable à une interprétation évolutive d'une

disposition de la Convention » (v. sur ce point CEDH, 22 février 1994, Burghartz c/ Suisse, Actualité de la CEDH, A.J.D.A., 1994, p. 511) ».

équivaut pour les auteurs du Protocole à donner leur aval à cette interprétation ou témoigne de leur intention de la préserver ou d'éviter que la jurisprudence de la Cour n'évolue sur le même sujet. De plus, ce rapport ne saurait impliquer (comme la majorité l'affirme) que l'article 1 du Protocole no 7 a été adopté parce que les Hautes

Parties contractantes, « conscient(e)s que l'article 6 § 1 ne s'appliquait pas aux procédures d'expulsion d'étrangers », ont souhaité prendre des mesures spécifiques

dans ce domaine. Rien dans le texte de l'article 1 du Protocole no 7 ne vient

corroborer cette conclusion. D'ailleurs, la nature des garanties minimales spécifiques prévues par lui ne fournit aucun élément donnant à penser qu'elles étaient censées combler une lacune due à l'absence, à l'article 6, de garanties judiciaires en matière

d'expulsion des étrangers. Encore une fois, l'article 1 du Protocole no 7 tendait à

édifier face à l'administration une protection qui ne pouvait en aucun cas se substituer aux garanties judiciaires de l'article 6 ni même minimiser les effets négatifs qu'entraînerait l'absence de ces dernières. La protection dont il s'agit peut fort bien venir compléter les garanties judiciaires de l'article 6. »

Permettons-nous d’ajouter que si le protocole no 7 exprimait effectivement la

volonté des États de ne pas soumettre le droit des étrangers à l’empire de l’article 6 de la Convention, ce texte devrait aussi emporter ipso facto l’inapplicabilité de cette stipulation au titre de la matière pénale. Or, tel n’est pas le cas en l’état actuel de la jurisprudence strasbourgeoise. En effet, c’est uniquement après avoir constaté que « l'interdiction du territoire ne revêt pas en général un caractère pénal dans les États

membres du Conseil de l'Europe » et que « Cette mesure qui, dans la plupart des États, peut également être prise par l'autorité administrative, constitue, de par sa nature, une mesure de prévention spécifique en matière de police des étrangers et ne porte pas sur le bien-fondé d'une accusation pénale dirigée contre le requérant, au sens de l'article 6 § 1 » que la Cour conclut que « la procédure en relèvement de cette mesure ne saurait davantage relever du domaine pénal ». Des considérations de

stricte rigueur juridique auraient dû conduire les juges européens à déclarer la requête « irrecevable comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la

Convention », sans rechercher au fond si la décision d’interdiction du territoire

Au regard de ce qui précède, il aurait été, nous semble-t-il, plus judicieux de s’appuyer sur le caractère régalien des décisions prises en matière de séjour, d’entrée et d’éloignement des étrangers pour justifier l’inapplicabilité du volet civil de l’article 6 § 1 C.E.D.H. Une telle approche aurait, en effet, présenté un double mérite. D’une part, elle aurait mis à mal l’idée selon laquelle la jurisprudence européenne en matière de police des étrangers est « guidée par des motivations d'opportunité »374. D’autre part, elle aurait assuré une unité jurisprudentielle, en permettant de systématiser les motifs susceptibles de faire obstacle à la qualification civile d’un droit.

C’est d’ailleurs la voie choisie par certains auteurs qui, décrivant la jurisprudence européenne relative à l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 C.E.D.H., volet civil, se bornent à souligner que seules les procédures « de nature administrative et

discrétionnaire impliquant l’exercice de prérogatives de puissance publique »

résistent « à l’attraction de l’article 6 »375. Le motif tiré de l’adoption du protocole

no 7 n’est jamais mentionné.

De notre point de vue, cette dernière présentation doctrinale soulève également quelques observations.

Bien qu’elle fasse écho à la rédaction employée par la Commission européenne dans le cadre de ses décisions portant sur le contentieux des étrangers376, elle ne

reflète pas exactement la jurisprudence de la Cour. En effet, comme nous l’avons déjà

374 FLAUSS Jean-François, « L’applicabilité de l’article 6-1 au contentieux des mesures

d’éloignement des étrangers », A.J.D.A., 20 décembre 2000, p. 1011.

375 SUDRE Frédéric, Droit européen et international des droits de l’homme, P.U.F., 9ème éd., 2009,

p. 362, no 207 ; LABAYLE Henri et SUDRE Frédéric, R.F.D.A., novembre - décembre 2001

p. 1252 ; Voir également GUINCHARD Serge, DELICOSTOPOULOS Constantin-S, DOUCHY- OUDOT Mélina, FERRAND Frédérique, Droit processuel : Droit commun et droit comparé du

procès équitable, Dalloz, 2007, p. 157, no 100 : « Reste encore en-dehors du champ d’application de l’article 6 en matière civile et selon la jurisprudence européenne, (…) tout ce qui touche au pouvoir discrétionnaire de l’administration » ; SUDRE Frédéric, Droit européen et international des droits de l’homme, P.U.F., 9ème éd., 2009, p. 362, no 207.

376 Commission, 9 novembre 1987, no 13162/87, P. c/ Royaume-Uni ; 16 octobre 1986, no 12122/86,

Lukka c/ Royaume-Uni ; 17 octobre 1986, no 12364/86, A. Kilic c/ Suisse : « Les procédures suivies par les pouvoirs publics pour décider du point de savoir si un étranger doit être autorisé à rester dans un pays ou en être expulsé sont des actes discrétionnaires, de caractère administratif, qui n’emportent pas décision d’une contestation sur des droits de caractère civil au sens de l’article 6, paragraphe 1er de la Convention ».

démontré377, l’ensemble des décisions administratives prises dans le cadre d’une

compétence discrétionnaire et traduisant l’exercice de prérogatives de puissance publique ne bénéficient pas de ce seul fait d’une immunité quant à l’applicabilité de l’article 6 § 1 C.E.D.H. au titre de la matière civile.

De surcroît, cette analyse ne permet pas de justifier l’inapplicabilité du volet civil de cette stipulation à la matière fiscale dès lors que « l’établissement des

impositions est aujourd’hui fermement encadré par des dispositions légales diminuant d’autant le pouvoir discrétionnaire de l’Administration »378.

Par conséquent, il nous semble que la définition des droits de caractère public doit répondre à une acception plus restrictive. Selon nous, sont étrangères aux contestations sur des droits et des obligations de caractère civil, les procédures qui affectent « les prérogatives régaliennes de l’État »379, « la souveraineté de l’État

dans son étroite spécificité »380, « le noyau dur de l’imperium étatique »381, « le cœur

de l’imperium étatique »382. À cet égard, il ressort de l’analyse des arrêts « Pierre-

Bloch c/ France », « Maaouia c/ France », « Ferrazzini c/ Italie » et « Vilho Eskelinen et autres c/ Finlande » précités que la Cour refuse d’accoler le qualificatif « civil »

377 Voir Partie 1, Chapitre 1, Section 1, II, A, 1 ; CEDH, 18 janvier 2000, no 39288/98, Association

Ekin c/ France sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 C.E.D.H., volet civil, à une mesure de police administrative édictée en matière de publications étrangères.

378 GÉRARD Laurence, « Sur l’applicabilité de l’article 6, volet civil, de la CEDH aux contentieux

fiscaux. (À propos de l’arrêt CEDH, 12 juillet 2001, Ferrazzini c/ Italie) », Revue de droit fiscal, année 2002, no 10, p. 443 ; Voir également l’opinion dissidente du Juge LORENZEN jointe à

l’arrêt « Ferrazzini c/ Italie » : « les changements intervenus dans la législation française

notamment pour encadrer les pouvoirs de l’administration dans les procédures fiscales, aussi bien administratives que contentieuses, ont fortement réduit le pouvoir discrétionnaire de l’État dans ce domaine ».

379 GONZALES Gérard, « Le sens européen de la notion de contestation sur des droits et obligations

de caractère civil », in L’extension des garanties du procès équitable hors les juridictions

ordinaires : les contraintes européennes, Institut de droit européen des droits de l’homme, avril

2002, p. 25.

380 LE GALL Jean-Pierre, « A quel moment le contradictoire ? Une application de la Convention

européenne des droits de l’homme », in Les nouveaux développements du procès équitable au

sens de la convention européenne des droits de l’homme, Actes du colloque du 22 mars 1996 en

la grande chambre de la Cour de cassation, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 57.

381 SOYER Jean-Claude et DE SALVIA Michel, « Article 6 », La Convention européenne des droits de l'homme, Commentaire article par article, PETTITI Louis-Edmond, DECAUX Emmanuel et

IMBERT Pierre-Henri (dir.), Economica, 2ème éd., 1999, p. 239 et s., plus précisément p. 251. 382 MILANO Laure, Le droit à un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de

aux droits qui ne peuvent être définis, détenus et exercés que par l’autorité souveraine dans la mesure où ils constituent soit des « droits - participation au pouvoir »383,

selon l’expression du professeur Étienne Picard384, soit des droits « attributs de la

souveraineté » en ce qu’ils incarnent la marque de l’indépendance étatique, de la gouvernance385. En ce sens, ils se différencient des droits qui découlent d’un

interventionnisme étatique croissant dans les relations de droit privé et pour lesquels la Cour de Strasbourg retient la qualification de « droits civils » au sens de la Convention. Telle est, à tout le moins, la caractéristique commune aux contentieux qui échappent, dans la jurisprudence européenne, à l’empire de l’article 6 C.E.D.H., volet civil.

Finalement, le caractère inopérant de l’article 6 § 1 C.E.D.H., volet civil, ne peut être opposé qu’à un nombre limité de décisions administratives, lesquelles peuvent, par ailleurs, être redevables du droit au procès équitable au titre de la

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