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Pour une sociologie politique du risque inondation : grille d'analyse

Notre grille d’analyse s’inscrit dans une volonté de rendre compte du processus de politisation des inondations qui s’est opéré sur un terrain particulier, celui du Rhône. Nous proposons dans ce travail de recherche de réaliser une sociologie politique du risque inondation, que nous définissons comme l’analyse de l’inscription politique du risque inondation (aux sens de politics et policy). Dans cette perspective, nous partons de l’analyse de controverses comme un moment privilégié pour appréhender la fabrique de l’action publique et les modalités de politisation du risque inondation (3.1). La survenue d’une controverse autour de la mise en œuvre d’un nouvel instrument d’action publique invite à interroger le sens de l’action publique et son évolution dans le domaine des inondations, à différents niveaux (3.2). Les caractéristiques du domaine d’action publique étudié nous amènent à prendre au sérieux son effet sur le territoire, et de façon dialectique, l’effet du territoire sur l’action

1 Nous entendons les instruments d’action publique à la manière de Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès (2004)

comme des dispositifs qui organisent des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont ils sont porteurs.

publique (3.3). Enfin, l’étude de la fabrique de l’action publique territoriale par le prisme du risque inondation nous offre l’opportunité de questionner certaines recompositions de l’État (3.4.). Nous justifions le caractère combiné de notre grille d’analyse par la complémentarité entre les approches mobilisées (3.5).

3.1 La controverse, lieu privilégié d’observation de la fabrique de l’action

publique

« Naguère, le bureaucrate assemblait dans sa main les trois pouvoirs : technique, politique, administratif ; une fois l'instruction du dossier terminée, on avait en main à la fois la bonne procédure, la meilleure solution technique et l'intérêt général. Il ne restait au riverain, réduit à ses intérêts et à son ignorance, qu'à négocier les indemnités ou à faire dresser des murs antibruit. Aujourd'hui, les procédures s'inventent peu à peu, l'intérêt général reste à composer et les solutions techniques s'ouvrent au milieu des controverses de plus en plus vives »

Bruno Latour, préface à Jacques Lolive (1999, p.9)

À l’instar de la fabrique scientifique (Latour, 1989; Pestre, 2006), les controverses sont une modalité de la fabrique de l’action publique territoriale (Jobert, 1992; Lascoumes, 2006a; Lolive, 1999). Elles sont le lieu privilégié pour étudier la fabrique de l’action publique « au concret », c’est-à- dire de façon processuelle, comme le produit d’arrangements et de traductions entre acteurs multiples, agissant à des niveaux divers et enchevêtrés, aux représentations et aux intérêts incertains et contradictoires, interagissant notamment dans des rapports de compétition autour de la régulation de problèmes publics comme les inondations et créant de fait une action collective qui ne peut se réduire au produit de considérations stratégiques et fonctionnelles. L’action publique relative aux inondations est un espace de controverse, lieu de conflits et d'oppositions autour de solutions techniques, comme l’ont déjà montré certains travaux (Le Bourhis, 2004, p.193).

Analyser et suivre les controverses permet de saisir la fabrique de l’action publique territoriale dans ses hésitations, ses oppositions ou ses adaptations. Précédant (ou accompagnant) l’élaboration ou la mise en œuvre de programmes ou de projets, les controverses permettent de rendre compte des négociations nombreuses qui délimitent les choix techniques (Callon, 1981). Elles sont l’occasion de saisir les luttes définitionnelles autour de la construction de problèmes publics, les opérations de politisation ou de dépolitisation autour d’un objet comme les inondations, les oppositions cognitives que la mise en œuvre d’instruments peuvent susciter, et les tentatives de clôture d’une controverse ou de lutte de pouvoir autour de l’imposition de savoirs ou d’expertise légitimes. Les controverses ont une valeur analytique. Mais nous n’entendons pas nous arrêter à cette dimension heuristique de l’analyse des controverses (Lemieux, 2007).

Au-delà de leur rôle révélateur, les conflits et controverses peuvent avoir des effets sur l’action collective. Ils ont un rôle de structuration du social (Melé, 2004), étant la cause ou l’occasion de la constitution d’alliances ou, par le conflit, de médiation d’oppositions. Ils peuvent ouvrir la porte à de nouveaux interlocuteurs de l’action publique (Melé, 2003). Les controverses peuvent être créatrices de dynamiques inattendues, amener à discuter de l’opportunité de dispositifs techniques innovants, créer des rapports sociaux inédits, faire se confronter des références cognitives opposées, obliger les acteurs dominants à justifier leurs positions, etc. (Jobert, 1998; Lolive, 1997). Ainsi, nous prendrons au

sérieux les controverses qui se déploient autour de l’instrument que nous étudions en ce qu’elles sont une modalité de construction de l’action collective. Notamment, une attention particulière sera accordée à la dimension spatiale des conflits.

La fabrique de l’action publique territoriale fait émerger des questions qui peuvent s’avérer conflictuelles comme le partage d’un risque ou la construction d’aménagements de protection. Or, ces positions conflictuelles peuvent s’exprimer par des conflits associés à des territoires. Le territoire peut devenir l’objet du conflit ou de la controverse ou mettre à jour des intérêts ou des représentations antagonistes sur/d’un même territoire (Melé, 2004; Melé, 2003). Le conflit peut provoquer des opérations de construction d’appartenances territoriales, notamment en opposition à un projet d’aménagement (Lolive, 1999). Il peut mettre en relation des acteurs de par leur appartenance à des territoires différents, ou par cette mise en relation créer de nouveaux territoires (au sens d’espaces institutionnalisés).

Nous étudierons également la façon dont les enjeux de connaissance viennent interférer dans la structuration d’une controverse. Comme le rappelle Olivier Borraz, les enjeux de connaissance ne peuvent être dissociés des luttes de pouvoir et de domination (2013, p.246). Cela s’illustre bien concernant le domaine des inondations, où il existe des formes légitimes d’expression (notamment l’hydraulique, l’économique) et des moyens moins légitimes de s’exprimer vis-à-vis de cet objet (le savoir sensible, empirique, l’observation, etc.). De plus, la technicité avancée des instruments de connaissance dans le domaine de l’inondation favorise la fermeture de « boîtes noires » qui peuvent être, à la faveur de controverses, ouvertes et mises en discussion. Ainsi, il conviendra d’analyser la façon dont les enjeux de connaissance et la production scientifique viennent interférer dans le déploiement d’une controverse et dans la fabrique de l’action collective, et en particulier comment ils participent aux opérations de politisation/dépolitisation.

Dans nos travaux il n’apparait pas opérant de réaliser une différenciation stricte entre conflit et controverse. Une controverse est définie par un affrontement entre des points de vue divergents sur un sujet (Lascoumes, 2006a). Elle est caractérisée par l’hétérogénéité des participants, la fluctuation de leurs positions, et l’opposition autour de faits scientifiques (Callon, 1981). Or, s’ils ne sont pas synonymes, la controverse peut susciter des conflits (une manifestation d’opposition ou de protestation). C’est souvent le cas lorsqu’elle concerne des acteurs qui ne sont pas initialement associés aux choix précédant un projet, ou une politique publique, et qui souhaitent s’y impliquer. Le conflit est une des manifestations d’une controverse. Nous ferons donc référence au « conflit » quand il s’agira de désigner des positions antagonistes ou des manifestations d’opposition, et à la « controverse » lorsque nous traiterons de l’hétérogénéité des participants ou de la propension de ceux-là à intégrer au débat des enjeux scientifiques et techniques. Il nous appartiendra de caractériser les situations rencontrées de conflit ou de controverse selon les cas, mais ces deux qualificatifs pourront désigner un même phénomène.

Les controverses sont favorisées par les enjeux publics « marqués de fortes incertitudes concernant leurs frontières et leur objectivation scientifique ou technique, et caractérisés par une forte hétérogénéité des acteurs concernés » (Lascoumes, 2006a). Cette caractéristique semble adaptée au domaine des inondations. Les inondations sont difficiles à connaitre, les incertitudes scientifiques qui y sont attachées fortes et les acteurs concernés nombreux et potentiellement hétérogènes (des habitants, des associations, des entreprises, des acteurs publics, etc.). Le domaine des inondations paraît particulièrement propice à l’analyse des controverses, d’autant qu’il implique des instruments et

des savoirs techniques et spécialisés. Les enjeux relatifs au domaine des inondations peuvent être importants pour les acteurs concernés, concernant leur sécurité, leur cadre de vie ou leur patrimoine et avoir des conséquences fortes pour leurs ressources économiques. De plus, par leur caractère potentiellement traumatisant, les inondations peuvent cristalliser des oppositions importantes.

Nous avons donc privilégié une entrée visant à prendre la controverse et ses acteurs ou participants1 comme point de départ de notre recherche, et de suivre les acteurs de la controverse là où ils nous amènent. Ainsi, nous avons adopté une approche inductive proche de la sociologie des controverses (Callon, 1986; Callon, 1981). Néanmoins, nous n’adoptons pas la perspective poststructuraliste de la « théorie de l’acteur réseau » de Bruno Latour qui étudie l’effet des controverses sur les humains et les « non-humains2

Dans l’analyse de controverse, nous mobilisons notamment des outils relatifs à l’analyse discursive des politiques publiques (Durnova, Zittoun, 2013; Hajer, 2005). Ces derniers paraissent particulièrement pertinents pour rendre compte des opérations de politisation et de dépolitisation qui ont lieu lors d’une controverse. De plus, ils permettent d’appréhender les discours comme des façons de construire le réel mais également de diffuser des représentations. Produire des énoncés représente une façon de participer à une controverse et, dans le cas qui nous intéresse, de renforcer ou disqualifier une solution au problème inondation, ou une échelle pertinente pour le traiter. Les discours autour de l’inondation, même s’ils proviennent d’acteurs et de registres différents (technique, politique, etc.) peuvent être analysés comme des opérations de politisation ou de dépolitisation dont il s’agit d’analyser les modalités et les potentiels effets. La simple qualification d’un discours comme « scientifique » ou « technique » peut être analysé comme une opération de légitimation de ce discours, ou une façon de le dépolitiser.

», et dont les « associations » sont l’objet d’analyse principal (Latour, 2007). Notre objectif n’est pas de lister les associations ni de rendre compte de la façon dont les non-humains sont reconfigurés par la controverse, mais plutôt d’identifier la capacité des acteurs à participer à l’action collective par des opérations de « politisation » ou de « dépolitisation », qui sont autant de manières de monter en généralité en s’appuyant sur des dispositifs, des instruments ou des éléments naturels. Néanmoins, nous porterons une attention particulière à la façon dont les dispositifs matériels et technologiques peuvent avoir des effets sur la structuration sociale et territoriale, et sur la dynamique des controverses. Les controverses sont l’occasion de comprendre la façon dont les élus ou riverains, en rediscutant des présupposés techniques, ou en convoquant des principes de justice, peuvent participer à l’action collective relative aux inondations.

3.2 Appréhender le sens de l’action publique par les paradigmes

Le point de départ de notre recherche fut donc l’analyse d’une controverse qui s’est déployée autour de la mise en œuvre d’un projet de restauration d’une zone d’expansion de crues sur le Rhône.

1

Si Latour (2007) préfère « protagonistes » et « actant », nous préférons la simplicité d’ « acteurs » et de « participants » (défini comme celui qui participe, et non pas comme celui qui est légitime pour participer), en précisant que nous n’entendons pas projeter sur cette catégorie des rôles préconçus et des catégories rigides, mais que nous n’entendons pas non plus inclure les non-humains sous cette appellation.

2 Dans la théorie de l’acteur réseau les non-humains (humains, objets, microbes, innovations, etc.) sont

considérés comme des « actants » (des acteurs qui agissent) et opposés aux objets, qualifiés de « supports malheureux de projections symboliques » (Latour, 2007p.22)

Partir de l’analyse d’une controverse autour de la mise en œuvre d’un instrument au niveau local est l’occasion de questionner, de façon plus large, l’évolution d’un domaine d’action publique. Ce recul permet de replacer éventuellement l’innovation instrumentale dans une « vision du monde » paradigmatique et ainsi de comprendre les oppositions cognitives à l’œuvre dans une controverse.

Contrairement aux politiques environnementales, les inondations sont en France un domaine d’intervention de l’État relativement ancien, puisque les premières « politiques publiques » de protection contre les inondations datent de 1856 et sont du fait de Napoléon III (Picon, Allard, Claeys- Mekdade, Killian, 2006). Depuis, l’action publique dans le domaine des inondations a subi de profondes mutations. Aujourd’hui, c’est un des domaines privilégiés du ministère de l’Environnement1. Si le domaine des inondations est qualifié de « secteur traditionnel d’intervention de l’État », par Jean-Pierre Le Bourhis et Cyril Bayet (2002, p.4) il s’agit d’un domaine peu sectorisé selon la définition de Pierre Muller (Muller, 2006b). L’action publique relative aux inondations ne s’inscrit pas dans une division claire du travail gouvernemental. Cette dernière a évolué avec le temps, et le risque inondation est encore aujourd’hui pris en charge par différents ministères2. Par ailleurs, le domaine des inondations ne met pas en rapport un ensemble d’acteurs exprimant des intérêts spécifiques, mais plutôt une pluralité d’acteurs aux intérêts fluctuants et peu organisés. Les habitants, les associations de sinistrés, les associations environnementales, les assureurs, les lotisseurs, les élus locaux, ou encore les syndicats mixtes de gestion des inondations ne semblent pas porter des intérêts clairs et organisés, mais varient selon les lieux et les temporalités. Cependant, nous identifions une certaine cohérence dans la façon dont le problème inondation est construit, ce qui nous amènera à questionner le sens de l’action publique dans ce domaine. Ainsi, nous éviterons d’évoquer le « secteur des inondations » pour lui préférer l’expression « domaine des inondations3

De nombreux travaux font référence à la « politique de protection contre les inondations » ou à la « politique de prévention des inondations ». Or, ces expressions ne correspondent pas à des appellations génériques synonymes mais illustrent différentes façons de définir le problème inondation. Certains instruments et acteurs s’attachent à développer la protection (au sens des infrastructures de protection) des populations, territoires et infrastructures contre les crues quand d’autres instruments et acteurs privilégient la prévention (visant à anticiper la survenue d’inondations, permettre l’adaptation des populations à ce phénomène ou limiter l’occupation du sol). Ainsi, les expressions « domaine des inondations », ou « action publique relative aux inondations », malgré leur lourdeur, nous semblent nécessaires pour intégrer les différentes facettes de ce domaine sans pour autant désigner une façon ou une autre de traiter le problème.

».

Les expressions « protection » et « prévention » sont symptomatiques d’une évolution des représentations et des pratiques dans le domaine des inondations, tout comme la succession d’instruments tels que l’endiguement des fleuves, la cartographie règlementaire ou encore les plans

1

Au sein de la Direction Générale de Prévention des Risques, DGPR ; après avoir relevé de la Direction de l’Eau entre 1993 et 2007.

2

Plusieurs ministères agissent dans ce domaine : l’Environnement, mais aussi l’Agriculture, et l’Intérieur.

3 Pierre Lascoumes ne parle pas non plus de « secteur » de l’environnement mais évoque de façon plus générale

les « politiques environnementales », qu’il caractérise comme une série de programmes souvent transversaux à beaucoup de secteurs classiques, souvent fortement ancrés depuis leur origine dans des découpages administratifs stricts (Lascoumes, 2008p.29). Si « le ministère de l’Environnement ne gouverne qu’une faible part du domaine qui lui est symboliquement attribué par son intitulé », les inondations ne sont que partiellement gouvernées par ce dernier.

d’organisation des secours. Les représentations et les instruments sont des témoins privilégiés pour analyser le sens d’un domaine d’action publique peu sectorisé comme celui des inondations, ainsi que pour identifier le changement dans l’action publique.

Afin d’étudier le sens et le changement relatifs au domaine du risque inondation, nous mobiliserons principalement le concept de « paradigme d’action publique ». Issu de la théorie sur les révolutions scientifiques de Thomas Kuhn, ce concept a été transposé à l’analyse des politiques publiques, notamment par Peter Hall (1993) et Yves Surel (1995). Ces derniers mobilisent la création instrumentale, ou le détournement de l’usage d’instruments d’action publique, pour identifier le changement. Ils articulent l’innovation instrumentale avec l’analyse des représentations véhiculées par l’action publique. Yves Surel identifie quatre niveaux qui composent un paradigme d’action publique :

i) des principes métaphysiques généraux ou des récits globaux qui définissent de façon assez large une conception de la société et une vision du monde ;

ii) des hypothèses et des lois « qui établissent un lien entre le système symbolique et l’univers concret », qui assurent « l’opérationnalisation des principes métaphysiques généraux » (Surel, 1995, p. 132) ;

iii) une méthodologie qui caractérise le type de rapport entre l’État et le domaine concerné ; iv) des instruments et des outils qui facilitent l’observation, l’explication et l’action.

L’approche qui conceptualise l’action publique à travers des paradigmes est intéressante pour questionner le sens de l’action publique et ses changements dans le domaine qui nous intéresse. Ce dernier est en effet caractérisé par une multitude d’instruments qui donnent des prises à l’identification de changements, comme le rappellent les tenants de l’analyse de l’action publique par les instruments (Halpern, Lascoumes, Le Galès, 2014; Lascoumes, Le Galès, 2004). Cependant, la création instrumentale n’est pas toujours synonyme de changement. Ainsi, il conviendra de prendre au sérieux la création instrumentale comme indice de changement d’action publique, tout en la replaçant dans une méthodologie, des hypothèses et une vision du monde afin de questionner le changement paradigmatique de l’action publique. Cette approche nous sera utile afin de caractériser les évolutions de l’action publique dans le domaine des inondations, qui semble représenter, au moins dans les intentions, une certaine cohérence aux niveaux international, européen et national. Le concept de paradigme est justifié par le faible degré de sectorisation du domaine des inondations, qui rend difficile l’utilisation de l’analyse par les référentiels de Pierre Muller (2000), qui suppose, d’une part, l’identification de logiques sectorielles et, d’autre part, d’une élite organisée qui assure la pérennité des représentations dominantes dans le secteur. Or, ces deux variables semblaient peu adaptées à l’analyse de notre objet de recherche.

Si nous nous attachons à identifier une certaine convergence dans les orientations des politiques publiques, notamment en mobilisant le concept de paradigme d’action publique, il ne s’agit pas de croire à la fabrique de l’action publique comme un processus linéaire et prévisible. L’identification d’un nouveau paradigme, dans les orientations des politiques publiques et la création instrumentale, ne doit pas amener à ignorer les décalages potentiels avec la mise en œuvre des politiques publiques. Ainsi, nous confronterons l’analyse paradigmatique réalisée à partir des orientations politiques nationales, européennes et internationales avec la mise en œuvre d’une politique publique au niveau local. Il s’agira donc d’analyser les décalages potentiels entre la production d’orientations paradigmatiques et la mise en œuvre d’une politique publique. L’identification d’un changement

paradigmatique dans les orientations de politiques publiques ne pourra suffire à identifier un changement d’action publique sur un terrain spécifique. L’analyse des décalages entre les orientations et la mise en œuvre des politiques publiques représente un terrain intéressant pour analyser la fabrique de l’action publique « au concret ». Néanmoins, plutôt que de s’arrêter à l’identification de ces décalages, il paraît plus intéressant d’identifier les opérations de « traductions » entre des orientations paradigmatiques véhiculées à des niveaux nationaux et supranationaux et la mise en œuvre de politiques publiques au niveau local.

La « traduction » est une notion introduite par Michel Callon en 1986 dans un article en faveur d’une « sociologie de la traduction » (Callon, 1986). Ce concept fait référence à la capacité des acteurs de traduire leurs langages, leurs problèmes, leurs identités ou leurs intérêts dans ceux des autres. Il invite à porter plus attention aux processus qu’au résultat de l’action collective, et nous permet d’éclairer les conditions de la fabrique de l’action publique et notamment la production de sens partagé. Il permet aussi de rendre compte des oppositions cognitives présentes derrière une même notion aux contours flous, comme Pierre Lascoumes l’a montré pour « l’environnement à protéger » (Lascoumes, 1994). Le concept de traduction met aussi l’accent sur l’appropriation (d’un instrument,