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Dans cette thèse, nous abordons la socialisation comme un processus d’appropriation de significations culturelles dans le cadre de la rencontre avec l’autre qui englobe l'incorporation des manières d'être, des croyances intimes d'un individu, d'un groupe (Vinsonneau, 2000). Dans cette perspective dite culturelle, Dérocher (2008) souligne que la socialisation religieuse est « un processus par lequel l’individu apprend et intériorise les normes, les rapports sociaux, les manières d’agir, de penser les règles, les valeurs, bref la culture du groupe social religieux auquel il appartient » (p. 34). Nous supposons que cette socialisation religieuse comporte des particularités culturelles propres à chaque peuple (ici le peuple haïtien) au sein duquel viennent s’ajouter des différences en fonction de l’allégeance religieuse de groupes de personnes pratiquantes (ici les catholiques et les pentecôtistes) notamment en ce qui concerne les rituels religieux, les préceptes, les exigences, les images se rapportant à la sexualité. Dans tous les cas, cette socialisation se fait en deux temps selon Meslin (1988) : la socialisation primaire16 qui débute dès la naissance et se fait au contact avec les institutions (la Famille, l’Église, l’École); durant cette période, l’individu adopte les croyances religieuses de ses parents ou de figures d’attachement et accepte les valeurs, les normes définies par la communauté religieuse (Templeton et Eccles, 2006). La socialisation secondaire apparaît lorsque l’individu commence à s’engager de manière plus active en effectuant des choix, basés sur des valeurs religieuses plus personnelles.

Des études empiriques ont révélé que les parents jouent un rôle crucial dans l’acquisition des valeurs religieuses dans le sens où leurs propres pratiques religieuses favorisent le développement de celles de leurs enfants (Grusec et Kuczynski, 1997; Erikson, 1992). La

16 L’institution religieuse fournit un cadre de socialisation, l’enfant apprend très tôt les leçons sur la

signification du profil de membre (l’école du dimanche dans les églises chrétiennes). Quand il parvient à l’adolescence, certaines communautés religieuses évaluent son cheminement spirituel et définissent des rituels d’intégration à la communauté religieuse (Mercer, 2004 ; Matis, Ahluwalia, Cowie, Kirkland-Harris, 2006).

qualité de l’attachement du jeune à ses parents est aussi impliquée dans ce processus de transmission; selon Bao, Whitbeck, Hoyt et Conger (1999), plus elle est positive, plus l'adolescent aura tendance à suivre les croyances religieuses de ses parents. Boyatzis & Janicki (2003) et Schwartz (2006) montrent que les enfants expriment mieux leurs croyances religieuses dans un contexte familial favorisant le dialogue, ce qui laisse croire qu'ils ne sont pas que des réceptacles de valeurs et que cette socialisation peut se faire en deux sens, i.e « ces acteurs sociaux peuvent être amenés à juger les propositions de la collectivité, à les évaluer (..) Édifier eux-mêmes leurs projets de socialisation » (Vinsonneau, 200, p. 29). Cette analyse montre, comme le pense Dubar (1996) que :

La socialisation n’est pas seulement ni d’abord transmission de valeurs, de normes et de règles, mais « développement » d’une certaine représentation du monde et notamment de mondes spécialisés (….) chaque individu se la compose lentement, en empruntant certaines images aux diverses représentations existantes, en les réinterprétant pour en faire un tout original et neuf (p. 24).

Les études de Regnerus, Smith et Smith (2004) et Niemi (2006) révèlent qu’à mesure que l’adolescent devient plus autonome, l’importance de la religion (ou l'influence des parents en rapport avec les valeurs religieuses) tend à diminuer. Cloutier (1996) va dans le même sens quand il affirme que l’adolescence est le moment où l’individu choisit ses valeurs et délaisse celles des parents, en favorisant ses activités personnelles. Des résultats de recherches empiriques appuient ces réflexions en montrant que l’adolescence est une phase de remise en question ou de révision des valeurs religieuses parentales (Ozorak, 1989), ce que confirment Kroger (2000) et Marcia (1980) en considérant que cet examen personnel est nécessaire au développement de croyances matures ; la maturité cognitive, qui émerge avec l'adolescence, apporte de nouvelles ressources qui favorisent la pensée abstraite (Piaget, 1988) et des questionnements existentiels impliquant une réflexion personnelle, entre autres sur les valeurs religieuses (Falque, 1998).

De plus, certains travaux tendent à montrer que, dépendant de leur niveau de développement, les jeunes appréhendent différemment les aspects que leur transmettent divers agents sociaux, dont les parents. Les résultats d’une recherche effectuée par Manneti

et Tanucci (1993) sur le rôle des parents dans la transmission des RS du travail chez leurs enfants peuvent alimenter ces réflexions. Pour analyser l'évolution de ces RS, ils ont comparé les prises de position des parents et des enfants, à trois moments du développement de ces derniers (10, 13, 18 ans). L’étude aboutit à la conclusion suivante:

The results do not yet allow us to draw any conclusion about the role of parents’ representations in the development of children’s representation of work. In fact, the results do not contradict the hypothesis of an influence of parents’ views (...) at the same time however, our results do not provide evidence to support the claim of a major role for parents’ views of work in the representation of this object to the younger generation (Manneti et Tanucci, 1993, p. 311).

Aux dires des auteurs, à ce jour, les résultats des études portant sur l'influence des RS des parents sur celles de leurs enfants ne sont pas concluants. Il n’est pas non plus évident de savoir quelles RS sont plus susceptibles d’être transmises et pourquoi. Nous supposons que les RS qui reflètent les valeurs culturelles et religieuses les plus solidement ancrées dans la vie quotidienne d'un groupe donné seront au coeur des pratiques éducatives, des conduites à encourager ou à réprimer. Cependant nous ne savons pas encore dans quelle mesure la contradiction de messages émanant des agents socialisation (parents, leaders religieux, experts médicaux, etc.) influence la définition de soi des jeunes.

À part les influences provenant des agents de socialisation, d’autres sources (e.g. les médias, les pairs) peuvent aussi y jouer un rôle. Mais au-delà de ces influences extérieures, il y a lieu de considérer la capacité des jeunes à raisonner de façon autonome, conformément ou non au point de vue de leurs parents. En ce sens, le profil identitaire est une variable essentielle à considérer dans la dynamique représentationnelle par le fait qu'à chaque niveau de développement, l'individu appréhende la réalité de façon qualitativement différente et de plus en plus complexe et autonome (Chombart de Lauwe, 1986).

Dans le cadre de la présente recherche, nous espérons que les résultats qui seront obtenus permettront de comprendre dans quelle mesure, parmi les différentes sources d’influence, la

régulation de l’orthodoxie religieuse a un impact sur les conceptions de la sexualité chez des adolescents qui se définissent comme croyants et pratiquants.

De l’avis de Duveen (2001), le sujet intériorise les RS du milieu en construisant ses propres positions identitaires par rapport aux objets. Cette approche est qualifiée de culturaliste par certains auteurs; elle soutient l’idée que les RS préexistent à l’individu et de ce fait, à l’identité. Dans ses recherches sur les RS des catégories de genre, Duveen (1999) met en valeur les relations entre métasystème et systèmes cognitifs; plus précisément, dans ses idées sur la place de l’identité dans la représentation, il avance :

Tout en permettant de maintenir un sentiment permanent d’eux-mêmes et du monde, les identités les projettent dans un univers social marqué par un ensemble complexe de relations entre les groupes. Si l’identification est une forme de positionnement du soi en rapport avec les représentations, il faut aussi tenir compte de la dynamique complexe qui peut être en jeu (p. 130).

Selon Doise (1989), les RS des enfants dépendent de la situation éducative et des sous- groupes auxquels ils appartiennent; selon lui, les schèmes organisateurs qui structurent les organisations cognitives des individus proviennent de la culture. Garnier (1999) fait remarquer que l’analyse de la formation des RS offre, au cours de sa genèse, l’opportunité de cerner le rapport entre les systèmes cognitifs et le métasystème et le rapport entre l’individuel et le social. La formation ou la transformation des RS, comme nous l’avons vu plus haut, est susceptible d’être une source de débats et d’enjeux où l’identité tient une place centrale (Deschamps et Moliner, 2008).

De tout ceci, il ressort qu’il est nécessaire de bien comprendre la relation qui existe entre l’identité et les RS afin de clarifier la position à adopter dans la présente recherche.