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Selon Moscovici (1961) pour qu’un objet soit considéré comme objet de RS, il lui faut réunir les trois conditions suivantes :

a) Il doit être un objet suscitant la diffusion de l’information à travers la communication de masse. Le savoir social relatif à cet objet est sujet à des distorsions.

b) L’objet sera appréhendé différemment selon les groupes sociaux qui en sélectionnent des aspects en fonction de leurs intérêts.

c) Ce triage d’informations, ce mécanisme de sélection, va permettre aux groupes de combler leurs lacunes à propos de l’objet.

De son côté, Moliner (1996) reformule plus amplement ces conditions en précisant cinq critères qui vont confirmer le statut social de l’objet.

- La représentation de l’objet doit être partagée par des groupes ou des ensembles sociaux dans la mesure où chaque groupe est détenteur d’objectifs communs. La communication à propos de l’objet sera alors orientée selon les appartenances de groupes, les cadres de référence et les systèmes d’interprétation. Il faut souligner qu’on peut rencontrer des RS contradictoires à l’intérieur d’un groupe homogène; l’idée de sens commun ne s’oppose pas à l’idée de prises de position individuelles variables.

- L’objet doit être polymorphe : le caractère polymorphe réfère à la saillance que peut prendre l’objet selon les groupes qui s'y intéressent; cette saillance de l'objet varie selon le temps, le contexte et le groupe social (Breakwell, 2001). Le polymorphisme traduit l’idée qu’il s’agit d’un objet important pour le groupe et « qui peut apparaitre sous différentes formes dans la société » (Moliner, 1993, p. 7). Guimelli (1994) explique bien ce polymorphisme quand il souligne :

L’apparition d’événements considérés par un groupe comme alarmants (susceptibles de menacer son organisation actuelle) ou dangereux pour sa survie provoque souvent l’émergence de pratiques nouvelles qui peuvent être imposées de l’extérieur ou bien que le groupe s’impose à lui-même pour s’adapter à la situation nouvelle (p. 13-14).

Dans ce même ordre d'idées, Wagner (1998 ; 1992) pense que le développement de nouveaux discours sur un objet engendre sa transformation en créant une situation d’ambiguïté qui atteste le polymorphisme de l’objet.

- Ce réajustement s’explique par le fait que l’appropriation de l’objet renvoie à un enjeu public. Chaque groupe social co-construit alors l’objet en fonction des positions sociales et des intérêts de classe de ses membres. L’objet suscite des enjeux quand il remet en question l’identité sociale des acteurs qui élaborent la représentation et menace de ce fait, la cohésion du groupe (Moliner, Rateau, Cohen-Scali, 2002).

- L’objet est ainsi au centre d’interactions sociales : la notion d’enjeu social renvoie aux rapports qu’un groupe entretient avec d’autres groupes sociaux. Il s’agit selon Moliner (1993) d’un enjeu identitaire dans la mesure où « l’objet est investi d'une certaine valeur aux yeux de ceux qui le manipulent » (p. 11).

- Le dernier aspect que souligne Moliner (1996) est le problème de la régulation sociale. L’auteur pense que les systèmes orthodoxes gèlent la dynamique représentationnelle d’objets menaçants. Deconchy (1984) soutient cette idée. Cet auteur croit que dans les systèmes très rigides, comme le système religieux orthodoxe, on ne peut pas parler de construction collective d’objets parce qu’il existe des agents régulateurs qui épargnent les individus de tout sentiment d’incertitude en leur fournissant des « prêts-à-penser ». L’avis de Breakwell (1993) est plus nuancé sur ce point. Cette auteure croit que le groupe s’assure que ses membres soient informés et engagés dans les RS d’objets qui jouent une place centrale dans leur fonctionnement. Cette activité se fait, selon elle, en discréditant la source de propagande des informations contradictoires en vue de neutraliser la RS émergente. Le refus d’accepter le verdict du groupe peut parfois conduire à l’expulsion (Bonardi et Rousseau, 2002). L’auteure ajoute que, dans ce contexte (pour éviter l'expulsion), l’individu peut modifier subtilement la représentation en fonction de son utilisation personnelle (Breakwell, 2001); pour elle, au sein d’un même groupe, il est possible de noter des différences individuelles. En ceci, Breakwell (1993a) rejoint l’idée de Camilleri (1990) qui considère que l’individu qui fait face à des contradictions élabore diverses stratégies pour diminuer l’angoisse qui en résulte et tenter de maintenir cohérente son identité. Tous les individus n’arrivent pas à cet objectif de la même manière.

Les résultats qui seront obtenus dans cette thèse devront alimenter les réflexions sur cet aspect. Le diagnostic de l’objet qu’on a posé antérieurement permet de voir qu’il s’agit d’une RS activée ou polémique15 de la sexualité. Tel qu’évoqué plus haut, le VIH a engendré un débat sociétal à son sujet. De ce débat, on suppose qu’une nouvelle RS a émergé, entraînant avec elle de nouvelles pratiques. La revue de la littérature et la mise en contexte montrent que les systèmes d'orthodoxies religieuses se butent à des difficultés pour étouffer cette dynamique représentationnelle qui prend actuellement place chez les adolescents. Moscovici (1998) avait anticipé ce constat, en soulignant que: « I’m not against orthodoxies, but they never resist the test of the time » (p. 372). C’est également l’avis d’Habermas (2002) dont l’analyse sur la question laisse entendre que toutes les institutions de la société semblent perdre leur gravité dans la modernité.

En somme, l’objet exploré dans cette étude (la sexualité) révèle sa polymorphie par le nombre d’idées et de phénomènes qui y sont associés (le sida, méthodes contraceptives, les rapports sociaux de sexe, les prescrits des autorités religieuses : abstinence, virginité, etc.); les méthodes de collecte des données pour explorer ce champ représentationnel devront en tenir compte. Dans le point suivant, la position de Moscovici sur la genèse de ces savoirs de sens commun et sur la structure qui régit le système représentationnel sera abordée.