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Selon Marcia, les sujets catégorisés dans le profil diffusion ne manifestent pas d’engagement psychosocial (i.e. ils manquent d’affirmation de soi); non seulement leur désir d’explorer leur univers social est faible, mais ils se montrent dépendants vis-à-vis de leur entourage (pairs et parents), peu actifs face aux problèmes qu’ils rencontrent et peu enclins à prendre des décisions et à les assumer (Canard, 2010). Barbot (2008) ajoute que:

« ces adolescents semblent marqués par un profond désintérêt et présentent des difficultés à se positionner » (p. 3).

Les différents extraits qui seront maintenant présentés et commentés sont tirés des protocoles des participants détenant le même profil identitaire. Dans la mesure du possible, des indices sur les questions qui ont suscité les réponses citées sont fournis pour situer leur contexte.

Martine35 (19 ans, catholique) montre un manque de définition de soi (en rapport à la sexualité), elle parle de son malaise à discuter de sexualité ou à poser des questions sur ce sujet :

J’ai suivi des séminaires là-dessus au centre AVSI (centre de santé), une organisation à Cité soleil. Je suis timide pour poser des questions, mais parfois je dis à mes amis de poser la question pour moi afin que je puisse avoir la réponse (f36)… Je vois qu’ils (ses amis) sont à l’aise, moi je ne me sens pas trop… (concernant le condom) Je ne sais pas, je ne l’ai pas encore utilisé (d-Mart).

Parlant du sida, ce qui frappe chez elle, c’est son savoir rudimentaire sur ses modes de transmission: « Ils peuvent l’attraper de plusieurs manières,…… par exemple c’est quand on utilise le rasoir que la personne infectée avait utilisé » (c-Mart). À propos du condom, Martine pense que c’est un danger de l’utiliser quand on ne sait pas comment faire; pour elle, la proposition de l'utilisation revient aux garçons : « Les garçons sont plus intéressés parce que j’ai vu dans un film un garçon et une fille allaient faire l’amour, le garçon a pris le condom, mais la fille l’a jeté (..). Je pense que c’est un danger, surtout si on ne sait pas comment l’utiliser (m-Mart) ».

35 Profil identitaire : Diffusion2, milieu défavorisé.

36 Les lettres minuscules entre parenthèses à la fin d’une unité de signification ou d’un bout de

phrase servent à distinguer les unités de signification obtenues des questions ouvertes de celles relatives aux stratégies identitaires qui sont notées mise-1, 2, 3. Par ailleurs, nous utilisons les pointillés pour marquer les hésitations du participant à répondre quand il cherche ses mots et les pointillés entre parenthèses (…) pour des réactions de rires.

Selon Martine, ses parents sont fermés à tout échange sur la sexualité; par contre, elle est d’avis que leur vision de la virginité représente une valeur marchande : « Ils pensent qu’avec la virginité, je peux devenir quelqu’un… je pourrai leur venir en aide » (p-Mart).

Dans la situation problématique portant sur le préservatif, la gêne de Martine se manifeste à nouveau. Pour se tirer d’embarras, elle utilise une stratégie de cohérence simple (par la modération), faisant fi de tout conflit possible. Ses arguments sont à la fois faibles et imprécis :

Pour moi, si cela m’arrivait d’avoir envie de le faire (avoir une relation sexuelle), comme un professeur me l’a dit, quand on a ses règles on va sentir ces choses….si je me sens prête pour ça et je ne veux pas utiliser le condom, je ferai un test. Avec les résultats, je saurai si je ne dois pas utiliser le condom (mise1-Mart).

Dans sa tentative d’explication de la situation (3), les propos de Martine sont évasifs et peu cohérents; ils ne montrent aucune recherche de solution apparente :

Je pense qu’elle (la protagoniste) a confiance en lui. Pourquoi utilise-t-on le préservatif? Pour ne pas contracter la maladie. Si elle sait qu’elle n’a pas la maladie et son petit ami ne l’a pas, elle n’avait pas en tête de l’utiliser, son petit ami lui dit de le mettre, elle ne voulait pas (mise 3-Mart).

Cette stratégie peu « articulée » n’est pas décrite par Camilleri (1990): nous la qualifions de logique diffuse37 par son imprécision à se positionner. Pour cette participante, les filles sont plus vulnérables de contracter le Sida : « D’après moi, je pense que plus de filles le contractent que de garçons parce que je vois le plus souvent qu’elles le cherchent » (n- Mart).

37 Est qualifié de « logique diffuse » ce type de discours où le répondant a du mal à se positionner,

nous hésitons à considérer ce discours comme une stratégie puisque le répondant ne semble pas motiver à se positionner sur la mise en situation et de ce fait, ne suggère aucune piste de solution pour le régler.

Les prises de position de Jonas38 (18 ans, pentecôtiste) contrastent avec les propos de Martine. Il montre une attitude d’affirmation pour discuter de sexualité (il en parle sans aucune gêne), son désir de rechercher de l’information sur la sexualité est surprenant pour un participant classé dans la catégorie identitaire diffusion: « Je trouve des informations à la radio, à la télé, je lis des fois les journaux » (k-Jon). Il dit par ailleurs pouvoir parler sans difficulté de moyens de protection sexuelle: « Ce n’est pas toujours facile pour les jeunes

de parler de préservatif, moi je n’ai aucun problème avec ça (i-Jon) ». Dans son réseau d’amis, la plupart de ses copains ont tendance à s’informer sur la sexualité; certains lisent des journaux sur le sexe (porno), d’autres ont des rapports sexuels protégés : « Pas souvent, mais certains lisent parfois les journaux de sexe qui parlent de rapports sexuels » (h-Jon). Peut-être que la curiosité de Jonas est indirecte, en ce sens qu’elle lui vient de ses copains qui, selon lui, montrent une aisance à parler et à gérer leur activité sexuelle.

En ce qui concerne les mises en scène problématiques, Jonas utilise des stratégies de cohérence simple à visée pragmatique, sans percevoir d’éventuel conflit de valeurs : « Ma position sur cette question, je crois qu’il est important de se protéger par le moyen qu’on juge bien, qu’ils utilisent le préservatif, qu’ils pratiquent l’abstinence, l’important est de se protéger, dans cette affaire il n’est pas question de confiance » (mise 1-v). Ensuite, il ajoute : « Le choix d’Albert et de sa petite amie est bon parce qu’il leur permet de se protéger et d’éviter une grossesse (mise 2-Jon).

Dans la dernière mise en scène, Jonas fait plutôt appel à des stratégies de parade ou de modération (telles celles décrites par Camilleri, 1990). Tout se passe comme s’il fonctionnait dans l’immédiat sans se soucier des positions opposées sur la sexualité, sans se rendre compte de ses propres incohérences : « Puisque c’est sa position (le protagoniste), je n’ai aucun problème avec lui, mais s’il dit qu’il pratique l’abstinence, il devrait attendre de faire le test pour savoir si la personne n’est pas malade » (x-Jon). Malgré le ballottage observé dans les déclarations de Jonas, c’est une visée pragmatique qui domine dans son discours.

En somme, on relève chez les deux sujets à profil de diffusion une même stratégie d’évitement de tout conflit entre prescriptions religieuse et sanitaire; leurs propos assez imprécis et peu articulés, voire parfois incohérents, laissent entrevoir une sorte de repli sur la position d'autres personnes (parents ou amis) pour régler un problème, ou un manque de nuance dans les affirmations ou arguments avancés.