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Comme signalé antérieurement, le profil indifférencié n’a pas été tout à fait documenté dans les recherches antérieures (Adams, 1998); dans son article de 2002, Adams le situe approximativement dans le profil moratoire. Comme mentionné au début du travail, nous espérions en apprendre davantage sur ce profil par une exploitation plus détaillée des

données recueillies chez ces participants. Or, le nombre de participants ayant obtenu ce profil étant faible (n = 3), une seule entrevue a été possible, faute de pouvoir rejoindre les deux autres participants.

L’entrevue avec Marise48 (19 ans, pentecôtiste), qui a duré environ une demi-heure, a été

réalisée avec son accord, en créole à son domicile. D’emblée, Marise explique pourquoi les campagnes préventives sont utiles : « Oui, elles sont utiles parce c’est bon de savoir ce qu’on doit faire pour se préparer. Parce que les jeunes surtout, nous avons besoin de savoir ce qui n’est pas bien, les problèmes que cela peut avoir et les avantages » (a-Mar). Elle soutient l’idée que filles et garçons sont touchés par le sida, sans se prononcer sur un sexe plus affecté que l’autre : « Les deux sexes peuvent le contracter…mais est-ce qu’il y a un sexe plus à risque que l’autre? Ça, je ne le sais pas » (c-Mar).

Marise se dit à l’aise de discuter de sexualité avec ses amis : « Maintenant, je n’ai pas de problèmes pour parler de ça (sexualité) avec mes amis, autrefois j’étais fermée, mais maintenant je parle de tout » (d-Mar). Marise pense que ce n’est pas le cas de tous les jeunes : « Certains jeunes ont honte de parler de sexualité, peut-être parce que leurs parents sont trop sévères, c’est pourquoi quand ils trouvent quelqu’un qu’ils aiment, s’ils voulaient l’embrasser, ils auraient toujours honte de dire ça à leurs amis parce qu’ils vont croire que ce qu’ils font n’est pas bon » (f-Mar). Plus loin, elle ajoute : « Avec les jeunes que je connais, je vois qu’ils n’ont pas de problèmes, on est entre amis, on parle à notre guise, on dit ce qu’on pense. On peut ne pas être à l’aise s’il y a un inconnu parmi nous, mais entre nous, nous sommes à l’aise » (g-Mar).

Elle n’hésite pas non plus à chercher des informations sur la sexualité : « Le plus souvent, je demande aux gens qui ont plus d’expérience que moi, ou je vais sur Internet. Quand je vais sur le net, je connais un site où des jeunes qui ont eu des rapports sexuels expliquent comment ils se sentent, qu'est-ce qui les a amenés à le faire » (h-Mar). Pour Marise, chercher de l’information est important pour l’aider à prendre des décisions concernant la sexualité : « Personnellement, je pense que lorsqu’on cherche de l’information sur la

sexualité, on est mieux préparé pour prendre une décision, pour décider d’avoir un rapport sexuel » (i-Mar).

Dans ses réseaux d’amis, ses pairs sont également portés à chercher de l’information et à discuter avec les copains. Par exemple, concernant la décision d’utiliser le condom : « Je pense que c’est les filles, parce que non seulement elles voudraient se protéger contre une grossesse non désirée, elles peuvent vouloir le rapport sexuel, mais elles ne veulent pas tomber enceintes » (e-Mar). Elle les voit d’ailleurs intéressées à l’utiliser, « les filles sont plus intéressées à utiliser le condom » (j-Mar), même si plusieurs n’ont pas encore eu de rapports sexuels : « celles qui sont moins proches que je dis seulement bonjour, je sais qu’elles ont des rapports. Mais les amies qui viennent chez moi, elles n’ont pas de rapports sexuels » (m-Mar). Marise pense par ailleurs que cette pratique est assez répandue chez les jeunes : « Oui, je pense que les jeunes de mon âge utilisent le condom, parce qu’ils aiment beaucoup parler de ce sujet surtout dans la classe, les relations hommes et femmes » (k- Mar). Quant à ses parents, ils semblent lui donner une certaine responsabilité pour se prendre en mains même si sa mère attache beaucoup d’importance à la virginité :

Le problème de mon père, c’est qu’il ne veut pas qu’on soit l’ami des garçons; mais ma mère, elle parle toujours de ça, elle nous dit toujours qu’il faut savoir ce que nous voulons dans la vie, on est assez grand, on est responsable, il faut savoir ce qu’on veut, ce qu’on ne veut pas » (n-Mar)… Ma mère me dit toujours que la virginité est une chose sacrée, c’est bien de donner sa virginité à son mari, après le mariage (p- Mar).

Selon Marise, à l’école (qu’elle fréquente), les professeurs prônent l’abstinence en même temps qu’ils encouragent les élèves à utiliser le préservatif : « À l’école, ils demandent davantage de pratiquer l’abstinence, je suis à une école congréganiste, catholique, mais certains professeurs nous encouragent à utiliser le condom s’il nous arrivait d’avoir des rapports sexuels; pour les Sœurs, ce serait mieux de ne pas le faire du tout » (o-Mar).

Dans les questions ouvertes, on voit que Marise tient compte des points de vue de ses parents et des leaders religieux sur l’abstinence, mais s’en distancie en affirmant son

opinion personnelle : « pour l’Église, on est censé de se marier dès lors qu’on envisage le rapport sexuel. Personnellement ce n’est pas mon opinion. On peut être avec quelqu’un avec qui l'on n'est pas trop intime, à ce moment, on est obligé d’utiliser le condom, au cas où je voudrais ne pas avoir d’enfants » (s-Mar). Par ailleurs, elle pense que les relations sexuelles sont acceptables dans certaines situations et à partir d’un certain âge : « Si on fait le test, il est normal, le partenaire fait le test il est normal, alors je ne crois pas que les parents devraient avoir trop de problèmes si on a l’âge, mais pas 15-16 ans » (t-Mar). Si on n’est pas marié, il faut utiliser correctement le condom : « D’abord, autant qu’on peut se préserver, on ne se laisse pas aller. Si je sais qu’ils (mes amis) ont des rapports sexuels, je peux toujours continuer à les fréquenter, je peux leur demander s’ils sont contents, est-ce que c’est votre choix? » (u-Mar). En justifiant sa position, elle montre clairement son attitude libérale et l’absence de préoccupations religieuses : « Peut-être que, quand je vais finir avec l’École, je pourrai envisager une relation durable avec quelqu’un que j’aime et qui m’aime, donc peut-être que je pourrai accepter de la perdre (sa virginité) » (v-Mar).

Dans les situations problématiques, Marise met en œuvre deux types de stratégies; lorsqu’on l’invite à donner son opinion au sujet des relations sexuelles avant le mariage, elle invoque d’emblée des valeurs personnelles comme l’amour, la maturité, l’autonomie qu’elle voit comme conditions essentielles et nécessaires pour faire un choix délibéré : « Avant d’avoir une relation sexuelle avec quelqu’un, il faut que j’aime la personne....et que la personne m’aime aussi, puis il faut que je sois mature, ensuite j’aimerais qu’on fasse les deux le test pour se protéger parce que les parents, et les pasteurs ne peuvent pas décider pour moi » (Mis1- Mar). Cette stratégie est complexe parce que, pour intégrer tous les discours émis sur ce thème, Marise invoque un argument qui transcende toute imposition : le choix personnel.

Dans la deuxième situation, Marise fait à nouveau appel à des stratégies de cohérence complexe; ses arguments traduisent un effort de conciliation entre les positions des experts et des autorités religieuses et la sienne propre qu’elle justifie par une plus grande ouverture due à son âge :

n’ai rien contre ça parce qu’ils sont sûrs, ils savent qu’ils vont se marier, ils s’aiment et ils n’aimeraient pas faire de scandales, ils utilisent le condom. Personnellement, pour le sexe avant le mariage, je n’ai pas de problème, c’est ma position; mais si je parle de la position de l’Église, ce serait un problème, autrefois c’était un problème pour moi parce que j’étais fermée, j’obéissais à tout ce que ma mère et l’Église disaient; je ne sais pas si c’est l’âge, je suis plus ouverte maintenant (Mise2- Mar). Cohérente avec elle-même, concernant la troisième situation problématique, Marise cherche une solution en s’identifiant à la situation et en tentant de s’y adapter en faisant appel, avec nuance, à des valeurs personnelles, telles que l’amour, la confiance, la patience, la retenue :

Est-ce que la prière peut chasser les envies sexuelles? Franchement, je ne vois pas; peut-être. Pour moi, il y a deux cas, si une personne a un partenaire qu’elle aime, le partenaire l’aime aussi, ils sont en confiance; peut-être que cette méthode est bonne, dire des psaumes, mais pour moi, si une personne a un partenaire qu’elle aime beaucoup, on planifie notre avenir, je n’irai pas dans des rapports sexuels avec lui parce que je vois qu’il est trop tôt. Avec la personne, on peut s’embrasser, sans aller plus loin, je ne suis pas contre le préservatif, mais pour moi c’est important de prendre son temps avant d’avoir des rapports sexuels (Mise3- Mar).

Dans la dernière mise en situation, la culpabilité n’a pas sa raison d’être selon elle : « Si je suis déjà passée à l’acte, j’utilise le condom, tout mon problème c’est avec l’âge. À 17 ans, si j’utilise le condom, je ne me sentirais pas coupable » (Mise4- Mar).

En résumé, Marise révèle un degré de maturité qui n’a pas été observé avec autant d’acuité chez les autres participants. Non seulement cherche-t-elle à respecter les opinions autres que la sienne, mais elle invoque la sienne en s’appuyant sur des valeurs personnelles fortes qui semblent orienter toutes ses prises de décision, peu importe les contextes présentés. Le fait d’agir en fonction de valeurs bien intégrées témoigne d’une capacité d’engagement et d’exploration voire d’autonomie, expression d’une maturité identitaire achevée (réalisation identitaire). Ces résultats jettent quelque lumière sur le profil indifférencié, considéré par

Adams et al. (2002) comme un stade moratoire particulier. Il est probable que l’étiquette d’indifférencié, obtenu sur l’EOMEIS, découle plus d’une attitude réservée à l’égard de ce genre de mesure (réponses à des questions fermées ne permettant pas d’exprimer son opinion avec nuance) que d’un réel niveau de développement. Il faut rappeler ici qu’il n’est pas possible, à ce point, de supposer que tous les participants avec profil indifférencié ont atteint le profil de réalisation identitaire, tel que nous le constatons, de façon explicite, dans le cas de Marise. D’autres études devront s’y pencher.

6.2- Principaux constats tirés de l’analyse descriptive des données des