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Section 2 : revue de littérature scientifique

4 Activités des formés engagés au sein des dispositifs hybrides de formation

4.2 Simuler le travail au sein des dispositifs hybrides de formation

Parmi les nombreuses modalités de formation usuellement exploitées au sein des DHF, les activités de simulation occupent une place de choix. L’engagement de l’activité de simulation du travail doit amener les formés à s’exercer à la prise de décision, s’engager dans des espaces de réflexion collectifs et/ou permettre de s’exercer à la réalisation du travail.

Dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation, les travaux considèrent qu’il est possible de « simuler quelque chose » ou « simuler comment faire quelque chose » (Alessi & Trollip, 2001). En d’autres termes, les activités de simulation proposées en formation professionnelle permettent de « vivre » des situations spécifiques et/ou typiques du métier objet de formation (Allan, Erickson, Brookhouse & Johnson, 2010 ; Baek, 2009 ; Couture & Meyor, 2008 ; Morge 2009). Pour d’autres études, simuler la pratique de l’enseignant revient à minimiser les prises de risque et à rendre possible des expérimentations pédagogiques avant leur déploiement en classe avec les élèves. C’est le cas, par exemple, des travaux de Sawhney et Mund (1998) au sein desquels la simulation de l’activité de l’enseignant est engagée pour simuler la gestion de projet avec les élèves. Dans ce dispositif, les futurs enseignants sont invités à concevoir un projet à partir de leurs connaissances et à l’expérimenter dans le cadre d’une simulation.

Les modalités d’usage de la simulation qui apparaissent comme les plus efficaces au sein des DHF sont celles qui permettent de placer les formés au plus proche de la réalité. Plusieurs approches sont principalement observées. Pour certaines, il s’agit de reconstituer le plus fidèlement possible l’environnement de travail et les activités qui y sont menées (Horcik, Savoldelli, Poizat & Durand, 2014). D’autres études visent à transformer l’activité usuelle des formés en proposant des situations de formation qui réduisent les conséquences des actions professionnelles engagées par les formés (Durand, 2008 ; Pastré, 1999). Ce type d’aménagement devrait permettre de confronter les formés à des actions qui préfigureront des actions plus complexes (comme simuler une activité de prise de décision d’enseignant) et de mieux les accompagner dans leur développement professionnel (Audran, 2016). Enfin, l’activité de simulation doit être aménagée en termes de degré de représentation du réel. On parle de simulation lorsqu’une représentation raisonnable d'un environnement réel de travail est effectuée.

Dans ses travaux, Shapira-Lishchinsky (2013) identifie les effets d’une simulation collective dans le cadre d’une situation de résolution de « problèmes éthiques critiques » vécus par l’enseignant en classe. Pour ce faire, des enseignants stagiaires sont placés face à des situations typiques et réalistes de classe filmées. Ils sont ensuite invités à mener des activités variées visant à simuler la pratique, à jouer un jeu de rôles, ou à enquêter entre eux sur les stratégies employées par chacun pour valider les solutions collectives émergeant des échanges entre les acteurs. Les activités de simulation collective aménagées au sein de ces dispositifs favorisent l’apprentissage des prises de décision dans un environnement jugé moins risqué

que celui de la classe. Ces activités sont aussi de nature à valoriser l’émergence de certaines composantes du travail nécessaires en situation de classe, comme la responsabilité ou l’éthique professionnelles. Enfin, l’étude met en exergue la complexité des prises de décisions des formés, notamment du fait des dilemmes éthiques auxquels ils sont confrontés. Finalement, cette étude souligne le fait que les circonstances de formation simulées ne permettent pas de reproduire la complexité de la classe, mais contribuent à mieux observer, réfléchir et à terme analyser les incidents critiques de la classe pour élaborer des conduites permettant d’y répondre. Les principaux résultats de l’étude sont d’ailleurs conforme à ceux d’autres recherches portant sur les jeux de rôles (voir par exemple Patin, 2005) ou des dispositif « d’instruction au sosie » (Veyrac, 2017) au sein desquelles les activités menées par les formés favorisent in fine la résolution des situations problèmes rencontrées et l’identification des stratégies utilisables pour les résoudre.

D’autres travaux relatifs à certains DHF proposés à des enseignants du primaire sont significatifs (Ferry et al., 2004). Le dispositif de formation mis en place repose sur une simulation de classe et permet d’étudier les prises de décision des enseignants stagiaires sur l'organisation de la leçon et la gestion de classe, mais aussi sur les réponses faites aux élèves. L’ambition de l’étude est de documenter l’accompagnement du développement des compétences relatives aux prises de décision et de cerner les effets observables de ces prises de décisions. L’environnement simulé, de type « assistant de décision » (« decision assistant ») ou « espace de pensée » (« thinking space »), a été construit pour favoriser l’engagement des formés et leur accompagnement par le formateur. Il est ici intéressant de noter que les outils numériques exploités au sein de ce DHF permettent de proposer un environnement d’apprentissage dynamique capable d’évoluer en fonction des prises de décision du formé, simulant ainsi toute la complexité de la classe. Finalement, cette étude montre que le formé passe progressivement du rôle d'observateur à celui d’agent pleinement opérationnel dans la simulation.

De plus récentes recherches investissent le champ de la simulation pour tenter de modéliser et d’exploiter en formation les activités de l’enseignant en classe. C’est le cas par exemple de l’étude de Chieu, Boileau, Shultz, Herbst et Milewski (2017) au sein de laquelle les prises de décision des enseignants novices et des enseignants experts sont confrontées. Le scénario de formation pensé dans un contexte de DHF propose d’alterner des situations simulées menées sur une plateforme à distance (SimTeach) et des situations d’exploitation menées en présentiel avec un formateur. Une série de prises de décisions professionnelles est

simulée au sein un film d’animation présentant des situations typiques d’enseignement au cours desquelles les formés peuvent proposer des actions aux personnages du film. Dans un second temps les solutions simulées sur la plateforme sont ensuite exploitées et testées en contexte de stage par les enseignants novices. Les résultats montrent des différences significatives entre experts et novices en matière d’activités de prise de décision.

Pour d’autres études, la simulation de la pratique professionnelle au sein d’un DHF permet d’accompagner le développement de compétences. Une étude menée par Smith, McLaughlin et Brown (2012) souligne que la nature des activités de formation aménagées au sein d’un DHF peut impacter l’activité professionnelle de l’enseignant. L’étude établit une comparaison entre l’exploitation de captations vidéo de classe et des séquences reconstruites en animation 3D. L’objectif de la recherche consiste à déterminer si l’information à l’origine des prises de décision professionnelle de l’enseignant pouvait être de même nature lorsqu’elle faisait l’objet d’une simulation. Les principaux résultats montrent qu’il n’existe pas de différence significative entre les deux approches. L’enseignant en formation perçoit indifféremment les informations pertinentes à sa prise de décision qu’elles soient réelles ou simulées. Ces travaux insistent néanmoins sur la richesse d’une démarche visant à simuler l’activité réelle et à engager sa capacité à mettre en œuvre les prises de décisions. En d’autres termes, l’alternance des situations de formation du DHF permettant la confrontation à des situations simulées du travail et de travail réel au sein d’un DHF a facilité l’activité d’identification des aspects les plus significatifs de l’activité professionnelle de l’enseignant. Finalement, l’étude montre que l’hybridation des activités de formation nourrit bien le développement professionnel des formés, quelle que soit la nature des activités aménagées.

Pour Cardoso et al. (2012), l’acquisition de compétences professionnelles nécessite de reproduire l’application de procédures parfois complexes à de nombreuses reprises. Selon ces auteurs, la simulation permet ces répétitions sans toutefois engager de coût supplémentaire. Elle permet par ailleurs de soustraire certaines composantes de l’expérience associées à la réalisation du travail comme le stress ou l’anxiété. La simulation du travail permet enfin d’amener les formés au plus près de leur pratique réelle de travail et favoriserait en ce sens les apprentissages expérientiels sans toutefois les confronter pleinement à toute la complexité du travail (Cleave-Hogg & Morgan, 2002 ; Gaba, 2004 ; Loke, Blyth & Swan, 2012 ; Rall & Dieckmann, 2005). La simulation de la réalisation du travail apparaît donc de plus en plus comme une méthode pédagogique incontournable pour de nombreuses formations professionnelles. C’est par exemple le cas dans le pilotage aérien, la médecine, l’industrie ou

l’enseignement. Au sein de ces disciplines se développent des situations singulières de formation par la simulation ou les jeux de rôles. L’objectif est de développer des savoirs faire expérientiels, mais aussi certaines compétences professionnelles à communiquer, à argumenter ou à négocier souvent absentes des apports théoriques des formations usuelles.

De la même manière, les dispositifs exploitant la simulation sont aussi de plus en plus présents à l’université (Boet, Savoldelli & Granry, 2013). Dans leurs travaux, Beckem et Watkins (2012), montrent, par exemple, que l'intérêt porté à « l’apprentissage immergé » (« immersive learning simulation ») est central pour le développement professionnel des enseignants novices. La simulation est pensée comme un support pédagogique de formation. Les résultats de l’étude montrent que des expériences simulées vécues en formation seraient de nature à favoriser le transfert des connaissances professionnelles construites sur la plateforme dans la réalité professionnelle.

Certains travaux soulignent enfin que la multiplicité du recours à la simulation et aux jeux de rôles permet de favoriser les apprentissages professionnels (Cobb, 2000). Ce type d’activité de formation repose généralement sur l’utilisation de modalités collectives visant in

fine à impacter de façon singulière la pratique professionnelle de chacun (Patin, 2005). C’est

notamment le cas de la dynamique des groupes issue du champ de la psychologie sociale. L’apprentissage est conçu, dans ce paradigme d’inspiration constructiviste, comme le fruit du développement cognitif au sein des interactions sociales. L’enjeu est donc de favoriser la co- construction des savoirs professionnels. L’expérience vécue en situation de simulation favorise également l’émergence des composantes, souvent inconscientes, de l’activité réelle de travail. Enfin, la composante « jouée » (Winnicott, 1975) est primordiale : « le jeu est aussi

une aire intermédiaire qui, située en dehors de l’individu et de la réalité professionnelle, aide à comprendre les expériences pour mieux les opérationnaliser en permettant de manipuler les phénomènes extérieurs que sont les situations vécues en équipe, dans les organisations de travail » (p.168). Autrement dit, « jouer » des expériences professionnelles en formation, c’est

soutenir activement la participation, l’implication et l’apprentissage des acteurs par l’action simulée.

La littérature souligne d’autres d’intérêts liés à l’usage de l’activité de simulation en formation professionnelle. Parmi eux, la sécurisation de l’environnement d’apprentissage, une meilleure représentation du réel et une optimisation des relations entre connaissances théoriques et compétences professionnelles (Issenberg, McGaghie, Petrusa, Gordon & Scales 2005 ; Rall & Dieckmann, 2005). Simuler le travail en situation de formation permettrait plus

précisément d’engager précocement les différentes capacités des formés et contribuerait en conséquence au développement de compétences professionnelles (Chaliès 2016 ; Tribet & Chaliès, 2017). Eldevik et al. (2013) montrent comment un programme de simulation informatique interactif (DTkid) est utilisé pour accompagner le développement professionnel d’enseignants novices ayant en charge des enfants autistes. Les résultats soulignent que la formation par la simulation a entraîné une amélioration significative des compétences professionnelles. Deux principales compétences ont été observées et évaluées : la première était relative aux connaissances actives de la méthode « Discrete-Trial Teaching » (DTT), la seconde à la confiance développée dans le cadre du travail aux côtés des enfants autistes. Plus en détail, cette recherche a permis de mettre en évidence le développement de la capacité des futurs enseignants à observer et identifier les difficultés de ces enfants. Comme toute formation par simulation, les aspects perceptifs y sont apparus comme essentiels.

Plusieurs études menées à partir des théories de l’activité, dont celles de Leblanc et Sève (2012) ou Horcik et Durand (2011), ont interrogé l’utilité de la simulation du travail en formation. Pour ces auteurs, engager les formés dans une activité de simulation revient à les placer en situation « d’immersion mimétique » (en référence aux travaux de Schaffer, 1999). L’immersion mimétique consiste à concevoir des modalités d’apprentissage visant à favoriser des phénomènes de mimésis entre les situations visionnées et celles réellement vécues par les formés. Cette expérience mimétique du travail serait perçue comme sa propre expérience vécue par procuration. La simulation assurée par le visionnage « d’expériences fictionnelles » (Durand, 2008 ; Zaccaï-Reyners, 2005) favoriserait donc en conséquence l’engagement de certaines dispositions visant à rejouer sa propre activité de simulation en situation réelle de travail.

La littérature documente également les modalités d’aménagement de la simulation en contexte hybride de formation. L’usage de la simulation au sein des DHF nécessiterait la mise en œuvre de procédures de formation singulières. Dans bon nombre de travaux, dont ceux de Horcik et Durand (2011), quatre étapes sont mises en avant. Dans un premier temps, il est nécessaire de réaliser une présentation aux formés des attentes en termes de formation. Ensuite, un briefing relatif aux principales actions à simuler est organisé avec les formés. Une troisième étape consiste à présenter le suivi du scénario prévu. Lors d’une dernière étape, l’organisation d’un temps de débriefing est menée pour exploiter l’activité simulée par les formés. Ces travaux de recherche conçus dans un cadre conceptuel issu de l’ergonomie du travail avaient vocation à enrichir les activités de formation menées par les infirmiers

anesthésistes à Genève (Dispositif SimulHUG). L’originalité du dispositif consiste à extraire de la pratique réelle des composantes typiques du métier. La simulation du travail proposée en formation vise à aménager trois dimensions au sein du dispositif de formation pensé comme hybride. La première consiste à réduire les conséquences de l’action professionnelle des infirmiers anesthésiques. La seconde consiste à accorder un statut de formation à l’erreur (dans les situations de débriefing faisant suite à la simulation). La troisième est relative à la variation des paramètres de la simulation des activités professionnelles. Des scénarios relatifs aux différentes phases de l’anesthésie sont développés pour satisfaire aux contraintes réelles du métier et développer en conséquence les capacités d’actions des formés.

Enfin, parmi les différentes limites soulevées, l’une d’entre elles est tout à fait significative, celle relative à la nécessité d’une analyse fine a priori des activités menées réellement par les professionnels en contexte ordinaire de travail pour structurer ensuite les différentes étapes de la formation par simulation. Bien que le principe de l’accompagnement du développement professionnel des enseignants novices soit une préoccupation récurrente de la formation professionnelle, des interrogations subsistent toutefois quant aux dispositifs à mettre en œuvre pour une application efficace. En effet, plusieurs études soulignent l’intérêt porté à la délimitation de « composantes » ou « d’organisateurs clés » du travail réel (Horcik & Durand, 2011) dans le but d’accompagner au mieux le développement professionnel des débutants.

Chapitre 3

Zones d’ombres dans la littérature

du domaine et objet d’étude

Ce Chapitre décrit les principales zones d’ombres mises en avant par la littérature du domaine. Celles-ci sont essentiellement relatives aux retombées des DHF sur la formation professionnelle des enseignants.