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La signification du principe de légalité

La règle de droit s’impose à l’administration qui est donc tenue de s’y soumettre ; mais cette formule est très générale et ne nous renseigne pas vraiment sur le contenu de cette obliga-tion.

Il s’agit donc ici de préciser cette obligation qui découle du rapport de régularité qui relie l’action administrative à la règle de droit.

La soumission de l’administration à la règle de droit se présente sous deux aspects : en effet, la force obligatoire de la règle de droit dépend de son origine, mais elle dépend aussi de son contenu.

SECTION I

LA FORCE OBLIGATOIRE DE LA RÈGLE DE DROIT DÉPEND DE SON ORIGINE

Nous avons vu en présentant les sources de la légalité, que la règle de droit émanait de trois sources différentes : le parle-ment, le gouvernement et le juge (le traité est en effet, selon le cas, d’origine exécutive, et parlementaire lorsqu’il y a inter-vention des assemblées pour en permettre la promulgation).

Il semble que la force du rapport de régularité ne soit pas de même intensité dans les trois cas ; pour comprendre cette ques-tion il faut tenir compte de facteurs qui ne sont pas seulement

juridiques, mais qui relèvent de la science politique et admi-nistrative.

Il s’agit en effet de répondre à la question : qui fait réellement la règle de droit ? Nous allons voir que la réponse n’est pas identique pour toutes les règles.

§ 1 – LE RAPPORT ACTE ADMINISTRATIF-ACTE LÉGISLATIF

La loi est faite par le parlement et s’impose à l’administration.

Toutefois, on sait qu’aujourd’hui les lois sont en pratique prin-cipalement issues d’une initiative gouvernementale ; on sait par ailleurs quelle part essentielle les « bureaux » prennent à la préparation des textes ; les textes finalement votés par le parlement sont, dans la plupart des cas, très proches des projets dont il a été saisi ; il est établi que l’administration, relayée par le gouvernement, prend une part déterminante à la confection de la règle ou à sa modification ; et c’est cette règle qu’elle aura ultérieurement à appliquer et à respecter.

Sans doute la règle législative s’impose-t-elle à l’autorité admi-nistrative ; mais cette force obligatoire n’est pas à l’abri d’une intervention de l’exécutif qui aura pour effet d’en modifier le contenu ou l’intensité.

Ce phénomène a naturellement été amplifié du fait de l’appa-rition de la législation déléguée ; les décrets-lois avant 1958, puis les ordonnances de l’article 38, sont de purs produits de l’initiative gouvernementale dont la ratification n’est généra-lement qu’une formalité.

§ 2 – LE RAPPORT ACTE ADMINISTRATIF-ACTE RÉGLEMENTAIRE

La liaison de l’administration par le règlement est tout à fait particulière et relève de ce que l’on peut appeler la technique de l’autolimitation ; la force contraignante du règlement dépend il est vrai, de la nature de celui-ci ; elle sera plus grande pour le règlement dérivé que pour le règlement autonome ; mais dans tous les cas l’auteur du règlement peut toujours le modifier.

Sans doute ne doit-on pas négliger le fait que l’administration a une structure pyramidale dont seuls les échelons supérieurs possèdent le pouvoir réglementaire ; ainsi les échelons infé-rieurs sont-ils réellement liés par l’obligation de respecter le règlement ; en revanche, les échelons supérieurs n’y sont tenus que dans la mesure où ils ne décident pas de les modifier.

§ 3 – LE RAPPORT ACTE ADMINISTRATIF-RÈGLE JURISPRUDENTIELLE

C’est dans ce cas que la limitation du pouvoir administratif apparaît la plus rigoureuse car la décision du juge échappe à l’emprise de l’exécutif et de l’administration, dès lors du moins que le juge est indépendant.

Naturellement cela suppose que l’administration respecte l’au-torité de la chose jugée ; on sait que parfois elle tente d’y échapper, tendance qui se serait aggravée depuis les lois de décentralisation. Quant à l’administration de l’État, elle peut aussi envisager de recourir à la validation législative de ses décisions censurées par le juge ; cette validation semble cepen-dant être exclue par le Conseil constitutionnel ; celui-ci n’admet que la validation de mesures prises sur la base de la décision censurée et à la condition, toutefois, que la validation ait pour objectif la protection d’un intérêt général.

En définitive, c’est la règle jurisprudentielle qui assure à la légalité-rapport sa plus grande intensité.

SECTION II

LA FORCE OBLIGATOIRE DE LA RÈGLE DE DROIT DÉPEND DE SON CONTENU

L’autorité administrative reçoit de la règle de droit des pouvoirs qui peuvent être définis de façon plus ou moins précise ; les indications de la règle de droit pourront concerner le problème de l’obligation d’agir et, si l’administration agit, le contenu de la décision qu’elle pourra prendre, c’est-à-dire le point de savoir si elle dispose d’un pouvoir lié ou d’un pouvoir discrétionnaire.

§ 1 – L’OBLIGATION DAGIR

Il est évident que l’administration doit agir si la règle de droit lui en fait obligation.

Mais il faut distinguer deux situations : parfois l’obligation d’agir est formulée de façon expresse ; il n’y a alors aucun doute possible sur son existence. Dans d’autres cas, l’obligation et en quelque sorte implicite : c’est le cas en ce qui concerne l’obligation de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre de la loi ; le refus de procéder à l’édiction des mesures nécessaires, ou le retard abusif, peut être considéré comme une illégalité.

Un problème plus délicat est celui de savoir si l’administration a l’obligation de modifier ses décisions en présence d’un chan-gement des circonstances de droit ou de fait.

Le Conseil d’État affirme depuis longtemps que l’administra-tion a l’obligal’administra-tion de modifier ses décisions dès lors que les circonstances qui les motivaient légalement ont disparu (Despujol, 10 janvier 1930, Sect. GAJA. 267).

Cette obligation ne pose pas de problème lorsque la loi a changé ; de plus, désormais, le Conseil d’État considère que l’administration doit aussi adapter ses décisions aux évolu-tions du droit communautaire tel qu’il résulte non seulement des règlements, mais aussi des directives (Compagnie Alitalia, 3 février 1989, Ass. GAJA. 685).

En revanche, si l’obligation d’adapter les décisions adminis-tratives au changement des circonstances de fait est bien reconnue par la haute juridiction, son existence implique un véritable bouleversement et non pas une simple modification de la situation initiale.

§ 2 – POUVOIR LIÉ-POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE

On dit qu’un pouvoir est discrétionnaire lorsque son titulaire a la possibilité d’apprécier l’opportunité de son action. Cette marge de liberté peut, il est vrai, être plus ou moins grande

selon les termes de la règle qui donne compétence à l’autorité administrative. Mais il convient de retenir que cette marge de liberté peut porter sur le principe de l’action, le moment de l’action aussi bien que sur les modalités de celle-ci, compte tenu des circonstances qui peuvent justifier légalement la déci-sion qui va être prise.

Ainsi, l’administration décide-t-elle qu’une opération présente un caractère d’utilité publique justifiant l’expropriation d’un terrain, qu’une construction projetée ne sera pas autorisée parce qu’elle porte atteinte à un site protégé, ou bien que la présence d’un étranger sur le sol national présente un danger pour l’ordre public et qu’il doit être expulsé.

L’autorité administrative va ainsi prendre la mesure qui lui paraît la plus conforme au but qu’elle poursuit compte tenu des motifs qu’elle invoque à l’appui de sa décision ; cepen-dant pouvoir discrétionnaire ne signifie pas pouvoir arbitraire ; nous verrons que, même en cas de pouvoir discrétionnaire, l’administration reste soumise au contrôle du juge, même si celui-ci est un contrôle restreint.

La situation de l’autorité administrative vis-à-vis de la règle de droit est en revanche très différente lorsqu’il y a pouvoir lié. Tel est le cas lorsque la règle de droit précise les conditions dans lesquelles la décision doit être prise, et notamment le contenu de la décision et les motifs sur lesquels elle doit reposer.

Ainsi, à l’issue d’un concours de recrutement, l’autorité admi-nistrative qui dispose du pouvoir de nomination, ne peut nommer que les candidats déclarés admis et dans l’ordre de leur admission.

De même, en cas d’avancement à l’ancienneté, le supérieur hiérarchique doit prendre la décision de promotion dès lors que la condition d’ancienneté est satisfaite par l’agent.

Enfin, dans d’assez nombreux cas, l’autorité administrative à l’obligation de prendre sa décision dès lors que l’administré satisfait aux conditions objectives posées par les textes : obli-gation d’inscription sur les listes électorales, obliobli-gation de délivrance de divers documents administratifs, etc.

Naturellement, entre le pouvoir totalement discrétionnaire et le pouvoir totalement lié, il peut exister des situations inter-médiaires très variées en fonction du contenu de la règle de droit.

La limitation du pouvoir de l’administration dépend donc de ce contenu qui conditionne également l’étendue du contrôle du juge : restreint sur le pouvoir discrétionnaire, il sera maximum sur le pouvoir lié. En tout état de cause, le juge contrôle toujours le respect des règles de forme et de compétence ; il vérifie que le but poursuivi par l’administration relève bien de l’intérêt général ; il vérifie également que les motifs invo-qués par l’administration correspondent bien à la réalité, et que ce sont des motifs légaux.

Mais il ne va pas au-delà s’il est en présence d’un pouvoir discrétionnaire, ce qui est très fréquent.

Il est en effet difficile de lier le pouvoir de l’administration ; celle-ci doit conserver une marge de manœuvre suffisante pour faire face à des situations concrètes que la règle ne peut pas prévoir dans leur diversité et dans leur complexité.

En revanche, le juge conserve toujours la possibilité d’exercer un contrôle sur les conditions dans lesquelles l’autorité a fait usage de sa compétence de façon à éviter l’arbitraire ; c’est ce qu’il fait chaque fois que le pouvoir discrétionnaire de l’admi-nistration constitue une menace pour les droits et les libertés ; ainsi, en matière de police administrative, le juge n’hésite pas à vérifier si une mesure portant atteinte à un droit ou à une liberté publique, constitue une réponse appropriée à la gravité du trouble à l’ordre public qu’il s’agit de prévenir ou de faire cesser.

Ceci revient à dire que le juge administratif peut transformer en pouvoir lié un pouvoir que la règle de droit établissait comme un pouvoir discrétionnaire : c’est le cas en matière de police avec le célèbre arrêt Benjamin (CE 19 mai 1933, GAJA.

294).

Toutefois, sans aller jusque-là, le juge s’efforce d’éliminer les risques d’arbitraire dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en censurant l’erreur manifeste d’appréciation qui entache la décision administrative d’une façon si évidente que, ne pas la censurer constituerait de la part du juge une sorte de déni de justice.

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HAPITRE III

Limites et contrepoids du principe