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Chapitre 5 : ANALYSE ET DISCUSSION DES RÉSULTATS

5.1.1 Sentiments vécus face à l‘immigration

Les témoignages recueillis auprès des participantes sur les sentiments vécus au moment de l‘adaptation mettent en perspective que l‘immigration les confronte à l‘apparition de plusieurs sentiments. Dans la présente étude, le sentiment d‘isolement a été observé chez la plupart des participantes. Ce sentiment est rapporté par plusieurs études (voir Battaglini et al., 2000; Cardu et Sanschagrin, 2002; Couton et Gaudet, 2008; Fortin, 1995, 2000; McCoy et Masuch, 2007; Phaneuf, 2009; Serrokh, 2009; Wall et São, 2004). Ces chercheurs indiquent que l‘isolement social est un des divers problèmes qu‘éprouvent les immigrantes dans leur intégration. Ce qu‘il faut remarquer, c‘est que cet isolement s‘introduit dans le quotidien des personnes interviewées. Pour elles, l‘isolement est permanent et se traduit par le fait de se sentir déconnectées de tout ce qui se passe dans leur nouvelle vie, ce qui produit chez les femmes immigrantes une détresse psychologique. Pendant ce temps, elles essaient de s‘accrocher à ce qu‘elles ont laissé dans leur pays d‘origine, c‘est-à-dire leur famille, leurs amies, leurs souvenirs d‘enfance, etc. Ainsi, leur vie bascule entre un processus d‘immigration difficile, tel qu'elles le décrivent pendant les interviews. Tout cela

explique les divers obstacles auxquels doivent faire face les femmes dans leur vie d‘immigrante (Battaglini et al., 2002).

La solitude est un autre sentiment qui apparaît dans le discours des participantes (13/13). Elle est présentée comme un reflet de l‘isolement dont elles sont victimes. Ce sentiment est aussi rapporté dans l‘étude de Couton et Gaudet (2008); McCoy et Masuch, (2007). Pour d‘autres chercheurs (voir Battaglini et al., 2002, 2000; Chicoine, 1997; Navjot et Harvey, 2003; Wall et São, 2004), l‘immigration tend à isoler les individus des sources d‘aide traditionnelles et parfois à aggraver la situation des femmes sur qui repose la responsabilité de la santé et même du bonheur des enfants et de la famille. Cette solitude est associée par les femmes participant à la présente étude à la « perte » de leur famille d‘origine et à la « perte » des amies. De plus, elles sont maintenant dépourvues d'une partie importante du soutien qu'elles avaient auparavant. Il reste un chemin à faire, celui de construire leur nouveau réseau afin de briser le sentiment de solitude existante dans leur nouvelle vie d‘immigrante. Ces réseaux sociaux, selon Bergeron et Potter (2006), varient selon les caractéristiques des nouvelles venues, telles que leur catégorie d‘immigration, leur pays natal, leur identité ethnique, religieuse ou culturelle. Cela a été constaté chez les participantes, elles se forment des réseaux à partir de connaissances de la même culture.

En outre, la tristesse est une émotion envahissante retrouvée chez douze participantes à l‘étude, surtout chez celles qui ont laissé leur famille d‘origine, leurs amies, leur maison, leurs meubles. Cela soulève le sentiment d‘attachement à leur chez-soi dont parlent Battaglini et al. (2000); Mianda (1998); Roy (2003). Par contre, nous retenons de nos résultats que la tristesse est plus manifeste chez les individus dont la langue maternelle est autre que le français. Il est évident qu‘il existe un lien affectif important qui a été coupé au moment du départ de leur pays, un lien qui se fait plus difficile à briser, car les nouvelles conditions auxquelles ont dû faire face les participantes sont, dans tous les cas, des conditions difficiles en termes d‘apprentissage de la langue et d'adaptation au climat hivernal qui parfois se fait de manière très pénible. Ce sentiment de tristesse vient s‘ajouter au fardeau déjà existant chez les participantes, les rendant fort vulnérables psychologiquement. Les recherches de Cardu et Sanschagrin (2002); Mianda (1998);

Rojas-Viger (2006) s‘intéressent aux problématiques que vivent les femmes immigrantes et permettent de mieux comprendre la tristesse des femmes interviewées ayant participé à la présente étude. Ainsi, pour ces chercheurs, la dimension psychosociale du statut précaire d‘une partie des femmes immigrées nous renvoie à des conditions d‘immigration et de vulnérabilité psychologique.

Pour trois des participantes, les conditions d‘immigration sont encore plus difficiles. C‘est la situation actuelle des femmes qui s‘installent dès leur arrivée à l‘extérieur de la ville de Rouyn-Noranda et qui, par conséquent, ont développé une situation de dépendance presque absolue envers leur conjoint, ce qui les a rendues très souffrantes, surtout pour les femmes immigrantes qui ne parlaient pas le français, qui ne suivaient pas de cours de francisation et qui restaient seules toute la journée. Ces conditions d‘immigration exposent ces trois femmes à des situations psychologiques extrêmes, devenant les plus vulnérables parmi les 13 participantes à l‘étude. Dans ce sens, les données de la présente recherche soutiennent également les résultats de l‘étude de Hernandez (2007); Phaneuf (2009); Pierre (2005); Rojas-Viger (2006); Serrokh (2009) ayant démontré que les femmes immigrantes les plus démunies sont celles qui ne parlent pas la langue du pays d‘accueil et qui restent seules toute la journée. Cette expérience difficile, au début de l‘immigration, est remémorée par ces femmes comme des épisodes de fort changement émotionnel qui aboutissent, au fil du temps, au divorce. Les résultats de la présente étude sont donc conformes à ceux de Scandariato (1993) qui démontrent qu‘il y aurait aussi des impacts négatifs sur la qualité des rapports familiaux qui sont touchés par l‘immigration.

En outre, le sentiment de frustration rapporté par huit participantes nous indique jusqu‘à quel point l‘immigration touche l‘essence même de l‘existence humaine de ces femmes et nous montre à quel point l‘immigration est difficile pendant les premières années. Ainsi, des recherches démontrent que le parcours migratoire est différent pour chaque immigrante, cela a été montré par Phaneuf (2009). C‘est le cas de six participantes qui ont quitté leur pays lors de la cessation du travail de leurs conjoints ou partenaires. Le sentiment de frustration semble apparaître dans un monde différent, un climat différent, une langue

Les participantes ont un sentiment de dévalorisation vis-à-vis ce qu‘elles étaient avant d'être ce qu‘elles sont maintenant devenues : des femmes dépendantes économiquement et socialement de leur conjoint. Cela nous indique qu‘une certaine autonomie est brisée par l‘immigration. En dépit de cela, toutes les énergies et tous les efforts des participantes pour continuer à vivre dans ces circonstances sont, de prime abord, pour offrir un meilleur futur à leurs enfants. Pour cela, elles ont dû laisser en arrière leurs formations universitaires, des expériences riches dans divers domaines pour tout recommencer ou pour lâcher prise comme dans trois cas.

Or, les épreuves qu‘elles ont dû surmonter ont constitué, pour cinq des participantes, un

défi à relever. Bien que ce sentiment soit exprimé par cinq femmes, il est possible de

penser que cela puisse constituer un facteur de résilience chez ces participantes, qui les a poussées à aller plus loin malgré toutes les difficultés qu‘elles ont dû surmonter pendant les premières années d‘immigration. À la lumière de ce qui précède, certains auteurs ont démontré que la résilience joue un rôle important dans le processus d‘insertion sociale et économique des immigrantes (Anaut, 2005; Cirulnik, 2013; Lecomte et Manciaux, 2001; Legault et Rachédi, 2008 et Rutter, 2002). Ce point de vue correspond aux résultats obtenus dans la présente étude. Effectivement, bien que les participantes aient vécu des périodes difficiles au début de leur immigration, elles ont été capables d‘insérer la culture québécoise et, pour la plupart, se recycler pour entrer sur le marché du travail.

En ce qui a trait aux difficultés vécues au début, dix répondantes sont d‘avis que la langue apporte des difficultés importantes pour celles dont le français est une langue seconde. À ce sujet, plusieurs auteurs parlent des difficultés rencontrées par les femmes étrangères (Battaglini, et al., 2000; Belanger et al., 2011; Bilge et Roy, 2010; Boulet, 2012; Cardu, 2002; Drolet et Mohamoud, 2010; Fontaine, 2011; Gauthier et al., 2010; Hersent, 2004; Hyppolite, 2012; Phaneuf, 2009; Houseaux et Tavan, 2005). Dans neuf cas, les difficultés vécues au début font référence à la nourriture, dans le sens qu‘elle n‘est pas la même qu‘elles consommaient dans leur pays. En effet, la disponibilité de plusieurs restaurants offrant des mets étrangers, de magasins et de célébrations reliées à leur culture sont un manque important en région pour les immigrantes. Ces contraintes signifient pour elles une

période d‘adaptation au point de vue culinaire puisqu‘elles doivent préparer des repas avec des produits d‘ici. C‘est un constat qui n‘a pas été repéré dans la littérature scientifique.

Un autre facteur qui est soulevé par toutes les participantes comme une difficulté vécue au début se rapporte aux températures froides d’hiver. Cela pourrait expliquer pourquoi les participantes à l‘étude s‘identifient davantage à leur pays d‘origine puisque, selon certains témoignages des répondantes, la température froide d‘hiver est la plus grande difficulté qu‘elles ont vécue depuis leur arrivée à Rouyn-Noranda. Dans un même ordre d‘idées, les participantes interviewées estiment que le fait de conduire une voiture en hiver est un défi important qui les soumet à un fort stress. Ainsi, il peut s‘avérer difficile pour ces femmes venues d‘ailleurs d‘intégrer facilement les éléments de la culture de conduite automobile hivernale, alors qu‘elles n‘ont jamais été habituées à des conditions climatiques comme celles de l‘Abitibi-Témiscamingue ou de la province de Québec en général.

Un dernier élément qui a été repéré dans le discours des participantes est celui de l’accès à

l’emploi. Pour huit femmes immigrantes, les difficultés rencontrées afin d‘entrer sur le

marché du travail allaient au-delà de la maîtrise du français. Nos résultats montrent que le fait de ne pas avoir de réseau et de ne pas savoir comment fonctionne la région les a empêchées, au début de l‘immigration, de se trouver un emploi. Alors, cette réalité touche autant les participantes de langue maternelle française que le reste des femmes. Il a été démontré que les immigrantes se heurtent à d‘importants obstacles qui entravent leur accès à l‘emploi et leurs possibilités d‘avancement (Pierre, 2005; Tremblay, 2005). Nos résultats ont démontré clairement ces obstacles chez les participantes à l‘étude.