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Sensibilité fantaisiste et Imaginaire réaliste dans la représentation de la ruralité

Premier Chapitre

3) Sensibilité fantaisiste et Imaginaire réaliste dans la représentation de la ruralité

Par mesure de justification et avant d’aborder la question de l’idéalité de ce contraste, il incombe de définir d’abord le fantasme :

<<Le<<fantasme>> désigne à l’origine une fantasmagorie, telle celle produite par une lanterne magique, qui donne à voir ces figures irréelles dans une salle obscure,[…]. C’est un produit en plein jour ou <<à contre-jour>>, crépusculaire plus que nocturne, bref un <<semblant>>. Le terme fantasia désigne une apparition et par extension une vision. […]. Le terme <<fantasme>> est dérivé du mot grec employé électivement au pluriel. Les fantasmata désignent ces images virevoletantes, eidola qui, se détachant des objets, viennent s’inscrire sur la sensibilité et mettre en mouvement l’imagination. Cela pose la question <<du fantôme>> : […],

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vaines apparitions>> ou <<spectre>>, doublent les <<fantasmes>>. Représentation ou faux-semblant ? […]. >>32

Suite à ce qui été énoncé dans la précédente citation, nous noterons toutefois que ce sous-chapitre tend à mettre en évidence la force d’esprit qui crée en conciliant de l’imaginaire et du réel. Cependant, pourquoi avoir utilisé le mot fantaisiste ensuite de quoi nous définissons le fantasme : C’est tout simplement parce qu’il s’agit de la fonction poétique où la préséance est pour le mot le plus court, le plus prestigieux et qui sonne mieux ; et fantaisie et fantasme sont, d’abord deux mots qui, linguistiquement, sont proches l’un de l’autre, puis Carl Gustave Jung, le fondateur russe de la psychologie analytique les définit comme le produit d’une activité psychique créatrice consistant en une imagination à qui on donne libre cours pour créer comme elle l’entend, selon sa propre logique et selon les fins qu’elle se donne. Ceci étant, l’ombre illusoire de la terre est l’ombre qui n’apparaît que dans l’opacité de l’œuvre littéraire. C’est, aussi l’ombre dont on ne peut distinguer les traits,

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l’ombre qui est insaisissable, l’ombre qui est ça et là et partout, l’ombre qui hante les lieux, les esprits et les récits.

Cependant, l’ombre imaginaire de la terre est l’ombre qui nous effleure mystérieusement avec une énergie positive en attisant le désir de la sentir en soi et contre soi, de lui faire des câlins, d’être caressé par la tiédeur de son flanc et surtout d’entendre sa muette voix dont le virtuel souffle fait éclore le potentiel psychique et nous met dans une spirale où un conséquent détour sémantique manipule avec dextérité l’illusion et excite nos cinq sens en suscitant de réelles sensations.

L’intérêt de la pertinente inscription de la ruralité dans les romans champêtres, notamment ceux de notre corpus, ne saurait, par un décret des puissances divines qui cautionnent les capacités intellectuelles de l’écrivain, se réduire à une simple histoire d’amour, d’émigration, de haine, de guerre ou de vengeance, par exemple, dans laquelle la plaidoirie renchérissant tente d’iriser et de transfigurer la réalité des conditions pénibles et lamentables avec lesquelles se démènent les paysans tout en subissant un sort qu’ils n’ont pas choisi mais qu’ils se doivent d’accepter et de vivre avec.

Ceci dit, l’inscription de la ruralité, tout en étant adaptée aux exigences d’une mise en exergue jugée nécessaire, a le mérite de souligner efficacement une relation très particulière de la profonde âme humaine à ce monde rural qui semble pour certain insignifiant et dont elle tire toute sa raison d’être et d’exister tout en ayant une crédibilité invincible et dont elle tire, aussi, toute sa valeur historique et culturelle où se restitue un passé influant dans la réminiscence.

<<Au mois d’octobre suivant, au lieu de quitter l’école, Fouroulou décida d’y retourner pour préparer le concours des bourses. Dans son for intérieur, il savait qu’il serait plus utile à la maison comme berger. Mais ses camarades du certificat n’abandonnant pas l’école, il ne pouvait faire autrement que de les imiter. Et puis les seuls animaux étaient la chèvre

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et son petit. Cette chèvre n’avait pas besoin d’un gardien spécial. On l’avait intégrée au troupeau du village. >>33

Ce passage postule qu’il s’agit d’un personnage identifiable à l’auteur qui évoque l’histoire de son passé de pauvre paysan vécu dans l’ombre de la ruralité et qu’il relie à l’histoire du roman dont le fond se veut psychanalytique. Ce que nous pouvons dire, de ce fait, c’est que dans Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun, il s’agit de ce que nous nous permettons d’appeler un engagement identitaire proclamant l’appartenance à une communauté paysanne traditionnelle que caractérise une forte personnalité kabyle. Cette dernière s’acharne, en effet, à maintenir un lien étroit avec ses origines dont la villageoise psychologie interne est extrêmement imprégnée d’une logique populaire consistant à associer la construction de l’esprit de l’individu à ce que les règles communautaires exigent avec rigueur.

Ceci dit, tant que la culture qui détermine le peuple kabyle est réprimée et tend à disparaître sous l’oppression de l’intruse présence française, l’auteur manifeste cet engagement de deux manière différentes : l’une implicite et l’autre explicite appariant toutes les deux un même <<moi>> masqué dans la mesure où Fouroulou met, à la première personne, en exergue l’amère réalité des Kabyles au temps colonial à travers des évènements réellement vécus par l’auteur. Ceci, nous donne l’impression que le personnage principal est un narrateur interne qui raconte ses péripéties dans l’intention de dénoncer et sensibiliser au nom de l’auteur. Ce que Jean Genet souligne concernant son roman Le Journal du voleur dans ce qui suit :

<< Le but de ce récit, c’est d’embellir mes aventures révolues, c’est-à-dire d’obtenir d’elles la beauté, découvrir en elles ce qui aujourd’hui suscitera le chant, seule preuve de cette beauté. […] par l’écriture j’ai obtenu ce que je cherchais. […] Non ma vie mais son interprétation. C’est

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ce que m’offre le langage pour l’évoquer, pour parler d’elle, la traduire. Réussir ma légende. >>34

A notre sens, l’inscription de la ruralité, à la fois stylistique et morale, est de toute évidence originale semble-t-il. Elle offre une belle œuvre à son art. De surcroit, elle définit la corrélation des principes créateurs du roman champêtre où symbolisme et réalisme se conjuguent relativement au objets qui affectent nos sens et mettent en évidence l’extase exorbitante des paysages immortels, de l’hostilité indulgente de la nature, de la sainteté de l’environnement, de la beauté des sites pittoresques qui suscitent manifestement et pour de vrai les sensations les plus intenses tout en procurant un réel plaisir de lecture.

Il convient, de ce fait, de souligner que les différentes perceptions, y compris celles des vécus des paysans et des aspects négatifs de la ruralité, offrent dans la révolte une parade à la tragédie dramatique de la vie à la campagne incitant constamment la raison à s’y fondre et à requérir une grande dépense dans le domaine de l’active observation pour proposer un champ plus vaste à l’exploration de l’utopique et enivrante création dont il faut se délecter inlassablement avec un souci d’un critique psychologue.

Cette dernière offre un certain plaisir de vivre dans ce théâtre de l’illusion et de ressentir plus particulièrement la difficulté de la vie à la campagne avec laquelle se démènent les ruraux en prenant du plaisir à manifester un bonheur quasi miraculeux qui ne peut être en contradiction avec le mal de vivre ou les plaintes de la force humaine. C’est, en effet, une création qui fige aussi la valeur de ce qui signifie un accomplissement dévoué pour la bonne et commune cause justifiant les constances socio-rurales.

34 -Genet Jean, Journal du voleur, op. Cit., P.230 et 233. In Est-il je, Roman autobiographique et autofiction de

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C’est ce qui donne, aussi, au chercheur de manifester une réflexion consciente qui ne saurait se déambuler dans le récit en s’attachant à l’histoire racontée sans percevoir le réseau de signification dont l’association du sens second au sens dénotatif s’appréhende au travers de la suspicieuse modalisation. Ainsi, nous nous permettons de dire que cette création devient un mythe enchanté dont l’exaltation la plus ressentie recèle les souffrances physiques des laboureurs qui triomphent de la peine et n’en font qu’un mérite d’une image psychologique originelle et singulière de la personne rurale.

C’est l’impression d’une dialectique d’un malheur usant et d’une joie intense qui, dans la perversité, nourrit l’espoir du paysan, dont il est victime d’être heureux de se dépenser jusqu’à ce qu’il soit à bout d’énergie, de pouvoir surmonter toutes les peines et tous les malheurs et mener une vie pleine de joie et de pouvoir, également, aspirer à un avenir des plus radieux.

Cette réflexion rend compte de la communion de pensée des villageois vivant avec la conscience de l’amour propre, de l’amour de soi, l’amour de ses origines, l’amour de son prochain qui se manifestent dans la foi et qui constituent la toile de fond de leur vie et de leur être. Ainsi, le salut consiste essentiellement dans la relation que dieu a établi entre l’homme et la terre par la médiation du prolongement de l’un dans l’autre. La terre est dans l’homme et l’homme est dans la terre qui le comprend dans son univers.

L’hypothèse, ici, est directement suggérée par les faits rationnels qui s’enchaînent logiquement les uns aux autres, dans le récit, et laissent entendre une explication anthropologique que propose l’énergie vive de l’activité créatrice de la raison qui tout en étant susceptible de plonger au plus profond, permet l’accès à l’inconscient impliquant l’intelligence et la perspicacité, et révèle, cependant, les ambitions incontestables de la pensée humaine dont la vocation découle, de toute évidence, d’un mouvement d’intérêt en faveur de l’originalité des romans champêtres et de la densité des connotations dont ils sont truffés et qui font leur

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richesse. Notamment ceux de notre corpus, dans lesquels, les auteurs supposent, dans une visée aussi bien informative, que sensibilisatrice et dénonciatrice, qu’une dictature politique, mise en évidence en filigrane, s’exerce sur les paysans assujettis vu que l’idéologie régnante de l’époque consiste effectivement à confiner l’algérien à toutes les manœuvres à haut risque, à toutes les besognes qui usent et au travail de la terre ingrate qu’il possède. Comme, elle consiste, aussi, à le mettre sous le joug de l’ignorance et de l’analphabétisme en le dépouillant de tout ce qui est en mesure de l’armer pour qu’il puisse s’affirmer au même titre que le Français, entre autres la scolarisation.

Ce qui nous amène à dire que dans tel si vaste pan romanesque, le poétique confère à la ruralité un intérêt considérable qui explique les valeurs paysannes.

En effet, il s’agit d’une intention dont la perspective se perçoit comme étant l’objectif qui consiste en la sensibilisation aussi bien du paysan que celle du citadin pour leur faire prendre conscience de la valeur de la terre et en susciter de ce fait une passion payante dans l’optique d’inciter l’Homme d’une manière générale à idéaliser la paysannerie et tout ce qui s’y rapporte et ce quel que soit le caractère du paysan.

Cependant, il est nécessaire de faire remarquer que ce retour vers la terre est un phénomène typique de la pensée de l’écrivain. Ce dernier sollicite la terre, la ruralité voire toute la ramification qui en découle, pour exprimer l’euphorie, la dysphorie, la peine, les souffrances, les retrouvailles, la réintégration, l’amour, le départ, la naissance, la révolte, l’aisance, la pauvreté, le chagrin, le mariage, l’adoption, la maladie.

En somme pour exprimer tout ce qui fait le malheur et le bonheur de l’Homme rural, tout ce dont son existence de paysan dépend et tout ce qui ne peut être épargné du joug de la conscience terrienne. C’est pourquoi, dirons-nous, il est exalté avec une manière laissant d’emblée présager qu’il ne s’agit pas d’un personnage ordinaire dans la mesure où il laisse transparaitre une figure psychologique consistant

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à représenter l’être abstrait de la terre faisant de lui le héros de la fiction en offrant des perspectives ravissantes et encombrées d’interprétations philosophiques.

Ceci posé, nous nous empressons de dire que de nombreux auteurs d’expression française, voire tous, du dix-neuvième siècle et du vingtième siècle, et ce depuis celui de Zola et George Sand jusqu’à celui de mouloud feraoun, de Yamina Méchakra et de Jacques Chauviré qui se sont dépensés sans réserve et ont écrit des romans dans lesquels, ils soutiennent pieusement la vénération nostalgique de la ruralité. Cette dernière mérite, en revanche, d’être considérée avec reconnaissance et respect à savoir qu’elle se singularise par sa valeur symbolique dont la portée se veut universelle ; et que sa spectaculaire représentation transcende le temps et l’espace.

Et d’ajouter, les drames et les tragédies qui animent les mises en scène invitent consciemment les lecteurs à adopter une aptitude utopiste à manifester une certaine compassion militante à l’égard de tous les tourments physiques et moraux qui accablent les paysans et de toutes les difficultés avec lesquelles ils se démènent également pour ainsi dire les partager dans une pensée de valorisation.

<<Il avait onze ans environ lorsque son père exténué par la fatigue tomba gravement malade. C’était la fin de la saison des figues. Ramdane avait passé auparavant toutes les nuits au champ, surveillant le séchoir. Un matin, il remonte à la maison les yeux enfoncés dans leurs orbites, le corps brulant, les lèvres blanches. Il s’affaisse en gémissant sur le sac de feuilles de frênes qu’il a rapporté péniblement sur son dos. Vite, une natte, une couverture, un oreiller tout rond et aplati. Il se couche et refuse de manger. Il gémit toujours. Sa femme croit que ça passera ; les filles se demandent s’il faut pleurer. >>35

Par-là, cette description se veut, si nous pouvons dire, aisément objectivable et répond parfaitement aux phénomènes vécus et observés aux temps colonial. C’est,

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en effet, la pièce maîtresse prédominante dont la structuration dynamique confirme, à priori, le trouble social dont souffrait l’ethnie kabyle et renforce, à postériori, la portée psychologique, morale et historique comme ayant une valeur de réalité, car dans le passage, cité ci-dessus, l’attitude des personnages, comporte un caractère particulier, propre et résolutoire.

Et c’est à travers de tel tableau, en fait, que se perçoit, nettement, le sentiment moral suscitant le spectre d’un avenir sombre et néfaste où la vie de l’enfant rural, dont l’agressivité s’accentue, sera imaginée hostile et le sort ne pourra et ne saura forcément rétablir une sécurité assurant le bien-être et l’affirmation de <<soi>>. Un aléa qui souligne, en effet, avec ferveur un point crucial de la psychologie affective de l’œuvre de Mouloud Feraoun dans laquelle le point intéressant est, à notre sens, la forte impression que suscite l’aveu du <<moi>> lequel, privé dans son enfance de la tendresse tant rêvée, de l’aisance et privé également dans son enfance de la douceur tant espérée du confort voire d’une existence paisible, facile et sereine ; se manifeste en étalant les vices de la pauvreté impitoyable qui embrassait indignement tout le peuple algérien, notamment, les couches paysannes.

Il s’agit donc d’un témoignage vivant qui souligne avec amertume une délation rendant sinistre la représentation de la vie des paysans qui frustrés et fragilisés par le déséquilibre social, politique, culturel et historique et qui, tout en étant, assoiffés d’indépendance, rongés par le désir d’être à l’abri du manque et du besoin, rongés par le désire d’aspirer à un rang honorable, rongés par le désir d’être libres et maîtres de leur liberté, n’ont de tendance que la recherche d’ordre rationnel dans lequel les conditions de vie seront meilleures.

Il n’est pas aisé, de ce fait, de négliger l’importance de l’organisation sociale du monde rural qui est étroitement liée au terroir et dans laquelle le sort et la survie des paysans confinés au travail de la terre dépendent de l’unique richesse provenant des sols agricoles.

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L’esprit de l’écrivain a pour activité spécifique de pouvoir imaginer en créant des formes et des liens par des représentations dans lesquelles il met en scène et il organise des mondes, des lieux, des milieux pour exposer des vies, des états d’esprit voire des caractères en donnant sens au récit tout en fondant des connaissances et des informations.

Ceci dit, le mérite de Mouloud Feraoun est d’avoir su mettre en exergue, dans un esprit humaniste, le quotidien blessant des Kabyles du temps colonial et l’émouvante tragédie théâtrale qu’il a fait régner dans une morose et sinistre atmosphère dont l’écho de la tonalité a retenti dans le monde entier. La visée ne peut être, donc, autre chose que révélatrice et sensibilisatrice.

Il a, en effet, incarné dans les règles de l’art, les angoisses pénibles qui se sont emparées sans la moindre indulgence des âmes pures et innocentes faisant de l’enfant algérien un héros dont les exploits se racontent en racontant l’effroyable lutte que menaient péniblement, avec détermination et inlassablement les villageois privés de scolarisation qui leur revient de droit. Cette entreprise romanesque tout en mettant à la lumière du jour la machiavélique stratégie à savoir que l’intention coloniale visait à bannir la personnalité des paysans kabyles et ce qui les définit ou leur octroie le droit d’avoir un statut de citoyen ayant, à part entière, la considération valorisante de la pure identité algérienne face à l’identité algérianisée de l’Algéro-français.

Ainsi nous nous permettons de dire que les auteurs des romans champêtres notamment ceux de notre corpus, ont le don suprême de s’appréhender au sens de fiables conteurs dont les récits qui, tout en faisant partie intégrante du folklore international et national, n’ont de cesse de combler tout type de lecteur sans, toutefois, vieillir et tomber dans l’oubli, d’abord à cause de cette impression qu’il donne de la vision panoramique de la paysannerie comme si l’on avait à disposition devant les yeux le village tout entier avec tout ce qu’il contient à savoir champs, prairies, plaines, vergers, montagnes, plantes, collines, arbres, talus, bois,

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animaux…soit tous les éléments et tous les effets de la ruralité qui constituent une masse belle et sublime et que façonne la virtuosité créative en l’associant aux cris des bêtes sauvages et domestiques, à l’odeur des fleurs, de la terre, des moutons gardant dans leur laine le parfum des herbes qu’ils broutent, du blé, du pain cuit dans le four