• Aucun résultat trouvé

Premier Chapitre

2) Effet impressionniste

L’impressionnisme est, en effet, une tendance en art qui exalte les impressions plutôt que l’aspect conceptuel des choses. Ce qui se perçoit nettement dans ce qui suit.

<<Il y avait, au bas des terrasses du jardin, une petite rivière qui coulait sous l’épais ombrage des ifs et des cèdres et s’enfonçait sous leurs rameaux pendants. Sous une de ces voûtes mystérieuses, un tombeau de marbre blanc se mirait dans l’eau, pâle au milieu des sombres reflets de la verdure. A peine un souffle furtif de la brise ébranlait les angles purs et tremblants du marbre réfléchi dans l’onde ; […] >>17

C’est en effet, dans un témoignage pareil que notre imaginaire interprétatif est excité à savoir que l’on y peut réellement percevoir et noter l’évolution des impressions marquantes en raison des différentes résonances sensibles et affectueuses que tentent d’engendrer les représentations dont l’effet ne peut être banalisé, car l’atmosphère unique et mystérieuse est d’autant plus importante et animée par ses composantes matérielles et vivantes qu’elle se propage et se propulse avec potentialité dans le psychique du lecteur qui, de ce fait, se projette instinctivement dans un monde immense et immatériel dans lequel, la cadence de l’expression stimule avec dextérité son esprit et le fait rêver.

41

<< […] un grand liseron avait envahi ses flancs et suspendait ses guirlandes de cloches bleues autour des sculptures déjà noircies par la pluie et l’abandon. La mousse croisait sur le sein et sur les bras des statues agenouillées ; les cyprès éplorés, laissant tomber languissamment leurs branches sur ces fronts livides, enveloppaient déjà le monument confié à la protection de l’oubli. >>18

L’originalité crée, ainsi, le désir d’exister dans la virtualité que conceptualisent et matérialisent, dans les règles de l’art, les auteurs des romans de notre corpus, par le poétique et le romanesque en prêtant un immense et réel plaisir associé de manière particulière aux multiples allusions qui s’inscrivent dans la logique du réel, sans la moindre subjectivité, pour constituer dès lors un acquis de conscience formelle et judicieux.

Nous avons la nette impression que ces constatations, que l’on a faites en lisant les romans de notre corpus, nous ont permis, de toute évidence, de mieux comprendre le fonctionnement énergétique de l’appareil psychique qui s’impose par sa domination et surgit irrésistiblement dans ce qui suscite le plaisir de la lecture dans laquelle s’investit la réception par rapport aux diverses représentations. En effet, ces dernières assaillent l’imaginaire interprétatif tentant de lui ravir la substance des thèmes restitués dans les récits de ces romans où l’on relate la vie de l’homme rural qui tout en étant si proche de la nature vivait et vit encore en communion avec la terre. N’est-ce pas là une grâce que ces représentations nous apprivoisent au pris du leurre pour mettre, également, en évidence les relations que ce type d’homme insolite peut entretenir avec les arbres, la mer, les montagnes, les animaux, les plantes et les fleurs ?

Ainsi, nous soulignons que la campagne est l’un des aspects du globe terrestre dont la fonction symbolique, dans sa maturité nécessaire, consiste à relativiser les institutions psychologiques où morales soient-elles, les croyances, les mœurs, la vie

18

42

entière des paysans, leur manière de penser, les intérêts qui les agitent, les idées qui les dirigent à l’inné instinct rural. Ce qui justifie nettement notre choix portant sur la paysannerie à la dimension de l’homme et de son bien-être qu’il paie de sa vie.

Et c’est par une allusion de ce genre que Delille, dans son poème des Trois Règnes de la nature, chante la beauté de la nature et raconte non ce qu’elle a fait, mais ce qu’il aurait pu ingénieusement faire et réaliser, dans un enthousiasme chaleureux, avec ses salutaires éléments tout en la décrivant et en la racontant avec une manière souveraine.

<<Enfin, j’arrive à toi, terre à jamais féconde,

Jadis de tes rochers j’aurais fait jaillir l’onde ; J’aurais semé des fleurs le bord de tes ruisseaux

Déployé tes gazons, tressé tes arbrisseaux, De l’or de tes moissons revêtu les campagnes ;

Suspendu les chevreaux aux buissons des montagnes, De leurs fruits savoureux enrichi les vergers…>>19

Il n’est pas de confession plus émouvante que celle qui jaillit d’un fond poétique tenu d’impressionner, autant qu’il s’impressionne lui-même, avec une sympathie instinctive entièrement vouée au salut de la terre dont la grâce de l’âme se transfigure avec une raison rimée sur un rythme moraliste n’ayant pour objectif que celui de laisser échapper des étincelles connotatives prises dans un jeu métaphorique faisant, avec élégance, miroiter le mythe de la ruralité.

Ces vers, à eux seuls démontrent la force de la vocation poétique dont les Phantasmes affectifs attachés à la terre se manifestent avec une exagération révélatrice. On y entrevoit la réalité de la fertilité éternelle triomphant d’une âme antipathique n’ayant comme jouissance que celle qui, tout en étant pure illusion et éphémère, est constamment traquée par la sensiblerie que suscite l’ombre de la mort.

19

43

« Le couple avançait avec circonspection, car on entrait

maintenant dans la grand ‘rue du village .Si l’on ne peut pas deviner à quoi pense exactement la dame et d’où vient sa timidité. On peut, par contre, comprendre l’embarras d’Amer. Il n’avait pas songé à l’opinion publique et maintenant, il recule, il ne veut pas l’affronter crânement. Non ! Ce n’est pas le dépotoir publique d’ordures formant une butte énorme précisément devant eux, ce n’est pas, non plus, cette pauvre rue uniforme, étroite, ravinée, bouleuse, ce n’est pas la vue de ces choses qui le font rougir devant sa femme. >>20

Ce n’est pas l’image de cette dégradation qui fait la honte d’Amer devant Marie la parisienne, mais il culpabilise avec le vif remord parce qu’il a abandonné le milieu d’où il a émergé et les lieux de quoi en être vraiment fière et dont les premières influences ont été à l’origine de son existence. Voilà ce qu’expose cette description qui s’appuie de toute évidence sur un aveu, à travers duquel, la pensée manifeste un intérêt considérable pour la banalité des choses qui fait la fierté des hommes.

Ceci dit, nous touchons ici un point crucial de l’affectivité. En effet, le personnage se voit à nouveau couvé par la paysannerie à aspect pauvre et insignifiant dont la grandeur valorisante se perçoit à travers le triomphe de la nature qui l’emporte sur les charmes industrialisés de la ville où le sceptre des images artificielles, illusoires et feintes n’a pu s’emparé de l’âme pure de l’enfant kabyle pour le déraciner, car il ne peut se dégager facilement de son appartenance à ce coin perdu de la Kabylie où il peut s’affirmer en toute liberté et rêver d’amour dans la paix et la sérénité.

Amer n’a pas honte de ce qu’il est ni des pauvres et sals lieux qui ont couvé son innocente enfance. Il en est fière d’ailleurs. Il ne se sent pas le moins du monde inférieur à la parisienne à qui, il a décrit sa misérable vie sans pour autant se gêner ou

44

se sentir dévalorisé sachant que le pauvre paysan fumant la terre possède toujours sa valeur en soi. C’est ainsi, que le courage de dévoiler son intimité lui a coûté des reproches.

<<Il ne se gênerait guerre avec elle ! D’ailleurs, il lui avait déjà décrit tout cela. Mais voilà, il est <<au pied du mur » ! Il sent une vague reproche même dans les choses. Ces fanges bleuâtres qui sortent en rigoles des maisons, ces pâtés d’excréments qui pourrissent dans les recoins, ces gourbis minuscules, enfumés et malpropres lui en veulent de dévoiler ainsi à une étrangère leur piteuse intimité. »21

De surcroit, il est aisé de souligner la grâce et la noblesse de l’ensemble des variétés prodigieuses d’éléments qui sont pleins de force et de vie et qui tout en servant l’être humain et l’imaginaire sont supportés par une image fixe ou mobile. Ce monde n’a de cesse d’être présent dans toutes les sociétés, dans tous les lieux, dans tous les temps, dans la fable, dans le conte, dans le mythe, dans la légende, dans l’épopée, dans la nouvelle, dans la tragédie, dans le drame, dans la comédie, dans le tableau peint, dans les gravures pariétales, dans les projections cinématographiques, dans la pantomime, dans les vitraux, dans le fait divers, dans le récit, dans la connotation, dans la dénotation, dans la métaphore et dans toute expression romanesque où autre soit-elle. C’est le monde dont les multiples formes sont infinies et dont l’universalité est signifiante et signifiée. Ceci dit, il s’agit d’une structure de perfection dans son essence s’imposant dans le roman comme étant le vecteur salutaire de la réflexion qui opère par une exaltation métaphorique et symbolique.

« Une jeune lueur vacillait, timide et bleue. Un premier pétillement jaillissait. Une lumière tendre léchait le bois, parcourait les brindilles, hésitante mais tenace. Le feu quotidien n’était encore que dans son premier âge. Des flammes inquiètes mais plus vives s’immisçaient entre les bûches et des braises rougissaient. Parmi des crépitements, des

21

45

lances se dressaient de plus en plus pressées, de plus en plus ardente. […].22

Au sens strict, l’aspect champêtre est un élément non sans importance, il constitue, en fait, la partie intégrante de l’œuvre romanesque où fascination et exaspération se mêlent dans une harmonie artistique et condensent ainsi la sensibilité. Par ailleurs, sur ce volet, la pensée ne peut défaillir à en dégager l’esquisse d’un bon sens utopique et général tout en exaltant la conscience qui torture sans répit l’âme compatissante des fidèles terriens.

<< Jérôme, soucieux de cette naissance, alerté par chaque caprice ou par toute défaillance, se tenait prêt à servir le jeune être auquel ses mains avaient donné la vie. Car les flammes devenaient déjà plus exigeantes, et Jérôme, fasciné par leur vigueur, livrait à leur appétit des nourritures plus épaisses, et il écoutait, maintenant immobile, les murmures ou les accès de ce festin. »23

C’est pourquoi l’on se permet de dire que la représentation de la ruralité est d’abord une construction de l’esprit, voire une idée à la base puis une image fondée sur un fond constellé de réalité, cette dernière est projetée dans le roman comme une présence symbolique dans laquelle des êtres, des actions, des faits, des évènements historiques et sociaux se manifestent dans l’optique d’imbriquer consciemment ou inconsciemment cette pensée de l’autre et de s’emparer de son imaginaire pour ainsi dire l’isoler dans un monde de rêve dont le réel fictif spectacle est distinctement l’un des plus trompeurs qui soient et dont les splendeurs font chanter les cœurs en suscitant les vives émotions dans l’explosion frénétique de la vitalité.

22

- Chauviré Jacques, La Terre et La Guerre, Ed. Le temps qu’il fait, France, 2008, P 407.

23

46

Nous estimons que le roman champêtre, racontant le paysan, ne peut être séparé de l’environnement rural dont il tire toute son essence conceptuelle. En effet, la fonctionnalité de la littérarité dans les multiples mises en scène opère avec intérêts en faveur d’une fidèle recréation plus crédible et plus intéressante. Elle a le mérite d’objectiver le réel en l’authentifiant pour donner l’illusion du vrai dans le vraisemblable sans, toutefois, laisser les divagations de la subjectivité triompher.

De par l’intention de valorisation dans laquelle l’auteur élabore son message en lui donnant des formes de sublimation étroitement liées et associées aux paysans, à leur caractère, à leur mode de vie, à la terre et la nature ; l’inscription de la ruralité, dont l’analyse se veut parfois philosophique, semble fournir un solide point d’appui dans la mise en évidence des épreuves qui opposent la vie et la mort.

On notera toutefois que l’idée de la mort est ce qui soumet la pensée de l’individu, qui souffre et peine pour pouvoir vivre et subsister en s’usant dans le travail de la terre, à admettre avec logique le sens de son évitable et inexorable destinée qui ne peut être autre chose que terrienne.

De son vivant, le paysan y met du sien pour éviter que cette terre devienne stérile et s’acharne avec férocité à la maintenir en vie pour qu’après sa mort, l’âme qui pour autant se consacre à l’enchérir cède le corps à la décomposition au gré de l’enrichissement du sol. Et si la vie de la terre dépend de celle du paysan c’est parce qu’elle lui emprunte effort et intelligence sans pour autant mourir quand il meurt à savoir que la vie ne s’arrête pas et qu’il y aura toujours quelqu’un d’autre pour prendre le relai.

Ainsi, dirons-nous, la grâce de son triomphe éternel ne pourra jamais la mettre sous le joug de l’humain. Elle demeure le seul maître qui tient les rênes dans la vie et dans la mort. Ceci dit, c’est à quoi l’on doit s’en tenir pour pouvoir saisir l’implicite personnification de la terre dans les romans de notre corpus qui pourrait nous

47

permettre d’identifier le statut de son virtuel personnage dont le sens se veut typiquement philosophique.

Il est vrai que l’intention de tout récit est, cependant, au préalable informative, mais il est à noter que dans les romans champêtres, notamment, ceux de notre corpus, la terre est qualifiée comme le maître de la vie et constitue l’élément idéal jouant, dans le récit, le rôle d’un écran sur lequel se projette l’éclat de la ruralité. Cette dernière résonne dans tout l’univers de la verdure, des principes de la sociabilité et de la complémentarité tout en suscitant l’établissement d’un pont sémantique entre le social et le psychique, l’individu et le groupe. Un pont qui vise, de toute évidence, à sensibiliser le ou les lecteurs.

La représentation de la ruralité exalte l’humanité et l’humanisme selon un dessein précis. Elle est représentée d’une manière approfondie selon les effets psychologiques des accomplissements à travers lesquels on perçoit l’esprit de groupe et de famille que fondent, au sens propre du terme, les principes de la communion, de la compassion et de la tolérance. Trois traits de caractère qui, à notre sens, sont la propriété des paysans.

De toute évidence, l’intérêt des ouvrages de notre corpus, où s’impose avec pertinence et de façon omniprésente la voix de la ruralité, réside dans leur aspect traditionnel qui se veut presque documentaire et qui tente de maintenir vivace la vie des paysans par référence au passé et aux rythmes de ses multiples cultures. La ruralité est la même partout dans le monde. Elle est à la fois le miroir et l’instrument de la parfaite communion qui unit dans l’affectivité, les paysans et qui nous indique le sens de leurs mouvements.

C’est en effet, l’affectivité qui commente l’organisation du groupe rural dans sa totalité. Elle est considérablement développée dans les romans de notre corpus. Elle consiste, en effet, à happer les lecteurs et les impliquer dans le récit où l’auteur évoque un monde particulièrement singulier et inédit endossant des modes

48

vestimentaires et des modes comportementaux qui consciencieusement le caractérisent et l’accompagnent tout en étant particulièrement y affectés par l’appartenance.

L’importance de l’affectivité peut donc s’évaluer, dans le roman champêtre de notre corpus, selon ses multiples fonctions qui catalyse autant la dynamique de l’espace narratif que le système descriptif. Dans ce sens, Stoetzel propose, dans La Psychologie sociale, de l’interpréter comme suit :

<< S’il en est ainsi, c’est parce que les comportements affectifs sont importants pour les sociétés. C’est dans et par l’affectivité que les individus prennent contact avec les valeurs. […]. L’émotion risque donc de compromettre l’ordre social ; inversement, elle peut être la base de comportements intenses et efficaces qu’on peut avoir intérêt à mobiliser. On s’explique donc l’existence, dans les diverses cultures, d’une réglementation de l’affectivité. >>24

Nous soulignons, de ce fait, que le mérite incontestable des romans de notre corpus, dans leur crédo symboliste, réside dans cet aspect que l’on estime à caractère fonctionnel et évident. Tant que, la fonction idéale et révélatrice de son rôle se détermine d’abord, dans un discours poétique aux intentions multiples et aussi claire qu’étoffé, ensuite, dans une relation de complémentarité dans laquelle se développe harmonieusement l’étrange complicité de l’esthétique, du politique, de la religion, de l’Histoire et de la socialité. Comme, elle se confirme, nettement, dans l’alliance du réalisme, du romantisme et du symbolisme.

Dans ce sens, la contribution du contexte socioculturel engendre, de ce fait, l’écriture créative d’un agent portant en soi les caractéristiques de l’autre. Dans une certaine manière, elle traite de l’ambivalence dramatique qu’a vécue le paysan. Ainsi, pensons-nous, le personnage paysan s’appréhende à partir de ses expériences et ses

24

49

exploits au sens d’un sujet social agissant en hommage d’un passé ou plutôt d’une époque définie par l’héritage ancestral, qui n’est plus en vogue, mais qui marque intensément et avec conviction humaniste les esprits comme une dimension centrale de la réflexion intellectuelle. Cette dernière tente toujours d’explorer la réalité et de la reproduire fidèlement en la fustigeant et lénifiant dans le soucis de l’instaurer comme le vecteur salutaire du développement humain des peuples ruraux qui savaient, dans une lutte baignée d’idéalisme, préserver le patrimoine culturel à savoir que ce dernier était complètement délabré par le triomphe de la civilisation urbaine et de toutes les conquêtes coloniales.

<< Les ardoises du pavillon brillaient au soleil, et les tuiles romaines, roses et grises, couvrant le corps de logis principal, se montraient dans des éclaircies de verdure. Vers la ferme de Terrasson le chemin s’enfonçait dans des terres à blé. Plus d’ombre plus d’étangs. Une lumière abrupte tombait sur un sol craquelé où se tordaient des chaumes desséchés. A perte de vue s’étendaient des champs fauves qui se fondaient, à l’horizon, à l’acier du ciel. >>25

Dans ce passage, une fonction de poétisation semble mettre en évidence la valeur de la deuxième description par rapport à la première. A notre sens et selon ce nous avons pu constater, ces deux inscriptions consiste en l’opposition de deux statuts de lieux. La première, dont le paraître se manifeste sous le triomphe de la verdure, semble moins fort impressionnante que celle qui fait parler, comme dans un monologue interne, l’instinct rural des paysans. Elle affirme, en effet, l’implication de la terre et du sol tout en soulignant ce qui ancre la pensée rurale dans son monde où l’idéal du culturel se construit dans des imaginations qui, tout en rattachant une