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Premier Chapitre

5) La convoitise de la terre

L’intérêt de la terre est porté de façon prépondérante sur la pensée d’une manière particulière et sur le besoin psychologique de subsister et d’avoir le pouvoir d’une manière générale. Ce qui s’illustre nettement dans les écrits littéraires et économiques, correspond à un sentiment de convoitise non négligeable. Cette

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dernière désigne le salut qui ne peut être autre chose qu’amour et respect pour une indéniable entité prise au sens d’un bien précieux qu’est la parcelle. L’accent est donc mis aussi bien sur le désir de posséder la terre au sens de s’approprier une parcelle de terrain afin de marquer son territoire et d’utiliser le sol et le sous-sol pour extraire les richesses qu’il contient, pour construire et produire, que sur le désir de s’approprier indûment la terre pour la rendre maîtresse de la réflexion. Il est mis également sur le désir de la domestiquer au gré de la représentation symbolique et de l’interprétation des différentes manifestations de sens que l’on construit à l’image de l’être de la terre et qui sont incontestablement liés à la ruralité, le monde impressionnant autour duquel se resserrent imaginaire, sensibilité et création.

C’est donc à la suite d’un bon nombre de constatations que nous pouvons dire que, dans le cas de tous les romans de notre corpus, tout porte à croire que la terre a octroyé le droit d’être au centre de la réflexion et de conceptualiser le récit en fonction de son emprise tout à fait usurpée.

Une telle particularité est dès lors à noter concernant cette présence incontournable dont la convoitise confirme avec opiniâtreté la souveraineté rigoureuse et la validité essentielle qui consistent en l’efficacité invincible de ses enjeux et ce dans tous les domaines. Le sens à donner au triomphe de cet élément mentionné d’une manière flagrante, exaspérée et redondante aussi bien dans la littérature française que dans la littérature algérienne, serait, de ce fait, une réalité figée qui vit en chaque être humain. S’agit-il d’un testament ?

« …Comme toi, Arris. La ville t’a à jamais dérobé à ma vue. Pourtant tu es là dans mes mains, pareil à un poisson qui réclame l’eau tranquille de son cours. Arris, je me résous à l’attente, à t’attendre. Pareil à la terre qui t’a vu naître et qui s’est figée malgré tempête de neige et gémissements de fleurs languissantes à force de ne plus te revoir, je t’attends. >>43

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Ce récit semble faire la lumière sur le lien charnel et viscéral qui découle manifestement d’un amour inné et ardemment conçu que nourrit l’individu à l’égard de l’appartenance à la terre natale que nous estimons honorifique et de la propriété précieuse dont la possession se veut honorable.

Comme, il convient aussi de dire que le monde rural est en relation systématique avec l’imaginaire, car il constitue le contexte donneur du sens au texte qui comprend les valeurs sociales et culturelles. L’une des caractéristiques les plus appropriées de ce monde impressionnant réside dans le fait qu’il se distingue de la ville par sa capacité d’accrocher et de séduire.

Il est à souligner que le contraste existant entre la ville et la campagne est représentatif et significatif. La conception de la ruralité que se forme l’Homme d’une manière générale et le romancier d’une manière particulière est relative à l’art, à la nature et la beauté dont la générosité est sans réserve. Cependant, la terre demeure le sujet important et la figure éminemment emblématique dont l’évocation crée à chaque fois un horizon d’attente particulier. Comment le lecteur pourrait ne pas être convaincu de la profondeur de l’efficacité de son inscription. Or, outre la nécessité de faire prévaloir les principes de la cohérence, de la communion et de la compatibilité au sein de la communauté rurale, elle met en avant ce qui exalte l’aspect humaniste et affectif de l’œuvre où l’on acquiert les vertus de l’attachement à la terre qui comme une mère voudrait reconquérir son enfant où qu’il soit.

<<Terre, quand tu me couvriras et que petit à petit tu m’assimileras jusqu’à ce que mon corps soit baptisé et que je devienne un élément semblable aux éléments qui te composent, je pousserai un hurlement qui déchirera l’espace et le temps jusqu'à parvenir aux oreilles de mon fils. Il viendra. L’appel de la terre, oui, cet appel terrible et qui vous prend aux tripes, existe. Il existe. Il viendra. Ce jour-là les

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chacals hurleront jusqu’à l’aube et nous entendrons le tonnerre gronder de joie…Arris est revenu. »44

Ce monde fabuleux et providentiel se veut un particulier univers intensément doté d’un invincible pouvoir qui nous oriente dans la création où la figuration de la réalité serait de déterminer ce qu’est le concret à travers l’abstrait. De ce fait, le moins que l’on puisse dire, c’est que la représentation de la ruralité est le mythe cartésien où la construction des images est relativement perçue comme étant la plus haute manifestation révolutionnaire se traduisant dans l’imaginaire où la fiction par l’activité mentale et intellectuelle dont la prestation de la manœuvre sera forcément conçue dans l’intention de susciter un nombre considérable de désirs et de manifester d’intenses influences pour ainsi dire posséder énormément les esprits et les cœurs qui s’y enivrent sans réserve et sans recule.

Cela dit, malgré ses maux et ses hostilités, comparé à la civilisation de la ville, le rigide sein psychologique de la campagne finit toujours par triompher et l’emporter sur le raffinement citadin. La voix terrienne se manifeste, de ce fait, avec un écho consistant à susciter les instincts les plus puissants qui soient à se motiver pour assurer la détermination de l’intelligent dynamisme intellectuel dont le souci majeur est de mettre en évidence l’éthique de la conscience rurale qui ne saurait se détacher de son berceau affectif.

Une conscience qui se manifeste de façon métaphorique pour faire parler les lieux de naissance tout en créant véritablement une impression galante de personnification dont le salut se veut celui de l’influence. Ce que la pensée littéraire tend toujours, à notre sens, à associer à l’inscription de la terre. Il n’est donc question que d’une affirmation logique et rationaliste dont la tentative implicite est de fixer l’idée que la terre est un être engageant l’être humain dans sa relation avec le monde

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rural jugé et reconnu préalablement sain et bon quel que soit le désarroi des lamentables conditions de vie.

« Nous sommes les damnés pour la vie, et quand notre triste cohorte débarque au printemps dans le pays civilisé auquel elle va demander de l’argent, nous nous considérons comme des âmes en peine visitant le paradis des élus. Les élus nous reçoivent mais nous n’en sommes pas : il est clair que nous ne pouvons pas être heureux parmi eux. Alors nous nous forgeons une espèce de bonheur au rabais, un petit idéal à notre portée, et la pensée que nous sommes des déshérités de ce monde, les parias du XXe siècle, à la vue des beaux magasins, des grandes avenues, des innombrables voitures, des étalages de luxe, des tables bien garnies, des immeubles somptueux, de la richesse, de la beauté, de la civilisation, cette pensée devant un tel spectacle le, digne d’un impossible paradis –ô Kamouma- ne nous effleure même pas.>>45.

La convoitise de la terre en tant qu’objet se perçoit aussi à travers l’histoire au gré de l’interprétation du bonheur que procure le retour chez soi et les retrouvailles avec l’être aimé. Il s’agit là, en effet, d’une connotation non sans importance car le bonheur n’est pas lié à la simple satisfaction du besoin et du plaisir mais plutôt à un sentiment de sérénité à caractère positif résultant de l’influence d’un lien de tendresse que l’on ressent quand on est embrassé par sa terre natale. Pour le paysan la terre est le propre précieux de l’homme à savoir que seule son exclusive possession renforce la vocation et fait la fierté des peuples ruraux.

C’est dans cette optique que le discours littéraire déploie nettement l’essence sémantique de la terre, de ses fondements et des enjeux de sa relation avec les êtres vivants dont l’existence en dépend : Homme, animal ou plante soient-ils. Il n’y a pas de terre sans êtres vivants et il n’y a pas d’êtres vivants sans terre.

Quoiqu’il en soit, la terre n’est pas traitée en objet futile, mais elle est reconnue comme une dynamique présence transcendant de toute nature et de toute forme de vie. Cette dernière dépend favorablement de la gratitude de la terre ou du

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sol ou de la parcelle ou en somme de leur puissance redoutable et de leurs multiples richesses contenues dans leurs profondes et secrètes entrailles dont les propriétés possèdent en soi les valeurs des éléments les plus précieux et les plus appréciés dans le monde.

La terre est l’acteur virtuel qui agit en fonction des buts et des intérêts qu’il se voit intimer de partager avec l’Homme d’où la valorisation du profit mutuel. En effet, l’Homme est l’agent qui tout en étant doté d’intelligence, de force et de savoirs nécessaires signifie l’être de la terre dans toute représentation.

Ainsi, dirons-nous, la présence et l’existence de la terre en tant que manifestation personnifiée dans l’imaginaire donne à percevoir l’ombre de son abusive autorité qui s’exerce sournoisement et signale en filigrane un désir de domination réfléchie. Ceci dit, c’est avec une sobre vigilance littéraire que cette dernière se garde des préjugés moraux et marque la voix du récit d’un ton rural qui manifeste la validité de cette puissance indéniable.

Et il n’est de conscience judicieuse que celle qui se manifeste pour affirmer le mérite de la pensée des auteurs des romans de notre corpus dont l’instinct de décrire, de dire, de raconter un être virtuel dépasse tout autre instinct et le fait d’être autant sensible à l’influence de l’être de la terre sur les ruraux qu’aux différentes réactions que les ruraux manifestent à l’égard de cet être est une réalité littéraire sans égale. Elle est dès lors à retenir.

<<Nous nous disons : cela est bien beau, mais ce n’est pas à nous. Ce qui reste pour nous c’est Ighil-Nezman et ses champs arides, ses gourbis en guenilles, ses ruelles étroites. Puis chacun de songer à amasser des sous pour acheter la champ aride du voisin, pour reconstruire un magnifique gourbi à la place de l’ancien, pour disputer à un rival une jeune fille aux hanches larges prêtes à vous donner un héritier, une multitude d’héritiers votre illustre nom, […] Quand nous revenons chez nous, tout se passe comme si nous n’avons rien vu, comme si nous n’avons rien appris. Et les générations se suivent, les

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champs arides se morcèlent, les gourbis se multiplient parce que se sont multipliés les héritiers. >>46

Ceci dit, l’Homme et la terre se maintiennent, l’un sert l’autre, l’un soutient l’autre, l’un valorise l’autre et l’un n’a d’existence sans l’autre. L’Homme et la terre vont de pair. Le désir de L’appropriation de la terre aussi bien dans la vie quotidienne et réelle que dans le roman suscite la convoitise et excite l’affectivité. Ce qui nous incombe à la résolution de dire que nous assistons à un appétit insatiable décrit d’une manière flagrante dans l’histoire que crée l’écrivain. On comprend alors ce que la terre est pour l’homme des bois et de la campagne, on comprend alors pourquoi il se bat jusqu’à s’user et lutte à mourir. Parce que les intentions sont bonnes, c’est si important, c’est si utile dans la justification de la personnalité rurale. La grande vertu, voire la seule, de la personne paysanne réside dans la force de son caractère. C’est le trait dominant qui la détermine et selon lequel on la juge.

«Si les choses ont des spécificités, l’activité humaine leur donne aussi des propriétés, qui ne sont pas simplement objectives mais nettement subjectives, souvent symbolique et culturellement. […]. On voit donc […] qu’une chose a certaines propriétés objectives mais possède aussi des propriétés qu’on lui affecte et qu’on lui donne. […] la terre ou plus précisément […] le sol […].des propriétés qui renvoient plutôt à un univers symbolique, même s’il est bien évident que le sol recouvre aussi une dimension économique importante, […]. On sait, […] que les hommes donnent à la terre des critères ambivalents, qu’elle soit, diurne ou nocturne, mais que pouvons-nous dire du sol ? […], l’homme est un animal terrestre. […], les lieux de séjour des hommes est bien la terre et le sol. »47

C’est, en effet dans le même esprit que se construit la conviction la plus profonde qu’on ne peut aborder l’inscription de la terre, dans le roman, sans avoir

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-Ibid., P. 174.

47 -Berger Corinne, Roques Jean-Luc, La terre comme objet de convoitise (Appropriation, exploitation, dégradation), Ed. L’Harmattan, Paris, 2008, P 104-105-106.

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d’abord abordé la dynamique de la possession au sens de la portée économique et industrielle d’où l’appropriation d’une ou des parcelles en tant que bien servant à l’urbanisation, à l’agriculture ou à l’industrie d’extraction.

Une résolution particulière et significative est à considérer. Ce désir ardent de côtoyer le monde rural et d’embrasser la terre dénote par lui-même la valeur notable et positive qu’assigne la pensée sans réserve aux multiples qualités que seule l’histoire d’un paysan et de ses aventures peut mettre en exergue. En effet, l’obstiné terrien, quelques soient les péripéties, ne s’abstient jamais à développer un fort sentiment de convoitise et de possession. C’est à ce sens que se rattache une conception psychologique qui prolonge et précise cette disposition innée et acquise en même temps de l’individu rural. Ce qui s’appréhende nettement à travers ce qui suit :

«-Trop raisonnable ! Si, à la fin du mois, il n’y a pas eu de grossesse probable, elle aurait renvoyé Fetta purement et simplement. Hocine aurait été guéri de l’envie de se remarier. -Et sa terre serait devenue la proie des cousins. A sa vieillesse, il risquait de se voir dépouillé comme il a dépouillé lui-même son oncle Kaci. Mais là, vois les dessins de la providence ! Kaci a bien un fils, cela n’a pas empêché sa terre de s’en aller, tandis que Hocine risquait de ne pas en avoir et voilà qu’il en a. Il faut croire qu’il a agi sans malice avec Kaci. -C’est différent. Vendre sa terre, « la manger » de son vivant, passe, encore ! Mais mourir sans héritier… »48

La terre est l’un des plus sûrs garants de qualité de faire perdurer le respect et d’éviter l’endurance de la honte qui se traduit par les sarcasmes d’autrui. Un respect évoqué d’une manière sous-jacente laissant entendre la première intention de la mise en valeur de cette ressource naturelle qui, faisant l’objet d’un prophétisme indéniable, rend un grand hommage au paysan et lui procure une multiplicité de

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considérations non négligeables. Elle suscite des émotions qui ne seront jamais épuisées et solliciteront toujours la curiosité des littéraires.

Le contexte socio-rural, dont la magnificence se reflète sur l’histoire créée, dote l’imaginaire d’une force invincible liée à la convoitise de la terre. Cette dernière se traduit par une détermination farouche de la part du paysan pour qui être dépouillé de la terre signifie le déshonneur et la défaite. Ceci dit, la terre est l’instrument idéal qui se perçoit nettement comme une référence idéologique que suppose la perspective de faire de la terre la sommité la plus puissante qui demeure un objet de convoitise et d’appropriation.

«Dans notre esprit, Tassadit est une grande femme comme un homme peut être un grand homme. Ce n’est pas peu dire pour une Kabyle. Les gens la soupçonnent de s’être fait donner ses quatre fils par son fellah salem. Mis à part ce soupçon qui peut lui reprocher quoi que ce soit dans le village ? Personne. Elle est vieille, à présent. Aucun ennemi. Une femme sage ! Non seulement on l’accuse, mais on a compris que Hamid n’avait pas été capable de faire ce qu’a pu Salem. Pourquoi ne pas supposer, simplement, qu’il n’était pas viril du tout et que Tassadit, engagée avec un pareil mari, avait supporté stoïquement sa disgrâce sans jamais en parler, ne prenant Salem que pour se créer une famille, sauver la terre, donner des hommes au fils de la veuve, solitaire, chétif haï des siens. >>49

Un argument en faveur de la terre se perçoit, en effet, dans le passage cité ci-dessus. On peut donc voir dans l’expression <<sauver la terre>> ce qui manifeste une opinion masquée condamnant l’acte, mais en même temps, pensons-nous, le justifiant en affirmant l’emprise de la terre. Ceci s’accompagne, aussi, d’un recours au devoir d’avoir un héritier pour pouvoir préserver sa dignité et éviter quand ne jase sur sa virilité. Nous ajoutons, de ce fait, qu’en plus de l’intention persuasive qui vise à convaincre, cet outil d’argument est une expression dont le genre oratoire est en même temps :

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a)épidictique ayant comme nature la louange et le blâme, et comme critère la vertu.

b) judiciaire ayant comme nature le jugement et comme critère le juste.

c)délibératif ayant comme nature la décision et comme critère l’utile et le bonheur.

Après l’apparition de la rhétorique au Ve Siècle AV. J-C., Aristote continua véritablement, en 384 /322, la pratique de la parole efficace en outil d’argumentation et l’appliqua à trois genres oratoires :

Genre oratoire Nature du discours Critères à employer

épidictique Louange et blâme Le beau, le laid, la vertu

judiciaire jugement Le juste, l’injuste,

délibératif Décision (politique)

Cependant, dans le passage suivant, la description de Ourida recèle en elle une mise en évidence de style vestimentaire et de la particularité de beauté de la femme kabyle. C’est, en effet, un tableau saisissant qui met surtout en avant l’intérêt de la représentation romanesque pour la question d’une femme qui, étant coquettement belle et de plus ayant des formes pleines, peut remplir toutes les conditions d’abord de se faire désirer puis d’être apte à donner un héritier ; des critères qui donnent à la considérer comme un trésor. Cette conception était couramment répandue à cette époque où la terre était le seul moyen de richesse et de puissance, l’unique source de bonheur et d’honneur, et le seul moyen de s’affirmer aussi bien dans le sein de l’ethnie que dans le sein de la famille que peut avoir l’homme rural.

<<Le même calcul l’amena, sans doute, à utiliser, de nouveau Salem pour la femme de son fils, Ourdia, sa nièce. Ourdia, était une beauté. Elle éclipsait toutes ses belles-sœurs : teint clair, cheveux noirs, grands yeux au long regard de flamme. Lorsque Tassadit l’accompagnait