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Premier Chapitre

6) Le Poétique dans le rustique

Comment ruralité et littérature peuvent-elles se rejoindre dans une expression poétique ? Les confronter revient à s’exposer à soulever l’étroite relation objective les unissant dans une logique mentale où se projettent spontanément des images représentatives de la nature et du monde rural.

Ceci dit, cette logique se donne pour tâche de symboliser les réalités qui prennent alors forme dans l’esprit humain où le reflet des dispositions subjectives de l’imaginaire contribue considérablement à l’élaboration d’un monde fictif. Ce dernier revêt la construction d’une impression consistant en l’adaptation du réel au fictif dans l’histoire. La création se veut, de ce fait, incontestablement le fruit de l’activité mentale. Cette dernière s’applique à témoigner de la capacité intellectuelle de l’agent créateur dans la production où l’on situe la tentative de communiquer le retentissement de ce cri du cœur qui met en exergue un amour à double fin : La voix féconde de la ferveur des palpitations qui font vibrer intensément corps et âme pour l’être aimé et la soumission enthousiaste de la pensée à ce dieu impersonnel qui nourrit les veines et irrigue inlassablement les tissus des zones sensorielles de l’esprit humain où nait et se développe un mouvement d’idées dont l’exaltation préhensible dans la représentation de la paysannerie l’inspiration aidant, revêt une complicité de la sensibilité et de l’imagination d’où la concrétisation d’un romantisme où l’on se fond sans réserve.

Ceci dit, l’ambition est de viser fréquemment à l’imbrication de la pensée d’une manière invincible dans des lieux de rêve d’autant plus émouvants qu’ils sont magiques et attirants. Il s’agit, de ce fait, d’une richesse émotionnelle, qui tend à créer, dans la virtualité, une acuité relationnelle entre l’Homme et l’univers vert. En

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effet, l’esprit humain est le champ fertile où naissent et prennent forme des idées dont le déploiement ne trouve refuge, de ce fait, que dans la créativité, la force active où s’illustre le modèle artistique sans lequel, elles ne seront utiles et poétiquement efficaces.

Il s’agit là, d’une conception laissant entendre que la pensée humaine ne saurait se manifester indépendamment de cette présence verte qui n’a de cesse de colorer, d’embellir, de jongler entre le réel et l’imaginaire, d’élargir le rêve et de l’intensifier, de créer des surprises sensuelles pour ainsi dire faire fantasmer et vagabonder l’imagination du lecteur dans le but de la rendre heureuse et de la subjuguer jusqu’au plus haut point.

La prise de conscience de ce mouvement sentimentalement rural exploite le succès de la littérature dans son fonctionnement qui traite des caractéristiques accrochant et attrayants dont la mise en forme renvoie à l’esthétique. En effet, c’est dans la beauté de la nature que se mandate le développement des idées qui s’illustre nettement par la mobilisation de l’expression dont l’un des enjeux les plus importants consiste en la valorisation de la ruralité. Cette dernière repose sur un principe consistant à associer une histoire d’amour à la conscience d’un monde sain et pur.

Un monde où la magnificence d’esprit et la splendeur de l’âme se manifestent intensément dans les comportements et les conduites qu’adopte le paysan vis-à-vis de ceux qui lui sont chers et importants. Ces comportements et ces conduites s’inscrivent, en effet, dans le cadre relationnel, marquant ainsi la remarquable et singulière beauté intérieure de l’innocente âme rurale. La mise en évidence de cette dernière se perçoit à priori dans des réseaux de significations tissés avec intelligence relativement à l’inscription de la terre toute en dotant les romans de notre corpus d’une imposante portée rurale. Ce qui leur confère le statut de genre champêtre. C’est, à notre sens, dans cette conception poétique que se dessine la correspondance entre la beauté terrestre et la beauté spirituelle.

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Il s’agit, en fait, de la prestation de l’art littéraire qui tente tant bien que mal de créer le mystère de l’extase vertigineuse dont l’enjeu consiste à embellir le texte et à illuminer l’histoire dans l’optique de la rendre captive et de refléter le secret de ce monde dans un non-dit déployé intensément dans un aveu mis à la lumière du jour par la contribution de l’expression littéraire.

<<Mohand-ou-hamid venait d’avoir un fils. C’était merveilleux. Tout le monde en parler. Et, ma foi, comme il était estimé dans le village, c’était en apparence un soulagement général. A la djema, au café, sur la grande route du cimetière on pouvait entendre des gens parler de l’évènement, dire par exemple : « Quand on sème le bien, on le récolte » ou : « Celui qui attend de dieu n’est jamais déçu. » Et c’était à qui irait sans retard féliciter les Issoulah.Les Issoulah sont riches et Tassadit fort charitable. Sa réputation est grande dans le village. Tous les pauvres connaissent sa maison et sa bonté. C’est même un peu spectaculaire car, il arrive à Hamid et Tassadit de priver leurs brus pour faire l’aumône, ou bien de se gêner considérablement pour éviter que des étrangers de passage aillent demander l’hospitalité ailleurs. >>53

Comme, il nous est aussi possible, de par la première constatation de valorisation, de souligner que le romancier tente de percer le secret et de là, nous faire connaitre la beauté, le charme, la tendresse, la bonté et la cruauté de la nature, tantôt douce tantôt rude, et de son univers à travers les formes poétiques de l’expression qui effectue un transfert de l’action réservée à l’homme à la nature dont la personnification lui confère le statut d’un démiurge.

En effet, le pouvoir de créer s’explique en partie par la spécificité de l’œuvre d’art qui suggère une structure sémantique et une structure formelle. Ces deux dernières se construisent en fonction de la relation qu’a le signe avec la réalité qu’il représente. De toute évidence, le texte littéraire, considéré dans sa complexité, est une structure signifiante et est un objet de compréhension. La tâche de l’interprétation aura donc pour objet de dégager la valeur expressive située au-delà

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de ce qui est apparent et ce qui est perceptible à première vue ou à première lecture, c’est-à-dire « le non-dit, non exprimé en surface, au niveau de l’expression »54

<< Depuis que les Ait-Hamouche sont « tombés », comme nous disons, ce sont les Issoulah qui prétendent détenir l’honneur du village ; ils répondent de son nom : « A Ighiril-Nezman, disent-ils, nul voyageur ne doit passer la nuit dehors et sans manger. » Voilà une bonne chose qui nous tranquillise tous parce que notre cœur est toujours accueillant. Sans notre avarice ou notre pauvreté, nous voudrions bien tous être hospitaliers. Il faut dire aussi que c’est plutôt Tassadit qui règle en ce sens la conduite de la maison, au point que parfois ses enfants et Hamid lui-même enragent de la voir si généreuse avec d’autres tandis qu’elle n’accorde aucune libéralité aux siens. C’est pour elle une question de principe, peut-être même une douce manie. »55

Ceci dit, la valorisation dans la mise en évidence de la ruralité se veut, dès lors, le non-dit qui dresse implicitement la relation entre le champ lexical champêtre et la réalité paysanne à travers les sentiments, la culture, les mœurs, la vision du monde, etc., évoqués ou décrits jusqu’aux moindres détails. Ce qui nous incite à dire qu’il s’agit là d’une stratégie textuelle consciemment établie et conçue dans le but de relativiser l’histoire crée à la ruralité et d’élargir, de ce fait, le champ de l’emprise de la terre. Il faut cependant préciser que la pertinence de la présence de la terre, dans les romans de notre corpus, témoigne irréfutablement de la manière avec laquelle l’instinct humain oriente la pensée. D’un point de vue psychologique et rationnel la visée envisagée serait donc la mise en exergue et la valorisation de l’existence paysanne et du travail de la terre. La littérature champêtre se veut pour ainsi dire, le reflet de ce monde rural qu’elle se charge d’exprimer dans une connotation artistique.

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-Umberto Eco stipule que le texte représente « un tissu de non-dit » : « non-dit » expliquera-t-il, « signifie non manifesté en surface, au niveau de l’expression. ». In Lecture, qu’est-ce que le lecteur model.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lecteur_mod%C3%A8le

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<< La Grise était jeune, belle et vigoureuse. Elle portait sans effort son double fardeau, couchant les oreilles et rongeant son frein, comme une fière et ardente jument, qu’elle était. En passant devant le pré-long elle aperçut sa mère, qui s’appelait la vielle Grise, comme elle la jeune Grise, et elle hennit en signe d’adieu. La vieille Grise approcha de la haie en faisant résonner ses enfermes, essaya de galoper sur la marge du pré pour suivre sa fille ; puis, la voyant prendre le grand trot, elle hennit à son tour, et resta pensive, inquiète, le nez au vent, la bouche pleine d’herbes qu’elle ne songeait plus à manger…>>56

La jeune Grise est aussi un personnage particulier. Il se projette en elle le caractère d’un rural fière et robuste viscéralement attaché à sa terre qui telle une mère éprouvée et triste fait résonner sa voix contestataire et revendicatrice sur un ton tant idéologique que symbolique. Voici, sur le thème de l’attachement à sa terre et aux siens poétisé dans les règles de l’art, un passage qui fait vivre le caractère farouche, fidèle et passionné des ruraux. Un refus enthousiaste d’éloignement et de séparation se manifeste dans une circonstance où la contrainte bat son plein.

Ce dessein aux multiples figures, dont le génie n’est pas moins saisissant, excelle à connoter, avec tant de maîtrise, la haute allure de l’être psychologique des terriens qui agit nettement sur l’esprit et le cœur ; et excite l’émotion des lecteurs. Ceci dit, dans ce passage, on perçoit l’éclat d’une une manifestation de la propre manière de penser et de sentir des paysans dans leur milieu rural.

<< Germain connaissait le chemin jusqu’au Manier ; mais il pensa qu’il aurait plus court en ne prenant pas l’avenue de Chanteloube, mais en descendant par Presles et la sépulture, direction qu’il n’avait pas l’habitude de prendre quand il allait à la foire. Il se trompa et perdit encore un peu de temps avant d’entrer dans le bois ; […]. Ce qui l’empêchait alors de s’orienter, c’était un brouillard qui s’élevait avec la nuit, un de ces brouillards des soirs d’automne que la blancheur du clair de lune rend plus vagues et plus trompeurs encore. Les grandes flaques d’eau dont les clairières sont semées exhalaient des vapeurs si épaisses

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que, lorsque, la grise les traversait, on ne s’en apercevait qu’au clapotement de ses pieds et à la peine qu’elle avait à les tirer de la vase. »57

Le brouillard met le héros dans une situation fâcheuse où le dilemme de la nature, comme un personnage, dont le rôle est sémiologique, semble annoncer une conclusion qui s’impose.

En effet, l’histoire confirme, avec éclat, la vérité de la beauté de la nature qui subordonne la créativité à l’intérêt sacré de la manifestation poétique. La nature est exclusivement la mère sincère et câline qui se manifeste sournoisement, avec tendresse par la force divine, dans la suggestion de la féerie magique.

Par ailleurs, son idéal est la survivance florissante d’une manière permanente dans l’esprit de tout être humain. Sa domestication présuppose qu’elle remplit dans le discours littéraire des fonctions dont l’importance réside dans l’art de la confection et de l’adaptation de la parole. Et ce par l’effet qu’elle produit sur le sujet parlant ou sur tout sujet créateur à savoir le romancier, le peintre, l’architecte, ou tout autre soit-il. De surcroît, la nature est le lieu qui abrite la rencontre des âmes dans la sérénité desquelles naissent et se développent des sentiments sincères et durables.

C’est dans les paysages angéliques, dans les bois, au bord des rivières, soit dans les lieux les plus romantiques et les plus riches, que se mêlent la résonnance romanesque et le silence caressé par la douce brise, pour faire de l’écho du cri du cœur le témoin le plus crédible qui soit des rencontres pouvant réussir et se solder par le lien sacré du mariage ou échouer et se terminer mal, d’où la séparation et le déchirement. Une connotation laissant entendre aussi bien la séparation des amants que celle des proches qui éloigne l’un ou l’autre de sa terre natale.

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La ruralité, dans les romans de notre corpus, est, à notre sens, l’aspect le plus significatif qui couve aussi bien la nature que la réalité de l’âme profonde des ruraux que l’auteur brosse avec sobriété et fidélité sans la moindre modification ou transformation. Ceci dit, c’est la seule représentation fidèle qui ne peut être déformée ou feinte. Il s’agit donc d’un tableau austère dont la conception consiste à rendre compte dans les moindres détails des caractéristiques physiques et psychologiques des paysans. Une telle conjoncture justifie avec ferveur les déclarations de valorisation, de respect et d’admiration pour cette grandeur inégalée, faites par le romancier.

Ces déclarations n’en demeurent pas moins une simple réflexion sur la banalité de la vie paysanne et peuvent, de ce fait, se percevoir comme la mise en scène d’un fonctionnement reconstitué, avec une préoccupation esthétique, à partir des histoires réellement vécues ou tout simplement inspirées de l’environnement rural. En effet, l’illustration et la représentation sont fort admises dans la mesure où l’on décèle un inventaire de sentiments vrais implicitement exprimés en fonction de l’instinct qui a guidé et orienté la pensée dans les efforts de sa production artistique.

L’histoire, dont les conséquences sont logiques et les cause sont consciemment admises, n’est pas une simple potentielle virtualité dans la mesure où elle consiste en une somme de faits, d’actions ou d’événements rapportés qui possèdent assez de perfection dont le rendement de qualité se perçoit au travers des représentations donnant des rapports de similitude avec la réalité. Elle est, également, l’instrument de valeur qui par sa structure poétique nous fournit le miroir miraculeux où se reflètent une multiplicité d’images résultant d’un effort mental émanant de l’intérieur. Ce dernier se développe en liaison avec la passion et la beauté en partant de l’inspiration ; et fait rayonner le talent de la création pour déterminer le niveau supérieur de la signification.

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«Ils s’étaient mis à marcher, ils suivaient le chemin étroit qui longeait le vallon, avant de s’enfoncer dans les terres. La dernière sonnerie de l’angélus venait de s’envoler, les corbeaux seuls croassaient toujours. Et, derrière la vache tirant la corde, ni l’un ni l’autre ne causaient plus, retombés dans ce silence des paysans qui font des lieues côte à côte, sans échanger un mot. A leur droite, ils eurent un regard pour un semoir mécanique, dont les chevaux tournèrent près d’eux ; […]. D’une violente secousse, elle avait ramené la vache. A cet endroit, le chemin quittait le bord du plateau. La carriole disparut, tandis que tous deux continuèrent de marcher en plaine, n’ayant plus en face, à droite et à gauche, que le déroulement sans fin des cultures. >>58

Aussi fertile et féconde que la terre, le discours littéraire est un art qui rend significatifs tous les aspects de la vie rurale et tous les comportements et attitudes incarnant les traits psychologiques de l’homme de la campagne. Ce sont des éléments actifs, jugés utiles en fonction de leur efficacité dans la mise en relief d’un concept à caractère dominant.

Le paysan trouve un exutoire dans le travail de la terre et le romancier trouve un exutoire dans la représentation de la terre. La terre est l’âme sœur de la pensée, elle l’accompagne dans toutes ses escapades et ses aventures, ce qui met en veille la conscience de tout analyste et de tout critique. La terre se perçoit comme l’être sobre et lucide qui soule le romancier et active le renforcement de l’hallucination illusoire.

<<Entre les labours et les prairies artificielles, le sentier s’en allait à plat, sans un buisson, aboutissant à la ferme, qu’on aurait cru pouvoir toucher de la main, et qui reculait, sous le ciel de cendre. Ils étaient retombés dans leur silence, ils n’ouvrirent plus la bouche, comme envahis par la gravité réfléchie de cette Beauce, si triste et si féconde. »59

58 -Zola Emile, La Terre, Ed. Gallimard, collection Folio, Paris, France, 1980, PP. 32-33.

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Dans le passage cité ci-dessus, l’écrivain propose une série d’éléments qui se veulent des balises sémantiques suggérant la présence non évoquée explicitement de la terre. L’ambition est, donc, de nourrir le récit de la conscience des lieux qui se manifestent en agissant sur les personnages. C’est pourquoi l’on se permet de dire que la présence de la terre, de manière permanente dans le roman, constitue le pivot central de la réflexion, et la pensée ne peut, de ce fait, créer ou produire sans se laisser soumettre à l’emprise farouche de sa pertinente inscription et sans passer outre mesure de s’imprégner des multiples significations de ses accessoires.

<< Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre/Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour/est fait pour inspirer au poète un amour/éternel et muet ainsi que la matière. >>60

La terre constitue dans la fiction romanesque, le flanc sécurisé et sécurisant, procurant à l’être vivant le lieu de sérénité et de confort où, naissent et se développent précisément des idées incarnées dans des mots par l’usage de la parole, tout comme la graine qui éclore dans les entrailles de la terre et donne naissance à un bourgeon ne pouvant se détacher du sol ou se déraciner sans abîme.

Ceci explique le sentiment de l’attachement émotionnel, décrit dans le roman champêtre où l’on assiste à la condamnation formelle d’un départ connotant l’indésirable éloignement de sa terre de naissance d’où un contraint déracinement traduit dans l’histoire par le malheur et la défaite.

La terre est l’énigme figure symbolique qui se manifeste avec une voix silencieuse à travers les multiples fonctions des lieux et des sites décrits et évoqués dans la diégèse. Elle constitue, également dans une discrétion raffinée, le mythe symptomatique de la tension socio-culturelle où elle tend à faire valoir le lien

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qu’entretien l’individu avec les siens et que l’on perçoit à travers l’expression de la