L’interprétation des directives en matière de droits d’auteur et de droits voisins est un phénomène récent ayant débuté en 2001 (date de la directive Info Soc), le temps pour les conflits d’interprétation d’atteindre les juridictions de plus haute instance au niveau national. On peut même souligner que les années 2012 et 2013 ont vu un « torrent de questions préjudicielles669 » s’abattre sur la Cour, d’où une jurisprudence européenne assez dense, notamment en ce qui concerne l’interprétation de la notion autonome de communication au public. Ce changement de perspective et la prise en compte accrue de la jurisprudence de la CJUE n’est pas uniquement le résultat de la procédure juridique. Elle est aussi le résultat d’une volonté délibérée de la CJUE d’harmonisation du droit d’auteur par le législateur européen, en réponse à un échec – pouvant éventuellement évolué d’ici peu.
La prise en compte de la jurisprudence de la CJUE par les juridictions en France et en Allemagne est un phénomène récent en droit d’auteur. La réception recouvre plusieurs appréhensions. Elle peut recouvrir la réception directe d’une décision de la CJUE par une juridiction nationale ayant posée une question préjudicielle en interprétation, sur le fondement de l’art. 267 b TFUE. Liée par l’interprétation de la Cour de justice, la juridiction de renvoi va appliquer en l’espèce la solution proposée par la CJUE. Généralement, la CJUE n’apporte pas de réponse à la question de droit liée aux faits au risque de dépasser ses compétences. Tel n’a pas toujours été le cas, notamment dans le cadre des arrêts SCF et
Marco del Corso où la CJUE a véritablement proposé une solution au cas d’espèce, allant au‐
delà d’une simple interprétation de la notion de communication au public. La juridiction de renvoi bénéficie ici d’une certaine marge de manœuvre : soit elle adhère au résultat et à l’argumentation développés par la CJUE, soit elle adhère uniquement au résultat proposé par la Cour, soit elle reprend seulement l’argumentation proposée par la CJUE, ce qui est rarement le cas. En effet, la CJUE interprète une notion autonome et unitaire insérée dans une directive, qui est le fruit d’un compromis entre 27 Etats membres, si bien que la transposition au niveau national d’une telle directive laisse une certaine marge de manœuvre de transposition au législateur national, entraînant par là même une certaine flexibilité dans l’application de la loi par le juge. Les juges nationaux se devant néanmoins d’interpréter la loi nationale à la lumière de la directive, il y a également réception de la jurisprudence de la CJUE, dès lors qu’une même question de droit nécessitant l’interprétation d’une même notion d’une directive est posée à propos de faits similaires. La CJUE n’ayant pas pour rôle de vérifier la conformité de la loi nationale avec l’interprétation de la directive, il n’est pas à exclure que certaines dispositions nationales ne soient pas conformes à l’esprit d’une directive. L’interprétation de la CJUE de notions autonomes et unitaires ne permet donc qu’une harmonisation ponctuelle de certaines notions clefs.
Les critères permettant de définir une communication au public n’étant pas des plus clairs, la réception de la jurisprudence européenne au niveau national s’en trouve fort complexe. Dans l’incertitude, les juridictions nationales réceptionnent plutôt la jurisprudence européenne la moins « invasive » et qui correspond le plus au système national. C’est donc avec scepticisme que les juges allemands et français ont accueilli les décisions de la CJUE. Malgré tout, l’argumentation de l’arrêt SGAE c/ Rafaël Hoteles a largement été confirmée par les juridictions nationales allemandes et françaises, et depuis peu, les juridictions allemandes 669 V.‐ L. BENABOU, Actualité jurisprudentielle de l’Union européenne : PI, 2013, n°46, p. 82.
ont même considéré que l’arrêt Marco del Corso constitue un acte clair. Dans quelle mesure, la jurisprudence européenne liée à l’interprétation de la notion de communication au public a‐t‐ elle été réceptionnée et confirmée au niveau national ? A partir de quel seuil la personne qui intervient d’une façon ou d’une autre dans le processus de communication doit être considérée en tant qu’intermédiaire possédant une maîtrise suffisante pour être regardée comme responsable d’un nouvel acte de communication ? Quel acte matériel fait que l’on passe d’un statut à l’autre ? En Allemagne, une « Weitersendung » que l’on peut traduire en français par une « retransmission » s’analyse forcément dans le sens d’une représentation secondaire. Rien n’entrave une telle interprétation, puisque la notion de public est un élément de définition de la communication au public. Considérer que la retransmission s’analyse comme un droit exclusif de communication publique au sens de l’art. 20 UrhG est en accord avec l’esprit et la lettre de l’art. 11 bis 1) de la convention de Berne et renforce une compréhension extensive de la communication au public. L’émission originale doit cependant être retransmise par une entité autre que l’organisme d’origine. En France, la retransmission n’est pas forcément à comprendre dans le sens d’une représentation secondaire, car elle ne relève pas forcément du droit exclusif. Une retransmission en France peut ne pas être public, et ne permettre que la réception dans le cadre d’un cercle de famille. Par conséquent, il n’y a représentation secondaire, c’est‐à‐dire retransmission au sens allemand de « Weitersendung » que lorsque cette nouvelle transmission est exclusive d’une réception dans le cadre d’une famille.
Jusqu’à présent, les questions préjudicielles posées par les juridictions nationales à la CJUE à propos de l’interprétation de la notion de communication au public dans un monde hors ligne, c’est‐à‐dire hors du contexte de l’internet670 ne concernaient que la diffusion d’une œuvre ou d’un objet protégé par les droits voisins dans un lieu privé, ou dans un lieu public constitué de personnes présentes dans un même endroit. La qualité du lieu privé ou public n’influence aucunement la qualification juridique d’un acte d’utilisation de communication au public mais le droit allemand opère une distinction entre l’art. 20 UrhG à propos de la télédiffusion de point à multipoints d’une œuvre et l’art. 22 UrhG ayant pour pendant en droit français la « transmission dans un lieu public de l’œuvre télédiffusée » à l’art. L.122 ‐2 CPI. La distinction est donc principalement opérée par soucis de clarté des développements.
§ 1‐ Diffusion dans un lieu privé
La diffusion d’oeuvres ou d’objets protégés par les droits voisins dans un lieu privé que constitue une chambre d’hôtel ou un appartement peut résulter d’une simple „mise à disposition“, au sens matériel du terme, d’appareils de télévision munis d’antennes intérieures de la part du gérant d’un hôtel (A) ou s’analyser comme une véritable transmission faisant naître une nouvelle communication au public (B).
670 L’hypothèse du cloud ou d’un espace de stockage virtuel ne nécessitant pas un accès internet et pouvant être considéré comme étant hors ligne, ne sera pas envisagée ici.