Le travail s’attache aux nouvelles exploitations des œuvres dans un environnement numérique. Comment décrire à l’aide de mots des procédés techniques ? Comment déterminer le début et la fin d’un acte d’utilisation d’une œuvre à protéger ?
Approche technique ou fonctionnelle ?
Deux méthodes peuvent être retenues dans le but d’appliquer la loi sur le droit d’auteur. Il s’agit d’une part d’une approche technique. Celle‐ci présente l’avantage d’être précise, d’apporter une certaine sécurité juridique, mais a l’inconvénient de ne pas être flexible. L’approche dite fonctionnelle est par contre flexible, mais a pour inconvénient de présenter une moins grande sécurité juridique. En effet, le risque est grand de céder à une analyse politique et économique des actes d’utilisation des œuvres privilégiant des intérêts catégoriels.
De nouveaux paramètres caractérisent l’environnement numérique qui se distingue du monde analogique en ce que les œuvres sont reproduites, diffusées, et mises à disposition dans un environnement dématérialisé offline ou online. Or comment définir un environnement dématérialisé, et quelles conséquences en découlent ? Assiste‐t‐on à une convergence des médias ? Comment expliquer l’interactivité entre les différents acteurs ?
Dématérialisation et convergence des médias
Une compréhension grammaticale du mot dé‐matérialiser signifie « ôter » 106 de sa
dimension matérielle. Au support matériel d’une œuvre, constitué par exemple par des feuilles de papier d’un livre, va être substitué un support numérique, soit disant non matériel qui prendra par exemple la forme d’un E‐Book. L’environnement numérique n’est donc pas dépourvu de supports. A considérer le support en tant que fonctionnalité, celui‐ci désigne « tout procédé d’acheminement d’une œuvre vers un public, qu’il s’agisse d’un corps solide ou fluide, tangible ou intangible »107. Les opinions divergent cependant quant à la nature de ces supports. Certains considèrent que ces supports sont immatériels et d’autres, au contraire, que ces supports sont matériels. Dans l’absolu, ‘l’immatérialité’ de l’environnement numérique repose aussi sur de la matière. Définir la dématérialisation à proprement parler n’a donc pas grande importance.
Ce sont donc plutôt les possibilités d’utilisation des œuvres offertes par la dématérialisation et l’utilisation de ces nouveaux supports numériques qui doivent attirer l’attention. Force est de constater que l’uniformité du support numérique des contenus a
106 Le préfixe dé‐ (du préfixe latin dis‐) entrant dans la composition de nombreux mots, pour exprimer la cessation d’un état, d’une action ou alors l’état, l’action inverse. Dictionnaire de français LAROUSSE. 107 O. PIGNATARI, Le support en droit d’auteur, Groupe Larcier s.a., 2013, p. 196.
entraîné et entraîne encore une certaine convergence des vecteurs d’œuvres que sont par exemple la télévision, l’ordinateur et, plus récemment, le téléphone portable108. Que signifie « converger » ? C’est « tendre vers un point ou un but commun », « aller en se rapprochant »109. Alors que dans le monde analogique, il est possible de distinguer les livres,
les supports sonores et visuels constituant des vecteurs distincts pour les textes, la musique et les images, ces derniers peuvent désormais être stockés et diffusés sur un support numérique uniforme. Il y a quelques années, ce support numérique prenait la forme d’un CD‐ROM, puis d’un DVD ou d’une clef USB. Aujourd’hui, tout support digital peut être „incorporé“ dans n’importe quel appareil, que ce soit une photocopieuse, une tablette ou un téléphone portable.
Bien sûr, le problème de la convergence des techniques et des médias en droit d’auteur n’a pas pour origine la numérisation ou la connectivité. L’existence d’un seul et même format numérique accroit cependant fortement cette tendance dans l’environnement numérique. De manière plus globale, une telle convergence technique entraîne également un rapprochement des services proposant des prestations culturelles sur le plan économique, organisationnel, et sur le plan des contenus110. Le format numérique unique, la convergence des vecteurs des œuvres111 et donc aussi des médias112, favorisent l’intervention de nouveaux acteurs que sont les prestataires de services de la société de l’information et renforcent leur rôle, si bien que de nouveaux intérêts doivent être pris en compte. Parallèlement à une chaîne de diffusion plus complexe des œuvres113, les consommateurs‐internautes gagnent en autonomie et deviennent de véritables acteurs, favorisant ainsi l’interactivité. 108
Pour une analyse pionnière dans ce domaine, voir par exemple : Th. DREIER, Perspektiven einer
Entwicklung des Urheberrechts, in : J. Becker/Dreier, Urheberrecht und digitale Technologie, Nomos
1994, p. 123‐153 ; Th. DREIER, Urheberrecht und digitale Werkverwertung, Die aktuelle Lage des Urheberrechts im Zeitalter von internet und Multimedia, Gutachten, Friedrich Ebert Stiftung, 1997. 109
Définition du petit Robert. Voir aussi, Th. DREIER, Technische Konvergenz und Konvergenz der
urheberrechtlichen Regulierung, in : Dreier/Hilty (Hrsg.), Vom Magnettonband zu social Media,
Festschrift 50 Jahre Urheberrechtsgesetz (UrhG), C.H. Beck., 2015, p. 339‐348.
110 Voir Th. DREIER, ibid., p. 339 ; Voir aussi entre autres, Th. DREIER, FS Erdmann, 2002, 73 s. ; Th. DREIER, FS Ullmann, 2006, p. 37 s.
111 Voir notamment : A. OHLY, Gutachten zum 70. Deutschen Juristentag, p. 2 et p. 8‐10. Voir aussi, A. LUCAS, Exploitation et responsabilit à la lumière de la convergence des médias (p. 111‐122), S. PERLMUTTER, Convergence and the Future of Copyright (p.15‐27), J. BING, Convergence – and some
possible consequences for copyright and right holders (p. 28‐46) in : Copyright, Related Rights and Media Convergence in the Digtal Context, ALAI, Journées d’étude nordiques du 18 au 20 juin 2000, Stockholm,
Suède.
112 Voir le dictionnaire FranceTerme. La terminologie « média » désigne ici tout moyen de diffusion par un dispositif technique permettant la « communication » de façon unilatérale ou multilatérale par un échange d’informations. En latin, media est le pluriel de medium (milieu, intermédiaire). Le médium, tel qu’il est employé dans les textes allemands fait néanmoins plutôt référence à la notion de « vecteur » d’œuvre.
113 Voir notamment G. SPINDLER, Provider – weder Rechteinhaber noch Nutzer, in : Dreier/Hilty (Hrsg.),
Vom Magnettonband zu social Media, Festschrift 50 Jahre Urheberrechtsgesetz (UrhG), C.H. Beck.,
Interactivité
L’interactivité n’est pas propre à l’environnement numérique, mais son application y est facilitée. Dans le monde analogique, la chaîne de diffusion et de commercialisation des œuvres poursuit un modèle « linéaire » 114 : l’auteur ayant par exemple créé une œuvre littéraire transmet à l’éditeur les droits afin de confectionner un livre, qui par la suite sera vendu afin d’atteindre le consommateur par le biais d’un expéditeur ou par la voie du commerce.
Par contre, la chaîne de diffusion des œuvres est bien plus complexe dans le monde numérique115. A première vue, on pourrait croire que le monde numérique entraîne une simplification des rapports en présence, puisque le nombre de personnes impliquées dans la chaîne de diffusion et de commercialisation des œuvres a, semble‐t‐il, diminué116. Etant donné que la diffusion de la version électronique d’un roman par exemple, ne nécessite plus l’intervention des éditeurs, les intérêts en présence ne constituent plus la trilogie classique entre l’auteur, l’éditeur et le consommateur, mais sont a priori réduits au nombre de deux : l’auteur et son public. En réduisant le rôle du consommateur à celui d’un contrefacteur, il a souvent été affirmé que les intérêts de l’auteur s’opposaient à ceux de l’internaute‐ consommateur, ce dernier étant soit disant uniquement motivé par un « accès » rapide et gratuit aux œuvres. Pour se faire, le consommateur serait enclin à contourner les mesures techniques de protection des œuvres et il serait peu soucieux du droit d’auteur en vue d’assouvir sa soif de consommation. Il a donc souvent été considéré, que les intérêts des auteurs s’opposent systématiquement aux intérêts des internautes‐consommateurs117, une argumentation ayant vraisemblablement pour origine une compréhension erronée et très restrictive de la justification déontologique classique du droit d’auteur français, selon laquelle le droit d’auteur a pour but de protéger les intérêts de l’auteur.
Cependant, il est inexact de déclarer de manière abstraite et générale que les intérêts de l’auteur s’opposent systématiquement aux intérêts des utilisateurs‐consommateurs, puisque l’auteur est généralement lui‐même consommateur d’œuvres, et qu’inversement, l’utilisateur‐ consommateur contribue lui aussi de plus en plus à la création des œuvres. De plus, la version électronique d’un roman écrit par l’auteur est généralement disponible sur un site internet, dont le contenu est trouvé et mis en valeur par des moteurs de recherche, dont l’accès est
114
G. SPINDLER, Provider – Weder Rechteinhaber noch Nutzer, in : Dreier/Hilty, (Hrsg), Vom
Magnettonband zu Social Media, Festschrift 50 Jahre Urheberrechtsgesetz (UrhG), C.H. Beck., 2015, p.
399‐420. 115
Voir en ce sens aussi, Enquete‐Kommission confiée à Th. DREIER « internet und digitale Gesellschaft »
des Deutschen Bundestages, « Entwicklung des Urheberrechts in der digitalen Gesellschaft », du
29.11.2010.
116 Voir en ce sens : A. OHLY, Urheberrecht zwischen Innovationsstimulierung und‐ verhinderung, in : M. EIFERT et W. HOFFMANN‐RIEM [éd.], Geistiges Eigentum und Innovation, Innovation und Recht I, Berlin 2008, Duncker & Humblot, 279‐297 (295). Voir aussi, K.‐N. PEIFER, Wissenschaftsmarkt und
Urheberrecht: Schranken, Vertragsrecht, Wettbewerbsrecht : GRUR 2009, Heft 1, 22‐28 (23).
117
On ne peut nier que le droit d’auteur est souvent perçu comme un obstacle par certains consommateurs, puisque toute entrave à l’utilisation d’une œuvre disponible online est souvent considérée par ces derniers comme une atteinte à leur liberté (atteinte à la liberté d’expression, à la liberté d’information etc.). Pour une approche synthétique des points de vue exprimés dans les blogs online remettant en cause l’existence même du droit d’auteur, voir notamment : M. HAEDICKE, Patente
und Piraten, Geistiges Eigentum in der Krise, Verlag C.H. Beck, München, 2011, notamment p. 1 à 12
(System unter Beschluss, « Verlust des Grundkonsenses »). On ne peut ici, faute de place, apprécier les arguments mis en avant par les consommateurs, puisque cela a déjà fait l’objet de plusieurs thèses. Voir notamment la thèse de Ch. GEIGER, Droit d’auteur et droit du public à l’information, approche de droit comparé, collection IRPI, Tome 25, Litec – Lexis‐Nexis, 2004.
donné par des fournisseurs. Ce même contenu peut même être relié par des liens à d’autres contenus, voire diffusé sur des plates‐formes UGC (User Generated Content), tel des blogs, des forums, des Communautés, des sites web de particuliers, dont le contenu est généré par des utilisateurs.
Se pose donc la question de savoir si les intermédiaires que sont par exemple les fournisseurs d’accès, les moteurs de recherche etc. constituent de véritables acteurs s’inscrivant dans de nouvelles chaînes de diffusion des œuvres, ou si le rôle de ces derniers peut être réduit à celui de simples « auxiliaires d’exécution » ou à celui de simples intermédiaires techniques. Tenant compte des nouvelles définitions d’un acte de communication au public ou d’un acte de reproduction, c’est au cas par cas, qu’il s’agit de déterminer si les intermédiaires effectuent des actes relevant du monopole du droit d’auteur ou non. Parfois, il est même délicat de déterminer qui de l’utilisateur‐consommateur ou de l’intermédiaire réalise un acte relevant du droit d’auteur118. Une telle difficulté sera particulièrement présente dès lors qu’il s’agit de qualifier des actes réalisés au niveau des plates‐formes UGC.
La position des intermédiaires est pour le moins ambiguë. Ils ne sont ni de véritables utilisateurs ni de véritables titulaires de droits119. A partir du moment où les intermédiaires sont bien plus intéressés par le bénéfice potentiel pouvant être tiré d’une œuvre que par le contenu même de cette œuvre, les intermédiaires ne se comportent pas comme de véritables titulaires de droit. Pour eux, il semble que l’œuvre ne soit qu’un moyen permettant d’atteindre un but. Quel est ce but recherché ? En fait, plusieurs sont à prendre en considération. Certains intermédiaires s’inscrivent dans une logique de « prestataires de service » cherchant à faire des profits par le biais des revenus de publicité. D’autres intermédiaires sont intéressés par la récupération de données personnelles, ou par l’adhésion de nouveaux membres etc. Cependant, M. Spindler considère que les intermédiaires de l’internet peuvent être qualifiés de « titulaires de droit », sans pour autant s’inscrire de manière classique dans la chaîne d’exploitation120.
Les intermédiaires peuvent‐ils être qualifiés d’utilisateurs ? Tel ne semble pas non plus être le cas. En effet, l’affichage des résultats ne constitue qu’une simple contribution à la diffusion des œuvres. De plus, l’utilisateur semble bien plus intéressé par le contenu protégé que l’intermédiaire. Dans le monde numérique en effet, l’internaute‐utilisateur n’est généralement pas passif, mais adopte au contraire, un comportement actif. Traditionnellement, on distinguait le public (passif) de l’utilisateur (actif). Force est de constater qu’un simple public ne souhaitant que visualiser un film par exemple, doit déjà se montrer non seulement passif, mais également actif. Dans un monde online, la distinction entre un public et un utilisateur s’estompe complètement. Ainsi, l’internaute ‘consommateur’‐ utilisateur clique sur des liens, il visualise au moment et au lieu de son choix une œuvre en
streaming, il télécharge de manière descendante une œuvre simplement mise à disposition sur
un site web etc. De plus, à partir du moment où l’internaute ne réceptionne plus de manière
118 Tel est par exemple aussi le cas, lorsqu’une œuvre est diffusée grâce à la technique du streaming. Qui réalise l’acte d’exploitation en question ? L’utilisateur‐consommateur ou l’intermédiaire stockant l’œuvre online ?
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G. SPINDLER, Provider – Weder Rechteinhaber noch Nutzer, in : Dreier/Hilty, (Hrsg), Vom
Magnettonband zu Social Media, Festschrift 50 Jahre Urheberrechtsgesetz (UrhG), C.H. Beck., 2015, p.
399‐420. 120
passive les œuvres télédiffusées, la distinction entre l’émetteur d’un contenu et son récepteur s’estompe.
Aujourd’hui, c’est quotidiennement qu’un internaute digital native121 de la nouvelle
génération télécharge (de manière ascendante) des contenus online, ou réalise des remix avec du contenu déjà présent sur le net, bref devient, selon une expression peu classique, un véritable ‘producteur de contenu’, si bien qu’on emploie en Allemagne, le néologisme de « Prosument », une juxtaposition des termes de « Pro‐duzent » (producteur) et de « Kon‐
sument » (consommateur). La distinction entre un auteur, producteur de contenu, et un
utilisateur‐consommateur est délicate et s’estompe. Wikipedia, Flickr et Youtube, tout comme un bon nombre d’autres « Forum » online, permettent à leurs utilisateurs d’endosser à la fois le rôle de producteurs de contenu et de consommateurs, en ce que les contenus sont crées suivant un procédé participatif, avec justement la participation des autres utilisateurs122.
Reste bien‐sûr à déterminer si ces contenus sont protégeables par le droit d’auteur. Toujours est‐il que, dans un monde numérique, la transmission, le partage et la production de contenus constitue une évidence. Les nouvelles formes d’utilisation des œuvres doivent donc être envisagées de manière positive comme une chance à saisir. En effet, la multipolarité123 des acteurs entraîne une véritable interactivité de ceux‐ci et constitue une source de richesse et de diversité culturelle. Bien que tout ceci n’entraîne pas un bouleversement du droit d’auteur, la pertinence de certaines dispositions du droit d’auteur actuel doit néanmoins faire l’objet d’une analyse plus poussée.
L’environnement numérique, de part sa dématérialisation permettant l’existence d’un format numérique unique entraînant non seulement une convergence des médias mais aussi une interactivité plus forte, tout comme la montée en puissance de nouveaux acteurs remet‐ elle en cause la structure traditionnelle des droits et leur définition ? La distinction corporelle et incorporelle de la structure traditionnelle des droits est‐elle devenue inadaptée à l’environnement numérique ? Faut‐il redéfinir les contours et le contenu de la notion d’exploitation ?