Dans le domaine de la qualification juridique des hyperliens, trois décisions retiennent particulièrement l’attention, à savoir l’arrêt Svensson, l’ordonnance Bestwater et l’arrêt
Sanoma.
Les faits de l’affaire Nils Svensson peuvent être résumés de la façon suivante : Des articles de presse rédigés par plusieurs journalistes suédois ont été publié en accès libre sur le site
internet du Göteborgs‐Posten. Retriever Sverige, une société suédoise, exploite un site internet
qui fournit à ses clients des liens internet cliquables (hyperliens) vers des articles publiés sur d’autres sites internet, dont le site Göteborgs‐Posten. Retriever Sverige n’a cependant pas demandé aux journalistes concernés l’autorisation d’établir des hyperliens vers les articles publiés sur le site Göteborgs‐Posten. 228 Arrêt ITV Broadcasting, n° 26. 229 Voir note N° 6. 230 CJUE, 13 octobre 2011, Airfield c/ Sabam, aff. C‐431/09 et C‐432/09‐ Cette décision sera notifiée ci‐ après comme « l’arrêt Airfield ». 231 Arrêt ITV Broadcasting, n° 43.
Dans cette affaire, il est demandé par la juridiction suédoise à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de qualifier le lien actif sur internet du point de vue du droit d’auteur. La juridiction demande entre autres, si le fait de fournir un lien cliquable vers cette œuvre sur un site internet ― par toute personne autre que le titulaire des droits d’auteur sur une œuvre ― constitue une communication de l’œuvre au public selon l’article 3§ 1 de la directive 2001/29232 et si la réponse à cette question peut être influencée par le caractère ouvert ou
non du site cible ainsi que par le contexte de visualisation de ce dernier233. Comme le fait remarquer Bénabou, cette question est juridiquement délicate, dans la mesure où « la simple fourniture d’un lien ne correspond pas à une mise en jeu directe de l’œuvre mais permet toutefois à celui qui l’actionne d’en prendre connaissance234 ». Ainsi l’affaire a donné lieu à un arrêt de la CJUE rendu le 13 février 2014235 : la Cour considère que la fourniture sur un site
internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site « ne
constitue pas un acte de communication au public236» tel que visé à l’article 3 paragraphe 1 de la directive 2001/29.
C’est le 21 octobre 2014, que la CJUE a rendu une ordonnance motivée237, en faisant notamment référence à l’arrêt Svensson ayant pour objet des questions préjudicielles similaires. Beswater International fabrique et commercialise des systèmes permettant de filtrer l’eau. Pour ses besoins publicitaires, elle a fait produire un film de deux minutes environ, sur le thème de la pollution des eaux ayant pour titre « la réalité » (en allemand, Die Realität). La SARL Beswater détient des droits exclusifs d’exploitation sur ce film. Au moment des faits ayant donné lieu au litige au principal, ce film était consultable sur la plate‐forme vidéo
Youtube. Bestwater affirme que cette mise en ligne a été réalisée sans son consentement. M.
Mebes, et S. Potsch sont eux, deux agents commerciaux indépendants qui travaillent pour une entreprise concurrente de Bestwater. Ils possèdent chacun un site internet, sur lequel, ils assurent la promotion des produits commercialisés par leur cliente. En 2010, les deux agents commerciaux indépendants ont permis aux « visiteurs » internautes de leurs sites internet de visualiser le film produit par Bestwater international au moyen d’un lien internet utilisant la technique de la « transclusion » ou du framing. Lorsque les internautes cliquaient sur le lien, le film provenant de la plate‐forme Youtube apparaissait en incursion sur les sites internet de M. 232 Question 1 : « Le fait pour toute personne, autre que le titulaire [du droit] d’auteur sur une œuvre de fournir un lien cliquable vers cette œuvre sur son site internet constitue‐t‐il une communication de l’œuvre au public selon l’article 3, paragraphe 1, de la directive [2001/29] ? ».
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Question 2 : « l’examen de la première question est‐il influencé par le fait que l’œuvre vers laquelle renvoie le lien se trouve sur un site internet auquel chacun peut accéder sans restriction, ou que l’accès à ce site est, au contraire, limité d’une façon ou d’une autre ? ». Question 3 : « Convient‐il, dans l’examen de la première question, de faire une distinction selon que l’œuvre, après que l’utilisateur a cliqué sur le lien, apparaît sur un autre site internet ou au contraire, en donnant l’impression qu’elle se trouve montrée sur le même site [internet] ? ».
234 V.‐L. BENABOU, Actualité jurisprudentielle de l’Union européenne, Droits patrimoniaux, Définition du
droit de communication au public‐lien cliquable‐ compétence des Etats membres : PI, janvier 2013, n°46,
p. 82‐83. Voir aussi le rapport du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) présenté le 9 juillet 2012, fruit des travaux d’une commission du CSPLA relative au « référencement des œuvres sur internet ». La commission du CSPLA était constituée entre autre de Mmes V.‐L. BENABOU, J. FARCHY, et de C. MEADEL. 235 CJUE, 13 février 2013, aff.C‐466/12 – Nils Svensson, Sten Sjögren, Madeleine Sahlman, Pia Gadd c/ Retriever Sverige AB. La décision sera ci‐après nommée comme « l’arrêt Svensson ». 236 Arrêt Svensson, n° 32.
237 CJUE, 21 octobre 2014, aff.C‐348/13 – Bestwater International GmbH c/ Michael Mebes, Stefan
Mebes et S. Potsch, donnant l’impression qu’il était montré depuis ceux‐ci. Considérant que M. Mebes et S. Potsch avaient mis le film qu’elle avait produit à la disposition du public sans son autorisation, Bestwater International a introduit une action devant les juridictions allemandes en vue d’obtenir la cessation de sa diffusion et leur a réclamé des dommages et intérêts.
Concernant l’arrêt GS Media, les circonstances du contentieux sont les suivantes238 :
Sanoma, l’éditeur d’une revue mensuelle, a commandé en 2011 un reportage photographique
sur Mme Britt Decker, qui apparaît régulièrement dans des programmes télévisés aux Pays‐ Bas. GS Média, qui exploite le site internet Geenstijl consulté chaque jour par plus de 230 000 visiteurs internautes a publié des annonces et un hyperlien renvoyant les lecteurs vers un site australien où les photos en question ont été mises à disposition sans le consentement de
Sanoma. Malgré la mise en demeure de Sanoma, GS Media a refusé de supprimer l’hyperlien
en question. Lorsque le site australien a supprimé les photos sur demande de Sanoma,
Geenstijl a même publié une nouvelle annonce qui contenait elle aussi un hyperlien vers un
autre site, sur lequel on pouvait voir les photos en question. Sanoma a à nouveau demandé la suppression des photos de ce nouveau site. Certains internautes visitant le forum de Geenstijl ont eux aussi placé de nouveaux liens renvoyant à d’autres sites où les photos pouvaient être consultées. Selon Sanoma, GS Média a porté atteinte au droit d’auteur en plaçant des liens qui permettent d’accéder aux photographies sur des sites contrefaisants. Saisi en cassation, le
Hoge Raad der Nederlanden (la Cour de cassation des Pays‐Bas) a interrogé la Cour de justice
de l’Union européenne sur la qualification juridique de l’acte d’utilisation des œuvres par GS Media. L’arrêt de la CJUE rendu le 8 septembre 2016 qualifie cet acte d’utilisation de communication au public, en adoptant néanmoins une argumentation peu convaincante et en omettant de clarifier certaines questions délicates. Le résultat auquel abouti cet arrêt est néanmoins à saluer, et l’on peut se réjouir que la CJUE n’ait pas suivi les conclusions de l’avocat général239 rendues en avril 2016, soutenant que l’acte d’utilisation revenant à poser des liens envers des œuvres illicites ne constitue pas une atteinte au droit d’auteur.
238 CJUE, 8 septembre 2016, aff. C‐160/15 – GS Media BV c/ Sanoma Media Netherlands BV, Playboy
Enterprises International Inc., Britt Geertuida Dekker. Cette décision sera ci‐après nommée « l’arrêt
Sanoma ».
239 Conclusions de l’avocat général M. Melchior Wathelet présentées le 7 avril 2016, dans le cadre de l’affaire C‐160/15 dite « Sanoma ».