Le monopole d’exploitation confère donc un droit exclusif (en allemand,
Ausschließlichkeitsrecht) aux titulaires de droits. L’article L.123‐1 CPI reconnaît à l’auteur le
« droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire ». Aucune définition légale d’un droit exclusif n’est cependant présente dans les textes internationaux et européens, ni dans le code français de la propriété intellectuelle ni dans la loi sur le droit d’auteur allemand. La définition courante du terme « exclusif » fait référence à la « force d’exclure », ou « exclut de tout partage »144. Le rapport d’exclusivité
« confère à la personne le pouvoir d’exclure les autres dans la relation qu’elle a sur son bien »145 par exemple. D’un point de vue terminologique, le droit exclusif appartient donc
exclusivement au titulaire de droit. Deux aspects caractérisent l’exclusivité : la plénitude du
droit exclusif et son opposabilité. M. von Ungern‐Sternberg146 tout comme Mme Larère147
soulignent de grandes similitudes entre le caractère « absolu » et le caractère « exclusif » d’un droit. En effet, l’une et l’autre de ces qualités signifient que l’ensemble des prérogatives attachées au droit doit être l’apanage d’un seul titulaire. Mme Larère fait alors un parallèle avec l’absolutisme du droit de propriété au sens du droit civil qui illustre le rejet de la division féodale148. Par sa démonstration, Mme Larère met en avant le caractère individuel et absolu du droit exclusif, opposable à tous. L’opposabilité du droit exclusif emporte trois conséquences. Premièrement, le droit exclusif garantit l’existence de ce droit à l’égard des tiers149. Deuxièmement, l’exercice par un tiers de l’une des prérogatives de ce droit sans autorisation du titulaire est constitutif d’une atteinte et génère troisièmement le droit d’interdire150, c’est‐à‐dire de manière corrélative, le droit d’autoriser151 l’exercice des prérogatives concernées152. 143 Comme le souligne néanmoins B. LARERE : « d’un point de vue terminologique, le droit exclusif n’est pas en soi incompatible avec des droits de faible envergure, comme par exemple le droit à rémunération ».
144
Définition du « petit Robert », dictionnaire alphabétique & analogique de la langue française, par Paul Robert, société du nouveau littré.
145 A. ROBIN, J‐CL. Fasc. 1240 : Droits des auteurs. – Droits patrimoniaux. Généralités. Droit d’exploitation. Présentation (CPI, art. L.122‐1 à L.122‐9), n°. 26 et s. (droit exclusif)
146
J. v. UNGERN‐STERNBERG, in : Schricker/Loewenheim, 4. A, § 15 n° 1.
147 B. LARERE, Le caractère exclusif des droits patrimoniaux en droit d’auteur et droits voisins, 2006 (version non publiée), p. 14.
148
B. LARERE, Le caractère exclusif des droits patrimoniaux en droit d’auteur et droits voisins, 2006 (version non publiée), p. 16 et s. Sur cette idée, voir aussi F. TERRE, Ph. SIMLER, Droit civil, Les Biens, Dalloz, 6e éd. 2002, n°141, p. 129.
149 F. POLLAUD‐DULIAN, n° 693, et n° 911 et s. 150
Traduction en allemand : « negatives Verbietungsrecht » ou « negatives Verbotsrecht ». Peut‐être aurait‐il mieux valut simplement utiliser la terminologie de «Verbotsrecht » plutôt que de rajouter une négation superflue.
151 Traduction en allemand : « positives Benutzungsrecht ».
152 Voir à ce sujet notamment G. SCHULZE, in : Dreier/Schulze/Specht, 5. A, § 15 n° 5; J. von UNGERN‐ STERNBERG, in : Schricker/Loewenheim, 4. A, § 15 n° 1.
§ 4‐ Monopole d’exploitation
Aux termes de « droit exclusif patrimoniaux », la doctrine française substitue souvent celui de « monopole d’exploitation »153. Alors que le terme de « droit exclusif » est présent dans le code de la propriété littéraire et artistique (mais pas dans la loi allemande) sans qu’aucune définition ne soit donnée, le terme de « monopole d’exploitation » n’apparaît nullement dans le code. Il semble que la terminologie de « monopole » soit empruntée au droit de la concurrence et fasse référence à une approche plus économique du droit d’auteur, a priori antagoniste de la conception française de droit d’auteur. Historiquement, on peut souligner que l’on parlait plutôt du monopole d’exploitation des librairies, et non d’un monopole d’exploitation de l’auteur sur son œuvre. C’est donc la dimension économique du droit d’auteur qui semble être prise en compte avec l’emploi de la terminologie de « monopole d’exploitation ». Le rapprochement avec une justification utilitariste154 du droit d’auteur accordant de l’importance à l’utilité du droit d’auteur pour l’intérêt général est évident. Schématiquement, on oppose cette justification relativement hétérodoxe155 dans la doctrine française, à une conception personnaliste du droit d’auteur, qui voit dans ce dernier un droit de propriété d’origine, jus naturalis156. De lege ferenda, la prise en compte d’un critère
économique en vue de qualifier un acte d’exploitation se posera nécessairement.
Dans le sens courant, le monopole se caractérise par l’exclusion de la concurrence sur un marché délimité en permettant à son titulaire de s’opposer à l’apparition de produits concurrents du sien157. Par rapport à la notion d’exclusivité, la définition du monopole apporte deux éléments supplémentaires, à savoir d’une part la référence au marché et, d’autre part, l’exclusion de la concurrence sur le marché. Par conséquent, le monopole en propriété intellectuelle s’inspire de la définition du monopole au sens courant, à la différence que ces monopoles portent sur des œuvres dont le caractère est insubstituable, ce qui interdit de les traiter comme de banals « biens » économiques. Par conséquent, on préférera la terminologie de droits exclusifs d’exploitation à la terminologie de monopole d’exploitation.
§ 5‐ Droits d’exploitation et exceptions/limitations
Néanmoins, le titre de la thèse emploie bien la terminologie de « droits d’exploitation », et non celle de « droits exclusifs d’exploitation ». La différence tient simplement au fait que les droits d’exploitation englobent également les exceptions et limitations158 aux droits exclusifs. Comme le rappelle l’article L.122‐1 CPI, « le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction », tout comme les exceptions
153 Voir par exemple, F. POLLAUD‐DULIAN, n° 936. 154
John Stuart MILL, The Complete Text of John Stuart Mill's Utilitarianism, in : Henry West (éd.), Blackwell Guide to Mills Utilitarianism, Oxford 2006, S. 61‐114.
155 F. SIIRIAINEN, Le droit d’auteur à l’épreuve de sa dimension économique : libres propos sur le droit
d’auteur économique, in : Mélanges Lucas, p. 673 s. (674).
156 John LOCKE, Deuxième traité du gouvernement civil publié en 1690. Pour Locke, « la propriété est un droit naturel qui tire sa légitimité du travail ». Propos repris par M. Parmentier, Le vocabulaire de Locke, éditions Ellipses, Paris 2001.
157
Définition du « petit Robert », dictionnaire alphabétique & analogique de la langue française, par Paul Robert, société du nouveau Littré.
158
Le terme « exception » est utilisé en France et le terme « limitation » en Allemagne. Selon M. Geiger, ils « suggèrent deux conceptions différentes des limites du droit d’auteur », voir Ch. GEIER, Synthèse,
Thèses dégagées, Les exceptions/limitations au droit d’auteur, in : Perspectives d’harmonisation du droit
associées. Les exceptions, lorsqu’elles sont considérées comme de véritables exceptions au droit exclusif, sont des actes d’utilisation des œuvres relevant en amont du champ d’application du droit exclusif d’exploitation, mais exceptionnellement soumises au régime des exceptions. D’autres exceptions ou limites ne relèvent pas du champ d’application du droit d’auteur, mais délimitent plutôt les contours du droit exclusif d’exploitation.
§ 6‐ Contenu des droits d’exploitation
Les droits d’exploitation ont pour objet l’exploitation des œuvres sous une forme modifiée ou non159. L’adaptation160, c’est‐à‐dire lorsque les « caractéristiques essentielles » d’une œuvre originale sont reprises, nécessite l’autorisation du titulaire originaire des droits, mais accorde parallèlement un nouveau « droit » à l’auteur de cette transformation (Bearbeitungsrecht, art. 23 UrhG), dès lors que le résultat de cette transformation est une œuvre protégeable. Bien que ce droit ne soit pas explicitement nommé dans la liste énumérative et non exhaustive de l’article 15 UhrG, ce droit a bien pour objet l’exploitation d’une « nouvelle œuvre ». En revanche, la libre utilisation161, art. 24 UrhG), bien que prévue dans la partie consacrée aux « droits d’exploitation » de la loi allemande, ne relève aucunement d’un droit d’exploitation octroyé à l’utilisateur de cette œuvre. En effet, dès lors qu’une œuvre ne sert que d’inspiration à la création d’une œuvre nouvelle, et que son originalité162 s’estompe163, alors l’autorisation du titulaire de l’œuvre originaire n’est pas nécessaire. Par conséquent, la présence de cette disposition dans la loi allemande est superflue, et ne s’explique que par un souci pratique, permettant une distinction plus aisée de l’adaptation d’une œuvre, qui est parfois délicate164. On peut souligner que les droits d’exploitation n’ont pas pour objet la simple « jouissance »165 d’une œuvre, mais bien les actes d’exploitation rendant possible une telle « jouissance » d’une œuvre166.
Les droits d’exploitations sont des droits exclusifs, mais les développements viennent de montrer qu’ils ne se limitent pas à un simple droit exclusif. En effet, le droit moral est un droit exclusif ne pouvant être considéré comme un droit d’exploitation. Quelle relation entretiennent le droit d’exploitation et le droit moral ?