Dans un contexte online, c’est la qualification d’un acte d’utilisation d’une œuvre par la technique d’un hyperlien ou d’une « transclusion » (framing) à l’aune du droit de communication au public qui retient l’attention de la CJUE particulièrement foisonnante dans ce domaine. La CJUE va même jusqu’à appliquer les interprétations proposées au cas d’espèce. Bien que la CJUE ne reconnaisse pas toujours l’existence d’un acte de communication au public, les arrêts de la Cour sont des occasions renouvelées pour définir et préciser les critères d’une communication au public.
A ce propos deux remarques peuvent être formulées. Premièrement, la réflexion de la Cour, dans les arrêts qualifiant l’acte d’utilisation d’une œuvre par la technique d’un lien s’est 832 Voir les faits, au niveau du chapitre préliminaire. 833 LG, München, 02.02.2011. 834 OLG München, 16.02.2012.
835 BGH, Beschl. v. 16.05.2013, I ZR 46/12 = GRUR 2013, 818, EUGH‐Vorlage zur Frage der
urheberrechtlichen Zulässigkeit des « Framing » – Die Realität. Pour un commentaire de la décision, voir
entre autres : D. JAHN, Ch. PALZER, Embedded Content und das Recht der öffentlichen Wiedergabe –
Svensson ist die (neue) Realität! : K&R, Januar 2015, 1 ; A.‐Ch. HENDEL, Die urheberrechtliche Relevanz von Hyperlinks, Embedded Content nach deutschem und europaïschem Recht : ZUM 2014, 102.
limitée aux enjeux de la propriété intellectuelle836. Cela signifie que la CJUE émet le postulat selon lequel deux conditions sont remplies. D’une part, la CJUE considère que la pose d’un hyperlien est susceptible de constituer une exploitation de l’œuvre pouvant être qualifiée au regard du droit d’auteur et n’est donc pas seulement un moyen d’accéder à une œuvre excluant alors per se l’application du droit d’auteur. D’autre part, la CJUE s’est limitée à qualifier juridiquement l’opération de référencement relative à des œuvres protégées par le droit d’auteur837. Deuxièmement, outre le fait que la réflexion de la Cour s’est limitée aux
enjeux de la propriété intellectuelle, le raisonnement de la Cour est très spécifique, puisqu’elle n’a recherché la qualification de la pose d’un hyperlien qu’en fondant son argumentation sur la mise en jeu d’un droit exclusif de communication au public au sens de l’art. 3 de la directive InfoSoc, En effet, la CJUE aurait pu aborder la question de la qualification juridique de la pose d’un hyperlien sous l’angle du droit de reproduction, ou d’un droit sui generis concernant les bases de données838.
Ceci est d’autant plus étonnant qu’au niveau national, notamment en France et en Allemagne, de nombreuses incertitudes sont liées à la qualification juridique de cette opération de référencement. La multiplicité de qualifications envisageables a d’ailleurs été confirmée par des travaux rédigés dans le cadre de réflexions menées par différents groupes d’experts en droit d’auteur839. Trois affaires attirent particulièrement l’attention : l’affaire
Svensson, l’affaire Bestwater et l’affaire Sanoma.
Dans l’affaire Svensson, c’est donc dans le cadre d’une procédure accélérée840, sans recours à l’avis d’un avocat général, que la CJUE a été amenée à se prononcer sur la notion de communication au public dans un contexte online. Bien sûr, le résultat concret auquel abouti la Cour, c'est‐à‐dire la possibilité de lier des œuvres sans recourir à l’autorisation préalable de l’ayant droit, ne surprend guère, tant le lien est devenu l’accessoire nécessaire de la navigation sur internet841. D’un point de vue sociologique, la décision était donc prévisible842. Cependant, d’un point de vue juridique, le raisonnement de la Cour laisse dubitatif et entraîne plus de questions que de réponses. Considérant que les questions préjudicielles, étaient similaires et
836 Le rapport du CSPLA évoque des incertitudes liées à la qualification juridique des opérations de référencement du point de vue de la propriété intellectuelle, voir p. 12. 837 Le rapport CSPLA évoque également cet argument en tenant compte du caractère protégeable des éléments sujets au référencement, voir p. 15 à 20. 838 Le rapport CSPLA traite par exemple de la mise en jeu du droit de reproduction, p. 23 à 33, et de la mise en jeu du droit d’interdire l’extraction substantielle d’une base de données, p. 45.
839 On peut rappeler que de nombreux spécialistes du droit d’auteur réunis au sein de l’Association littéraire et artistique internationale (A.L.A.I) avaient préparé un rapport tendant à conclure qu’il y avait communication au public, dans le cadre d’une opération de référencement, (« Report and Opinion on
the making available and communication to the public in the internet environment– Focus on linking techniques on the internet » du 16 septembre 2013 du comité exécutif de l’Association littéraire et
artistique internationale, voir http://www.alai.org/en/assets/files/resolutions/making‐available‐right‐ report‐opinion.pdf), tandis qu’un autre groupe d’experts réunis sous la bannière de l’European
Copyright Society avait défendu l’opinion inverse («Opinion on the reference to the CJEU in case C‐
466/12 Svensson » du 15 février 2013 :
http://www.ivir.nl/news/European_Copyright_Society_Opinion_on_Svensson.pdf.)
840 O. JANI, F. LEENEN, Anmerkung zum CJUE Urteil v.13.2.2014, C‐466/12, Zulässige Verlinkung auf frei
zugänglich veröffentlichte Artikel‐ Nils Svensson ua/Retriever Sverige : GRUR 2014, 360‐ 363 (362).
841
FDI, recommandation, 3 mars 2003, Hyperliens : Statut juridique, p. 9 : http://www.foruminternet.org/specialistes/concertation/recommandations/recommandation‐du‐ forum‐des‐droits‐sur‐l‐internet‐hyperliens‐statut‐juridique.html.
842 V.‐L. BENABOU, Quand la CJUE détermine l’accès aux œuvres sur internet. L’arrêt Svensson, liens
cliquables et harmonisation maximale du droit de communication au public, article publié le 16 février
que les réponses apportées dans Svensson sont applicables, la CJUE n’a rendu le 21 octobre 2014 dans l’affaire Bestwater, qu’une simple ordonnance. Ainsi, le seul fait qu’un œuvre protégée, librement disponible sur un site internet soit insérée sur un autre site internet au moyen d’un lien utilisant la technique de la transclusion (framing) ne peut être qualifié de « communication au public » dans la mesure où l’œuvre en cause n’est ni transmise à un public nouveau, ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d’origine843. L’affaire Sanoma rendu le 8 septembre 2016, semble reconnaître
une atteinte au droit de communication au public, dès lors que les œuvres liées sont illicites.
Sans aborder les conséquences de ces arrêts, les développements suivant ne dégagent que les critères permettant de définir la notion de « communication au public » telle que développée par la CJUE dans les arrêts Svensson, Bestwater, Sanoma et aussi ITV‐
Broadcasting844, qui est le premier arrêt rendu par la CJUE en matière de droit d’auteur, traitant de problèmes de qualifications juridiques, directement liés à l’exploitation d’œuvres
online. Certains critères, telle l’association des deux éléments constitutifs, à savoir un acte de
« communication » d’une œuvre et la communication de cette dernière à un public nouveau, véritable critère à part entière dans un contexte online, sont explicitement discutés par la CJUE (A). D’autres aspects important au regard de la qualification juridique de la qualification d’un lien, tel l’absence de consentement initial à la mise à disposition online de l’œuvre ou le contournement de mesures de restrictions prise par le site où se trouve l’œuvre protégée, par la pose d’un lien, sont évoqués de manière plus implicite par la CJUE (B).
A partir du moment où les juges de Luxembourg qualifient dans un premier temps la pose d’un lien vers une œuvre protégée de communication au public pour ensuite considérer qu’il ne s’agit pas vraiment d’une communication au public, faute de public nouveau, l’arrêt ne dégage pas clairement si la pose d’un lien est oui ou non exclue du champ d’application du droit d’auteur. Ceci est regrettable, car comme le rappel le rapport du Conseil supéreur de la
propriété littéraire et artistique (CSPLA), les positions doctrinales sur cette question sont très
partagées845. Il semble que la Cour de justice de l’Union européenne ait plutôt opté pour une position de compromis. Pourtant, une partie de la doctrine française notamment avait déjà imaginé que la Cour allait marquer sa décision d’un sceau politique d’envergure et allait pour fonder sa décision, se réclamer de la liberté d’expression ou du droit du public à l’information846 ou encore de la liberté d’entreprise, comme elle le fit naguère dans les affaires
Scarlett847 et Netlog848
.
En réalité, le raisonnement tenu pour parvenir à cette conclusion est loin d’une déclaration de principe et, selon les commentaires français, est ancré dans une analyse assez technique des notions de droit d’auteur. Pour certains auteurs allemands cependant, la CJUE met l’accent sur le consentement subjectif du titulaire à communiquer son œuvre, ce qui précisément s’oppose à la compréhension technique des droits de la Cour fédérale allemande. 843 Bestwater, n° 20. 844 ITV‐Broadcasting.
845 Ainsi le rapport du CSPLA expose successivement les positions hostiles à la qualification de la pose d’un lien en tant que communication au public, puis les positions favorables à une telle qualification. Voir à ce sujet, p. 33 à 44 du rapport.
846 Voir par exemple le rapport du CSPLA, p. 14, à propos des « fondements de la liberté de référencer ». 847
Affaire C‐70/10, Scarlett Extended SA c/ Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs SCRL (SABAM), du 24 novembre 2011, (liberté d’entreprise: n° 46, 48 et 49 ; liberté d’information: n° 52). 848 Affaire C‐360/10, SABAM c/ Netlog NV, du 16 février 2012, (liberté d’entreprise : n° 44, 46 et 47 ; liberté d’information : n° 50).
A‐ Critères constitutifs d’une communication au public
Dans l’arrêt Svensson, c’est en examinant les trois premières questions préjudicielles conjointement, que la Cour a estimé qu’il s’agissait d’étudier si « l’art. 3, paragraphe 1 de la directive 2001/29 doit être interprétée en ce sens que constitue un acte de communication au public, tel que visé à cette disposition, la fourniture, sur un site internet, de liens cliquables vers des œuvres protégées disponibles sur un autre site internet étant entendu que, sur cet autre site, les œuvres concernées sont librement accessibles849». Bien que la Cour de justice de l’Union européenne considère malgré quelques réserves, que la pose d’un hyperlien ne peut être qualifiée de « communication au public », la Cour détaille les critères permettant de caractériser cette dernière. Pour la CJUE, il est clair, que la notion de communication au public associe deux éléments constitutifs, à savoir un « acte de communication » d’une œuvre et la communication de cette dernière à un « public ». Caractérisant un acte de communication (1), on va voir que l’exigence d’un public nouveau (2) n’est pas remplie et que l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas à une communication au public telle que celle en l’espèce. 1‐ Une mise à disposition, un acte de communication ? a‐ Application du critère de « mise à disposition » dans l’affaire Svensson Dans le but de qualifier juridiquement l’acte d’utilisation au regard de l’art. 3 paragraphe 1 de la directive 2001/29, la CJUE dans l’arrêt Svensson relève que « le fait de fournir, sur un site
internet, des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction
d’accès sur un autre site, offre aux utilisateurs du premier site un accès direct aux dites œuvres »850. Or, au regard de la jurisprudence SGAE851, pour qu’un acte de communication au
public soit caractérisé, il suffit qu’une œuvre soit mise à la disposition du public de sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité. Ainsi de manière plus synthétique, pour qu’il y ait « acte de communication » au sens de l’art. 3, paragraphe 1 de la directive 2001/29, il suffit notamment qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public potentiel852. A ce propos, la CJUE rappelle dans son argumentation que l’existence d’un acte de communication doit être entendue de manière large, comme cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises dans le cadre de sa jurisprudence antérieure, notamment dans l’arrêt Football Association Premier League853 et cela afin de garantir, ainsi qu’il résulte des considérants 4 et 9 de la directive 2001/29, un
niveau élevé de protection des titulaires d’un droit d’auteur. Au vu de cette large
849 Arrêt Svensson, n° 14. 850 Arrêt Svensson, n° 18. 851 Arrêt SGAE c/ Rafaël Hoteles, CJUE, 7 décembre 2006, affaire C‐306/05, Rec.p.I‐11519, n° 43, ci‐après nommé arrêt Rafaël Hoteles. 852 Arrêt Svensson, n° 19.
853 Arrêt Football Association Premier League, CJUE, 4 octobre 2011, affaires jointes C‐403/08 et C‐ 429/08, Rec. p.I‐9083, n° 193, ci‐après nommé arrêt Football Association Premier League.