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-278- Le projet de protocole rendu public en mars 2005 se révèle un texte particulièrement pertinent dont l’application conduirait incontestablement à un remodelage conséquent des droits internes méditerranéens (§1). Il reste à espérer que ce projet, sur la base duquel les délégations nationales négocient actuellement la version définitive du protocole, ne connaisse pas de modifications substantielles altérant sa portée normative et lissant son ambitieux dessein (§2).

-§1- Le premier projet ou le remodelage imposé des droits

internes méditerranéens.

-279- L’application du protocole méditerranéen dans sa version de mars 2005 impose la conduite d’une approche globale dans la planification stratégique de l’espace littoral (A) tout en renforçant les législations sectorielles applicables à ce territoire (B).

-A- L’exigence d’une planification stratégique de la zone côtière.

-280- L’exigence d’une planification stratégique de la zone côtière devrait être mise en œuvre par une reconnaissance juridique de la spécificité littorale d’une part (1), par le développement d’arrangements institutionnels pertinents d’autre part (2).

-1- Par la reconnaissance juridique de la spécificité littorale.

-281- L’adoption du protocole méditerranéen relatif à la GIZC devrait indéniablement contribuer à une reconnaissance de la spécificité littorale par les droits internes des États méditerranéens. Si le projet ne prévoit pas expressément l’élaboration d’une norme spécialement consacrée à cet espace, un mouvement en ce sens tend déjà à s’opérer dans plusieurs États du bassin méditerranéen.

-282- Ainsi la loi algérienne du 5 février 2002 établit-elle des « dispositions particulières relatives à la protection et à la valorisation du littoral822 » en se fondant notamment sur les principes de participation élargie823, de préservation de l’état naturel du littoral824 et, plus largement, de développement durable de cet espace825. Les activités anthropiques de bord de mer - l’urbanisme, le tourisme, l’industrie et l’extraction de matériaux notamment - sont strictement encadrées en vue de préserver les milieux naturels826. Des plans d’aménagement côtier, élaborés à l’échelle des communes littorales, s’attachent en outre à la mise en œuvre de ces dispositions827. En Israël, la loi d’août 2004 relative à la protection de l’environnement côtier réglemente la planification de l’espace littoral, interdisant notamment toute construction sur une bande terrestre de trois cent mètres828. En Croatie enfin, le règlement de septembre 2004 établit une zone littorale protégée englobant « toutes les îles, la bande littorale sur une largeur de 1000 mètres à compter de la ligne côtière et une bande maritime d’une largeur de 300 mètres829 (...) ». Sur cet espace, le texte définit les conditions et mesures nécessaires à tout aménagement en vue de garantir « sa protection, son utilisation rationnelle, durable et économiquement efficace830 » ; la planification de la zone littorale protégée se fonde ainsi sur les principes de préservation des valeurs naturelles, culturelles, historiques et traditionnelles du paysage côtier, de libre accès à la côte et de préservation des milieux naturels831.

-283- Sept États méditerranéens disposent donc aujourd’hui d’une loi spécifiquement consacrée à l’espace littoral : l’Algérie, Israël et la Croatie depuis peu mais également l’Espagne832, la France833, la Grèce834 et le Liban835, ces deux dernières législations étant

822

Loi No2 du 5 février 2002 relative à la protection et à la valorisation du littoral, Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire No10 du 12 février 2002, article 1.

823 Article 3. 824

Articles 5 et 9.

825 Article 3.

826 Chapitre II Sections I et II. 827 Article 26.

828

Law for the protection of the coastal environment, August 4, 2004, article 21.

829 Règlement sur l’aménagement et la protection de la zone littorale protégée, Journal officiel de la

République de Croatie, 13 septembre 2004, article 2.

830 Article 1. 831

Article 3.

832

Ley 22/1988 de 28 de julio de costas. En application de la Recommandation de l’UE de 2002, l’Espagne développe aujourd’hui une véritable stratégie de GIZC : Gestión Integrada de las Zonas Costeras en España, Informe de España en cumplimiento de los requerimientos del capitulo VI de la Recomendación del Parlamento Europeo y del Consejo de 30 de Mayo de 2002 sobre la aplicación de la gestión integrada de las zonas costeras en Europa, 2006.

833 Loi No86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, JO

du 4 janvier 1986 p.200.

834

toutefois très largement lacunaires836 ; soulignons qu’une loi Littoral marocaine est également en cours d’élaboration837. Si, comme nous l’avons observé, le projet de protocole méditerranéen proposé en mars 2005 ne prévoit pas expressément l’adoption d’une norme nationale spécialement consacrée à l’espace littoral, l’on peut cependant présumer qu’un tel mouvement pourrait s’étendre suite à l’adoption du texte. L’élaboration d’une telle norme constitue en effet non seulement un acte politique fort en direction de l’environnement littoral mais également une condition essentielle à une mise en œuvre pertinente du protocole et à une gestion rationnelle du milieu côtier. La formulation d’une stratégie nationale de GIZC, obligation imposée par le protocole, pourrait donc s’inscrire dans le cadre d’une norme consacrée à l’espace littoral. Une telle réglementation devrait alors imposer le développement d’arrangements institutionnels propres à assurer les exigences d’intégration (2).

-2- Par le développement d’arrangements institutionnels pertinents.

-284- Dans une même perspective de reconnaissance de la spécificité littorale, l’adoption du projet de protocole présenté en mars 2005 devrait également conduire les États méditerranéens à développer des arrangements institutionnels pertinents, capables d’affronter les enjeux essentiels de coordination et d’intégration institutionnelles. Depuis quelques années, les États s’efforcent de créer des dispositifs susceptibles d’ériger la zone côtière en véritable objet de politique, national et local. Pour ce faire, le recours à un organisme spécialement attaché à ce dessein se révèle de plus en plus fréquent.

-285- Ainsi le Maroc a-t-il créé une « Cellule du littoral » au sein du Ministère chargé de l’environnement. L’État envisage même d’aller au-delà de ce seul service administratif en créant une instance interministérielle chargée spécifiquement de l’aménagement et de la protection du littoral. Selon l’administration marocaine, il conviendrait en effet « de s’orienter vers la création d’une nouvelle institution chargée de l’aménagement et de la protection du littoral, qui exerce l’ensemble des attributions de caractère interministériel (...). Cette nouvelle structure, qui pourrait être dénommée l’Agence nationale de protection 835

Loi du 24 juin 1966 sur la planification des côtes.

836 PRIEUR (M), GHEZALI (M), Législations nationales relatives à l'aménagement et à la gestion des zones

côtières en Méditerranée et propositions de lignes directrices, Split, PAP/RAC, 2000, p.3.

837 Le Maroc devrait en effet prochainement adopté une loi cadre sur la protection du littoral ainsi qu’une loi

du littoral (ANPL), sera un organisme de coordination et d’impulsion. Son rôle sera de procéder à l’élaboration des différents schémas de mise en valeur du littoral (schéma national, schémas régionaux et provinciaux), de veiller à leur exécution, de coordonner les décisions gouvernementales en matière de gestion du littoral (...)838 ». De même, la Tunisie procède depuis quelques années à une rationalisation de ses structures administratives à travers, notamment, la création d’un Observatoire de l’environnement et l’institution en 1995 de l’Agence de protection et de l’aménagement du littoral839 (APAL). Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) placé sous la tutelle du Ministère chargé de l’aménagement du territoire, l’APAL est chargée de l’application de la politique littorale nationale. À ce titre, l’Agence assure un rôle d’observatoire des écosystèmes côtiers, élabore des études relatives à la protection des milieux littoraux et assure une maîtrise foncière du littoral. Depuis 2002, l’Algérie dispose également d’un organisme public - le Commissariat national du littoral - chargé de veiller à la mise en oeuvre de la politique nationale de protection et de mise en valeur du littoral840. De la même manière, Israël a récemment créé un Comité pour la protection de l’environnement côtier841 tandis qu’en France, l’organisation institutionnelle tend également à s’adapter aux exigences de l’intégration842.

-286- L’adoption du protocole méditerranéen relatif à la GIZC devrait donc conduire à des réformes institutionnelles importantes afin de placer la zone côtière au cœur d’un cadre décisionnel pertinent. L’institution d’un organisme auquel est spécialement affectée la conduite de la politique nationale constitue un atout majeur dont les États semblent de plus en plus reconnaître l’utilité. Observons d’ailleurs que la création de telles structures est très souvent concomitante à l’adoption d’une norme nationale relative à l’espace côtier. Cet élément ne fait que renforcer notre conviction selon laquelle l’élaboration d’une telle norme constitue le moyen le plus simple et le plus pertinent pour mettre en œuvre les dispositions du protocole et tendre ainsi vers une gestion rationnelle de l’espace littoral. L’adoption du protocole méditerranéen devrait donc contribuer à l’évolution des droits nationaux vers une reconnaissance juridique de la spécificité littorale. En outre, la gestion

838

La cellule du littoral, Éléments pour une stratégie de protection et de gestion intégrée du littoral, Février 2005, p.31.

839 Loi No95-72 du 24 juillet 1995 portant création de l'Agence de Protection et d'Aménagement du Littoral

(APAL).

840 Loi No2 du 5 février 2002 relative à la protection et à la valorisation du littoral, Journal officiel de la

République algérienne démocratique et populaire No10 du 12 février 2002, article 26.

841 Law for the protection of the coastal environment, August 4, 2004, article 21-2. 842

intégrée n’étant pas un substitut à l’approche sectorielle843, le protocole devrait également permettre d’étoffer les normes sectorielles relatives à l’espace littoral (B).

-B- La nécessité d’un renforcement des législations sectorielles.

-287- De par les multiples activités qu’il régit et les différents milieux naturels qu’il tend à préserver, le projet de protocole présenté en mars 2005 devrait, en cas d’adoption, contribuer à étoffer les législations sectorielles relatives à l’environnement en général et à l’espace littoral en particulier. Depuis quelques années, des évolutions en ce sens peuvent déjà être relevées dans certains États méditerranéens. Le Maroc a ainsi adopté en mai 2003 une loi cadre fixant « les règles de base et les principes généraux de la politique nationale dans le domaine de la protection et de la mise en valeur de l'environnement844 ». Le contenu de la loi est particulièrement large, traitant de la planification des sols845, de la protection des ressources naturelles846, des différents types de pollution847, des instruments de gestion et de protection de l’environnement848... L’article 35 de la loi dispose en outre : « pour la protection, la mise en valeur et la conservation du littoral, des dispositions législatives et réglementaires sont prises pour assurer la gestion intégrée et durable de l'écosystème du littoral et la prévention de toute dégradation de ses ressources ». Il s’agit là du fondement juridique sur lequel devrait s’appuyer la future loi Littoral marocaine, actuellement en cours d’élaboration. Depuis quelques années, la Tunisie développe également une réglementation conséquente en matière d’environnement, notamment dans le domaine de la gestion des déchets849. De même, les droits internes des États membres de l’UE s’étoffent considérablement à travers l’application des directives et règlements

843 En ce sens, voir notamment : CICIN-SAIN (B), KNECHT (R), Integrated coastal and ocean management :

concepts and practices, Island Press, Washington, 1998, p.461 ; Conseil de l’Europe, Code de conduite européen des zones côtières, Sauvegarde de la nature No101, Éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, Paris, p.108 ; PAM/PNUE, Programme d’aménagement côtier du PAM : un cadre stratégique pour l'avenir, CAR/PAP-PAM, Athènes, Split, 2001, p.2.

844 Loi N°11-03 relative à la protection et à la mise en valeur de l'environnement, Dahir N°1-03-59 du 12 mai

2003 portant promulgation de la loi N°11-03 relative à la protection et à la mise en valeur de l'environnement, Bulletin Officiel N°5118 du 19 Juin 2003, article 1.

845 Chapitre II. 846 Chapitre III. 847

Chapitre IV.

848 Chapitre V.

849 Loi relative aux déchets et au contrôle de leur gestion et de leur élimination (1996), Décret relatif à la

gestion des emballages utilisés (1997), Décret arrêtant la liste des déchets dangereux (2000), Registre de suivi des déchets dangereux et inertes (2001)…

communautaires850. Un récent rapport du Plan Bleu relève toutefois que certains domaines restent juridiquement peu couverts par les droits nationaux : il s’agit notamment de l’urbanisme côtier, de l’extraction de sable et de l’implantation des activités industrielles en milieu littoral851. Or, comme nous l’avons observé, le projet de protocole établit en ces domaines des dispositions fondamentales que les ordres juridiques nationaux devront s’attacher à mettre en œuvre ; les législations sectorielles des États méditerranéens devraient ainsi particulièrement s’étoffer en matière d’urbanisme852 et de contrôle des activités économiques de bord de mer853.

-288- Il est un autre domaine dans lequel le protocole devrait également produire des effets tout à fait importants, celui de la valorisation des arrières pays littoraux. En Méditerranée en effet, la zone côtière attire la grande majorité des populations, permanentes comme saisonnières, et des activités économiques. La valorisation de l’arrière pays constitue donc une condition essentielle au développement harmonieux du littoral. Le recours à un tourisme durable pourrait ainsi être l’occasion de proposer un nouvel équilibre dans l’aménagement de l’espace. L’article 8-3 du projet de protocole dispose ainsi :

« a - Le développement du tourisme côtier doit être durable et respectueux des ressources naturelles et des paysages, en encourageant notamment les démarches environnementales

de qualité et le tourisme culturel, écologique et rural.

b - Des indicateurs de développement du tourisme côtier durable sont élaborés de façon concertée par les Parties dans la perspective de déterminer des seuils de capacité d’accueil.

c - L’exercice des diverses activités sportives et de loisirs dans la zone côtière fait l’objet de réglementations et d’interdictions.

d - Des codes de bonne conduite sont élaborés entre les pouvoirs publics, les acteurs économiques et sociaux concernés et les organismes représentatifs des activités sportives et

de loisirs ».

850 European Commission, Fifth annual survey on the implementation and enforcement of Community

environmental law, Office for afficial publications of the European Communities, Luxembourg, 2004, 40p.

851 BENOIT (G), COMEAU (A) (Dir.), Méditerranée. Les perspectives du Plan Bleu sur l’environnement et

le développement, Éditions de l’aube, Plan Bleu, 2006, p.332.

852 Article 7. 853

-289- Ainsi, l’application de cet article 8-3 exige d’abord et avant tout de rendre attractif l’arrière pays littoral, pour les populations résidentes comme pour les touristes. Dès lors, la règle juridique doit, sinon imposer, du moins faciliter la régulation des pressions anthropiques sur l’espace littoral en privilégiant le développement de l’arrière pays. Cela impose notamment la conduite d’une politique touristique privilégiant, à l’image de la région Sardaigne854, la construction d’établissements d’accueil en zones rétro-littorales et une diversification de l’économie des régions côtières, parfois totalement dépendantes de la seule activité touristique855. De même, une telle ambition exige plus largement une redéfinition de l’aménagement du territoire comme l’illustre la politique menée par l’Algérie depuis 2005 visant, à travers un Schéma national d’aménagement du territoire, à inverser les migrations vers les côtes par le redéploiement volontaire de trois millions de personnes vers les hauts plateaux et le Sud à l’horizon 2025856. La valorisation de l’arrière pays par un renforcement des infrastructures intérieures constitue donc le socle de cette politique857. Ainsi, si la spécificité de l’espace littoral doit être reconnue, elle doit néanmoins s’inscrire dans une approche globale de l’aménagement du territoire. L’espace côtier et l’arrière pays littoral doivent en effet être appréhendés de manière coordonnée, leur interdépendance étant largement démontrée par cette problématique de réduction des pressions en zone littorale. Il s’avère en effet parfaitement inutile d’exhorter à un développement littoral maîtrisé dès lors que l’arrière pays ne fait l’objet d’aucune politique de valorisation. La politique algérienne démontre parfaitement le lien existant entre ces deux problématiques puisqu’elle considère la valorisation des espaces intérieurs comme une condition nécessaire à une réduction des pressions anthropiques en bord de mer858. L’application du protocole méditerranéen relatif à la GIZC devrait donc conduire les États à repenser leurs modes d’aménagement de l’espace afin de soulager le milieu littoral en menant, pour ce faire, une politique d’aménagement et de développement des espaces intérieurs.

854 En ce sens, voir infra 677.

855 C’est le cas par exemple de Side et de Belek en Turquie où l’on estime que plus de 85% de la population

dépend directement de l’activité touristique : BENOIT (G), COMEAU (A) (Dir.), Méditerranée. Les perspectives du Plan Bleu sur l’environnement et le développement, Éditions de l’aube, Plan Bleu, 2006, p.338.

856 PNUE/PAM/PAP, Programme d’Aménagement Côtier (PAC) Zone côtière algéroise, Rapport final

intégré, Split, PAP, 2006, p.26.

857 BENOIT (G), COMEAU (A) (Dir.), Méditerranée. Les perspectives du Plan Bleu sur l’environnement et

le développement, Éditions de l’aube, Plan Bleu, 2006, p.335.

858 PNUE/PAM/PAP, Programme d’Aménagement Côtier (PAC) Zone côtière algéroise, Rapport final