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Sect 2 La sanction légale d’une assimilation (1889)

Avant la promulgation de la loi du 26 juin 1889, les dispositions qui régissent l’acquisition de la qualité de Français, se trouvent disséminées soit dans le Code civil, soit dans les textes postérieurs, sans lien, sans cohésion entre eux. En effet, la législation sur la qualité de Français issue du Code civil de 1804, pour être à peu près complète, n’en présente pas moins de nombreuses imperfections291, et depuis longtemps l’opinion publique réclame une refonte des lois sur ce point. L’avènement de la loi de 1889 s’explique, au moins en grande partie, précisément par la complication qui résulte par la pratique de la superposition de lois successives sous le Code de 1804. Les lois nouvelles, en se juxtaposant au texte primitif sans l’abroger, finissent par former une législation inextricable et on juge nécessaire de reprendre quelque unité et autant que possible quelque fixité à cette matière292.

En outre, le Parlement veut faciliter, autant que possible, l’acquisition de la qualité de Français en élargissant les bases sur lesquelles elle reposait jusqu’en 1889. Pour ce faire, il profite de l’occasion offerte par la refonte des lois sur la nationalité pour y introduire quelques dispositions nouvelles en vue de réaliser, ou tout au moins favoriser l’augmentation de la population française par l’absorption d’éléments étrangers293.

Au cours du XIXe siècle, la France connaît une profonde dépression démographique, alors que les pays voisins ont une population qui continue de s’accroître294

. Pendant la période qui s’étend de 1800 à 1880, les historiens qui étudient les causes de l’explosion démographique

290

G. Cogordan, op. cit., p. 106.

291 A. Weiss, op. cit., p. 51. 292 Ibid.

293 Ch. Nizet, op. cit., 1896, p. 171. 294

qui touche la plupart des pays européens295 au XIXe siècle mettent en évidence le rôle de la Révolution industrielle296. Avec l’apparition des grandes usines, le déracinement provoque la rupture des liens sociaux traditionnels illustrés par une absence de maîtrise de la fécondité. La France demeure un pays majoritairement rural, alors que partout ailleurs la population active travaillant dans l’agriculture régresse297. En effet, jusqu’en 1891, il y a plus de paysans

en France qu’à la veille de la Révolution298

. La population active agricole constitue, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la branche professionnelle la plus importante. Compte tenu de la croissance démographique, le nombre des agriculteurs progresse régulièrement de 1800 à 1845. C’est ainsi qu’au début du XIXe

siècle, dans le Sud de la France, bien des villes n’abritent que des paysans. Modeste dans sa reproduction humaine, la France retient beaucoup des siens aux champs, ce qui réduit d’autant ses capacités d’expansion urbaine. En outre, alors qu’à cette époque, partout en Europe299

, les taux de fécondité progressent fortement, en France seulement, ils déclinent. En 1830, la fécondité française est installée au niveau le plus bas d’Europe. Les villes conservent une fécondité assez élevée, du moins dans les classes populaires300, car les bourgeois sont héritiers d’une longue tradition contraceptive. Vers 1860-1870 s’amorce un très rapide mouvement de déclin de la fécondité légitime. Il y a une stagnation de la population française « de souche » laquelle est due au faible taux de natalité301 qui rétrécit la base de la pyramide des âges. Le taux de natalité ne permet plus le renouvellement de la population. Il y a un très fort vieillissement et une sous-représentation des jeunes302. La singularité française vient du rôle des paysans, traditionnel d’un côté, mais idéologiquement transformés par la vague de sécularisation qui a déferlé entre 1789 et 1815 en changeant durablement les mentalités. Pour Jean-Paul Bardet, il n’y a qu’une seule cause au recul de la population française : « La volonté individuelle des Français, leur décision, reconduite de génération en génération tout au long du XIXe siècle, de limiter le nombre de leurs descendants »303. Il faut ajouter à cela la diffusion des comportements malthusiens au sein du monde paysan lui-même. Le maintien d’une paysannerie nombreuse, obsédée par la préservation des patrimoines fonciers, a une forte incidence sur les comportements

295

J-C. Gegot, La population française aux XIXe et XXe siècles, Paris, 1989, p. 101.

296 J-P. Bardet et J. Dupâquier, Histoire des populations de l’Europe, La révolution démographique 1750-1914,

Paris, 1998, tome II, p. 288.

297 Ibid., p. 289. 298 Ibid., p. 299. 299

G. Noiriel, op.cit., p. 55.

300 Ibid., p. 52.

301 J-C. Gegot, op. cit., p. 101. 302 Ibid.

303

reproductifs. La limitation volontaire de la fécondité a pour conséquence un vieillissement rapide de la population française ; ce facteur à son tour contribue à la stagnation de la natalité. Le groupe des soixante ans et plus qui était de 8,5% en 1789 s’élève à 12,6% à la fin du XIXe siècle ; ce qui fait de la France, comparée à ses voisins, un pays vieux304.

A la fin du XIXe siècle, débute, dans l’histoire économique et sociale de la France, une phase qui est marquée par l’entrée de l’économie française dans l’ère industrielle. Avec la Révolution industrielle et l’accroissement de l’activité, la société subit une transformation profonde, avec la montée irrésistible du nombre des actifs des secteurs secondaires et tertiaires. L’apparition des grandes usines conduit des millions de paysans à se transplanter brutalement vers les faubourgs des villes industrielles305.

Au cours du XIXe siècle, le nombre des grandes villes s’accroît, ce qui contribue radicalement à modifier l’horizon et les conditions de vie de citadins306

.

L’essor des villes absorbe l’essentiel de la croissance rurale : l’exode rural fournit une grande partie des 13 millions d’urbains gagnés entre 1800 et 1900.

Le développement des activités non agricoles explique le déplacement du centre de gravité de la population française vers le Nord et l’Est. L’activité non agricole évolue et se diversifie. On assiste à un essor des emplois dans les mines, la métallurgie, la chimie, les transports, le commerce et la banque, et à un recul relatif des emplois du textile, du bois, du cuir et du service domestique. Les progrès de l’industrialisation et les campagnes pleines permettent un ajustement de la main-d’œuvre : les classes rurales pauvres sont capables de fournir des bras dont l’industrie a besoin. Il n’y a pas lieu dans ces conditions de faire appel à l’étranger. En 1831, la France est le pays le plus peuplé d’Europe avec 32,6 millions d’habitants. La France la plus peuplée307 est aussi la plus entassée. Malgré son déclassement relatif, la France demeure un très grand pays, dont la population progresse tout au long de la période.

Ces aspects sont à mettre en rapport avec les traits spécifiques de son évolution économique et sociale depuis le XIXe siècle308.

La concentration de plus en plus marquée des étrangers aux frontières et leur implantation dans les grandes villes mobilisent les élus. Au milieu du siècle, 1% d’étrangers est surtout concentré dans les zones frontières, à proximité du pays d’origine. Ces installations montrent

304

J-C. Gegot, op. cit., p. 101.

305 J-P. Bardet et J. Dupâquier, op. cit., p. 55. 306 P. Weil, op. cit., p. 54.

307 P. Weil, op. cit., p. 53. 308

bien qu’elles ne sont pas forcément en liaison avec la localisation des industries françaises, à ce moment-là, les ouvriers sont encore peu nombreux dans les contingents d’immigrés. L’on ne sait rien de précis sur le nombre des étrangers qui habitent la France avant le milieu du XIXe siècle. Lorsque les étrangers sont dénombrés pour la première fois en 1851, ils représentent une proportion de 1,06 % de la population309 sur 35 783 000 habitants que compte la France.

En 1856, la France sans Nice et la Savoie compte 36,4 millions d’habitants.

En 1866, on relève plus de 655 000 individus de nationalité étrangère, soit 1,67 % d’habitants. Après la terrible crise 1870-1871, la population française se trouve sensiblement amoindrie. La lecture du recensement de 1866 et surtout la défaite de 1871 ont apparemment été les facteurs déclenchant du tournant idéologique de la fin du siècle.

Le rapport du nombre des étrangers à celui des Français s’est ainsi trouvé porté à 2,03 % en 1872. Cette démarche ascendante continue toujours et en 1881 l’effectif des étrangers recensés dépasse le million et, en 1886, l’on compte environ 1 126 500 soit 2.97% d’habitants310

et approchant 3% de la population du pays (2,9) : le triplement en 35 ans constitue une forte progression qui témoigne de l’importance nouvelle prise par l’immigration311

. Elle joue un rôle considérable dans le renouveau du peuplement de la France. Dès la fin du XIXe siècle, c’est grâce à cet apport extérieur que la population française ne régresse pas, puisqu’on compte déjà plus d’un million d’étrangers à cette époque.

L’immigration fait un premier bond en avant avec le boom industriel du Second Empire. En trente ans, la population étrangère triple pour passer de moins de 400 000 personnes en 1851 à plus de 1 100 000 en 1881 (soit environ 3% de la population totale)312. En 1891, le nombre des étrangers paraît, pour la première fois depuis quarante ans, rester stationnaire ; le chiffre des étrangers présents a été de 1,130 211, n’accusant qu’un accroissement de 3,680, et, mieux encore, le nombre des étrangers domiciliés s’est trouvé en diminution de 3000 environ313

. Les immigrés sont ainsi un facteur de dynamisme démographique permettant d’atténuer certaines tendances traditionnelles de la population française314.

Le véritable essor urbain français s’amorce au milieu du XIXe siècle315, triomphe pendant le Second Empire et s’essouffle après 1870, en dépit de l’embellie des années 1880.

309 A. Guillot, op. cit., p. 125.

310 Statistique générale de la France, Dénombrement des étrangers en France, Résultats statistiques du

dénombrement de 1891, Paris, 1893, p. 10.

311

Ibid.

312 Statistique générale de la France, Dénombrement des étrangers en France, Résultats statistiques du

dénombrement de 1891, op. cit., p. 10.

313 Ibid. 314

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la France, qui s’industrialise est déjà un pays d’immigration à cause de l’insuffisance de sa main-d’œuvre. Elle prend en compte le rôle de peuplement de l’apport étranger316

. La stagnation de la population et le dynamisme de l’économie française présentent des avantages pour attirer les immigrants317

. En effet, en 1886, les immigrants de plus en plus nombreux sont surtout des travailleurs qui contribuent au développement de l’économie. Il s’agit d’Allemands, Belges et Italiens qui, dans leur pays d’origine touchent des salaires très bas, sont attirés par la perspective de salaires plus rémunérateurs. Dès la fin du XIXe siècle, c’est grâce à cet apport extérieur que la population française ne régresse pas318, puisqu’on compte déjà un million d’étrangers dans les années 1880, contre moins de 500 000 vingt ans plus tôt.

C’est ainsi que Roubaix319, exemple extrême d’une foudroyante fortune industrielle, pour une

agglomération qui au reste, ne ressemble pas vraiment à une ville, passe de 4 421 habitants en 1811 à 115 234 en 1911.

La main-d'œuvre étrangère non seulement fonde, par étapes, la croissance démographique mais aussi économique.

Les raisons de ces arrivées d’étrangers sont aisées à déceler, surtout à partir du milieu du siècle. Se combinent en effet le début du ralentissement de la croissance démographique naturelle320, le mouvement d’ascension sociale qui écarte de nombreux enfants de petits bourgeois de métiers peu valorisants et le développement de la grande industrie machiniste, créatrice de nombreux emplois peu qualifiés. L’immigration va donc être surtout la réponse aux progrès de l’industrialisation auxquels la population nationale ne se trouve pas en mesure de faire face321.

Cette croissance du nombre des étrangers sur le sol français s’explique en outre, par le fait que sous le Code civil de 1804 on admet d’une manière presque exclusive le principe du jus sanguinis322. D’après ce principe, seuls sont Français les individus nés de parents français, en quelque lieu que ce soit (art. 10 al. 1er C.civ). Il n’impose pas la qualité de Français aux enfants nés en France d’étrangers et se contente seulement de leur faciliter l’acquisition.

315 Ibid

316 G. Noiriel, op. cit., p. 54. 317 Y. Lequin, op. cit., p. 41 318 J.-C. Gegot, op. cit., p. 91. 319

J. P. Bardet et J. Dupâquier, op. cit., p. 301.

320 G. Noiriel, op. cit., p. 54.

321 F. Draguet, Un siècle de démographie française, Structure et évolution de la population de 1901 à 1993,

INSEE, 1995, p. 21.

322

Plusieurs lois323 interviennent alors pour porter remède à cette situation, mais l’effet escompté n’est pas obtenu. Elles donnent des résultats peu appréciables. Cet état des choses, ne pouvant durer, des mesures plus radicales deviennent alors nécessaires. En présence du double danger qui menace la France, d’une part la diminution de la population et l’accroissement sur le sol français du nombre des étrangers324, d’autre part, l’immunité dont jouissent ces étrangers à l’égard du service militaire constitue à leur profit un véritable privilège325

. Ce travail revient à la loi du 26 juin 1889 laquelle se propose ainsi de réagir contre l’heimathlosat326d’une part et d’élargir la sphère de la nationalité d’autre part.

En effet, l’accroissement de l’effectif toujours plus grand de ces étrangers dans les départements du Nord et de l’Est, fixés en France depuis plusieurs générations, présente un péril au point de préoccuper les esprits. Ils trouvent le moyen de se dérober, par une option facile et sans portée, aux devoirs et aux charges qui pèsent sur les habitants au milieu desquels leur vie s’écoule, sur les travailleurs français, dont ils diminuent les moyens d’existence par une concurrence inégale327. Beaucoup de familles étrangères s’établissent en France et les générations s’y succèdent, sans jamais devenir Français ; en outre, ces individus, souvent en droit, plus souvent encore en fait, ont cessé d’appartenir à leur ancienne patrie : ils se trouvent ainsi n’avoir pas de nationalité et échapper partout aux obligations qu’elle impose328

. Des esprits, alarmés du danger que fait courir à la France l’état à peu près stationnaire de sa population, au regard de l’accroissement continu, parfois considérable, des nations rivales, signalent le péril à l’opinion publique329

.

Cet état présente un danger bien fait pour émouvoir la sollicitude des pouvoirs publics : « Préoccupons-nous écrit Paul Leroy-Beaulieu en 1888, du nombre de notre population. Puisque nous n’augmentons pas par notre mouvement propre, augmentons, comme les États-Unis, comme la Plata, toutes proportions gardées, par l’immigration. Puisque nous ne faisons pas assez d’enfants, faisons des recrues. La filiation naturelle étant insuffisante, pratiquons l’adoption… Rendons d’abord très aisée la naturalisation volontaire… Pratiquons, en outre, la naturalisation d’office. Déclarons Français ceux de ces étrangers qui sont nés en France, qui y sont demeurés jusqu’à leur majorité…Nous ferons ainsi des recrues à notre nationalité, de bonnes recrues, des hommes durs, laborieux, accoutumés à des tâches

323 E. Audinet, op. cit., p. 19. 324 J. Valery, op. cit., pp: 147-148. 325

Ch. Beudant, op. cit., p. 18.

326 A. Pillet et J-P. Niboyet, op. cit., p.63. 327 E. Audinet, op. cit., 1906, p. 19. 328 A. Weiss, op. cit., p. 52. 329

grossières, mais utiles, que nous avons désappris : ce sera un excellent alliage, cet alliage, dans des proportions modestes, d’un métal moins brillant, moins apprécié, mais qui, en se mêlant à l’or, donne à ce dernier plus de consistance et de force »330

. Le remède face à l’insuffisance des naissances est le recours à l’assimilation. La population française étant déficitaire, il y a intérêt à l’accroître, par l’afflux des étrangers. On considère qu’il peut exister un intérêt national à poursuivre l’assimilation des étrangers, puisqu’ils perdent par là tout contact avec leur ancienne patrie. On fait remarquer que les temps ont changé depuis l’élaboration du Code civil avec l’extension qu’ont pris les rapports internationaux. Le besoin d’une législation nouvelle se fait sentir : il s’agit tout au moins de grouper les textes qui, dans le cours du siècle, ont apporté des dérogations au système du Code civil, en faisant prévaloir de plus en plus le principe du jus soli331. La loi du 26 juin 1889 se fixe pour but de faciliter, autant que possible l’acquisition de la qualité de Français, en élargissant les bases sur lesquelles elle reposait avant son entrée en vigueur. Elle décide alors de rattacher ces étrangers de manière intime à la France et de procéder à leurs assimilations332. Voulant réduire leur nombre, elle en fait des Français et entreprend ainsi un pas décisif dans le sens d’un retour au jus soli sans abandonner le jus sanguinis333

. Tandis qu’en 1804, la nationalité est déterminée à titre principal par le jus sangunis et très accessoirement par un appel du jus soli, la loi du 26 juin 1889 associe très étroitement le jus soli au jus sanguinis et accroît profondément les modes d’acquisition de la nationalité française à raison de la naissance sur le sol. Elle restreint la part de la filiation dans la détermination de la nationalité d’origine des individus nés sur le territoire français de parents étrangers, et élargit, en ce qui les concerne, le domaine du jus soli334. Si c’est au jus sanguinis que la loi française donne la préférence en attribuant la qualité de Français à tout individu né de parents français, même en pays étranger, il semble qu’elle doit, par une juste réciprocité d’égards envers les peuples qui se trouvent sur le sol français, reconnaître la nationalité étrangère au fils d’étranger, même né sur le territoire français. Cette règle du jus sanguinis trouve ainsi dans les dispositions nouvelles de 1889 et de 1893 des exceptions importantes qui rendent au jus soli une grande partie des applications anciennes.

Par conséquent, c’est au nom de l’intérêt national que le triomphe de l’assimilation des Français de fait, se réalise par le recours au jus soli (§1). La loi du 26 juin 1889 qui modifie

330 P. Leroy-Beaulieu, Journal de droit international privé, 1888, p. 178. 331

L. Le Sueur et E. Dreyfus, La nationalité commentaire de la loi du 26 juin 1889, 1890, Paris, p. 1.

332 V. Grec, Des moyens d’acquisition de la qualité de Français dérivant de la naissance sur le sol et de la

filiation, thèse, Paris, 1898, p. 34.

333 A. Pillet et J-P. Niboyet, op. cit., p. 20. 334

profondément les principes posés par le Code civil de1804 suppose d’examiner, pour mieux la comprendre, les travaux préparatoires qui précédent sa mise en vigueur (§2).

§ 1. Politique d’abord !

335

: le triomphe du jus soli

La loi du 26 juin 1889 rétablit le jus soli. En effet, parallèlement au jus sanguinis, la nationalité française s’octroie à nouveau par la naissance sur le territoire français. Dans le système de la loi de 1889, on soutient que la nationalité doit être déterminée par le lieu de la naissance, c’est le lieu du sol qui est prépondérant. En effet, le Parlement veut faciliter, autant que possible, l’acquisition de la qualité de Français en élargissant les bases sur lesquelles elle reposait jusqu’en 1889. Pour ce faire, il profite de l’occasion offerte par la refonte des lois sur la nationalité pour y introduire quelques dispositions nouvelles en vue de réaliser, ou tout au moins favoriser l’augmentation de la population française par l’absorption d’éléments étrangers336. C’est dans un climat nationaliste qu’entre en vigueur la loi du 26 juin 1889. Dans l’histoire du sentiment national français, on ne peut nier que la défaite de 1870, plaie ouverte des « provinces perdues », constitue un événement décisif. En effet, au lendemain de cet événement qui a pour conséquence le désastre militaire et l’amputation du territoire, la question de la nationalité337redevient un problème majeur en politique intérieure qui ouvre la voie à des formes nouvelles de nationalisme.

Lors d’une conférence à la Sorbonne prononcée en date du 11 mars 1882 à la question de savoir : « Qu’est-ce qu’une nation ? », Ernest Renan répond par la formule suivante : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituant cette âme, ce principe spirituel. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis »338