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La naturalisation extraordinaire par abrègement du stage

§ 2 La nécessité d’une souplesse dans le dispositif législatif

B. La naturalisation extraordinaire par abrègement du stage

Dès l’Empire, le délai de dix ans exigé par la Constitution de l’an VIII de l’étranger voulant acquérir la nationalité française paraît excessif et soulève des difficultés. En effet, le stage de dix ans imposé à l’étranger rend difficile la naturalisation des étrangers de grand mérite. Pour pallier à cet état des choses, les sénatus-consultes du 26 vendémiaire an XI (18 octobre 1802)

580 Bull. des lois, 1870, n° 5, p. 35.

581 J. Ingouf, De la naturalisation des étrangers en France ses règles et ses formalités, Paris, 1881, p. 35. 582

et du 19 février 1808 donnent au pouvoir exécutif la faculté de réduire les délais pour les étrangers dignes de faveur et instituent ainsi une sorte de naturalisation extraordinaire à leur profit583.

Le sénatus-consulte du 26 vendémiaire an XI est ainsi conçu : « Pendant cinq ans à compter de la publication du présent sénatus-consulte organique, les étrangers qui rendront ou qui auront rendu des services importants à la République, qui apporteront dans son sein une invention, des talents, ou une industrie utile, ou qui formeront de grands établissements, pourront après un an de domicile, être admis à jouir des droits de citoyens français. Ce droit leur sera conféré par un arrêté du gouvernement pris sur le rapport du ministre de l’Intérieur, le Conseil d’État entendu ». Ce sénatus-consulte permet de dispenser des conditions de stage exigées par la Constitution de l’an VIII, les étrangers qui auraient rendu des services importants à l’État. Ce pouvoir accordé au gouvernement, pour cinq ans seulement, par le sénatus-consulte de l’an XI, est renouvelé dans les mêmes termes par le sénatus-consulte du 19 février 1808 et concédé à perpétuité.

Avant de prononcer une naturalisation extraordinaire, le gouvernement doit demander son avis au Conseil d’État, sans toutefois être obligé de le suivre. En effet, il peut rendre un décret d’admission malgré son avis défavorable584

. Ces sénatus-consultes des 26 vendémiaire an XI et 19 février 1808 traduisent une nouvelle fois la réappropriation par l’Exécutif de la matière585.

Sous la loi de 1849, la naturalisation extraordinaire est également accordée à l’étranger qui a rendu à la France des services importants. Cet étranger doit remplir les conditions auxquelles est soumise l’obtention de la naturalisation ordinaire ; mais la durée du stage est réduite en sa faveur à une année.

Par conséquent, cette naturalisation ressemble, quant aux formes, à la naturalisation ordinaire ; elle ne s’en distingue que sous le rapport de la durée du stage qui est réduite à un an586 en faveur de ceux : « qui ont rendu à la France des services importants, ou qui ont apporté en France des services importants, ou qui ont apporté en France, soit une industrie, soit des inventions utiles, soit des talents distingués ou qui ont formé de grands établissements ». (Art. 2 de la loi de 1849)

583 A. Weiss, op.cit., p. 360. 584 F. Bonnet, op. cit., p. 216.

585 C. Aubry et C. Rau, op. cit., tome 1, § 71, p. 406. 586

Le stage d’un an ne commence à courir que du jour où, après avoir atteint l’âge de vingt et un ans accomplis, l’étranger obtient du gouvernement l’autorisation d’établir son domicile en France587.

Quant à la loi de 1867, elle ne fait guère que reproduire l’article 2 de la loi de 1849 ; elle ajoute seulement à la liste de ceux qui peuvent être admis à bénéficier de cette naturalisation extraordinaire, ceux qui auront créé de grandes exploitations agricoles. Aucune modification n’est apportée à la durée du stage qui, comme sous la loi du 3 décembre 1849, reste fixée à une année. La seule innovation introduite par la loi de 1867 consiste dans l’addition d’un nouveau cas de faveur588aux cas précédemment établis : la loi de 1867 admet au bénéfice de la réduction de stage de trois années à une année, les étrangers qui auraient créé en France de grandes exploitations agricoles.

Cette naturalisation exceptionnelle subit des changements à partir de 1870. Le gouvernement de la défense nationale qui veut marquer sa reconnaissance à l’égard des étrangers, qui sont venus se ranger sous le drapeau français, pour combattre les Allemands, rend en date du 26 octobre 1870, un décret qui supprime temporairement le délai d’un an de séjour, exigé pour la naturalisation exceptionnelle589. En effet, l’article 1er du décret du 26 octobre 1870 prévoit : « Le délai d’un an exigé par l’article 2 de la loi du 29 juin 1867 pour la naturalisation exceptionnelle ne sera pas imposé aux étrangers qui auront pris part à la guerre actuelle pour la défense de la France. En conséquence, ces étrangers pourront être naturalisés aussitôt après leur admission à domicile, sauf l’enquête prescrite par la loi ». L’article 3 ajoute : « Les dispositions qui précédent ne seront applicables qu’aux demandes formées avant l’expiration des deux mois qui suivront la cessation de la guerre ».

Ce décret facilite ainsi la naturalisation des étrangers qui prennent part à la défense de la France, en supprimant en leur faveur les délais590. Par conséquent, tout étranger ayant pris part à la guerre actuelle pour la défense de la France, peut aux termes de l’article 1er

du décret de 1870 être naturalisé sur sa demande, aussitôt après l’admission à domicile, et sauf l’enquête prescrite par la loi. Mais cette faveur doit être toute provisoire, et le même décret en fixe la limite, en ajoutant qu’elle n’est accordée qu’à ceux qui auront fait leur demande, avant l’expiration des deux mois qui suivent la fin de la guerre. Quelques jours après un autre décret, rendu le 19 novembre, modifie dans ses articles 2 et 3 les autres conditions exigées par la loi du 29 juin 1867. Il déclare que si l’étranger a obtenu l’autorisation de domicile, la

587 F. Lindet, op. cit., p. 250. 588 F. Bonnet, op.cit., pp: 223-224. 589 G. Cogordan, op.cit., p. 124. 590

naturalisation pourrait être prononcée aussitôt après la clôture de l’enquête par laquelle il serait justifié qu’il aurait prit part à la guerre ; que si, au contraire, l’admission à domicile ne lui avait pas encore été accordée, une seule enquête suffirait pour prononcer simultanément et par une même décision l’admission à domicile et la concession de la jouissance des droits de citoyen Français. Ce dernier décret réglemente en même temps l’application du décret du 26 octobre 1870 : il indique quels sont les étrangers qui sont considérés comme ayant pris part à la guerre, et fixe le point de départ du délai de deux mois, qui doit courir entre la demande de naturalisation et la cessation de la guerre, au jour de l’enregistrement de cette demande, soit au ministère de la Justice, soit à la préfecture du département où réside l’étranger.

L’analyse des dispositions qui ont successivement réglé la naturalisation des étrangers en France sous l’empire du Code civil et jusqu’à la loi du 26 juin 1889 offre ainsi une approche restrictive des conditions de la naturalisation. Animée par le souci d’accroître la population française alors en déclin, la loi du 26 juin 1889 se donne pour but de remédier à cet inconvénient et d’en faciliter les conditions.