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Sect 2 Une hospitalité intéressée (1889)

La loi du 26 juin 1889 est due à l’initiative de Batbie. Le projet intitulé, proposition sur la naturalisation qu’il présente au Sénat le 1er

avril 1882591, consiste dans une codification des lois en vigueur promulguées à différentes époques concernant l’acquisition et le recouvrement de la nationalité. Batbie laisse subsister dans son projet les principes qui régissent la naturalisation. Elle constitue toujours une faveur du gouvernement et non un droit. L’innovation la plus considérable du projet est celle qui permet à l’étranger de demander la naturalisation après dix ans de résidence.

La proposition de Batbie, accueillie favorablement par la commission d’initiative parlementaire, fait l’objet d’un rapport conforme de Mazeau qui se borne à l’enregistrer592

. Sur la demande de Batbie lui-même, la proposition est ensuite communiquée à la section de législation du Conseil d’État593

. Elle donne lieu à un rapport de Camille Sée qui est nommé commissaire du gouvernement. La proposition de Batbie est considérablement étendue par le

591

Journ. Off. du 2 avril 1882 ; Sénat, déb. parl., p. 370.

592 Dépôt le 18 juillet 1882, Journ. Off. du 19, Sénat, déb. parl., p. 825 ; texte, Journ. Off., Sénat, doc. parl.

d’août 1882, annexe 401, p. 467.

593 Prise en considération par le Sénat le 22 juillet 1883 au Conseil d’Etat. Journ. off. du 23 juillet, Sénat, déb.

Conseil d’État. En effet, les travaux de la section de législation transforment594

complètement la proposition primitive, et aboutissent à un projet de loi sur la nationalité qui modifie d’une façon notable la législation. Les travaux du Conseil d’État dénaturent complètement la proposition Batbie. L’entente ne s’établit pas de prime abord au Conseil d’État et des doctrines diverses y sont soutenues. Le projet du Conseil d’État est conçu dans un esprit tout particulier. Il part de l’idée que la nationalité est une faveur pour ceux auxquels elle est accordée, nul ne doit en être investi sans être soumis à de sérieuses épreuves. Le rôle de la naturalisation est donc considérablement augmenté. La naturalisation ordinaire est subordonnée à un stage de trois ans. Encore faut-il, si l’étranger veut bénéficier de ce stage que sa demande en naturalisation suive rapidement la fin du stage, qu’elle soit faite dans les deux ans. Ce stage de trois ans ne peut commencer qu’après que l’étranger ait obtenu, à partir de vingt et un ans accomplis, l’autorisation d’établir son domicile en France.

Dans son rapport du 6 mars 1884, Batbie accepte l’extension donnée au projet de loi par le Conseil d’État, mais il fait ressortir les exagérations de ce projet qui a tendance à rendre plus difficile l’acquisition de la qualité de Français. En matière de naturalisation, il n’est pas d’avis d’imposer un stage à l’étranger qui a déjà résidé pendant dix années en France. Dans son rapport supplémentaire (4 novembre 1884)595 Batbie demande la réformation de certains articles du Code civil, car le projet de loi tel qu’il modifie sans les abroger certains articles du Code civil et la combinaison de ces différents textes offrent des difficultés. Dans cette nouvelle rédaction du Code civil se trouvent insérées pour la première fois les dispositions relatives à la naturalisation.

Le projet du Conseil d’État revient à la Commission du Sénat qui adopte l’extension proposée, mais apporte des modifications au système de la section de législation. Dans la nouvelle rédaction de la proposition déposée par la Commission sur le bureau du Sénat, à la séance du 4 novembre 1886596, les réformes apportées à la législation française sur la nationalité sont insérées dans les articles du Code civil.

Dans son premier rapport, Batbie considère comme exagérée l’exigence du Conseil d’État. Il s’en tient aux idées qu’il a primitivement formulées. « Le Sénat verra, disait-il à la fin de son rapport, en comparant le projet du Conseil d’État avec celui de la Commission, qu’ils ont été conçus dans un esprit différent, car la tendance du Conseil d’État est de restreindre la faculté d’acquérir la qualité de Français, tandis que la Commission tend à l’élargir. Nous sommes

594 Ch. Nizet, op. cit., p. 173.

595 Doc. parl. Journ. Off. décembre 1884.

596 Journ. Off. du 5 novembre 1886, Sén., déb. parl., p. 1165 ; texte : Journ. Off., Sén., doc. parl. de novembre

convaincus qu’il est bon d’ouvrir les portes de la France à ceux qui voudront s’attacher à notre pays par des liens permanents et des obligations durables. On objectera peut-être que nous sommes dupes de notre générosité et que nous voulons conférer à des étrangers des avantages qu’il vaudrait mieux réserver à des Français. On ajoutera que ces étrangers arrivent chez nous à des positions importantes et qu’ils ne servent pas avec un dévouement égal à la générosité avec laquelle on les reçoit… Les étrangers naturalisés peuvent à la vérité hésiter entre leur première et leur seconde patrie ; mais cette hésitation n’offre aucun péril. Les simples résidants sont autrement dangereux ».

La proposition de loi adoptée par le Sénat est transmise à la Chambre des députés597.

Après l’adoption par le Sénat du projet du Conseil d’État modifié par la Commission, l’opinion publique s’empare de la question et adresse à la proposition les critiques les plus vives. On fait valoir deux faits politiques et sociaux dont on accuse le Sénat d’avoir négligé l’importance. C’est en premier lieu l’état stationnaire et même la décroissance relative de la population française. La différence entre le taux d’accroissement de la population et celui des États qui l’avoisinent est si grande, que l’on ne peut s’empêcher de regarder l’avenir sans effroi. Le soin de la conservation de la population française exige donc que l’on ne néglige en France aucun moyen pour accroître le nombre des Français, et l’on croit avoir trouvé un des remèdes à la dépopulation de la France dans l’absorption et l’assimilation des éléments étrangers.

En second lieu, la France est le pays d’Europe où il y a le plus d’étrangers. Cette armée d’étrangers doit à bref délai constituer un danger très grand pour l’État et la société. Parmi ces étrangers, il faut toutefois distinguer les hôtes de passage des individus fixés à demeure. Le danger ne vient que de ces derniers, la préoccupation est d’en faire des Français.

La Commission de la Chambre nommée à cet effet examine la proposition et dépose à la séance du 7 novembre 1887 son rapport tend à l’adoption du principe contenu dans le texte du Sénat, auquel, d’ailleurs, elle fait subir des modifications d’une certaine importance.

Dans le but constant d’augmenter la population française trop lente à s’accroître, le législateur de 1889 considère la naturalisation comme une source constante de recrutement pour la population. Un moyen de contribuer dans une proportion importante à l’accroissement du chiffre des nationaux598. Il facilite ainsi le plus possible aux étrangers l’acquisition de la

597 Séance du 4 février 1887, Journ. Off. du 5 février, Sénat, déb. parl., p. 87.

598 L. Campistron, Commentaire pratique des lois du 26 juin 1889 et 22 juillet 1893 sur la nationalité, Paris,

nationalité française599rendant la naturalisation plus accessible pour ceux des étrangers que des circonstances particulières permettent d’envisager comme des éléments plus aisément assimilables. Pour cela, elle supprime à leur égard plusieurs conditions auxquelles l’acquisition de la nationalité française par la naturalisation était subordonnée.

La préoccupation de la loi du 26 juin 1889 étant de faire disparaître les heimathlosen ; pour arrêter leur multiplication, elle se montre moins rigoureuse quant aux conditions de la