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La naturalisation ordinaire

§ 2 La nécessité d’une souplesse dans le dispositif législatif

A. La naturalisation ordinaire

L’article 3 de la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) auquel se réfère le Code de 1804 dispose : « Un étranger devient citoyen français, lorsque, après avoir atteint l’âge de vingt et un ans accomplis et avoir déclaré l’intention de se fixer en France, il y a résidé pendant dix années consécutives ». Par conséquent, l’étranger qui a recours à la naturalisation ordinaire doit, après avoir atteint l’âge de vingt et un ans accomplis, obtenir du gouvernement la permission de s’établir et de fixer son domicile en France conformément à l’article 13 du Code civil (avis du conseil d’Etat des 18-20 prairial an XI), et y résider effectivement pendant dix années consécutives (Constitution de l’an VIII, art. 3) à partir du jour où l’autorisation lui est accordée. Une fois ces conditions remplies, le décret du 17 mars 1809 qui restitue au chef de l’Etat le droit de prononcer la naturalisation prévoit à son article 2 que la demande en naturalisation et les pièces à l’appui doivent être transmises par le maire du domicile du pétitionnaire au préfet, qui les adresse, avec son avis, au ministre de la justice. Sous l’empire du Code civil et jusqu’en 1848, les règles relatives à la naturalisation ordinaire sont celles posées par la Constitution du 22 frimaire an VIII complétée par le décret de 1809 qui viennent renforcer le contrôle du gouvernement face à des étrangers d’une moralité douteuse.

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Avec la Révolution de février 1848 et le mouvement libéral, le gouvernement provisoire par un décret en date du 31 mars 1848 facilite la naturalisation des étrangers dignes de faveur en réduisant le stage de résidence à cinq ans. Il s’agit des étrangers qui ont acquis des titres certains à l’estime publique en prenant une part active aux évènements de février562

.

Ce qui donne lieu à de nombreux abus. En effet, les demandes de naturalisation affluent en si grand nombre qu’il devient urgent pour le gouvernement de prendre des mesures pour rétablir le régime antérieur de la résidence décennale. Intervient alors la loi du 3 décembre 1849 qui à l’exemple de la Constitution de l’an VIII, subordonne la naturalisation à une résidence décennale ininterrompue en France. Cette loi se donne pour but de remédier aux inconvénients qui résultent de la grande facilité avec laquelle on accorde la naturalisation et de rebuter ainsi l’étranger qui n’est pas digne d’intérêt563. En vertu de cette nouvelle loi de 1849, l’étranger, parvenu à l’âge de vingt et un ans, doit demander au gouvernement l’autorisation de fixer son domicile en France, conformément à l’article 13 du Code civil. Cette autorisation obtenue, il doit résider en France pendant dix années. A l’expiration de ce stage, il peut former sa demande. Le gouvernement fait alors une enquête sur la moralité, prend l’avis du Conseil d’État, et, si cet avis est favorable, la naturalisation peut être accordée par décret (art. 1er de la loi du 3 décembre 1849).

Mais, nombreux sont les étrangers qui se plaignent de la durée excessive du stage qui leur est imposé564. Inspirée par des sentiments d’amitié durable entre les peuples 565 la loi du 29 juin 1867 la réduit alors à trois ans. En effet l’article 1er de cette loi du 3 juin 1867 dispose : « L’étranger qui après l’âge de vingt et un ans accomplis a, conformément à l’article 13 du Code civil, obtenu l’autorisation d’établir son domicile en France, et y a résidé pendant trois années, peut-être admis à jouir de tous les droits de citoyen français. Les trois années courront à partir du jour où la demande d’autorisation aura été enregistrée au ministère de la Justice.

Est assimilé à la résidence en France, le séjour en pays étranger pour l’exercice d’une fonction conférée par le gouvernement français.

Il est statué sur la demande en naturalisation, après enquête sur la moralité de l’étranger, par un décret du chef de l’Etat, rendu sur le rapport du ministre de la Justice, le Conseil d’État entendu ».

562 Journal du Palais, V° Naturalisation, n° 45. 563 J. Valéry, op.cit., p. 204.

564 L. Le Sueur et E. Dreyfus, op. cit., p. 51. 565

Il résulte de la combinaison des lois du 3 décembre 1849 et de la loi du 25 juin 1867 que l’étranger qui veut se faire naturaliser français est soumis aux conditions suivantes :

Les formalités pour obtenir la naturalisation en France supposent tout d’abord que l’étranger doit être capable. Conséquemment, cet étranger doit attendre sa 21e année accomplie, c'est-à- dire sa majorité d’après la loi française, pour manifester valablement son intention de devenir Français566. Cette condition d’âge, méconnaît le principe général du droit international privé qui soumet en tous lieux l’état et la capacité des personnes à la loi de leur origine (art. 3, alinéa 3 du Code civil). En effet, c’est en principe à la loi personnelle de l’étranger qu’il appartient, de le soumettre quant à la capacité requise pour acquérir la qualité de Français. L’étranger doit en outre, demander l’autorisation de résider en France, conformément à l’article 13 du Code civil567

. Pour cela, il doit adresser sur papier timbré, au ministre de la Justice, une pétition par laquelle il sollicite l’autorisation de fixer son domicile en France, en s’engageant à acquitter les droits de sceau qui s’élèvent à 175 fr 25. Enfin, il doit joindre à sa demande son acte de naissance, traduit et légalisé568.

Une fois cette autorisation accordée, l’article 1er

de la loi du 3 décembre 1849 impose à l’étranger pour la naturalisation un séjour de dix ans569

en France. En effet, on considère que cet étranger ne peut obtenir la naturalisation sans justifier d’une attache suffisante avec la France. Ce stage de dix ans ne commence à courir que du jour où, après avoir atteint l’âge de vingt et un ans accomplis, l’étranger obtient du gouvernement l’autorisation d’établir son domicile en France570. Cependant, l’article 6 prévoit pour celui, qui, dès avant la promulgation de la loi nouvelle, aurait fait, conformément à l’article 3 de la Constitution de l’an VIII, la déclaration de vouloir se fixer en France, le stage court du jour de cette déclaration571.

La longueur du stage de dix ans imposé aux étrangers par la loi de 1849, pour obtenir la naturalisation, paraît excessive et suscite des réclamations. Ce stage de dix ans imposé aux étrangers se justifie par le fait que sous l’empire de la loi de 1849 les relations de la France avec l’Europe inspirent de légitimes défiances envers les étrangers. En effet, en 1849 la plupart des étrangers qui veulent devenir Français sont originaires d’États en guerre avec la France. Mais, en 1867, les mêmes défiances n’existent plus puisqu’on ne parle que de paix

566 G. Cogordan, op. cit., p. 124. 567

G. Cogordan, op. cit., p.122-123.

568 A. Weiss, op. cit., pp: 369-370. 569 C. Aubry et C. Rau, op. cit., p. 407. 570 A. Weiss, op. cit., p. 369.

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universelle entre tous les peuples et le délai de dix ans n’est plus en harmonie avec les besoins des temps nouveaux.

Un projet est alors présenté : « Les relations internationales dit l’exposé des motifs présenté par le gouvernement s’inspirent d’un sentiment plus large et plus sympathique (…) Au milieu de mouvement général, un stage de dix années, imposé aux hôtes d’un grand pays pour en devenir les citoyens, n’est-il pas une véritable anomalie ? N’est-ce pas là un temps d’arrêt dont la trop longue durée peut déconcerter de fermes résolutions et décourager des sympathies sincères ? (….) Il faudrait sans doute accepter sans hésitation ce contraste et maintenir le délai de dix années si la durée du stage était la seule garantie qui pût rassurer le pays contre le danger d’adoptions téméraires. Mais il n’en est rien ; l’admission préalable à domicile, le retrait possible de cette admission, l’enquête individuelle et sérieuse ouverte sur chacune des demandes, la proposition par le ministre et l’examen par le Conseil d’État constituent une combinaison d’épreuves, un ensemble de moyen de contrôle qui rendent toute erreur, tout abus impossible. (…) Le projet propose de réduire à trois années la durée de la résidence qui doit précéder la naturalisation. Ce délai répond aux exigences d’une épreuve concluante et sérieuse. Il permet de réunir les éléments d’une enquête administrative complète et donne ainsi satisfaction aux deux intérêts que la loi nouvelle tend à concilier : le maintien des garanties et la simplification des formes de l’adoption politiques »572.

Par conséquent, avec la loi de 1867, le stage ordinaire de résidence exigé pour la naturalisation est réduit à trois ans573.

Une autre innovation introduite par la loi de 1867 concerne le point de départ du stage de trois ans qui commence à courir du jour où la demande d’autorisation est enregistrée au ministère de la Justice.

La Chambre adopte cette nouvelle modification apportée à la loi de 1849, et en consacre l’application dans l’article 1er

de la loi de 1867. Ainsi, ce délai court à dater du jour où la demande d’autorisation de résider en France est enregistrée au ministère de la Justice574

et non comme sous la législation de 1849, à partir de la date de l’admission à domicile.

Le stage accompli, l’étranger est admis à demander la naturalisation. Sa requête est, après enquête faite par le gouvernement sur la moralité, soumise à l’appréciation du Conseil d’État, et la naturalisation est prononcée, s’il y a lieu, par un décret impérial. Aux termes de l’art. 1er

, alinéa 2, de la loi des 13-21 novembre 3 décembre 1849, le chef de l’Etat, peut rejeter la

572 Monit. du 20 février 1867, p. 170 573 R. Robillard, op. cit., p. 115. 574

naturalisation contrairement aux conclusions du Conseil d’État, mais il n’est autorisé à l’accorder que sur l’avis favorable du Conseil d’État.

Par conséquent, l’article 1er

de la loi de 1849, laisse au chef de l’État la liberté du refus de naturalisation malgré l’avis favorable du Conseil d’État, mais non la liberté de l’octroi de la naturalisation, contre l’avis du Conseil575

.

Cette disposition concorde parfaitement avec la Constitution du 4 novembre 1848, qui fait du Conseil d’État un corps complètement indépendant du pouvoir exécutif. Ce droit de veto s’explique par le fait que ses membres sont nommés par l’Assemblée nationale576

et ne peuvent être révoqués que par elle. Le Conseil d’État qui est une émanation de l’Assemblée nationale, représente en quelque sorte vis-à-vis du Président de la République, le pouvoir souverain du Parlement. Dès lors, la Constitution exige qu’en cas d’avis défavorable du Conseil d’État, le chef de l’exécutif ne passe pas outre. Mais cette disposition n’est plus compatible avec le droit constitutionnel du Second Empire577.

La Constitution du 14 janvier 1852 (art. 48 à 51) et le décret du 25 janvier 1852 (art. 1er, 5, 27) modifient virtuellement la partie de l’article 1er de la loi de 1849 relative à l’avis favorable du Conseil d’État. Le seul fait de mettre le Conseil d’État dans la dépendance du pouvoir exécutif par la nomination et révocation de ses membres attribuée au chef de l’État, enlève aux propositions de ce Conseil tout caractère obligatoire578, en matière gracieuse comme la naturalisation.

Sous la loi de 1867, l’avis du Conseil d’État est toujours obligatoire ; toutefois, le gouvernement n’est pas tenu de se ranger à ses conclusions, et peut passer outre en refusant la naturalisation malgré l’avis favorable, et vice-versa.

En effet, à partir du 4 septembre 1870, le ministre de la Justice est investi par décret du gouvernement de la Défense nationale, du 12 septembre du droit de passer outre pour accorder la qualité de Français579. En vertu de ce décret, le ministre de la Justice dispose du: « pouvoir de statuer sans prendre l’avis du Conseil d’État sur les demandes de naturalisation formées par les étrangers qui ont obtenu l’autorisation d’établir leur domicile en France, conformément aux dispositions de l’article 13 du Code civil ou qui auront fait antérieurement

575 C. Aubry et C. Rau, op. cit., p. 408. 576 F. Bonnet, op. cit., p. 219.

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Le conseil d’État étant placé dans la dépendance du pouvoir exécutif, qui en nomme et révoque les membres à volonté, et sous la direction duquel il exerce ses attributions, les propositions de ce Conseil ne sont pas, obligatoires pour le chef de l’État.

578 F. Bonnet, op.cit., p. 219. 579

à la promulgation de la loi du 8 décembre 1849, la déclaration prescrite par l’article 3 de la Constitution de l’an VIII »580.

Enfin, la loi du 5 juillet 1867, qui ne fait que confirmer l’état de choses existant sous la loi de 1849, apporte, en matière de naturalisation, un dernier changement. En effet, elle introduit une innovation importante, quant à l’obligation de résider en France, en faveur des étrangers qui exercent hors du territoire français, des fonctions conférées par le gouvernement de la République. Cette loi prévoit que le séjour en pays étranger, pour l’exercice d’une fonction conférée par le gouvernement français, est assimilé à la résidence en France. Le législateur a en vue les agents consulaires et diplomatiques et autres étrangers qu’emploie le ministère des Affaires étrangères, dans les consulats581. Ces derniers ne peuvent se faire naturaliser Français, puisqu’il leur est impossible, en raison même de leurs fonctions, de satisfaire à la condition d’une résidence réelle et effective en France, quelque restreinte qu’en est la durée. La loi de 1867 remédie à cet inconvénient. En vertu de la loi de 1867, les étrangers qui exercent hors du territoire français, des fonctions conférées par le gouvernement de la République sont réputés faire le stage en France et peuvent, au bout de trois ans, obtenir la naturalisation après l’accomplissement des formalités ordinaires. Le commissaire du gouvernement, Manceaux justifie cette loi en indiquant que son le but est de permettre ainsi à l’administration de stimuler le zèle des agents étrangers employés dans les ambassades et les consulats en leur conférant la qualité de Français sans qu’ils aient besoin de quitter leur poste582.

Force est de constater que la législation relative à la naturalisation est particulièrement exigeante malgré plusieurs tentatives d’assouplissement. Néanmoins, il en est différemment pour les étrangers ayant contribué à l’enrichissement et à la renommée de la France pour lesquels l’obtention de la naturalisation française a un caractère extraordinaire.