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44 La seconde mondialisation

L’actuelle mondialisation – entamée depuis les années 1970 – constitue une caractéris-tique saillante du capitalisme. Sur le plan commercial et sur le plan financier, elle atteint aujourd’hui une intensité record.

Point clé

1. UNE OUVERTURE COMMERCIALE SANS PRÉCÉDENT

Après 1945, une dynamique de réouverture commerciale des économies capitalistes s’en-clenche. Les flux internationaux de marchandises et de services connaissent une véritable envolée : entre les années 1950 et le début du xxie siècle, la valeur du commerce mondial a connu une croissance deux fois supérieure à celle de la valeur du PIB mondial. Cette nou-velle expansion du commerce international se singularise par sa durée et sa régularité. La continuité du processus implique qu’on ne peut assigner sans arbitraire une date précise au début de la « seconde mondialisation ». Mais il est clair que la reprise du commerce international a devancé celle des investissements directs (notamment américains) dans les années 1960 et la libération des flux de capitaux au seuil des années 1980 seulement. Le commerce mondial de biens et de services représente en 2012 31 % du PIB mondial contre 18 % à la fin des années 1980. La phase actuelle de mondialisation commerciale dépasse en intensité tous les précédents historiques.

Sous l’impulsion des États-Unis, les nouvelles institutions internationales promeuvent le libre-échange et le multilatéralisme. Sous l’égide du GATT, crée en 1947, huit rounds de négociations internationales permettent le recul des pratiques les plus nocives (dumping, quotas) et un abaissement très important des droits de douanes : de l’ordre de 40 %, en moyenne, en 1947, ils se situent à 5 % en 1994. À partir de 1995, l’OMC prend le re-lais pour accentuer ce désarmement douanier. Les plans d’ajustement du FMI imposent, quant à eux, un volet libéralisation des échanges et la multiplication des accords commer-ciaux régionaux accélère, de fait, le développement du libre-échange.

L’amélioration des infrastructures de transports (réseaux routiers, gigantisme du transport maritime, développement du transport aérien) concourt aussi à l’intensification des échanges. Les coûts moyens de transport représentaient 7,6 % de la valeur des importations mondiales en 1953, contre seulement 3 % au cours des années 2000. De manière toute aussi frappante, depuis la fin des années 1940, le coût du transport aérien a baissé de 85 %.

2. LES ÉVOLUTIONS STRUCTURELLES DU COMMERCE MONDIAL

Cet essor global des échanges s’accompagne bien entendu de mutations structurelles. Ce sont d’abord les échanges de produits manufacturés entre pays avancés (européens notam-ment) qui forment la composante la plus dynamique du commerce mondial. La contribution des services est restée faible et constante : ceux-ci ne représentent depuis les années 1950 qu’entre 20 et 25 % des exportations mondiales. La tertiarisation des économies semble ainsi, par un simple effet de structure, borner l’ouverture commerciale des économies. Les firmes multinationales (FMN) sont devenues des acteurs clefs de la mondialisation, le commerce intrafirme c’est-à-dire entre filiales d’une même entreprise représente

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aujourd’hui un tiers des échanges extérieurs des pays développés. On compte environ 65 000 FMN dans le monde, qui disposent d’un total de 850 000 filiales. Des réseaux trans-nationaux se constituent, échappant de plus en plus au contrôle des États. La question de l’attractivité des sites nationaux se pose avec beaucoup plus d’acuité.

La mise en place d’une division internationale des processus de production sous l’égide des FMN illustre la faiblesse des coûts de transport et accélère l’érosion des avantages comparatifs. Pour de nombreux biens industriels, elle entraîne l’inversion des soldes com-merciaux, au profit des économies émergentes notamment asiatiques (Chine, Inde…).

3. LA GLOBALISATION FINANCIÈRE

La réouverture financière des économies est beaucoup plus tardive que leur réouverture commerciale. Au sein du système de changes fixes de Bretton Woods, les entraves aux mouvements de capitaux sont maintenues. Les autorités redoutent les effets déstabilisant des mouvements et capitaux et souhaitent pouvoir combiner stabilité des cours de change et autonomie des politiques monétaires.

Le coup d’envoi de la réouverture financière des économies est donné en 1979 : à la suite du Sommet des cinq pays les plus industrialisés de Tokyo, la Grande-Bretagne de Mar-garet Thatcher lève les contrôles des opérations de change. La vague de libéralisation s’étend dans les années 1980, parfois sous la pression d’institutions financières interna-tionales comme le Fond Monétaire Internationale. Les mouvements de capitaux s’inten-sifient. L’évolution du simple montant quotidien des opérations de change (comptant, terme, swaps) frappe les esprits.

Montant quotidien des opérations de change au niveau mondial

1979 117 milliards de $ par jour

1989 590 milliards de $ par jour

1998 1 490 milliards de $ par jour

2013 5 300 milliards de $ par jour

Ces mouvements de capitaux constituent un facteur d’accélération de la croissance mondiale mais aussi un puissant facteur d’instabilité.

4. UNE CONTRAINTE EXTERNE FORTE POUR LES ÉTATS

L’intensification de la mondialisation entraîne une réduction des marges de manœuvre de politique économique pour les États.

Au niveau des politiques structurelles, les États doivent rendre attractive leur économie, attirer les capitaux étrangers, favoriser l’implantation de firmes multinationales. Pour cela, il convient parfois de baisser le coût du facteur travail (salaires plus cotisations so-ciales), de réduire la fiscalité (impôts sur les bénéfices) et d’introduire plus de concurrence et de flexibilité sur les marchés. De ce fait, au Nord certains acquis sociaux peuvent être remis en cause (détérioration des conditions de travail, protection sociale moins forte…). Au niveau des politiques conjoncturelles, l’ouverture commerciale des économies rend moins efficace la politique budgétaire. Les relances traditionnelles échouent car elles profitent de plus en plus aux importations qui dans le cas de la France représentent au-jourd’hui plus de 25 % du PIB et dans celui de la Belgique environ 80 % du PIB (voir

fiches 38 et 39).

Fiche 44 • La seconde mondialisation

Les avancées de l’intégration financière ont aussi des conséquences dans les domaines de la politique monétaire et du change. Si l’on se réfère à la notion de triangle des in-compatibilités (développée par Mundell), dès lors que la mobilité des capitaux est extrê-mement forte et s’impose comme une donnée, les autorités ont un choix restreint. Soit elles conservent des marges de manœuvre de politique monétaire et acceptent du subir l’instabilité des cours de change (la zone euro apparaît aujourd’hui dans ce cas). Soit elles assurent la stabilité du change mais alors elles doivent se priver de la possibilité d’utiliser le taux d’intérêt pour stabiliser les prix ou soutenir l’investissement et la consommation (c’est le cas de beaucoup de pays émergents d’Asie par exemple, c’était largement le cas de la France à l’époque du système monétaire européen 1979-1998).

5. LA RÉGIONALISATION DE L’ÉCONOMIE MONDIALE

La montée de la contrainte externe pose la question de l’échelle pertinente de la régu-lation. Elle est à l’origine d’une intensification de l’intégration économique régionale (c’est-à-dire une union d’économies nationales) à partir de la fin du début des années 1990. De nombreux accords régionaux sont alors signés. Le MERCOSUR est installé en 1991 (marché commun d’Amérique du Sud), il regroupe l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. En 1992, l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), qui rassemble dix pays, devient une zone de libre-échange. L’ALENA (Association nord-américaine de libre-échange) est créée la même année.

L’Union européenne reste l’exemple le plus achevé d’intégration régionale. Le processus d’intégration a été entamé dès les années 1950 avec notamment la signature du traité de Rome en 1957. La Communauté économique européenne s’est élargie à de nouveaux membres dans les années 1970-1980 et les échanges se sont intensifiés au sein de la zone. Pour assurer la stabilité du change et favoriser ainsi les échanges de marchandises un Sys-tème monétaire européen a été mis en place en 1979. Mais la spéculation sur le change a paru menacer le projet européen à l’occasion en particulier des violentes crises de change de 1992-1993. La nécessité de créer une monnaie unique s’impose alors. L’euro est entré en vigueur le 1er janvier 1999.

Une Union économique et monétaire comme l’UE permet en théorie de retrouver des marges de manœuvre en matière de politique conjoncturelle, au sein d’une zone – relati-vement fermée – la politique budgétaire est censée être plus efficace. Mais pour l’instant le budget européen reste embryonnaire (à peine plus de 1 % du PIB de la zone), tribu-taire d’une avancée de l’intégration politique. Si pour certains la régionalisation permet de se protéger contre certaines conséquences de la mondialisation, pour d’autres elle en constitue le tremplin.

6. DES INSTITUTIONS INTERNATIONALES CONTESTÉES

Les institutions en charge de réguler les relations financières internationales, le FMI et la Banque mondiale notamment, n’ont pas été capables de régler les problèmes monétaires et financiers apparus à partir des années 1980 : endettement des pays pauvres, accentua-tion de l’instabilité financière, crises de change.

À l’origine en 1944, le FMI était chargé d’assurer la continuité des paiements internatio-naux en assistant par des crédits et des conseils des pays en difficulté pour équilibrer leur balance des paiements. La Banque mondiale était plus en charge de financer l’aide au développement des pays du tiers-monde. Si la mise en œuvre des politiques d’ajustement

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structurel depuis les années 1980 a entraîné une certaine complémentarité entre les deux institutions elle leur a également attiré de nombreuses critiques.

Le Consensus de Washington cristallise les controverses. Ce terme apparaît en 1989 for-gé par l’économiste Williamson, il désigne les politiques libérales imposées aux pays en développement par les deux institutions (privatisation, rigueur monétaire, discipline bud-gétaire…). L’économiste Joseph Stiglitz a dénoncé le fait que ces « thérapies de choc » accentuaient la pauvreté et l’instabilité au Sud, il a contribué à leur abandon progressif au début du xxisiècle. Aujourd’hui de nombreux défis restent à relever pour ces institu-tions : l’annulation de la dette des PVD, l’accumulation de déficits courants par les États-Unis, la volatilité des cours de change, la constitution d’un véritable prêteur en dernier ressort au niveau international et la question de leur légitimité même car le Sud souligne qu’elle qu’elles servent les intérêts du Nord.

Dans le domaine commercial le GATT est parvenu à promouvoir les idées de multila-téralisme et de libre-échange. L’OMC a tenté de poursuivre la politique de libéralisa-tion des échanges dans le cadre du cycle de négocialibéralisa-tion de Doha : les enjeux principaux concernaient les échanges agricoles et de services.

Par beaucoup d’aspects, pour l’Europe, la période actuelle ressemble à la longue stagnation des années 1870-1880 (ralentissement de la croissance, concurrence des émer-gents, instabilité…). Comme durant la première mondialisation des débats s’esquissent à propos d’un durcissement des politiques commerciales.

Repères chronologiques • 1978 : ouverture de l’économie chinoise

• 1979 : sommet du G5 de Tokyo qui marque un changement d’orientation des politiques éco-nomiques (priorité accordée à la stabilité des prix et mise en place de mesures de libéralisa-tion)

• 1989 : chute du mur de Berlin qui symbolise l’effondrement des économies de type soviétique • 1994 : accords de Marrakech qui institue l’OMC

• 1999 : création de l’euro

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L’intégration financière internationale désigne un processus de mise en communication de plus en plus poussée des différents marchés financiers nationaux (levée des contrôles, mo-bilité effective des capitaux, capacité des opérateurs à arbitrer les opportunités de profit). Au stade le plus avancé de l’intégration, les espaces nationaux doivent être unifiés dans un marché international sur lequel la loi du prix unique est en vigueur.

Point clé

1. LA MESURE DE L’INTÉGRATION FINANCIÈRE INTERNATIONALE

La mobilité internationale des capitaux peut être appréhendée de deux grandes manières. D’abord à travers la mesure de l’évolution de l’intensité des mouvements de capitaux ; ainsi le fait que le montant quotidien des opérations de change (comptant, terme, swaps) augmente fortement depuis plus de 30 ans constitue un indice présomptif du phéno-mène (entre 1979 et 2013 il est passé de 117 milliards de dollars à près de 5 300 milliards de dollars). De même le fait que la valeur des stocks mondiaux d’IDE passe de 10 % du PIB mondial en 1990 à 31 % en 2011 révèle une mobilité plus forte.

En économie internationale l’intégration financière internationale peut ensuite être ap-prochée à travers les conséquences de la mobilité des capitaux sur trois grandes relations macroéconomiques :

• la dispersion de la valeur absolue des soldes courants ; la contrainte de soutenabilité des déficits courants pouvant être relâchée par la mobilité des capitaux ;

• la force du lien entre l’épargne nationale et l’investissement national (relation dite de Feldstein-Horioka) ;

• la relation de parité des taux d’intérêt couverte (égalité des rendements aux variations du change près pour un même actif financier situé sur deux marchés nationaux). Ces indicateurs ont, à des degrés divers, des problèmes de robustesse.

Obstfeld et Taylor (2002) proposent une vision d’ensemble de l’évolution historique de l’intégration financière internationale à partir d’une synthèse subjective de ces quatre approches (graphique ci-après).

2. UNE INTÉGRATION FINANCIÈRE PLUS ÉLEVÉE QUE JAMAIS

Le coup d’envoi de la réouverture financière des économies est donné au seuil des an-nées 1980. La Grande-Bretagne de Margaret Thatcher puis les États-Unis et l’Allemagne lèvent les contrôles sur les opérations de change. La vague de libéralisation s’étend au niveau mondial, dans les années 1980, parfois sous la pression d’institutions financières