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Les réparations allemandes 16

Dès avant la fin de la guerre, le principe de réparations financières versées par l’Allemagne semble acquis pour les responsables français qui mettent en avant le précédant de 1871. L’illusion que l’Allemagne allait payer conduit la France à une souplesse budgétaire excessive et à une intransigeance diplomatique qui contribue à précipiter l’Allemagne vers le chaos économique.

Point clé

1. LA CONFÉRENCE DE LA PAIX : « L’ALLEMAGNE PAIERA » a) Les difficultés de la paix

Lors de la conférence de la Paix qui a lieu à Paris à partir du 18 janvier 1919, les Alliés ne parviennent pas à s’accorder sur le montant des réparations allemandes. Français et Britanniques rejettent la proposition américaine d’un forfait de 75 milliards de francs-or. À la veille de plusieurs échéances électorales, Clemenceau est intransigeant. Côté an-glais, Lloyd George a des préoccupations identiques.

Les appels à la raison de Keynes, alors membre de la délégation britannique, ne sont pas entendus. Il quitte d’ailleurs Paris et démissionne du Trésor trois semaines avant la signa-ture du traité de Versailles. L’économiste anglais préconisait un forfait de 50 milliards et une remise complète des dettes interalliées. Il consacre les mois suivants à la rédaction de l’ouvrage Les Conséquences économiques de la paix qui paraît en fin d’année et exerce, immédiatement, une forte influence. Le livre contribue à gagner l’opinion publique inter-nationale à la cause d’une Allemagne qui dénonce un texte trop dur et, à bien des égards, humiliant.

Dans cette véritable diatribe contre le traité, Keynes développe des arguments moraux, politiques et financiers. Sur un plan moral, il constate, en premier lieu, que l’Allemagne a été trompée : si le protocole d’armistice envisageait une réparation des dommages aux populations civiles, il ne prévoyait pas la prise en charge des pensions militaires. Sur le plan politique, il partage la crainte de son gouvernement de voir s’installer une hégémo-nie française sur le continent : l’équilibre de l’Europe passe, selon lui, par une prospérité retrouvée de l’Allemagne. Enfin, au niveau financier, Keynes met en évidence les limites de la capacité de paiement de l’Allemagne. Comme, pendant la guerre, elle a épuisé la quasi-totalité de ses richesses immédiatement transférables (or, valeurs étrangères…), sa capacité de paiement se circonscrit au surplus de marchandises transférables à l’étranger, c’est-à-dire à l’excédent de sa balance commerciale.

b) L’illusion des paiements allemands

Le traité de Versailles du 28 juin 1919 ne fixe donc pas le montant des réparations al-lemandes mais il précise que la somme ne pourra pas être inférieure à 125 milliards de francs-or. Par ailleurs, une commission des réparations est nommée pour arrêter un chiffre définitif au plus tard le 1er  mai 1921. En France les estimations les plus farfe-lues se font dès lors jour : le ministre des Finances Klotz déclare devant les députés le

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5  septembre 1919 que le chiffre s’élèvera à 375 milliards de francs-or dont 200 milliards pour la France… comme il le dit « l’Allemagne paiera » ! En France, cette certitude re-tarde la mise en œuvre de la politique de rigueur budgétaire nécessaire à la restauration de la stabilité monétaire.

2. UN COMPROMIS IRRÉALISTE : L’ALLEMAGNE INCAPABLE DE PAYER a) Le travail des diplomaties

L’accord définitif a beaucoup de mal à se dessiner. Les États-Unis refusent de lier la question de la dette interalliée aux paiements allemands. La Grande-Bretagne ménage de plus en plus une Allemagne qui donne des signes d’un affaiblissement jugé excessif pour l’équilibre politique européen. Quant à l’Allemagne elle-même, son plus sûr allié est le temps. Si la conférence de Spa (juillet 1920) parvient à fixer la part de chacun des bénéficiaires (52 % pour la France, 22 % pour la Grande-Bretagne, 10 % pour l’Italie, 8 % pour la Belgique, le reste se répartit entre les autres Alliés), elle laisse en suspens la question des versements.

Les conférences de Paris (janvier 1921) et Londres (mars 1921) échouent également à fixer un chiffre définitif. Il faut attendre le mois de mai  1921 pour qu’une somme de 132  milliards de marks-or (l’équivalent de 163  milliards de francs-or) soit réclamée à l’Allemagne (le versement doit s’étaler sur une période de trente ans). L’incertitude sur le montant de l’indemnité est enfin levée.

b) Une analyse de la capacité de paiement de l’Allemagne

L’Allemagne est-elle capable de payer une telle somme ? Que représente ce chiffre dans le contexte des années vingt mais aussi, vis-à-vis du point de comparaison que constitue le versement par la France à l’Allemagne victorieuse d’une indemnité de 5 milliards de francs-or dans les années 1870 ?

Cinq milliards de francs constituent l’équivalent de trois mois du revenu national fran-çais de 1869. Les 132 milliards de marks représentent, quant à eux, deux ans et demi du revenu national allemand de 1913. Amorties sur 30 ans, à un taux de 4 %, les annuités réclamées à l’Allemagne correspondent d’après les calculs de l’économiste Sauvy à une somme de 7,5 milliards de marks soit 14 % du revenu national allemand d’avant-guerre. Ce pourcentage est sensiblement identique à celui que l’on obtient dans le cas du ver-sement français réalisé, rappelons-le, sur une période de deux ans puisque le pays s’est totalement acquitté de sa dette dès l’été 1873. Est-ce à dire que l’Allemagne peut payer ? La réponse est clairement non. Les paiements français avaient été entre  1871 et  1873 le révélateur de la puissance financière du pays, de l’abondance de son épargne. L’Al-lemagne du début des années vingt ne peut compter que sur un excédent de sa balance commerciale. J.-Ch. Asselain (1985) note que ses exportations auraient dû « dépasser de 65 % le montant fort élevé qu’elles atteignaient vers 1913 » pour permettre un rem-boursement. Dans les faits, au cours des années 1920 cette balance a toujours été défici-taire exceptée en 1926 et 1929. D’emblée, les alliés, redoutant la concurrence commer-ciale allemande, rejettent la possibilité de livraisons en nature, Lloyd George déclare en 1918 : « Nous n’avons pas l’intention de prendre leurs marchandises parce que ce serait au détriment de notre commerce. » Le traité de Versailles inclut même des obstacles au développement du commerce extérieur allemand. Ensuite, à partir de 1921, l’économie allemande connaît une crise monétaire et financière sans précédent qui la désorganise totalement et ne lui permet pas de dégager de surplus exportable.

Fiche 16 • Les réparations allemandes

3. LA FUITE EN AVANT : OCCUPATION DE LA RUHR ET EFFONDREMENT MONÉTAIRE DE L’ALLEMAGNE

a) Vers un moratoire ?

Logiquement, dès les derniers mois de l’année 1921, l’Allemagne réclame un moratoire : elle n’est pas en mesure d’honorer les échéances du 15  janvier 1922 (500  millions de marks-or) et du 15 février (235 millions). En France cependant, on continue à se rac-crocher à la perspective des paiements allemands. Le retour au pouvoir de Raymond Poincaré en janvier 1922 s’appuie sur la volonté parlementaire de privilégier la fermeté et une application à la lettre des traités. L’ancien président de la République est depuis le début partisan de la plus grande intransigeance vis-à-vis de l’ennemi d’hier. Cela étant, dès le mois de mars, le nouveau gouvernement accepte une réduction dite provisoire des annuités allemandes. Poincaré donne alors le sentiment de ne pas mettre en application les idées qu’il défendait jadis.

Quelques semaines plus tard, la conférence de Gênes (10  avril au 19  mai) porte un coup fatal aux réparations. La signature de l’accord de Rapallo (le 16 avril) renforce de manière décisive la position germanique : allemands et soviétiques renoncent aux dettes de guerre et aux réparations qu’ils pouvaient se devoir mutuellement. Ce rapprochement sort l’Allemagne de son isolement diplomatique. Lors de cette même conférence, les experts constatent ouvertement l’incapacité de l’Allemagne à honorer sa dette et sug-gèrent qu’elle émette un emprunt international pour s’en acquitter. Les banquiers réunis quelques jours plus tard à Paris pour discuter de l’emprunt concluent que la réduction du montant de la créance française est une condition nécessaire à toute solution au pro-blème des réparations.

b) L’effondrement de l’économie allemande

Courant 1922, la tendance à la dépréciation du mark est accentuée par l’impossibilité d’aboutir à un nouvel accord, plus réaliste, sur le montant des paiements allemands. En octobre 1922, Brand, Cassel et Keynes, appelés par le gouvernement allemand à se pro-noncer sur une nouvelle demande de moratoire et sur les moyens de résoudre la crise de change, concluent catégoriquement qu’il ne saurait y avoir de stabilisation du mark sans une suspension de deux ans des paiements allemands. Mais les alliés ne parviennent pas à conclure un accord : malgré une forte pression diplomatique, la France fait preuve d’une grande fermeté. La proposition anglaise de réduire à 50 milliards de marks-or la dette allemande et d’accorder un moratoire de quatre ans est repoussée par la France début janvier 1923. La confiance dans le mark est de plus en plus ébranlée, sa chute s’accélère et avec elle la hausse du niveau général des prix  : alors qu’en janvier  1920 un dollar s’échanger contre 49 marks, fin décembre 1922, il en faut déjà près de 7 000 ; entre juin et décembre 1922, les prix de détail sont, eux, multipliés par 16.

Lasses des manquements volontaires de l’Allemagne, la France et la Belgique enva-hissent la Ruhr le 11 janvier 1923. Les deux puissances entendent effectuer elles-mêmes des prélèvements en nature sur l’économie allemande. Mais la désorganisation de l’ap-pareil productif provoquée par l’effondrement monétaire et la politique de résistance passive du Chancelier Cuno les en empêchent : au total, elles prélèvent environ 300 mil-lions de marks-or, soit à peine de quoi couvrir les frais d’une occupation qui se prolonge jusqu’au cours de l’été 1925.

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Durant le premier semestre de 1923, les prix allemands doublent chaque mois, en juillet ils sont multipliés par 7, en août par 16, en septembre par 26, puis par 244 en octobre. Les comportements de fuite devant la monnaie se généralisent, et l’instabilité finit par paralyser la production. Le pays plonge dans le chaos.

4. LE PLAN DAWES DE 1924

a) Le rétablissement monétaire allemand

Pour rétablir la confiance, une nouvelle monnaie – gagée sur des actifs agricoles et in-dustriels – doit être mise en circulation : le rentenmark fait son apparition en octobre. Une politique d’émission restrictive lui attire la confiance des utilisateurs. En août 1924, cette monnaie est rattachée à l’or (sur la base de l’ancien pair du mark), elle prend le nom de Reichmark. Mais la solidité de la monnaie dépend dès lors de la capacité de la Reichsbank à se constituer une encaisse-or suffisante, l’Allemagne, à cet égard, est totalement tributaire en 1924 de l’octroi de crédits extérieurs, étroitement liés au règle-ment de la question des Réparations. Elle est ainsi contrainte d’accepter le plan Dawes (conférence de Londres d’août 1924). Pour la première fois un accord cherche à ajuster le montant des versements à la capacité de paiements de l’Allemagne et se préoccupe, par conséquent, de créer des conditions favorables au développement de l’activité éco-nomique. Keynes salue l’impartialité et le caractère scientifique de ce plan, « la meilleure contribution jusqu’à présent à la solution de cet impossible problème ».

b) Des versements limités

Grâce au plan Dawes, de septembre 1924 à mai 1930, la France perçoit 4 milliards de francs-or. Ajoutés aux versements et prélèvements du début des années vingt, il apparaît que l’indemnité de guerre reçue par la France ne s’élève qu’à environ 11 milliards de francs-or. Nous sommes loin des 52 % de 132 milliards de marks-or (c’est-à-dire près de 85 milliards de francs) qui devaient en principe revenir à la France.

Par la suite, pour faire face aux difficultés financières nées de la crise de 1929, le mora-toire Hoover (juin  1931) interrompt les paiements intergouvernementaux au titre des dettes et des réparations et met, de fait, un terme définitif aux réparations.

Repères chronologiques • 1919 (28 juin) : signature du traité de Versailles

• 1922-1923 : hyperinflation allemande

• 1923 (janvier) : occupation de la Rhur par la France et la Belgique • 1924 (août) : plan Dawes

• 1931 (juin) : moratoire Hoover

L’hyperinflation allemande