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« May I come in ? I need help ». Sur le pas de la porte, Akamere parle lentement, avec gravité. Son anglais du Nigéria résonne dans la semi-obscurité de l’infirmerie, lors d’une énième panne d’électricité. Si son visage et son corps sont ceux d’un jeune homme à l’acmé de ses forces, ses gestes solennels et le rythme de sa parole semblent bien plus anciens que ses 24 ans. Il s’adresse à moi et à ma collègue Rebecca, une étudiante en troisième année de Psychologie, impliquée dans la permanence de soin que nous venons de démarrer auprès de l’« Amphi Z », ce bâtiment occupé après l’expulsion du collectif qui s’était réuni à l’Université. Nous l’invitons à rentrer et à prendre place avec nous, nos trois chaises forment un petit cercle. L’histoire d’Akamere commence par un point d’interrogation : il

nous dit ne pas connaître les événements qui ont mené au meurtre de son père, et donc à son départ de Nigéria. Il sait que tout cela est lié à la crise politique et sociale que le Nigéria traverse (il ne les nomme pas, mais je pense aux terroristes de Boko Haram), mais il ignore la cause précise de ce qu’il décrit comme le « retournement » (« upside-down ») de sa vie. « Why ? » il répète à plusieurs reprises, avec rage.

Lors de l’Assemblée Générale hebdomadaire du collectif, dans la salle commune, les femmes qui habitent dans le squat ne sont pas nombreuses, et elles restent en silence la plupart du temps. Mais Amanda est toujours là, avec la présence erratique qui caractérise tous ses investissement du groupe. Elle va et elle vient, elle éclate de rires dans le moments les plus tendus de la discussion, elle crie, elle nous appelle en faisant résonner fort nos prénoms. Amanda « la folle » vient d’Angola, et elle habite en squat avec ses deux enfants, Brando et Béa. Aujourd’hui elle porte une belle robe chemise violette, avec un turban, indice du fait que c’est probablement une bonne journée. Après la réunion, elle m’interpelle : « Bonjour, alors vous êtes la psychologue ? On peut se tutoyer ? Je voulais te dire que moi aussi, je suis là pour aider les autres. Même toi, je peux t’aider. Tu es en train de comprendre ? »

Le début du printemps, lorsqu’on vit en squat, est assez souvent une occasion d’or- ganiser une fête. Il s’agit, officiellement, d’un évènement qui vise à ce que le plus grand nombre de gens soient présents dans le bâtiment le dernier jour de mars, date de fin de la trêve hivernale qui rend inexpulsables les occupants. Mais il est également possible d’interpréter et de vivre cette fête à un autre niveau, celui-ci implicite. Il s’agit en effet de célébrer la survie d’un agglomérat d’individus marginalisés qui ne se sont pas résignés à la rue, au 115 et à l’isolement, et qui ont passé l’hiver, la période où le « dehors » est le plus cruel, essayant de faire groupe, à se réchauffer dans une tentative de vivre ensemble. Les échos des fêtes païennes liées au printemps résonnent nombreuses. À l’occasion de cette célébration, la première de la vie du squat, je rencontre Marie, qui fait partie d’un groupe de personnes soutenant au quotidien des jeunes mineurs isolés étrangers qui, tout en faisant partie du collectif « originel » des occupants de la fac, n’habitent pas en squat. Certain de ces jeunes, qui investissent l’Amphi Z en tant que lieu ressource dans un contexte urbain autrement assez hostile, sont aussi présents à cette fête. À un moment, une main se pose sur mon épaule : « Excusez-moi, Marie m’a dit que vous êtes psychologue,

c’est vrai ? ». Badou m’adresse cette question d’un ton très sérieux, comme s’il s’agissait d’établir une vérité fondamentale. Surprise, je lui répond par l’affirmative, éprouvant le besoin de nuancer ce propos (« Avec mes collègues, nous essayons d’aider un peu le collectif... »). Un sourire transfigure, l’espace de quelques instants, le visage sévère de cet adolescent : « Ça c’est très bien ! ». Redevenu grave, il se présente. Il s’appelle Badou, il a 16 ans, il vient de Guinée Conakry. Et il ne peut pas vivre car il est envahi par la haine. « Je déteste les arabes. Je ne peux pas m’en empêcher. Parfois j’ai peur que je pourrais

tuer quelqu’un ».

Parmi les jeunes mineurs pour qui l’« Amphi Z » deviendra important, il y a aussi Ismaël, un grand garçon à l’air méditatif, le regard souvent détourné de l’interlocuteur, explorant autour de lui par des petits éclairs rapides et vivaces, ou absorbé par un point invisible. La première fois que je le vois, nous sommes dans la salle commune du squat. Une Assemblée Générale vient de se terminer – une réunion très chargée d’affects et d’une étrange sollicitude mutuelle, car, suite à un petit incendie qui a éclaté dans une chambre et qui a obligé tous les habitants à déménager pendant quelques jours dans un gymnase, le collectif risque maintenant de devoir quitter définitivement le bâtiment, susceptible d’être déclaré périlleux et fermé avec la force par les autorités. La situation d’Ismaël est un peu comme celle de ce bâtiment, en passe d’être étiqueté comme dangereux et abandonné : bien qu’il ait été pris en charge par l’ASE en tant que mineur étranger isolé, il ne bénéficie plus d’aucune forme institutionnelle d’hébergement, et d’aucune aide financière. Les instances du « vivre ensemble institué » (Gaillard et J.-P. Pinel, 2012) l’ont en somme laissé tomber. Ce sont Marta et Lucas, un jeune couple d’étudiants qui ont participé à l’occupation à la fac, qui l’ont accueilli chez eux. Dans un mail qu’ils ont adressé au Groupe Soin, Marta et Lucas nous ont expliqué qu’Ismaël, jeune ivoirien de 16 ans, « va de plus en plus mal ». Se sentant ignoré par l’institution qui aurait été censée le prendre en compte, il a lancé une pierre contre une fenêtre du rez-de-chaussée du bâtiment de la Métropole, cassant une vitre. En raison de cet acte « violent », il a été exclu de l’accompagnement. Suite à cette exclusion, Ismaël a quasiment cessé de dormir et de manger, et il n’arrive même plus à se lever pour aller au collège. Par conséquent, Marta et Lucas ont décidé de demander du soutien psychologique pour lui, et donc voici, en face de moi, ce dimanche glacial, dans la salle commune du squat, Marta et Ismaël qui viennent me rencontrer. L’infirmerie n’étant pas accessible en ce moment, le cadre

dans lequel je les reçois est des plus bruyants. Autour de nous, plusieurs petits groupes d’habitants discutent entre eux avec ferveur. Nous nous installons sur un canapé et nous nous levons aussitôt : nous nous sommes assis sur un jeune homme qui fait la sieste, complètement caché par une grande couverture et des coussins ! Un grand malaise nous traverse tous les trois. Nous arrivons à échanger brièvement. Ismaël sourit très peu, il ne parle pas beaucoup plus. Pourtant, lorsque je m’adresse à lui pour lui demander son point de vue sur la situation, il me répond sans hésiter, en me regardant droit dans les yeux : « Tout seul, je n’y arrive pas ». Et lorsque je lui propose de commencer un suivi psychologique pour que je puisse le soutenir, tout son corps exprime une détermination et une volonté très claires.

La première image que je garde d’Oury est celle de son visage contracté, les rides sur son front, entre ses yeux, comme des indices d’une tension qui me frappe. Celle qui oppose et articule, d’une part, un désespoir rageur, par lequel Oury semble défier son interlocuteur à le trahir, comme s’il était accroché au bord d’une falaise, et qu’il s’attendait à tout moment à la main d’un passant dont les bonnes intentions apparentes auraient fini inévitablement par le faire précipiter, et, d’autre part, une possibilité, une ouverture à la rencontre d’autrui, d’autre chose. Oury a 14 ans, il est parti encore plus jeune de la région forestière de la Guinée Conakry dont il est originaire, avec son oncle, il est parti car il voulait aller à l’école et que, au Pays, il ne pouvait pas, et, quand je croise son chemin, il est tout seul, dans un squat qui a été ouvert au sein d’un ancien collège, pour que les très nombreux mineurs et jeunes majeurs étrangers vivant à la rue puissent trouver un toit. Notre rencontre est des plus casuelles : personne ne m’a parlé de lui, et il n’est pas venu chercher de l’aide dans le bureau des permanences, dont il ignorait l’existence. C’est lors d’un moment d’errance où je me promène dans les différents espaces communs du squat que je le vois, tout seul, assis devant un bureau d’écolier, lisant un bouquin. Il lit comme s’il s’agissait de décoder un alphabet inconnu, s’aidant avec le mouvement de ses lèvres, et je me dis qu’il est probablement en train d’apprendre. Lorsque je me pose à ses côtés, et que je lui demande qu’est-ce qu’il lit, il lève ses yeux concentrés sur moi et il répond : « Un livre de mystère. Il s’appelle “Dix petits nègres” ».

2.6

Synthèse du Chapitre

Avant de pouvoir m’engager dans ce travail doctoral, il m’a fallu traverser un long parcours de recherche, qui, passant par la philosophie et par le théâtre, a abouti, depuis quelques années, à la pensée psychanalytique et à la praxis clinique. Ce manuscrit présente donc la dernière mise en forme d’une série de problématiques qui m’interpellent et que je tente de penser depuis très longtemps. Trois question sont particulièrement importantes, dans la genèse de ce travail. La question de la Kulturarbeit (Freud, 1932a ; Zaltzman, 1999a), ce processus toujours inaccompli de subjectivation, de production de l’humain dans le monde. Le problème de la précarité du sujet, et de la précarisation de certaines catégories de sujets – dans le cadre d’un processus de mésinscription (Henri, 2004). La possibilité de penser l’expérience psychique de la migration en tant qu’« aventure subjective » (Bruyère, 2014).

Le contexte dans lequel j’ai pu mener ce travail de recherche (dans le cadre d’un contrat doctoral, et dans les années les plus dures de la crise de l’accueil en Europe), a rendu possible et nécessaire un engagement particulièrement intense sur le terrain, et il m’a donné la possibilité d’explorer ces questions au-delà des lieux institutionnels « classiques » de la psychologie clinique. La « photographie » des toutes premières rencontres avec cinq des sujets que j’ai pu accompagner dans le cadre de ce travail (les cinq accompagnements qui sont au cœur de cette élaboration) attestent d’un tel terrain atypique : ce sont des rencontres en squat.

Mourir aux frontières

“Notre” civilisation narcissique bricole du collectif, de l’associatif, de l’humanitaire, de la solidarité. Quelle force de dénégation de la chose, du lien de fait et non de principe, faut-il pour engendrer l’obligation de produire ces termes comme des mots d’ordre ? À quel état de lettre morte dans l’inconscient ces termes ont-ils été réduits pour qu’on en soit à les réanimer par du volontariat ?

Zaltzman, 1999a, p. 67

3.1

Rêver d’un autre monde

Le monde hypermoderne est un monde de migrations globalisées. Les mouvements migra- toires du XXIème siècle sont, depuis les années 1980, la deuxième vague de déplacements massifs de populations de notre ère. En 2017, on estimait 244 millions de migrants interna- tionaux dans le monde, et 740 millions de migrants internes : près d’un milliard d’habitants de la planète étaient en mouvement (Winthol de Wenden, 2017). Aujourd’hui, les êtres humains qui n’habitent pas là où ils sont nés sont sûrement encore plus nombreux. Les phénomènes migratoires contemporains sont des plus complexes, principalement pour trois raisons :

1. presque toutes les aires de la planète sont concernées par ces mouvements,

2. les Pays de transit et les Pays d’accueil des populations migrantes traitent ceux et celles qui traversent leurs frontières avec l’ambiguïté typique des régimes néolibéraux : si d’une part, ils répriment avec violence les mouvements migratoires (car le modèle de l’État-nation fonctionne encore, lorsqu’il s’agit de contrôle des corps présents sur le territoire dont l’État est souverain), d’autre part, ils utilisent ceux et celles qui arrivent comme un grand réservoir de travail pas cher et, très souvent, irrégulier (car la globalisation, qui ne prête aucune attention aux frontières, se nourrit de tous

les flux économiques planétaires, y compris les flux de travailleurs sans droits), 3. les raisons qui poussent un nombre aussi grand de personnes à quitter leurs pays sont

nouées aux bouleversements typiques du néolibéralisme mondialisé : crises humani- taires, politiques et économiques, guerres, croissance exponentielle des inégalités, désastres environnementaux, expansion des mégalopoles, pillage des ressources, pri- vatisations, surpuissance des monopoles industriels... Pour définir les déplacements massifs de populations de notre époque, la sociologue Saskia Sassen (2014) emploie le terme d’« expulsions » :

« [...] expulsions – des projets de vie et des moyens d’existence, de l’ap- partenance, du contrat social qui est au cœur de la démocratie libérale. Ce phénomène va bien au-delà d’une simple augmentation des inégalités et de la pauvreté. [...] Ce n’est pas une condition qui touche la majorité des êtres humains, mais, dans certains cas, ça pourrait le devenir. De telles expulsions entraînent une généralisation graduelle de certaines conditions extrêmes qui commencent à se manifester aux limites des systèmes sociopolitiques. » (ibid., p. 29, ma traduction).

Selon cette sociologue, les expulsions contemporaines, ainsi que la brutalité du système néolibéral qui les perpètre, marquent un point de non-retour dans l’histoire de l’humanité. Les catégories économiques, politiques et sociologiques dont nous disposons ne sont plus suffisantes pour lire notre monde. Ainsi, Sassen (2016) propose de penser les migrations contemporaines en ce qu’elles découlent d’une « perte massive d’habitat ». Cette sociologue

défend l’idée que les déplacements de populations auxquels nous assistons aujourd’hui signalent le déroulement de changements rapides et bouleversants dans les parties du monde où de tels mouvements commencent. Sassen met en exergue plusieurs formes de destructions qui sont à l’origine des migrations contemporaines :

« La violence extrême est l’un des éléments-clés qui expliquent ces migrations. Mais il ne s’agit pas du seul élément. J’ajoute un deuxième facteur : trente ans de politiques de développement international ont laissé derrière eux une grande quantité de terres désolées (à cause des extractions minières, des expropriations, des plantations), et ont expulsé les communautés qui y habitaient. Se déplacer dans les bidonvilles à la périphérie des mégalopoles, ou, pour ceux qui en ont les moyens, émigrer, sont des options qui se sont imposées de plus en plus [...] Je défends l’hypothèse que ce mélange de conditions – guerres, terres désolées et expulsions – a produit une perte massive d’habitat pour un nombre croissant de personnes. Ces gens, donc, ne sont pas des migrants en quête d’une vie meilleure, qui espère pouvoir envoyer de l’argent au pays et, peut- être, retourner un jour auprès de leurs familles. Ces individus sont en quête, simplement, de la possibilité de vivre, de la vie nue, ils n’ont pas de chez eux où retourner. » (2016, p. 205, ma traduction)

Lorsque nous nous focalisons sur les phénomènes migratoires qui intéressent, au- jourd’hui, la Méditerranée, nous trouvons tous les facteurs évoqués par Sassen. L’Irak, l’Afghanistan, la Syrie, le Soudan du Sud, la Somalie, l’Érythrée, le Rwanda, le Congo, le Cameroun, la Guinée, la Côte d’Ivoire, la Libye... En Moyen et Orient et en Afrique, une série interminable de guerres, pillages systématiques des ressources, crises politiques et humanitaires, ont provoqué dans les dernières décennies une perte massive d’habitat. Il ne s’agit pas seulement d’une destruction des environnements physiques, mais également d’une dévastation des environnements psychiques. Les structures culturelles, sociales et familiales de plusieurs dizaines de millions de personnes ont été pulvérisées, en l’espace de quelques décennies, de quelques années ou de quelques mois. L’accélération de ces crises a été spécialement évidente entre 2015 et 2020. D’où, par exemple, l’augmentation des arrivées, en Europe, de ces jeunes que nos administrations nomment, par simplicité, « mineurs étrangers isolés » ou « mineurs non-accompagnés ». Comme nous le verrons

plus bas (p. 390), si beaucoup de ces jeunes ont perdu leurs familles déjà dans leurs pays d’origine, ou à cause des dangers du voyage, un grand nombre d’entre eux (notamment en ce qui concerne ceux et celles qui viennent d’Afrique subsaharienne) ont quitté leurs familles, tout d’abord, dans un mouvement d’errance, qui, ensuite, est devenu – plus ou moins par choix – une dynamique migratoire. Cela signifie que le tissu familial, politique et symbolique de leurs communauté d’origine ne les tenaient plus : ils sont partis, tout d’abord, car ils ont glissé, ils se sont décousus. Quelle place, dans ces processus migratoires, pour le « rêve d’un autre monde » ?

Rêver d’un autre monde. Ainsi s’intitulait une exposition que j’ai eu l’occasion de visiter, en 2016, au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon. Au fil des installations, le visiteur était amené à découvrir les œuvres de plusieurs artistes contemporains sur le thème de l’exil, proposant de différentes représentations possibles de l’expérience migratoire. « Représentation », c’est à dire, soustraction, mise en négatif du réel, renoncement à la maîtrise de l’objet, à l’illusion de sa présence et de sa stabilité. Renoncement à l’immédiateté de la chose. La dénégation civilisationnelle des institutions de l’accueil, pour une fois, n’était pas racontée par le biais d’images au plus près du désespoir et de la terreur de ses protagonistes, ni, symétriquement, encadrée selon la rhétorique paranoïaque de l’« invasion ». Il s’agissait ici de sortir de la fascination, ouvrant une brèche sur la problématisation des imaginaires, à la fois des sujets en migration et des sociétés les réceptionnant. Plus précisément, j’avais le sentiment que les œuvres d’art dont j’étais spectatrice donnaient à voir le point d’articulation entre le registre imaginaire et le registre symbolique, entre la condensation de l’expérience de l’exil dans des images, donnant une illusion de maîtrise sur la réalité, mais aliénantes, et la mise en sens de ces images, leur « liaison » à des sujets de parole et à leurs signifiants. Me promenant parmi les courts-métrages, les animations, les tableaux, et les reconstructions historiques présentées dans cette exposition, souvent accompagnées par des approfondissements sociologiques et géopolitiques, je constatais avec ravissement l’espace de jeu que ces représentations culturelles de l’exil étaient en mesure d’offrir. Je ne pus pas éviter de penser, par contraste, à la spectacularisation généralisée de la mémoire historique du XXIème siècle. Prenons par exemple les reprises télévisuelles de l’effondrement des Twin

Towers, dont la répétition indéfinie, inlassable, a figé le traumatisme occidental inaugurant le nouveau millénaire. Il me semble que, dans cette fixation, l’Occident s’est noyé dans le

reflet pétrifiant de son propre déraillement. En 2001, la « société du spectacle » (Debord, 1967)1 a massifié Narcisse, l’assignant une fois pour toute à un statut de sujet effondré, dés-étayé, aux prises avec une altérité terroriste – et terroriste lui-même, mais sans pouvoir le penser2. Les vidéos réalisées par les coupeurs de têtes affiliés à Daech, diffusées en

continuum sur internet une décennie plus tard, ne sont, à mon sens, que le prolongement de la même répétition traumatique. Dans le tourbillon obscène des photogrammes de l’horreur, nous tous, les humains d’Occident, nous sommes réduits à une pose de terreur